Développement et sociétés

L’INTEGRATION, UN PREALABLE AU DEVELOPPEMENT

 

Ethiopiques n°54.

Revue semestrielle de culture négro-africaine

Nouvelle série volume7-2ème semestre 1991

En Afrique, en cette aube du XXIe siècle, l’heure est à la définition des alternatives aux stratégies actuelles de développement.

Car, aussi bien les Etats que les peuples reconnaissent la faillite des choix opérés jusqu’ici. Faillite largement imputable à la faiblesse intrinsèque des micro-nations nées des Indépendances.

D’où un intérêt accru pour les modèles privilégiant l’interdépendance et le co-développement.

Dans cette perspective, on note un faisceau convergent d’initiatives pour la mise en place des conditions d’une intégration africaine réelle et durable.

Cette démarche essaie de tirer la leçon des expériences passées en opérant une évaluation rigoureuse des échecs auxquels elles out abouti.

Ainsi, fruit d’un réflexe réaliste et pragmatique, l’intégration est désormais appréhendée comme un processus échelonné. Sont privilégiées, les réalisations graduelles par rapport au totalitarisme utopique et inefficace.

Un souffle nouveau est donc donné aux regroupements sous-régionaux déjà en place, notamment l’UM.A. (Maghreb) et la C.E.D.E.A.O. (Afrique de l’Ouest) ; ces regroupements étant autant de balises vers une intégration globale.

Sur le plan discours fondateur, l’idéologie intégrationniste donne cependant toujours le primat à la justification et, donc, aux remèdes économiques.

Les pays africains courent ainsi le risque de rééditer les erreurs commises en situation de « balkanisation », c’est-à-dire de mettre en oeuvre, une nouvelle fois, des solutions purement technocratiques, en porte-à-faux avec les réalités culturelles et sociales des populations.

C’est pour contrecarrer cette tendance néfaste que le Président Abdou DIOUF avait assigné prioritairement à la récente Biennale de Dakar, une réflexion approfondie sur le thème « Culture et Intégration Africaine « .

Les Journées Culturelles de Sédhiou situent le thème de leur colloque international dans le droit fil de ces préoccupations.

La culture mandingue comme facteur d’intégration sous-régionale ouest-africaine ; sujet ne pouvait, en effet être mieux choisi pour qui sait que la civilisation mandingue impulsée par le mandinka (la langue mandingue) recouvre une aire spatialement homogène, concernant neuf (9) pays : LE BURKINA FASO, LA COTE DWOIRE, LA GAMBIE, LA GUINEE-BISSAU, LA GUINEE-CONAKRY, LE LIBERIA, LE MALI, LE SENEGAL, ET LA SIERRA LEONE, soit 1.200 Km, d’Est en Ouest, et 1.000 Km du Nord au Sud.

Comment faire de cette dynamique culturelle, linguistique, et spatiale un facteur d’intégration pour le progrès et le développement ?

Comment exploiter au maximum les acquis de la riche histoire de l’espace mandingue qui a favorisé, entre autres, les brassages inter-ethniques ?

En contexte de modernité, les structures sociales traditionnelles mandingues, contiennent-elles encore des éléments susceptibles de favoriser l’émergence d’un Etat Confédéral Ouest-Africain ?

Telles sont quelques-unes des questions qui seront abordées au cours de ce colloque. Trois sous-thèmes ont été retenus :

Sous-thème 1 : La langue mandingue comme facteur d’intégration en Afrique de l’Ouest – utopie ou possibilité ?

Sous-thème 2 : Les Etats de l’espace mandingue entre la tradition et la modernité (aspects politiques, sociaux, économiques, géopolitiques de la dynamique intégrationniste).

Sous-thème 3 : La civilisation Mandingue d’hier à demain : l’aspiration intégrationniste à la lumière de l’histoire passée et présente.

Nous venons de communier avec l’attachante population sédhioise lors de l’inoubliable cérémonie d’ouverture des Journées culturelles.

Sans perdre leur caractère populaire, ces Journées acquièrent maintenant une dimension intellectuelle exceptionnelle avec le Colloque international. Car l’intégration est un défi que doivent relever à la fois les élites et les peuples africains.

C’est dire si nous sommes heureux de la qualité de la participation. Que tant de sommités dans des disciplines aussi importantes que l’histoire, la lin­guistique ou l’anthropologie aient ré­pondu à notre appel prouve qu’une nouvelle lucidité s’est créée autour des enjeux crucIaux.

Qu’il nous soit donc permis d’adresser nos félicitations et nos remerciements les plus chaleureux à l’aéropage de compétences rassemblées ici, à ces intellectuels toujours disponibles quand il s’agit de l’émancipation culturelle des peuples.

En cela, ils rejoignent notre cher Président Léopold Sédar Senghor dont nous venons d’écouter avec émotion le brillant message lu par le Général Idrissa F ALL.

Que Dieu lui prête longue vie pour qu’il continue à nous guider.

Je parlais tout à l’heure d’enjeux cruciaux. Le thème du Colloque international de Sédhiou : « La Culture mandingue comme facteur d’intégration sous-régionale ouest-africaine » autorise une telle expression.

L’intégration est le préalable du développement africain. C’est une préoccupation constante des peuples africains, éclairés par les élites les plus conscientes. C’est aussi l’une des rares idées qui n’ait jamais vieilli. Elle est restée toujours jeune, témoignage de notre scepticisme quant au choix de modèles de développement en porte à faux avec nos réalités culturelles et so­ciales.

C’est pourquoi aujourd’hui encore les jeunes générations à l’instar de leurs prestigieux aînés, je songe notamment aux Nkrumah, Cheikh Anta DIOP, Léopold Sédar SENGHOR, se font les caisses des résonnances d’une stratégie de développement fondée sur l’unité.

Il faut cependant le reconnaître, les chantres de l’intégration ne donnent plus la douloureuse impression de prêcher dans le désert. Ce qui, à l’ère des délires nationalistes, marquée par la multiplication des micro-Etats, pouvait apparaître comme un rêve, comme une utopie, se transmue aujourd’hui en réalisme pur et simple. Il y a une réaction positive généralisée contre l’héritage colonial de la balkanisation. Cet héritage avait pu perdurer jusqu’ici car les peuples africains étaient pour la plupart muselés par des régimes dictatoriaux.

Grâce à l’avènement de l’Afrique à la liberté, les égoïsmes suicidaires sont dénoncés avec la virulence requise. Et nos Etats empruntent les voies susceptibles de les conduire réellement au progrès et au développement.

Il en est, je le répète, précisément ainsi de l’intégration. Il nous suffit de regarder l’exemple européen pour nous en convaincre. Dans son livre au titre évocateur :  » l’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel ? » Daniel Etounga MANGUELLE nous rappelle opportunément que c’est grâce au marché commun européen que des pays comme la Grande Bretagne ou l’ancienne R.F.A. ont pu augmenter de façon spectaculaire leur productivité agricole. Et quelle formidable pôle d’attraction deviendra l’Europe unie !

Nous ne voulons pas exprimer une fascination sans critique pour le modèle européen. Ce que nous voulons en retenir, c’est la sincérité de la pulsion intégrationniste. Celle-ci doit nous inspirer car elle est mère de la persévérance dans l’action et de la cohérence stratégique. L’argument du colloque a bien raison de le souligner, toutes les tentatives d’intégration initiées jusqu’ici n’ont pas abouti du fait du manque de motivation profonde des promoteurs.

Aujourd’hui donc la sincérité est là. D’où les tentatives énergiques de réactivation des regroupements régionaux déjà existants mais en léthargie. Les efforts du Sénégal vont, en tout cas, dans ce sens. Notre pays veut non seulement rendre sa crédibilité à un organisme comme la CEDEAO mais aussi apporter le soutien le plus ferme aux autres regroupements étatiques avec lesquels une convergence future est incontournable.

Mais qui dit intégration africaine dit culture. Je voudrais encore me référer à l’argument du Colloque qui nous rappelle que c’est le président Abdou DIOUF qui avait assigné prioritairement à la récente Biennale de Dakar, une réfléxion approfondie sur le thème « Culture et Intégration africaine ».

L’intégration africaine sera comme un arbre aux fruits délicieux érigé sur l’humus des cultures africaines ou ne sera pas. C’est la culture africaine qui donnera vie, consistance et réalité à l’intégration africaine.

La Culture africaine et, donc principalement la culture mandinka. La Civilisation mandingue met en effet en présence quasiment tous les pays de l’Afrique de l’Ouest. Son exploitation dans une stratégie de rapprochement des peuples a déjà été soulignée lors de prestigieux Congrès internationaux. Je voudrais à ce sujet rappeler les Congrès de Londres et de Bamako qui, en 1972 et 1975, furent organisés par nos amis David DALBY et Youssouf Tata CISSE. Et nous nous rappelons encore la voix profonde du re­gretté WA KAMISSOKO nous dire le chemin de l’unité et de la fraternité qui a toujours été celle des conquêtes pour le Mandingue.

Aujourd’hui les guerriers du développement, que nous sommes, ont toujours besoin de la Civilisation mandingue. Pour paraphraser le texte introductif, au moins trois raisons peuvent justifier ce besoin :

– La langue mandingue est un facteur d’intégration en Afrique de l’Ouest. .

– Grâce à une certaine continuité territoriale les Etats de l’espace mandingue jouent un rôle charnière naturel dans la dynamique intégrationniste.

– Ce rôle sera d’autant plus facile à maintenir que toute l’histoire du Mandingue est une histoire de l’unité ou des tentatives d’unification.

Le Chef de l’Etat, le Premier Ministre et l’ensemble du gouvernement, à la lumière des réalités que voilà, sont à l’écoute du Colloque de Sédhiou. Puissent les éminents participants placer des balises puissantes sur les voies du progrès. Sur cette note d’espérance, je déclare ouvert le Colloque international sur « la Culture mandingue comme facteur d’intégration sous-régionale ouest-africaine »

-INTRODUCTION SUR LE COLLOQUE INTERNATIONAL SUR LA CULTURE MANDINGUE COMME FACTEUR D’INTÉGRATION SOUS-RÉGIONALE OUEST- AFRICAINE

-MANIFESTE POUR LE FEDERALISME EN AFRIQUE