Le dixième anniversaire de la mort d’André Malraux

L’EXOTISME DANS L’OEUVRE D’ANDRÉ MALRAUX

Ethiopiques n° 43
revue trimestrielle
de culture négro-africaine
4e trimestre 1985 volume III n°4

Dans la littérature exotique française du XXème siècle, Malraux occupe une place importante : ses trois premiers romans (Les Conquérants (1928), La Voie royale (1930), La Condition humaine (1933) sont des « romans d’aventure exotique » [1] qui ont pour toile de fond Canton, la forêt cambodgienne, Shanghaï et Han Kéou.
Mais est-ce une raison suffisante pour ranger, par exemple, La Voie royale entre Malaisie (1930) d’Henri Fauconnier et Conquête (1931) de Pierre Frédérix ? La description de la jungle et de la mer de Chine chez Fauconnier, la philosophie désespérée de l’aventurier perdu dans la presqu’île des Malacca chez Frédérix – et jusqu’à la parenté de la structure narrative : dans les trois romans le personnage principal est un aventurier accompagné pas à pas par un témoin – suffisent -elles à classer une fois pour toute Malraux dans la bibliothèque des « romans de l’univers » [2] ? A le classer avec Fernand Baldensperger (qui établit en 1943 la liste des auteurs de « L’exotisme romanesque entre les deux guerres » [3] quelque part, entre, d’un côté, Folie exotique de Chivas-Baron, Shangaï secret de Fontenoy et, de l’autre Master Lou Pota de Marquet ou Bijou-de-Ceinture de Soulié de Moranc ?
Peut-on se contenter avec Henri Bénac de glisser son œuvre entre les romans de Loti et les Poèmes barbares de Leconte de Lisle [4] ?
Les carences de pareils classements nous paraissent justifier une étude plus attentive de l’exotisme dans l’œuvre d’André Malraux. Nous nous accorderons d’abord à garder ici au mot « exotisme » son sens habituel : l’exotisme consiste à « prendre l’étranger (spécialement ce qui est fort loin) comme sujet d’une œuvre littéraire », « l’étranger » s’identifiant à ce qui est irréductiblement « autre » : « Tout ce qui est en « dehors de l’ensemble de nos faits de conscience actuels, quotidiens, tout ce qui n’est pas notre « tonalité mentale » coutumière » [5]. Nous aurons soin ensuite de limiter cette étude au seul exotisme littéraire. L’intérêt pour « l’autre » ou pour « l’ailleurs » apparaît en effet chez Malraux comme une donnée fondamentale de la connaissance ontologique mais il s’agit là d’une dimension de l’exotisme qui demanderait, pour être précisée, un cadre de réflexion beaucoup plus large que celui que nous nous fixons ici.
L’exotisme n’est-il pour Malraux qu’un décor, qu’un prétexte à l’expression d’un imaginaire seulement ému par le « seul souci de voyager / Outre une Inde splendide et trouble » ? Quelle place et quelle fonction occupe l’intérêt pour ce qui est radicalement différent de soi dans le travail de l’écriture et, au-delà, dans la finalité du projet littéraire ?
Et d’abord, ce goût pour l’exotisme n’est-il pas en relation étroite avec la sensibilité et la personnalité mêmes de Malraux ?

Exotisme et « Tentation de l’Occident »

La plupart des écrivains qui comme Malraux – accèdent à l’âge d’homme au sortir de la Première Guerre Mondiale semblent, selon le mot de Philippe Soupault, « nés pour partir ». La guerre a en effet consacré la faillite des valeurs de la civilisation occidentale et la lassitude pour le « monde ancien » – exprimée dès 1913 par Apollinaire – touche en profondeur les sensibilités. « Le besoin d’exotisme [est] caractéristique des années d’après-guerre » a pu noter Germaine Brée [6] et, de fait, le succès des romanciers coloniaux, des enquêteurs, des reporters et des globe-trotters (pour reprendre les termes de F. Baldensperger) expriment bien l’engouement d’un public pour les ouvrages qui apportent le divertissement et l’évasion (Malraux saura d’ailleurs en tirer parti quand, à la tête des éditions « Aux Aldes », il rééditera de 1926 à 1928, de Paul Morand : Rien que la Terre, Bouddha vivant et Siam, et de Pierre Loti : Les Pagodes d’or).
L’invite de Rimbaud à « quitter l’Europe » trouve dans cette génération une résonance singulière. Chez Malraux notamment : « Europe, grand cimetière où ne dorment que des conquérants morts (…), tu ne laisses autour de moi qu’un horizon nu et le miroir qu’apporte le désespoir, vieux maître de la solitude » [7]. C’est même dans la rupture avec les cadres de pensée européens que se situe, selon Malraux, le salut de l’Occident. Dans cette condition, on peut retrouver – entre autres – les influences de René Guénon dont « l’introduction aux doctrines hindoues (…) était, à sa date [1921], un livre capital » [8] ; d’Ananda Coomaraswamy dont les premiers essais sur l’Inde paraissent en français chez Rieder en 1922 sous le titre : La Danse de Civa, d’Emile Hovelaque : son ouvrage sur la Chine (Les Peuples d’Extrême Orient, La Chine, Flammarion, 1920) a suscité l’enthousiasme de Gide et Malraux l’a largement utilisé pour La Tentation de l’Occident. On peut également relever les convergences de vues ou de préoccupations avec les œuvres de Keyserling (Malraux rendra compte du Journal de voyage d’un philosophe dans la « N.R.F. » du 1er juin 1929) ou de Romain Rolland qui, en janvier 1922, écrivait en préface au livre de Coomaraswamy que nous venons de mentionner : « Nous sommes un certain nombre en Europe, à qui ne suffit plus la civilisation d’Europe (…). Nous sommes quelques uns qui regardons vers l’Asie (…). Europe, Asie, nos forces sont diverses. Unissons-les pour accomplir l’œuvre commune : la plus grande Civilisation, le total génie humain » [9] .

Ce débat sur la relation nouvelle qui doit unir l’Occident à l’Orient aura été fondamental dans les années 1920 : « le sujet que l’on appelait « l’Orient et l’Occident » a été l’un des plus Importants de l’après-guerre de 14 (…) ; le résultat en a été un certain nombre d’essais, assez séduisants et sans grande importance » [10]. Le résultat en a été, pour Malraux en tout cas, de préciser sa réflexion sur le destin de l’Occident par opposition, par exemple, à Massis (voir à ce sujet le compte rendu de Défense de l’Occident qu’il donne dans la « N.R.F. » du 1er juin 1927) ou à Barrès, « très grand artiste doublé d’un esprit moyen ». Cette réflexion permet surtout de mesurer la nouveauté de la conception malrucienne de l’ouverture à autrui : « Si on l’avait poussé à bout [Barrès], il aurait dit : l’Asie finit au Rhin. Pour moi, l’Asie ce n’était pas du tout le Rhin. Pensez à notre réaction quand il a publié Enquête aux pays du Levant [1923]. Ce qu’il appelait l’Asie, c’était le Proche-Orient. Qu’est­ce que c’était que cette Asie où il n’y avait pas les Indes, pas la Chine, pas le Japon » [11].
L’exotisme a donc une histoire : il évolue avec le temps et il se fonde sur les notions, fluctuantes et relatives de « l’autre », ou de « l’ailleurs ».

Une « affaire de tempérament »

L’exotisme est également chez Malraux une « affaire de tempérament ».
On constate par exemple que rares sont les régions du monde que Malraux n’a pas visitées. Son amour du voyage et son goût très vif pour le dépaysement sont assimilés par lui à des faits de génération littéraire : « Comme Paulhan, je suis un homme de la différence ; nous regardons les cultures et ethnographes. Sur cette question des voyages, ni Paulhan ni moi ne sommes très français, alors que Valéry était très français ; pour lui, voyager c’était aller… en Italie » [12]. Malraux a d’ailleurs évoqué à plusieurs reprises sa rencontre avec Valéry : « Mais pourquoi suis-je allé en Asie ? Savez-vous que c’est la question que m’a posée Valéry, lorsque je l’ai rencontré pour la première fois ? » [13]. La génération à laquelle appartient Malraux entend s’ouvrir au monde. Voyager, c’est pour elle posséder la terre mais aussi vivre plus intensément : devant J. Montalbetti, Clara se souviendra qu’elle fut, avec son mari, « intoxiquée » par un vers de Laforgue : « Mourir sans avoir seulement parcouru sa planète » [14].
Certaines contrées ont sa prédilection. Pour les Amériques, le Mexique et les Caraïbes (Martinique, Haïti). En Asie, la Chine, le Japon et plus encore l’Inde. Au Moyen-Orient, l’Egypte et surtout la Perse : « J’aime Ispahan, autant que Stendhal a aimé Milan » (Ml., p.547. [15] – Ispahan, qui avait fait l’objet d’une page admirable mais peu connue : « Atteinte après tant de désert et de steppes, Ispahan était naguère un grand boudoir en ruines dans l’odeur de lavande brûlée (…). Femmes, eaux vives dans des oasis de peupliers, luxe léger, jardins et roses, la grêle chanson sarrasine qu’entend l’Occident depuis les Croisades, et qu’il retrouve dans la nuit de Smyrne ou de Grenade, c’est la prenante chanson de l’Iran » [16]. Ainsi se dégage de son œuvre une sorte de géographie affective, « cordiale », qui structure l’espace. Malraux distingue par exemple un « Orient de l’âme », et un « Orient du rêve » : « … Si l’Occident connaissait mieux [l’Egypte] qu’il ne connaissait l’Inde ou la Chine, c’était d’abord parce qu’il y trouvait une dépendance de la Bible. Elle appartenait, comme la Chaldée, à l’Orient de notre Histoire » (« Pour sauver les monuments de haute-Egypte ». Reproduit dans Ml., p. 967). En revanche, « loin de nous dans le rêve et dans le temps, l’Inde appartient à l’Ancien Orient de notre âme » (Ibid., p. 229), tandis que « l’Orient des rêves » est associé à « [son] amie la reine de Saba » (Ibid., p. 550).

L’exotisme de Malraux a également été façonné par des amitiés et par des rencontres. Et d’abord par son mariage avec Clara Goldschmidt en octobre 1921. L’origine allemande de celle-ci, sa vive intelligence, son goût pour la modernité, permettent à Malraux de découvrir, avant qu’elles ne soient vraiment connues en France, les grandes tendances du renouveau artistique d’outre-Rhin. C’est ainsi que le compte-rendu qu’il donne du Journal de voyage d’un philosophe de Keyserling révèle une connaissance des œuvres non encore traduites en français du « sage » de Darmstadt. Clara avait en effet traduit pour lui de larges extraits de l’Analyse spectrale de l’Europe mais aussi du Déclin de l’Occident, de Spengler (l’ouvrage paraît en français en 1948 seulement), et bien sûr de nombreux textes de Nietzsche. Or, dans les années 1920, la culture allemande s’ouvre à l’étranger : « Les Allemands, d’une vitalité plus exigeante et plus tourmentée, les premiers ont demandé à l’Asie l’aliment que leur esprit affamé ne trouvait plus à son gré en Europe », note en janvier 1922 Romain Rolland [17]. Ouverture à l’Asie qui apparaît par exemple chez Keyserling mais aussi dans le roman d’Hermann Hesse, Siddharta (1922) ; ouverture à l’Afrique avec les grands travaux de Frobenius (dès 1921) – il servira de modèle au Mollberg des Noyers de l’Altenburg – et avec les essais de Carl Einsten (on sait que Malraux prit le plus vif intérêt à la lecture de sa Sculpture africaine (traduite en français en 1922 par les éditions Crès) [18]
A Paris, Malraux fréquenta également de nombreux écrivains et artistes ouverts aux influences exotiques. Au siège de la revue « Action » (à laquelle il participa d’avril 1920 à avril 1922), il se lia quelque temps avec Yvan Goll, passionné par les arts extra-européens, et il rencontra Cendrars, Derain, Vlaminck… Par Daniel-Henry Kahnweiler – le célèbre marchand de tableaux, très fin connaisseur du cubisme et de l’art nègre, et qui fut son premier éditeur -, il fit la connaissance de Picasso et de Braque. Le milieu de la « Nouvelle Revue Française », où Malraux pénétra en 1922, constituait quant à lui, selon une image de Mauriac, « la rose des vents de la littérature française ». Dès 1914, Gide avait donné une traduction de L’Offrande lyrique, de R. Tagore, et à partir des années 20 Gallimard multiplia les traductions au point de leur consacrer en 1931 une collection : « Du monde entier » (qui aurait été baptisée ainsi par Malraux lui-même, sans doute en hommage à Cendrars).
Enfin, et sur un plan encore plus « exotique », Eddy du Perron (ami très proche dès 1927 et dédicataire de La Condition Humaine) apporta à Malraux « l’arrière plan voluptueux des Indes » [19]. En 1965, au-dessus du Pacifique l’auteur du Miroir des limbes se souvient : « Par là, il y a une île appelée Balé Kambang que m’a donnée Eddy du Perron quand je lui ai dédié La Condition Humaine (…) Qu’est devenue mon île ? Irai-je la voir avant de mourir (…) ? Les cocotiers y poussent dru, paraît-il » (Ml, p.378).
L’exotisme procède également chez Malraux d’une curiosité intellectuelle et plus encore d’un goût constant pour un pittoresque insolite et cocasse où les seuls toponymes suffisent souvent à susciter de somptueuses rêveries. Dans le désert d’Arabie, à la recherche de la capitale mystérieuse de la Reine de Saba, Malraux songe à sa jeunesse : « Adolescent, je cherchais dans le Bottin de l’étranger des villes romanesques, et, après vingt ans, je retrouve ici l’odeur de sciure d’un bistrot où je lisais : « Magnifiques palais qui tombent en ruines » [20]. D’une façon plus générale, on s’aperçoit qu’un exotisme livresque servit de fondement et de vivier d’images à son exotisme littéraire. Nous ne nous livrerons pas ici à une étude de ces influences littéraires exotiques. A. Vandegans l’a déjà menée par les premiers textes de Malraux et un examen plus approfondi deviendrait vite fastidieux et d’ailleurs incomplet, Malraux ayant pris soin, souvent, de tarir lui-même ses propres sources. Mentionnons toutefois, outre la lecture du « Bottin de l’étranger », celle probable de « l’Illustration » et du « Journal des voyages », des suppléments illustrés du « Petit Parisien » et du « Petit Journal », des revues coloniales et de récits pour la jeunesse comme les Aventures de Jean-Paul Choppart ou celles de Robert-Robert. Relevons également l’influence des récits de voyageurs, d’explorateurs ou de découvreurs comme Marco-Polo, Plan-Carpin et Rubruquis. Chardin et le Comte d’Hérisson, Sahaqun et Bernal Diaz Del Castillo. Remarquons avec un peu plus d’attention l’intérêt de Malraux pour quelques grands précurseurs : Châteaubriand, chantre de « troublants ailleurs » ; Rimbaud qui appelle à « quitter l’Europe » et qui voit dans l’Asie « la patrie primitive » ; Flaubert : on oublie trop que Malraux aimait le lyrisme exotique de Novembre et de Salamnbô : le Gobineau de Trois ans en Asie et des Nouvelles Asiatiques : Barrès : « Les impressions d’Italie et d’Orient m’ont frappé… plus que Châteaubriand. Mon admiration a été d’abord pour le Barrès voyageurs » [21] ; Le Loti de Vers Ispahan et d’Un Pèlerin d’Angkor : « Je n’avais pas quinze ans quand je lisais Loti : « j’ai vu l’étoffe du soir se lever sur Angkor… » (Ml, p.812) ; Joseph Conrad surtout dont Malraux est, selon le mot de Jean-Yves Tadié, un « disciple méconnu » [22]. Toutes ces influences constituent une sorte de modèle de littérature exotique avec lequel Malraux semble rivaliser pour « se trouver ». Lui-même d’ailleurs rattachera La voie royale à une certaine tradition du roman exotique : « Bien sûr, [elle] n’est qu’un roman d’aventures ; héritage du XIXéme siècle » [23] – aveu explicite d’une filiation qui pourrait expliquer, en part du moins, la différence de « nature » avec les deux autres romans entre les quels elle s’insère.
N’oublions pas enfin l’admiration que voua Malraux aux trois grands « excès » que furent Segalen, Claudel et Saint-John ­ Perse : admiration pour le poète de Stèles et de Peintures comme pour l’auteur de La Grande statuaire chinoise (« Ce livre, écrira Malraux en 1972, est Irremplaçable ») ; admiration pour le « génie lyrique » du second : admiration pour l’éloge du monde entrepris par le troisième. Interrogé en mai 1969 par Kommen Becirovic sur sa « parenté avec le poète d’Anabase », Malraux rappelait que Thibaudet l’avait rangé, avec Claudel et Segalen, dans « la catégorie des écrivains qui ont connu la Chine » mais que, si Perse est surtout sensible à « la présence poétique de l’Asie », lui, Malraux, s’intéresse essentiellement aux arts plastiques : « Mon Asie est formée de beaucoup plus de temples, et son Asie est formée de beaucoup plus d’oiseaux errants dans les temples » [24]. Malraux fait valoir ici une opposition qui n’entame en rien l’extrême parenté des « écritures » exotiques. André Vandegans a montré que Royaume Farfelu emprunte à Récitation à l’éloge d’une Reine et à Anabase. On pourrait également établir une indéniable parenté entre Le Miroir des Limbes et la poésie persienne de l’espace et des éléments premiers et constater chez les deux écrivains la même fascination devant le grand œuvre de l’Homme à travers les siècles.

La place de l’exotisme dans l’œuvre de Malraux

Si l’on considère à présent l’exotisme en tant que thème littéraire, on constate sa très nette évolution dans l’œuvre de Malraux.
Les écrits de Jeunesse (les œuvres narratives mais aussi un essai comme La Tentation de l’Occident) sont parsemés d’images exotiques qui ouvrent dans le texte de vastes espaces au rêve ou à la méditation lyrique mais c’est surtout la trilogie des Conquérants, de La Voie Royale et de la Condition humaine, romans d’aventure exotique et métaphysique » [25], qui permet à une certaine critique d’assimiler Malraux à un romancier de l’exotisme.
Il convient d’abord de remarquer que l’exotisme est inséparable de l’aventure. Pour se constituer, le roman d’aventures a besoin d’un lieu exotique. Aussi n’est-ce pas un hasard si, dans l’œuvre de Malraux, le roman d’aventures le plus authentique, La Voie royale, est aussi le plus exotique. De la même manière, la recherche de la capitale de la reine de Saba constitue une « belle aventure humaine » [26] dont Malraux exprime l’ivresse et les dangers au moyen d’une profusion d’images lyriques et exotiques : « dauphins rigoleurs » du golfe de Tadjourah, « peuplade de lézards bleus et verts » des ruines sabéennes, écureuils dans la cour de marbre du tombeau de Djihanguir, à Lahore [27]…
Indissociable de l’exotisme, l’aventure est également, selon Malraux, un fait de mode rendu possible à un moment particulier de l’histoire de l’Europe : « Ce mot [aventure] connut, vers 1920, un grand prestige dans les milieux littéraires », note-t-il en marge de l’essai que lui consacre Gaëtan Picon et il ajoute : « L’aventure commence par le dépaysement, au travers duquel l’aventurier finira fou, roi ou solitaire ; elle est le réalisme de la féérie » [28]. Dans Le Miroir des Limbes, le dialogue entre Clappique et le consul aborde ce sujet. Il apparaît aux interlocuteurs que l’aventure ne fut possible qu’à la faveur de circonstances historiques privilégiés : le XIXème siècle colonial et conquérant : « (…). Le grand romanesque de l’aventure, le décor exotique, n’existait pas autrefois (…). L’Asie ne devient fantastique qu’à l’époque où nous en devenons maîtres (…). Je maintiens que l’aventurier de la littérature anglaise du XIème siècle est lié au sommeil de l’Asie » (Ml., p. 301-302). L’aventure exotique a ainsi une histoire dont l’illustration littéraire culmine sans doute avec le Conrad de la Folie-Almayer et le Lord Jim ou de Kipling de L’homme qui voulut être roi, mais qui se termine précisément avec Les Conquérants et La Condition humaine, romans qui consacrent le déclin politique de l’Europe [29]. La fin du chapitre « Singapour » (Le Miroir des limbes – Antimémoires IV, 1) prend d’ailleurs définitivement congé des aventuriers. Nous y voyons Clappique suggérer en effet au chat Essuie-Plume de demander « à ce ministre, puisque les aventuriers ne l’intéressent plus, ce qui l’intéresse : pas les politiciens, j’espère ? ». A quoi le ministre répond : « Les hommes de l’Histoire (…). Les hommes qui ont détruit en moi la puissance poétique de l’aventure, si forte dans ma jeunesse, ce sont les hommes de l’Histoire » ML., P. 333). Comme on peut déjà le constater, l’exotisme disparaît dès que l’histoire « entre en jeu ».
Mais si l’aventure appelle l’exotisme, elle appelle aussi un type de personnage hors du commun, mélange de farfelu et de sublime, qui suscite chez Malraux un double mouvement de sympathie et de fascination. Se trouvent ainsi évoqués, dans les Antimimoires, des « bohèmes extravagants et grandioses » [30] comme Aurélie I. roi d’Araucanie, ou Brooke, aventurier devenu consul à Sumatra, ou encore des figures exemplaires de « l’aventure géographique » qui vers 1930, exerçait « une fascination qu’elle a perdue » (Ml. pp. 61-62) comme Arnaud qui, le premier, visita Mareb (« J’aurais aimé à connaître Arnaud (…), Peut-être, sans le savoir, suis-je allé chercher à Saba son ombre ? » – Ibid, p. 66) et, surtout. Daid de Mayrena dont les Souvenirs de la Cochinchine (Toulon, Laurent, 1871) inspirèrent La Voie royale (« …Mayrena, dont la légende, encore présente dans l’Indochine des années 20, est, en partie à l’origine de ma Voie royale ». Ibid., p. 321. [31].
Cadre hors duquel l’aventure ne peut survenir et se développer, l’exotisme correspond surtout chez Malraux un « état de sensibilité qui, selon l’auteur des Voix du silence, déclanche souvent le talent littéraire : « Il y a une atmosphère d’Asie – quelques paillotes avec leur temple barbare sur la rive d’un fleuve immense et morne – à partir de laquelle le talent de Conrad semble tout à coup se déployer » [32]. De façon similaire le talent de Malraux semble prendre appui sur l’évocation ou la description d’un lieu exotique qui apparente ses romans aux reportages de l’époque. Ainsi l’arrivée à Canton, dans Les Conquérants : « Voici la vieille Chine, la Chine sans Européens. Sur une eau jaunâtre, chargée de glaise, le canot s’avance dans un canal, entre deux rangs serres de sampans semblables à des gondoles grossières avec leur toiture d’osier » [33]. Dans La Condition humaine, la foule Shangaï : « Petits marchands semblables à des balances, avec leurs plateaux au vent et leurs fléaux affolés, carrioles, brouettes clignes des empereurs Tang, infirmes, cages.., » [34]. Dans Le Miroir de limbes, de nombreux passages rapportent des « choses vues ». Est associé, par exemple, à « l’Asie endormie » un cortège de souvenirs : « l’heure verte à la terrasse du « Continental », le soir sur les caroubiers, les casques du sergent Bobillot, les dominos du mah-jong sur la musique miaulante de Cholon, les victorias et leurs grelots rue Catinat, le petit billard furieux des bouliers chinois, l’extinction des feux dans les casernes des tirailleurs sénégalais… » Ml… p.321). De même, en ce qui concerne Singapour, le « Rames Hôtel » où, « entre l’Océan Indien et la mer de Chine, la nuit tombait sur l’Empire britannique… » (Ibid., p. 315).

Malraux a cependant toujours pris soin de se démarquer de la littérature exotique de son temps fondés trop exclusivement sur le reportage. Lorsqu’il écrit en préface aux Chênes qu’on abat… : « ce livre est une interview comme La Condition humaine était un reportage… » [35], sans doute faut-il comprendre que ce livre est autant une interview que La Condition humaine était un reportage, c’est-à-dire qu’il s’agit là de données superficielles qui ne doivent pas tromper : l’essentiel est au-delà [36]. Dès 1935, à propos du livre d’Andrée Viollis Indochine SOS, il levait toute ambiguïté : « Un reporter, dans un art dont la métaphore est l’expression essentielle, ne peut être qu’un manœuvre ; le poète, le romancier, seront toujours plus grands que lui » [37]. L’expression : « exotisme littéraire ») trouve ici sa limite puisque la littérature est toujours recomposition du monde sensible et réel – auquel le reportage, précisément, se limite. Malraux fait ainsi remarquer que « Shanghaï, en 1927, ne fut pour [lui] qu’une imagerie d’Epinal » et que, si la légende de Mayrena fut à l’origine de La Voie royale, elle ne lui a « donné qu’un décor »(Ml… p. 321). Du roman moderne, on le sait, il attend non une réussite formelle qui, selon le vœu de Flaubert, culminerait dans « Le livre sur rien », mais l’expression du « tragique de l’homme ». En ce sens, l’exotisme de Malraux – comme celui de Segalen ou le Conrad – vaut comme un espace intérieur : un lieu sur lequel le personnage projette l’étrangeté de ses phobies ou de ses fantasmes. Ainsi, dans La Voie royale, la forêt tropicale « figure » les troubles et les menaces de l’inconscient. Avec ses « feuilles gluantes », le grouillement de ses insectes, « l’écœurante virulence d’une vie de microscope », elle fait songer à ces paysages de marais délétères qui, dans l’imaginaire occidental, caractérisent souvent la « Vallée des morts » ou les Enfers [38].
Après La Condition humaine, on assiste à une disparition brutale de l’exotisme comme décor de l’action romanesque. Malraux entend exprimer par le roman le tragique de l’homme « en situation ». Or dans les années 30, « le destin du monde » se joue en Europe : à l’héroïsme de l’aventurier, étranger au pays dans lequel il agit, vit et meurt, succès de la lutte du militant dans son propre pays. Une fois de plus, il apparaît à l’évidence que l’aventure ne pouvait surgir que dans un cadre exotique. Dans un article d’« Europe Nouvelle » en date du 22 juin 1935, Drieu la Rochelle le faisait d’ailleurs remarquer non sans quelque perfidie :« [le moment où il y a eu] coïncidence entre le cri décharné de l’intellectuel d’Europe et le chant gras du moujik amoureux de la science et de l’industrie, ce moment, Malraux n’a pu le dérouler que dans le décor de la Chine. Comment imaginer des scènes de révolte intense à Ménilmontant ? » [39]. En effet, Le Temps du Mépris (1935) et l’Espoir (1937) retracent des combats politiques européens. L’Allemagne, la Tchécoslovaquie ou l’Espagne sont trop proches de nous pour que l’exotisme soit possible et dans Les Noyers de l’Altenhurg (1943), à la jonction de la fiction romanesque et des « anti-mémoires », le monde ne représente plus le lieu de l’action mais un objet de réflexion : l’exotisme ne peut plus, dès lors, se constituer en « sujet » littéraire.
L’œuvre de Malraux semble ainsi marquer un dépérissement progressif du thème. En apparence du moins. Car si on y regarde de plus près, on s’aperçoit que, paradoxalement, si l’exotisme tend à disparaître comme sujet ou décor romanesques, il ne cesse de s’affirmer dans l’écriture

Exotisme et poésie

L’exotisme malrucien s’organise, comme chez Segalen par exemple, selon la double dimension de l’espace et du temps : « Aller en Asie, naguère, c’était pénétrer avec lenteur dans l’espace et le temps conjugués », constate l’auteur des Anti-mémoires (Ml, p. 5). L’évocation de lieux ou d’anecdotes associés à des époques révolues ou à des cultures éloignées inspire à Malraux une prose lyrique qui cherche à produire des effets sensibles : la musicalité de la phrase ; l’utilisation subtile des bruits, des couleurs, des odeurs ; une thématique florale ou animale, sont autant de moyens qui visent à éveiller notre imagination et à établir une connivence de lecture à la faveur de laquelle l’auteur impose son monde « cohérent et particulier ». C’est ainsi, par exemple, que « [le] regard des Sarrasines auxquelles les chameaux de Pamir apportaient les roses tartares dans des petits ports de porcelaine bleue » peut inspirer à un lecteur comme Bertrand d’Astorg la nostalgie des Orients perdus : « Ah ! ces roses tartares apparues dès la première Lettre de La Tentation de l’Occident : « blanches au cœur de pourpre » et revenant dès lors, comme un leitmotiv, dans l’oeuvre de Malraux » [40]…
Il existe, on le voit, un style de l’exotisme, et il donne souvent à la phrase de Malraux un accent singulier. Cela apparaît particulièrement dans l’usage des noms propres et de leur puissance évocatoire d’un espace « magique ». Ainsi de la Casamance : « (…) je suis allée en Casamance. J’en rêvais depuis longtemps. A cause du mot romance et des chansons des Iles ? » (Ml. p.519), le mot « romance » s’entourant de con notations exotiques comme c’était déjà le cas pour Claude dans La Voie royale : « Le mot : colonie, le hantait avec la sonorité plaintive qu’il a dans les romances des Iles » [41]. De l’œuvre de Malraux se dégage ainsi une toponymie exotique très riche mais les noms sont utilisés moins pour désigner un lieu que pour solliciter l’imaginaire. L’énumération est un procédé souvent requis soit pour exprimer l’inquiétant et l’étrange : « … quatre tribus insoumises : Bahnars, Rongaos, Sédangs, Djaraïs » [42] soit pour susciter le merveilleux : « Petit-Bourg, Gonave, Capesterre, Bananier, Trois-Rivières… La forêt, de nouveau. Le bruit grandiose d’invisibles cascades » (Ml., p. 125). Autre procédé fréquemment utilisé : le télescopage des lieux qui joue de l’exotisme tout en le détruisant, l’ici et l’ailleurs se trouvant unifiés au sein d’une seule image : « Parachutes multicolores dans la nuit de Corrèze, feux de position semblables sans doute aux feux de village des Dayaks, champignons légers qui descendaient, il y a vingt ans, de la Bretagne à la Nouvelle-Guinée et au Japon… » (Ibid., p. 310). De même dans La Tête d’obsidienne : « Je pense à la neige sur Verdun, sur Teruel, sur la Chine du Nord, sur le maquis, sur l’Alsace (…) » [43]. Aussi n’est-il sans doute pas abusif d’attribuer à Malraux lui – même les paroles de l’inspecteur des Consulats qu’il rencontre à Singapour et qui avoue « la passion qui lui inspirent encore des endroits qui s’appellent avenue Peu-de-Chose ou rue Babiole » avant de faire remarquer à Clappique que « le magique appartient à l’exotique » (Ml., p. 304 et 305).
C’est l’Orient qui est ici, par excellence, l’espace magique. A Malraux pourrait s’appliquer ce qu’écrivait Valéry : « Ce nom d’Orient est l’un de ceux qui me sont un trésor (…) Qui s’oriente vers l’Orient se sent tout incapable d’isoler dans l’éblouissement de noms et d’images qu’il en reçoit, une figure nette et une pensée finie » [44]. C’est ainsi que, dans Le Miroir des limbes, il serait fastidieux de relever les phrases qui évoquent un Orient fabuleux. Quelques exemples suffiront : « A cette heure, vers Kaboul, vers Samarcande, cheminaient les caravanes d’ânes, sabots et battements perdus dans l’ennui musulman… » (Ml., p. 27) ; « Colombo est l’un des lieux les plus calmes du monde. Son peuple nonchalant erre sous l’écarlate des flamboyants, le violet des bougainvilliers entre les arbustes que dominent les acacias roses » (Ibid, p. 205) ; « Voici le frémissement du soir rouge, celui qui s’étendait à perte de vue sur la plaine, au sortir des grottes d’Ellora. Les oiseaux vont se taire, et les fleurs nocturnes s’ouvrir (…) » (Ibid., p. 292).
Dans la relation étroite qui unit la magie à l’exotisme, nous pouvons également remarquer un jeu subtil entre les noms propres et leur entourage ou entre les noms propres eux-mêmes. Se constituent de la sorte des associations de lieux et d’images exotiques dont les récurrences dans l’œuvre entière organisent une multitude de réseaux de sens qui composent une thématique obsédante, énigmatique, singulière. Dès Royaume Farfelu (1928) était associée à la ville d’Ispahan l’invasion d’insectes conquérants : « La ville était calme ; autour des mosquées volaient des pigeons et des tourterelles. Mais les décombres que le départ des lézards teignait en rose étaient noirs, ce matin, absolument noirs (…). Tout à coup, comprenant à la fois la terreur des animaux et la signification de cette large tache qui s’avançait vers nous, hors de moi, je hurlai : « Les scorpions ! Les scorpions ! » [45]. Dans La Tête d’obsidienne, on retrouve « le désert de Perse et ses grillons énormes » (Ml., p.816). Mais le désert persan fait songer à son tour aux moulins castillans : « … sur la glaise crevassée des plateaux de Castille, j’ai vu le coucher du soleil étendre l’ombre des moulins comme il avait allongé devant l’armée d’Alexandre, sur le désert de Perse et ses grillons énormes, les ombres du bûcher qui brûlait Bucéphale » (Ibid), image déjà préparée dans les Antimémoires (Ibid, p. 305) : « Un moulin est d’ailleurs une étrange bête. Je revois ceux du désert de Lout, en Perse, gibets dans le soleil couchant ».
Autre exemple : dans l’esprit de Claude, « l’obsession de la brousse et des temples » est associée à plusieurs images dont celles des « dieux de pierre vernis par les mousses, une grenouille sur l’épaule et leur tête rongée, à terre, à côté d’eux… » [46]. De même, dans Le Miroir des limbes, le souvenir de la « Forteresse du Chat » suggère l’image d’un « dieu de pierre, les grenouilles des ruines endormies sur son épaule ; les grenouilles des ruines sont presque transparentes » (Ml., p. 812).

Les exemples pourraient être multipliés à loisir. Retenons-en encore un : celui des fleurs qui connotent un pays ou une contrée : « Au Caire, les flamboyants sont en fleur. Cette couleur qui évoque les « pays chauds » comme l’odeur de l’opium évoquait la Chine, je l’avais presque oubliée (..) Acacias roses, dégringolades de bougainvillées, et les trois fleurs cramoisies d’un grenadier dans une cour ocre, comme à Ispahan… » (Ml., p. 45). Et dans La Tête d’obsidienne : « J’ai entendu les fragments des tuiles mandarines de la Cité impériale quand les renards débouchaient dans les astres violets au pied des murailles ; les fragments turquoise de l’Ecole coranique d’Ispahan où les roses redevenaient sauvages derrière les portes d’argent (…) » (Ml., pp. 821 et 822).
L’espace littéraire semble d’ailleurs, chez Malraux, « doubler » l’espace exotique. Comme Conrad (notamment avec Le Miroir de la mer 1906, Malraux inscrit l’espace littéraire dans un espace exotique : la structure narrative fondamentale est ici celle du déplacement exotique, et plus précisément celle du voyage maritime. Première lettre de La Tentation de l’Occident : « A bord du « Chambord » (…) Ce soir, dans le silence de la nuit sur mer et le battement des machines … » [47] ; ouverture des Conquérants : « Jusqu’à l’horizon, l’Océan Indien immobile, glacé, laqué, sans sillages (…). Les passagers marchent à pas comptés, sur le pont (…) » [48] ; première page de La Voie royale : « … Les feux de la côte somalie perdus dans l’intensité du clair de lune où miroitaient les salines » [49] : et les Antimémoires sont ainsi circonstanciés : « 1965. Au large de la Crète… » (Ml, p. 3).

Exotisme et temps du récit.

Après les textes d’inspiration « farfelue », Les Conquérants consacrent l’irruption du monde réel dans l’œuvre de Malraux : non plus « l’Orient de l’âme » ou « du rêve », mais celui que travaille en profondeur la « sourde rumeur de la Révolution ».
Le temps du récit tend alors à s’identifier au temps objectif, à celui de l’histoire événementielle brutalement introduite dès les premières phrases du roman : « 25 juin ». « La grève générale est décrétée à Canton » [50]. De même pour La Condition humaine : « 21 mars 1927. Minuit et demi. Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ?… » [51]. Mais ce temps historique qui se confond avec le temps romanesque se trouve souvent arrêté, suspendu, par une anecdote ou par une image exotique qui relativise l’action en manifestant un ailleurs à la fois spatial et temporel. Ainsi Kyo, à Han-Kéou, rapproché de Tchen par une « camaraderie nocturne », acquiert la certitude que le mouvement révolutionnaire est irréversible en même temps qu’il se sent pénétré par « une grande dépendance », « l’angoisse de n’être qu’un homme, que lui-même ». Et ce sentiment entraîne, avec le souvenir, un suspens momentané de l’action et du lieu présents – la marche aux côtés de Tchen dans Han-Kéou plongé dans la nuit ­ et l’ouverture à un temps supra-historique : « il se souvint des musulmans chinois qu’il avait vus, par des nuits pareilles, prosternés dans les steppes de lavande brûlée, hurler ces chants qui déchirent depuis des millénaires l’homme qui souffre et qui sait qu’il mourra » [52]. De même, dans Le Temps du mépris, Kassner échappe à l’angoisse carcérale par des souvenirs musicaux qu’accompagne un ample cortège d’images obsédantes mais heureuses où le passé du personnage finit par se dissoudre dans un « Chant de la Terre » solennel et souverain. Se trouvent alors mêlés, en une longue énumération, des souvenirs d’Asie : « village aux palmes détrempés (…) ; cliquettes de marchands chinois (…), inondation à perte de vue de la Yang-Tsé » [53].
Le sommet de ce mouvement d’exaltation qui permet à Kassner de se confondre finalement avec « l’intarissable fatalité des astres » trouve également à s’exprimer dans une image exotique : « Ciel de Mongolie au-dessus des chameliers tartares prosternés dans la poussière du Gobi parmi l’odeur des jasmins desséchés, leurs hymnes soudain coupés par la psalmodie nocturne ;… « et si cette nuit est une nuit de destin – Bénédiction sur elle jusqu’à l’apparition de l’aurore … » [54].
L’exotisme contribue ainsi à exprimer « l’énigme fondamentale de la vie » (Ml., p. 4). En actualisant dans le texte un « ailleurs » radicalement « autre », il créé un effet de contraste qui permet de relativiser le réel (ou l’immédiat) en l’intégrant dans le mouvement d’une dérive universelle, indifférente à la durée et à la mort : « … invincible mouvement des mondes dans un recueillement d’éternité » ; astres « en dérive vers l’éternité à travers le silence [55] ; « dérive des nébuleuses… » [56]. Comme on le constate, l’interrogation sur la signification mystérieuse de l’aventure humaine est généralement menée par Malraux en regard de la présence neutre et indifférente mais toujours insolite et, elle aussi, énigmatique, du destin-destin qui est donc perçu, en termes de sensibilité littéraire, comme une sorte d’exotisme : une présence hors du moment et du lieu.

Exotisme et méditation sur le « mystère de l’homme »

« Qu’avec un sourire obscur reparaisse le mystère de l’homme, et la résurrection de la terre n’est plus que décor frémissant », lit-on à la dernière page des Noyers de l’Altenburg. [57]. L’exotisme n’aurait-il pas finalement pour fonction supérieure d’ajouter à ce « frémissement du monde » qui entoure et décèle à la fois l’homme énigmatique et fondamental ?
Prisonnier dans le « Camp de Chartres », la narrateur des Noyers… « regarde des milliers d’ombres dans l’inquiète clarté de l’aube et (…) pense : « c’est l’homme » [58] et « l’homme », ce sont ici rassemblés des « sénégalais en casques, [des] Arabes en fez, [des] Français en coiffes de casques semblables aux calottes chinoises » [59]. L’exotisme exprime dans ces pages, par le rapprochement des races, « l’obsession de l’immensité de l’espace, la volonté d’élargir à l’infini les limites de la scène du roman afin de montrer que la condition humaine est universelle » [60]. A cette dimension de l’exotisme malrucien, Jean Guéhenno, le premier, s’était montré sensible. Dans le compte rendu de La Condition humaine qu’il donna pour la revue « Europe » ; il écrivait : « J’entends qu’on se plaint (…) que l’action d’un tel livre soit par rapport à nous si lointaine, que l’auteur ait dû aller jusqu’en Chine chercher les moyens de définir notre condition. C’est cela même, au contraire, qui, à mon sens, fait de ce livre, un livre exemplaire (…). Son exotisme est bien un des principes de la grandeur de cet ouvrage. Tous nos désordres, toutes nos misères, toutes nos grandeurs nous y apparaissent transportées au-delà du monde, éloignés de nous comme pour un spectacle » [61]. L’exotisme favorise une distanciation d’ordre métaphysique qui nous permet de nous saisir comme objets – dimension fondamentale au projet de Malraux qui consiste, avec ce roman, à exprimer, comme on le sait, le « tragique de l’homme » ; dimension que n’avait pas voulu voir Aragon qui préférait Le Temps du Mépris à La Condition Humaine parce que ce dernier roman mettait en scène des « lointains chinois » tandis que le premier présentait un militant communiste européen [62].
L’exotisme sert – épisodiquement dans les romans mais constamment dans le Miroir des limbes – à briser l’axe du récit faire intervenir une « conscience témoin » qui, sous l’association mystérieuse des souvenirs réels ou fictifs et face à la profusion des images qui s’imposent à elle, cherche à discerner un sens, une unité secrète : sous l’éparpillement des signes, un principe de cohérence ; sous la précarité du monde et d’une vie, l’assurance d’une permanence. Malraux déclarait à Roger Stéphane le 9 septembre 1967 : « Quand dans les Antimémoires, je fais succéder les chars au spectacle d’Eléphanta, il est bien clair pour moi que ce que je cherche c’est [à atteindre une sorte d’ineffable.] N’est-ce pas, il y a un certain mystère de la vie qui a une puissance poétique à mes yeux ». [63]

La vanité du monde se résorbe ainsi dans la constitution d’un langage. A la suite de Chateaubriand, Malraux apparaît comme un « homme seul en face des êtres et des choses dont on dirait qu’ils ne sont fait que pour comparaître devant lui entre deux néants, témoin, par-delà ce spectacle fugitif, d’une immensité dont il se plaît (…) à accroître l’étendue pour y mieux dresser sa solitude. » [64]. Cette solitude du narrateur, confronté au souvenir de spectacles réels ou imaginaires et à des expériences vécues ou fictives, apparaît dans ces phrases où des verbes de déclaration ou de perception unissent et opposent à la fois un « je », en position grammaticale de sujet, à des groupes nominaux compléments qui consacrent la diversité infinie du monde, l’écoulement du temps et le mystère de la « métamorphose ». Prenons quelques exemples. Dans Les Voix du silence : « J’ai vu l’océan malais constellé de méduses phosphorescentes aussi loin que la nuit permît au regard de plonger dans la baie (…) » [65]. Et surtout, dans « Le Miroir des limbes » : « J’ai vu jadis finir la vieille Chine, et les ombres des renards filer à travers les astres violets des remparts, au-dessus de la procession des chameaux du Gobi couverts de gelée blanche (…). J’ai vu les clôtures des rondins des villages monghols s’ouvrir comme des portes de corral, les cavaliers de Gengis Khan foncer sur leurs petits chevaux hirsutes (…). J’ai vu les vieilles princesses des neiges, comme des reines d’Afrique déjà marquées par les chevauchées de la mort : Mongolie, marches thibétaines, coiffures wisigothes – et, au-dessus des villages putrides, les couvents au parfum de cire dont le parquet reflétait les lamas jaunes et l’Himalaya bleu ». (Ml., pp.40- 408).
Une étude, même incomplète, de l’exotisme dans l’œuvre d’André Malraux permet de constater, avec Jean Carduner, que « l’exotisme [y] est (…) plus important qu’on ne le croirait au premier abord » [66]. Fasciné par la diversité des cultures, curieux des bouleversements et des mutations qui réalisent la métamorphose de notre monde, conscient aussi d’avoir vécu la fin d’une époque historique favorable à l’aventure exotique, Malraux nous apparaît, pour parodier une de ses célèbres formules [67], comme une sorte de Loti qui aurait eu les moyens de L’EXOTISME DANS L’OEUVRE D’ANDRÉ MALRAUX

Jean-René Bourrel

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Ethiopiques n° 43

revue trimestrielle

de culture négro-africaine

4e trimestre 1985 volume III n°4

Auteur : Jean-René BOURREL

 

Dans la littérature exotique française du XXème siècle, Malraux occupe une place importante : ses trois premiers romans (Les Conquérants (1928), La Voie royale (1930), La Condition humaine (1933) sont des « romans d’aventure exotique » [1] qui ont pour toile de fond Canton, la forêt cambodgienne, Shanghaï et Han Kéou.

Mais est-ce une raison suffisante pour ranger, par exemple, La Voie royale entre Malaisie (1930) d’Henri Fauconnier et Conquête (1931) de Pierre Frédérix ? La description de la jungle et de la mer de Chine chez Fauconnier, la philosophie désespérée de l’aventurier perdu dans la presqu’île des Malacca chez Frédérix – et jusqu’à la parenté de la structure narrative : dans les trois romans le personnage principal est un aventurier accompagné pas à pas par un témoin – suffisent -elles à classer une fois pour toute Malraux dans la bibliothèque des « romans de l’univers » [2] ? A le classer avec Fernand Baldensperger (qui établit en 1943 la liste des auteurs de « L’exotisme romanesque entre les deux guerres » [3] quelque part, entre, d’un côté, Folie exotique de Chivas-Baron, Shangaï secret de Fontenoy et, de l’autre Master Lou Pota de Marquet ou Bijou-de-Ceinture de Soulié de Moranc ?

Peut-on se contenter avec Henri Bénac de glisser son œuvre entre les romans de Loti et les Poèmes barbares de Leconte de Lisle [4] ?

Les carences de pareils classements nous paraissent justifier une étude plus attentive de l’exotisme dans l’œuvre d’André Malraux. Nous nous accorderons d’abord à garder ici au mot « exotisme » son sens habituel : l’exotisme consiste à « prendre l’étranger (spécialement ce qui est fort loin) comme sujet d’une œuvre littéraire », « l’étranger » s’identifiant à ce qui est irréductiblement « autre » : « Tout ce qui est en « dehors de l’ensemble de nos faits de conscience actuels, quotidiens, tout ce qui n’est pas notre « tonalité mentale » coutumière » [5]. Nous aurons soin ensuite de limiter cette étude au seul exotisme littéraire. L’intérêt pour « l’autre » ou pour « l’ailleurs » apparaît en effet chez Malraux comme une donnée fondamentale de la connaissance ontologique mais il s’agit là d’une dimension de l’exotisme qui demanderait, pour être précisée, un cadre de réflexion beaucoup plus large que celui que nous nous fixons ici.

L’exotisme n’est-il pour Malraux qu’un décor, qu’un prétexte à l’expression d’un imaginaire seulement ému par le « seul souci de voyager / Outre une Inde splendide et trouble » ? Quelle place et quelle fonction occupe l’intérêt pour ce qui est radicalement différent de soi dans le travail de l’écriture et, au-delà, dans la finalité du projet littéraire ?

Et d’abord, ce goût pour l’exotisme n’est-il pas en relation étroite avec la sensibilité et la personnalité mêmes de Malraux ?

 

Exotisme et « Tentation de l’Occident »

 

La plupart des écrivains qui comme Malraux – accèdent à l’âge d’homme au sortir de la Première Guerre Mondiale semblent, selon le mot de Philippe Soupault, « nés pour partir ». La guerre a en effet consacré la faillite des valeurs de la civilisation occidentale et la lassitude pour le « monde ancien » – exprimée dès 1913 par Apollinaire – touche en profondeur les sensibilités. « Le besoin d’exotisme [est] caractéristique des années d’après-guerre » a pu noter Germaine Brée [6] et, de fait, le succès des romanciers coloniaux, des enquêteurs, des reporters et des globe-trotters (pour reprendre les termes de F. Baldensperger) expriment bien l’engouement d’un public pour les ouvrages qui apportent le divertissement et l’évasion (Malraux saura d’ailleurs en tirer parti quand, à la tête des éditions « Aux Aldes », il rééditera de 1926 à 1928, de Paul Morand : Rien que la Terre, Bouddha vivant et Siam, et de Pierre Loti : Les Pagodes d’or).

L’invite de Rimbaud à « quitter l’Europe » trouve dans cette génération une résonance singulière. Chez Malraux notamment : « Europe, grand cimetière où ne dorment que des conquérants morts (…), tu ne laisses autour de moi qu’un horizon nu et le miroir qu’apporte le désespoir, vieux maître de la solitude » [7]. C’est même dans la rupture avec les cadres de pensée européens que se situe, selon Malraux, le salut de l’Occident. Dans cette condition, on peut retrouver – entre autres – les influences de René Guénon dont « l’introduction aux doctrines hindoues (…) était, à sa date [1921], un livre capital » [8] ; d’Ananda Coomaraswamy dont les premiers essais sur l’Inde paraissent en français chez Rieder en 1922 sous le titre : La Danse de Civa, d’Emile Hovelaque : son ouvrage sur la Chine (Les Peuples d’Extrême Orient, La Chine, Flammarion, 1920) a suscité l’enthousiasme de Gide et Malraux l’a largement utilisé pour La Tentation de l’Occident. On peut également relever les convergences de vues ou de préoccupations avec les œuvres de Keyserling (Malraux rendra compte du Journal de voyage d’un philosophe dans la « N.R.F. » du 1er juin 1929) ou de Romain Rolland qui, en janvier 1922, écrivait en préface au livre de Coomaraswamy que nous venons de mentionner : « Nous sommes un certain nombre en Europe, à qui ne suffit plus la civilisation d’Europe (…). Nous sommes quelques uns qui regardons vers l’Asie (…). Europe, Asie, nos forces sont diverses. Unissons-les pour accomplir l’œuvre commune : la plus grande Civilisation, le total génie humain » [9] .

 

Ce débat sur la relation nouvelle qui doit unir l’Occident à l’Orient aura été fondamental dans les années 1920 : « le sujet que l’on appelait « l’Orient et l’Occident » a été l’un des plus Importants de l’après-guerre de 14 (…) ; le résultat en a été un certain nombre d’essais, assez séduisants et sans grande importance » [10]. Le résultat en a été, pour Malraux en tout cas, de préciser sa réflexion sur le destin de l’Occident par opposition, par exemple, à Massis (voir à ce sujet le compte rendu de Défense de l’Occident qu’il donne dans la « N.R.F. » du 1er juin 1927) ou à Barrès, « très grand artiste doublé d’un esprit moyen ». Cette réflexion permet surtout de mesurer la nouveauté de la conception malrucienne de l’ouverture à autrui : « Si on l’avait poussé à bout [Barrès], il aurait dit : l’Asie finit au Rhin. Pour moi, l’Asie ce n’était pas du tout le Rhin. Pensez à notre réaction quand il a publié Enquête aux pays du Levant [1923]. Ce qu’il appelait l’Asie, c’était le Proche-Orient. Qu’est­ce que c’était que cette Asie où il n’y avait pas les Indes, pas la Chine, pas le Japon » [11].

L’exotisme a donc une histoire : il évolue avec le temps et il se fonde sur les notions, fluctuantes et relatives de « l’autre », ou de « l’ailleurs ».

 

Une « affaire de tempérament »

 

L’exotisme est également chez Malraux une « affaire de tempérament ».

On constate par exemple que rares sont les régions du monde que Malraux n’a pas visitées. Son amour du voyage et son goût très vif pour le dépaysement sont assimilés par lui à des faits de génération littéraire : « Comme Paulhan, je suis un homme de la différence ; nous regardons les cultures et ethnographes. Sur cette question des voyages, ni Paulhan ni moi ne sommes très français, alors que Valéry était très français ; pour lui, voyager c’était aller… en Italie » [12]. Malraux a d’ailleurs évoqué à plusieurs reprises sa rencontre avec Valéry : « Mais pourquoi suis-je allé en Asie ? Savez-vous que c’est la question que m’a posée Valéry, lorsque je l’ai rencontré pour la première fois ? » [13]. La génération à laquelle appartient Malraux entend s’ouvrir au monde. Voyager, c’est pour elle posséder la terre mais aussi vivre plus intensément : devant J. Montalbetti, Clara se souviendra qu’elle fut, avec son mari, « intoxiquée » par un vers de Laforgue : « Mourir sans avoir seulement parcouru sa planète » [14].

Certaines contrées ont sa prédilection. Pour les Amériques, le Mexique et les Caraïbes (Martinique, Haïti). En Asie, la Chine, le Japon et plus encore l’Inde. Au Moyen-Orient, l’Egypte et surtout la Perse : « J’aime Ispahan, autant que Stendhal a aimé Milan » (Ml., p.547. [15] – Ispahan, qui avait fait l’objet d’une page admirable mais peu connue : « Atteinte après tant de désert et de steppes, Ispahan était naguère un grand boudoir en ruines dans l’odeur de lavande brûlée (…). Femmes, eaux vives dans des oasis de peupliers, luxe léger, jardins et roses, la grêle chanson sarrasine qu’entend l’Occident depuis les Croisades, et qu’il retrouve dans la nuit de Smyrne ou de Grenade, c’est la prenante chanson de l’Iran » [16]. Ainsi se dégage de son œuvre une sorte de géographie affective, « cordiale », qui structure l’espace. Malraux distingue par exemple un « Orient de l’âme », et un « Orient du rêve » : « … Si l’Occident connaissait mieux [l’Egypte] qu’il ne connaissait l’Inde ou la Chine, c’était d’abord parce qu’il y trouvait une dépendance de la Bible. Elle appartenait, comme la Chaldée, à l’Orient de notre Histoire » (« Pour sauver les monuments de haute-Egypte ». Reproduit dans Ml., p. 967). En revanche, « loin de nous dans le rêve et dans le temps, l’Inde appartient à l’Ancien Orient de notre âme » (Ibid., p. 229), tandis que « l’Orient des rêves » est associé à « [son] amie la reine de Saba » (Ibid., p. 550).

 

L’exotisme de Malraux a également été façonné par des amitiés et par des rencontres. Et d’abord par son mariage avec Clara Goldschmidt en octobre 1921. L’origine allemande de celle-ci, sa vive intelligence, son goût pour la modernité, permettent à Malraux de découvrir, avant qu’elles ne soient vraiment connues en France, les grandes tendances du renouveau artistique d’outre-Rhin. C’est ainsi que le compte-rendu qu’il donne du Journal de voyage d’un philosophe de Keyserling révèle une connaissance des œuvres non encore traduites en français du « sage » de Darmstadt. Clara avait en effet traduit pour lui de larges extraits de l’Analyse spectrale de l’Europe mais aussi du Déclin de l’Occident, de Spengler (l’ouvrage paraît en français en 1948 seulement), et bien sûr de nombreux textes de Nietzsche. Or, dans les années 1920, la culture allemande s’ouvre à l’étranger : « Les Allemands, d’une vitalité plus exigeante et plus tourmentée, les premiers ont demandé à l’Asie l’aliment que leur esprit affamé ne trouvait plus à son gré en Europe », note en janvier 1922 Romain Rolland [17]. Ouverture à l’Asie qui apparaît par exemple chez Keyserling mais aussi dans le roman d’Hermann Hesse, Siddharta (1922) ; ouverture à l’Afrique avec les grands travaux de Frobenius (dès 1921) – il servira de modèle au Mollberg des Noyers de l’Altenburg – et avec les essais de Carl Einsten (on sait que Malraux prit le plus vif intérêt à la lecture de sa Sculpture africaine (traduite en français en 1922 par les éditions Crès) [18]

A Paris, Malraux fréquenta également de nombreux écrivains et artistes ouverts aux influences exotiques. Au siège de la revue « Action » (à laquelle il participa d’avril 1920 à avril 1922), il se lia quelque temps avec Yvan Goll, passionné par les arts extra-européens, et il rencontra Cendrars, Derain, Vlaminck… Par Daniel-Henry Kahnweiler – le célèbre marchand de tableaux, très fin connaisseur du cubisme et de l’art nègre, et qui fut son premier éditeur -, il fit la connaissance de Picasso et de Braque. Le milieu de la « Nouvelle Revue Française », où Malraux pénétra en 1922, constituait quant à lui, selon une image de Mauriac, « la rose des vents de la littérature française ». Dès 1914, Gide avait donné une traduction de L’Offrande lyrique, de R. Tagore, et à partir des années 20 Gallimard multiplia les traductions au point de leur consacrer en 1931 une collection : « Du monde entier » (qui aurait été baptisée ainsi par Malraux lui-même, sans doute en hommage à Cendrars).

Enfin, et sur un plan encore plus « exotique », Eddy du Perron (ami très proche dès 1927 et dédicataire de La Condition Humaine) apporta à Malraux « l’arrière plan voluptueux des Indes » [19]. En 1965, au-dessus du Pacifique l’auteur du Miroir des limbes se souvient : « Par là, il y a une île appelée Balé Kambang que m’a donnée Eddy du Perron quand je lui ai dédié La Condition Humaine (…) Qu’est devenue mon île ? Irai-je la voir avant de mourir (…) ? Les cocotiers y poussent dru, paraît-il » (Ml, p.378).

L’exotisme procède également chez Malraux d’une curiosité intellectuelle et plus encore d’un goût constant pour un pittoresque insolite et cocasse où les seuls toponymes suffisent souvent à susciter de somptueuses rêveries. Dans le désert d’Arabie, à la recherche de la capitale mystérieuse de la Reine de Saba, Malraux songe à sa jeunesse : « Adolescent, je cherchais dans le Bottin de l’étranger des villes romanesques, et, après vingt ans, je retrouve ici l’odeur de sciure d’un bistrot où je lisais : « Magnifiques palais qui tombent en ruines » [20]. D’une façon plus générale, on s’aperçoit qu’un exotisme livresque servit de fondement et de vivier d’images à son exotisme littéraire. Nous ne nous livrerons pas ici à une étude de ces influences littéraires exotiques. A. Vandegans l’a déjà menée par les premiers textes de Malraux et un examen plus approfondi deviendrait vite fastidieux et d’ailleurs incomplet, Malraux ayant pris soin, souvent, de tarir lui-même ses propres sources. Mentionnons toutefois, outre la lecture du « Bottin de l’étranger », celle probable de « l’Illustration » et du « Journal des voyages », des suppléments illustrés du « Petit Parisien » et du « Petit Journal », des revues coloniales et de récits pour la jeunesse comme les Aventures de Jean-Paul Choppart ou celles de Robert-Robert. Relevons également l’influence des récits de voyageurs, d’explorateurs ou de découvreurs comme Marco-Polo, Plan-Carpin et Rubruquis. Chardin et le Comte d’Hérisson, Sahaqun et Bernal Diaz Del Castillo. Remarquons avec un peu plus d’attention l’intérêt de Malraux pour quelques grands précurseurs : Châteaubriand, chantre de « troublants ailleurs » ; Rimbaud qui appelle à « quitter l’Europe » et qui voit dans l’Asie « la patrie primitive » ; Flaubert : on oublie trop que Malraux aimait le lyrisme exotique de Novembre et de Salamnbô : le Gobineau de Trois ans en Asie et des Nouvelles Asiatiques : Barrès : « Les impressions d’Italie et d’Orient m’ont frappé… plus que Châteaubriand. Mon admiration a été d’abord pour le Barrès voyageurs » [21] ; Le Loti de Vers Ispahan et d’Un Pèlerin d’Angkor : « Je n’avais pas quinze ans quand je lisais Loti : « j’ai vu l’étoffe du soir se lever sur Angkor… » (Ml, p.812) ; Joseph Conrad surtout dont Malraux est, selon le mot de Jean-Yves Tadié, un « disciple méconnu » [22]. Toutes ces influences constituent une sorte de modèle de littérature exotique avec lequel Malraux semble rivaliser pour « se trouver ». Lui-même d’ailleurs rattachera La voie royale à une certaine tradition du roman exotique : « Bien sûr, [elle] n’est qu’un roman d’aventures ; héritage du XIXéme siècle » [23] – aveu explicite d’une filiation qui pourrait expliquer, en part du moins, la différence de « nature » avec les deux autres romans entre les quels elle s’insère.

N’oublions pas enfin l’admiration que voua Malraux aux trois grands « excès » que furent Segalen, Claudel et Saint-John ­ Perse : admiration pour le poète de Stèles et de Peintures comme pour l’auteur de La Grande statuaire chinoise (« Ce livre, écrira Malraux en 1972, est Irremplaçable ») ; admiration pour le « génie lyrique » du second : admiration pour l’éloge du monde entrepris par le troisième. Interrogé en mai 1969 par Kommen Becirovic sur sa « parenté avec le poète d’Anabase », Malraux rappelait que Thibaudet l’avait rangé, avec Claudel et Segalen, dans « la catégorie des écrivains qui ont connu la Chine » mais que, si Perse est surtout sensible à « la présence poétique de l’Asie », lui, Malraux, s’intéresse essentiellement aux arts plastiques : « Mon Asie est formée de beaucoup plus de temples, et son Asie est formée de beaucoup plus d’oiseaux errants dans les temples » [24]. Malraux fait valoir ici une opposition qui n’entame en rien l’extrême parenté des « écritures » exotiques. André Vandegans a montré que Royaume Farfelu emprunte à Récitation à l’éloge d’une Reine et à Anabase. On pourrait également établir une indéniable parenté entre Le Miroir des Limbes et la poésie persienne de l’espace et des éléments premiers et constater chez les deux écrivains la même fascination devant le grand œuvre de l’Homme à travers les siècles.

 

La place de l’exotisme dans l’œuvre de Malraux

 

Si l’on considère à présent l’exotisme en tant que thème littéraire, on constate sa très nette évolution dans l’œuvre de Malraux.

Les écrits de Jeunesse (les œuvres narratives mais aussi un essai comme La Tentation de l’Occident) sont parsemés d’images exotiques qui ouvrent dans le texte de vastes espaces au rêve ou à la méditation lyrique mais c’est surtout la trilogie des Conquérants, de La Voie Royale et de la Condition humaine, romans d’aventure exotique et métaphysique » [25], qui permet à une certaine critique d’assimiler Malraux à un romancier de l’exotisme.

Il convient d’abord de remarquer que l’exotisme est inséparable de l’aventure. Pour se constituer, le roman d’aventures a besoin d’un lieu exotique. Aussi n’est-ce pas un hasard si, dans l’œuvre de Malraux, le roman d’aventures le plus authentique, La Voie royale, est aussi le plus exotique. De la même manière, la recherche de la capitale de la reine de Saba constitue une « belle aventure humaine » [26] dont Malraux exprime l’ivresse et les dangers au moyen d’une profusion d’images lyriques et exotiques : « dauphins rigoleurs » du golfe de Tadjourah, « peuplade de lézards bleus et verts » des ruines sabéennes, écureuils dans la cour de marbre du tombeau de Djihanguir, à Lahore [27]…

Indissociable de l’exotisme, l’aventure est également, selon Malraux, un fait de mode rendu possible à un moment particulier de l’histoire de l’Europe : « Ce mot [aventure] connut, vers 1920, un grand prestige dans les milieux littéraires », note-t-il en marge de l’essai que lui consacre Gaëtan Picon et il ajoute : « L’aventure commence par le dépaysement, au travers duquel l’aventurier finira fou, roi ou solitaire ; elle est le réalisme de la féérie » [28]. Dans Le Miroir des Limbes, le dialogue entre Clappique et le consul aborde ce sujet. Il apparaît aux interlocuteurs que l’aventure ne fut possible qu’à la faveur de circonstances historiques privilégiés : le XIXème siècle colonial et conquérant : « (…). Le grand romanesque de l’aventure, le décor exotique, n’existait pas autrefois (…). L’Asie ne devient fantastique qu’à l’époque où nous en devenons maîtres (…). Je maintiens que l’aventurier de la littérature anglaise du XIème siècle est lié au sommeil de l’Asie » (Ml., p. 301-302). L’aventure exotique a ainsi une histoire dont l’illustration littéraire culmine sans doute avec le Conrad de la Folie-Almayer et le Lord Jim ou de Kipling de L’homme qui voulut être roi, mais qui se termine précisément avec Les Conquérants et La Condition humaine, romans qui consacrent le déclin politique de l’Europe [29]. La fin du chapitre « Singapour » (Le Miroir des limbes – Antimémoires IV, 1) prend d’ailleurs définitivement congé des aventuriers. Nous y voyons Clappique suggérer en effet au chat Essuie-Plume de demander « à ce ministre, puisque les aventuriers ne l’intéressent plus, ce qui l’intéresse : pas les politiciens, j’espère ? ». A quoi le ministre répond : « Les hommes de l’Histoire (…). Les hommes qui ont détruit en moi la puissance poétique de l’aventure, si forte dans ma jeunesse, ce sont les hommes de l’Histoire » ML., P. 333). Comme on peut déjà le constater, l’exotisme disparaît dès que l’histoire « entre en jeu ».

Mais si l’aventure appelle l’exotisme, elle appelle aussi un type de personnage hors du commun, mélange de farfelu et de sublime, qui suscite chez Malraux un double mouvement de sympathie et de fascination. Se trouvent ainsi évoqués, dans les Antimimoires, des « bohèmes extravagants et grandioses » [30] comme Aurélie I. roi d’Araucanie, ou Brooke, aventurier devenu consul à Sumatra, ou encore des figures exemplaires de « l’aventure géographique » qui vers 1930, exerçait « une fascination qu’elle a perdue » (Ml. pp. 61-62) comme Arnaud qui, le premier, visita Mareb (« J’aurais aimé à connaître Arnaud (…), Peut-être, sans le savoir, suis-je allé chercher à Saba son ombre ? » – Ibid, p. 66) et, surtout. Daid de Mayrena dont les Souvenirs de la Cochinchine (Toulon, Laurent, 1871) inspirèrent La Voie royale (« …Mayrena, dont la légende, encore présente dans l’Indochine des années 20, est, en partie à l’origine de ma Voie royale ». Ibid., p. 321. [31].

Cadre hors duquel l’aventure ne peut survenir et se développer, l’exotisme correspond surtout chez Malraux un « état de sensibilité qui, selon l’auteur des Voix du silence, déclanche souvent le talent littéraire : « Il y a une atmosphère d’Asie – quelques paillotes avec leur temple barbare sur la rive d’un fleuve immense et morne – à partir de laquelle le talent de Conrad semble tout à coup se déployer » [32]. De façon similaire le talent de Malraux semble prendre appui sur l’évocation ou la description d’un lieu exotique qui apparente ses romans aux reportages de l’époque. Ainsi l’arrivée à Canton, dans Les Conquérants : « Voici la vieille Chine, la Chine sans Européens. Sur une eau jaunâtre, chargée de glaise, le canot s’avance dans un canal, entre deux rangs serres de sampans semblables à des gondoles grossières avec leur toiture d’osier » [33]. Dans La Condition humaine, la foule Shangaï : « Petits marchands semblables à des balances, avec leurs plateaux au vent et leurs fléaux affolés, carrioles, brouettes clignes des empereurs Tang, infirmes, cages.., » [34]. Dans Le Miroir de limbes, de nombreux passages rapportent des « choses vues ». Est associé, par exemple, à « l’Asie endormie » un cortège de souvenirs : « l’heure verte à la terrasse du « Continental », le soir sur les caroubiers, les casques du sergent Bobillot, les dominos du mah-jong sur la musique miaulante de Cholon, les victorias et leurs grelots rue Catinat, le petit billard furieux des bouliers chinois, l’extinction des feux dans les casernes des tirailleurs sénégalais… » Ml… p.321). De même, en ce qui concerne Singapour, le « Rames Hôtel » où, « entre l’Océan Indien et la mer de Chine, la nuit tombait sur l’Empire britannique… » (Ibid., p. 315).

 

Malraux a cependant toujours pris soin de se démarquer de la littérature exotique de son temps fondés trop exclusivement sur le reportage. Lorsqu’il écrit en préface aux Chênes qu’on abat… : « ce livre est une interview comme La Condition humaine était un reportage… » [35], sans doute faut-il comprendre que ce livre est autant une interview que La Condition humaine était un reportage, c’est-à-dire qu’il s’agit là de données superficielles qui ne doivent pas tromper : l’essentiel est au-delà [36]. Dès 1935, à propos du livre d’Andrée Viollis Indochine SOS, il levait toute ambiguïté : « Un reporter, dans un art dont la métaphore est l’expression essentielle, ne peut être qu’un manœuvre ; le poète, le romancier, seront toujours plus grands que lui » [37]. L’expression : « exotisme littéraire ») trouve ici sa limite puisque la littérature est toujours recomposition du monde sensible et réel – auquel le reportage, précisément, se limite. Malraux fait ainsi remarquer que « Shanghaï, en 1927, ne fut pour [lui] qu’une imagerie d’Epinal » et que, si la légende de Mayrena fut à l’origine de La Voie royale, elle ne lui a « donné qu’un décor »(Ml… p. 321). Du roman moderne, on le sait, il attend non une réussite formelle qui, selon le vœu de Flaubert, culminerait dans « Le livre sur rien », mais l’expression du « tragique de l’homme ». En ce sens, l’exotisme de Malraux – comme celui de Segalen ou le Conrad – vaut comme un espace intérieur : un lieu sur lequel le personnage projette l’étrangeté de ses phobies ou de ses fantasmes. Ainsi, dans La Voie royale, la forêt tropicale « figure » les troubles et les menaces de l’inconscient. Avec ses « feuilles gluantes », le grouillement de ses insectes, « l’écœurante virulence d’une vie de microscope », elle fait songer à ces paysages de marais délétères qui, dans l’imaginaire occidental, caractérisent souvent la « Vallée des morts » ou les Enfers [38].

Après La Condition humaine, on assiste à une disparition brutale de l’exotisme comme décor de l’action romanesque. Malraux entend exprimer par le roman le tragique de l’homme « en situation ». Or dans les années 30, « le destin du monde » se joue en Europe : à l’héroïsme de l’aventurier, étranger au pays dans lequel il agit, vit et meurt, succès de la lutte du militant dans son propre pays. Une fois de plus, il apparaît à l’évidence que l’aventure ne pouvait surgir que dans un cadre exotique. Dans un article d’« Europe Nouvelle » en date du 22 juin 1935, Drieu la Rochelle le faisait d’ailleurs remarquer non sans quelque perfidie :« [le moment où il y a eu] coïncidence entre le cri décharné de l’intellectuel d’Europe et le chant gras du moujik amoureux de la science et de l’industrie, ce moment, Malraux n’a pu le dérouler que dans le décor de la Chine. Comment imaginer des scènes de révolte intense à Ménilmontant ? » [39]. En effet, Le Temps du Mépris (1935) et l’Espoir (1937) retracent des combats politiques européens. L’Allemagne, la Tchécoslovaquie ou l’Espagne sont trop proches de nous pour que l’exotisme soit possible et dans Les Noyers de l’Altenhurg (1943), à la jonction de la fiction romanesque et des « anti-mémoires », le monde ne représente plus le lieu de l’action mais un objet de réflexion : l’exotisme ne peut plus, dès lors, se constituer en « sujet » littéraire.

L’œuvre de Malraux semble ainsi marquer un dépérissement progressif du thème. En apparence du moins. Car si on y regarde de plus près, on s’aperçoit que, paradoxalement, si l’exotisme tend à disparaître comme sujet ou décor romanesques, il ne cesse de s’affirmer dans l’écriture

 

Exotisme et poésie

 

L’exotisme malrucien s’organise, comme chez Segalen par exemple, selon la double dimension de l’espace et du temps : « Aller en Asie, naguère, c’était pénétrer avec lenteur dans l’espace et le temps conjugués », constate l’auteur des Anti-mémoires (Ml, p. 5). L’évocation de lieux ou d’anecdotes associés à des époques révolues ou à des cultures éloignées inspire à Malraux une prose lyrique qui cherche à produire des effets sensibles : la musicalité de la phrase ; l’utilisation subtile des bruits, des couleurs, des odeurs ; une thématique florale ou animale, sont autant de moyens qui visent à éveiller notre imagination et à établir une connivence de lecture à la faveur de laquelle l’auteur impose son monde « cohérent et particulier ». C’est ainsi, par exemple, que « [le] regard des Sarrasines auxquelles les chameaux de Pamir apportaient les roses tartares dans des petits ports de porcelaine bleue » peut inspirer à un lecteur comme Bertrand d’Astorg la nostalgie des Orients perdus : « Ah ! ces roses tartares apparues dès la première Lettre de La Tentation de l’Occident : « blanches au cœur de pourpre » et revenant dès lors, comme un leitmotiv, dans l’oeuvre de Malraux » [40]…

Il existe, on le voit, un style de l’exotisme, et il donne souvent à la phrase de Malraux un accent singulier. Cela apparaît particulièrement dans l’usage des noms propres et de leur puissance évocatoire d’un espace « magique ». Ainsi de la Casamance : « (…) je suis allée en Casamance. J’en rêvais depuis longtemps. A cause du mot romance et des chansons des Iles ? » (Ml. p.519), le mot « romance » s’entourant de con notations exotiques comme c’était déjà le cas pour Claude dans La Voie royale : « Le mot : colonie, le hantait avec la sonorité plaintive qu’il a dans les romances des Iles » [41]. De l’œuvre de Malraux se dégage ainsi une toponymie exotique très riche mais les noms sont utilisés moins pour désigner un lieu que pour solliciter l’imaginaire. L’énumération est un procédé souvent requis soit pour exprimer l’inquiétant et l’étrange : « … quatre tribus insoumises : Bahnars, Rongaos, Sédangs, Djaraïs » [42] soit pour susciter le merveilleux : « Petit-Bourg, Gonave, Capesterre, Bananier, Trois-Rivières… La forêt, de nouveau. Le bruit grandiose d’invisibles cascades » (Ml., p. 125). Autre procédé fréquemment utilisé : le télescopage des lieux qui joue de l’exotisme tout en le détruisant, l’ici et l’ailleurs se trouvant unifiés au sein d’une seule image : « Parachutes multicolores dans la nuit de Corrèze, feux de position semblables sans doute aux feux de village des Dayaks, champignons légers qui descendaient, il y a vingt ans, de la Bretagne à la Nouvelle-Guinée et au Japon… » (Ibid., p. 310). De même dans La Tête d’obsidienne : « Je pense à la neige sur Verdun, sur Teruel, sur la Chine du Nord, sur le maquis, sur l’Alsace (…) » [43]. Aussi n’est-il sans doute pas abusif d’attribuer à Malraux lui – même les paroles de l’inspecteur des Consulats qu’il rencontre à Singapour et qui avoue « la passion qui lui inspirent encore des endroits qui s’appellent avenue Peu-de-Chose ou rue Babiole » avant de faire remarquer à Clappique que « le magique appartient à l’exotique » (Ml., p. 304 et 305).

C’est l’Orient qui est ici, par excellence, l’espace magique. A Malraux pourrait s’appliquer ce qu’écrivait Valéry : « Ce nom d’Orient est l’un de ceux qui me sont un trésor (…) Qui s’oriente vers l’Orient se sent tout incapable d’isoler dans l’éblouissement de noms et d’images qu’il en reçoit, une figure nette et une pensée finie » [44]. C’est ainsi que, dans Le Miroir des limbes, il serait fastidieux de relever les phrases qui évoquent un Orient fabuleux. Quelques exemples suffiront : « A cette heure, vers Kaboul, vers Samarcande, cheminaient les caravanes d’ânes, sabots et battements perdus dans l’ennui musulman… » (Ml., p. 27) ; « Colombo est l’un des lieux les plus calmes du monde. Son peuple nonchalant erre sous l’écarlate des flamboyants, le violet des bougainvilliers entre les arbustes que dominent les acacias roses » (Ibid, p. 205) ; « Voici le frémissement du soir rouge, celui qui s’étendait à perte de vue sur la plaine, au sortir des grottes d’Ellora. Les oiseaux vont se taire, et les fleurs nocturnes s’ouvrir (…) » (Ibid., p. 292).

Dans la relation étroite qui unit la magie à l’exotisme, nous pouvons également remarquer un jeu subtil entre les noms propres et leur entourage ou entre les noms propres eux-mêmes. Se constituent de la sorte des associations de lieux et d’images exotiques dont les récurrences dans l’œuvre entière organisent une multitude de réseaux de sens qui composent une thématique obsédante, énigmatique, singulière. Dès Royaume Farfelu (1928) était associée à la ville d’Ispahan l’invasion d’insectes conquérants : « La ville était calme ; autour des mosquées volaient des pigeons et des tourterelles. Mais les décombres que le départ des lézards teignait en rose étaient noirs, ce matin, absolument noirs (…). Tout à coup, comprenant à la fois la terreur des animaux et la signification de cette large tache qui s’avançait vers nous, hors de moi, je hurlai : « Les scorpions ! Les scorpions ! » [45]. Dans La Tête d’obsidienne, on retrouve « le désert de Perse et ses grillons énormes » (Ml., p.816). Mais le désert persan fait songer à son tour aux moulins castillans : « … sur la glaise crevassée des plateaux de Castille, j’ai vu le coucher du soleil étendre l’ombre des moulins comme il avait allongé devant l’armée d’Alexandre, sur le désert de Perse et ses grillons énormes, les ombres du bûcher qui brûlait Bucéphale » (Ibid), image déjà préparée dans les Antimémoires (Ibid, p. 305) : « Un moulin est d’ailleurs une étrange bête. Je revois ceux du désert de Lout, en Perse, gibets dans le soleil couchant ».

Autre exemple : dans l’esprit de Claude, « l’obsession de la brousse et des temples » est associée à plusieurs images dont celles des « dieux de pierre vernis par les mousses, une grenouille sur l’épaule et leur tête rongée, à terre, à côté d’eux… » [46]. De même, dans Le Miroir des limbes, le souvenir de la « Forteresse du Chat » suggère l’image d’un « dieu de pierre, les grenouilles des ruines endormies sur son épaule ; les grenouilles des ruines sont presque transparentes » (Ml., p. 812).

 

Les exemples pourraient être multipliés à loisir. Retenons-en encore un : celui des fleurs qui connotent un pays ou une contrée : « Au Caire, les flamboyants sont en fleur. Cette couleur qui évoque les « pays chauds » comme l’odeur de l’opium évoquait la Chine, je l’avais presque oubliée (..) Acacias roses, dégringolades de bougainvillées, et les trois fleurs cramoisies d’un grenadier dans une cour ocre, comme à Ispahan… » (Ml., p. 45). Et dans La Tête d’obsidienne : « J’ai entendu les fragments des tuiles mandarines de la Cité impériale quand les renards débouchaient dans les astres violets au pied des murailles ; les fragments turquoise de l’Ecole coranique d’Ispahan où les roses redevenaient sauvages derrière les portes d’argent (…) » (Ml., pp. 821 et 822).

L’espace littéraire semble d’ailleurs, chez Malraux, « doubler » l’espace exotique. Comme Conrad (notamment avec Le Miroir de la mer 1906, Malraux inscrit l’espace littéraire dans un espace exotique : la structure narrative fondamentale est ici celle du déplacement exotique, et plus précisément celle du voyage maritime. Première lettre de La Tentation de l’Occident : « A bord du « Chambord » (…) Ce soir, dans le silence de la nuit sur mer et le battement des machines … » [47] ; ouverture des Conquérants : « Jusqu’à l’horizon, l’Océan Indien immobile, glacé, laqué, sans sillages (…). Les passagers marchent à pas comptés, sur le pont (…) » [48] ; première page de La Voie royale : « … Les feux de la côte somalie perdus dans l’intensité du clair de lune où miroitaient les salines » [49] : et les Antimémoires sont ainsi circonstanciés : « 1965. Au large de la Crète… » (Ml, p. 3).

 

Exotisme et temps du récit.

 

Après les textes d’inspiration « farfelue », Les Conquérants consacrent l’irruption du monde réel dans l’œuvre de Malraux : non plus « l’Orient de l’âme » ou « du rêve », mais celui que travaille en profondeur la « sourde rumeur de la Révolution ».

Le temps du récit tend alors à s’identifier au temps objectif, à celui de l’histoire événementielle brutalement introduite dès les premières phrases du roman : « 25 juin ». « La grève générale est décrétée à Canton » [50]. De même pour La Condition humaine : « 21 mars 1927. Minuit et demi. Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ?… » [51]. Mais ce temps historique qui se confond avec le temps romanesque se trouve souvent arrêté, suspendu, par une anecdote ou par une image exotique qui relativise l’action en manifestant un ailleurs à la fois spatial et temporel. Ainsi Kyo, à Han-Kéou, rapproché de Tchen par une « camaraderie nocturne », acquiert la certitude que le mouvement révolutionnaire est irréversible en même temps qu’il se sent pénétré par « une grande dépendance », « l’angoisse de n’être qu’un homme, que lui-même ». Et ce sentiment entraîne, avec le souvenir, un suspens momentané de l’action et du lieu présents – la marche aux côtés de Tchen dans Han-Kéou plongé dans la nuit ­ et l’ouverture à un temps supra-historique : « il se souvint des musulmans chinois qu’il avait vus, par des nuits pareilles, prosternés dans les steppes de lavande brûlée, hurler ces chants qui déchirent depuis des millénaires l’homme qui souffre et qui sait qu’il mourra » [52]. De même, dans Le Temps du mépris, Kassner échappe à l’angoisse carcérale par des souvenirs musicaux qu’accompagne un ample cortège d’images obsédantes mais heureuses où le passé du personnage finit par se dissoudre dans un « Chant de la Terre » solennel et souverain. Se trouvent alors mêlés, en une longue énumération, des souvenirs d’Asie : « village aux palmes détrempés (…) ; cliquettes de marchands chinois (…), inondation à perte de vue de la Yang-Tsé » [53].

Le sommet de ce mouvement d’exaltation qui permet à Kassner de se confondre finalement avec « l’intarissable fatalité des astres » trouve également à s’exprimer dans une image exotique : « Ciel de Mongolie au-dessus des chameliers tartares prosternés dans la poussière du Gobi parmi l’odeur des jasmins desséchés, leurs hymnes soudain coupés par la psalmodie nocturne ;… « et si cette nuit est une nuit de destin – Bénédiction sur elle jusqu’à l’apparition de l’aurore … » [54].

L’exotisme contribue ainsi à exprimer « l’énigme fondamentale de la vie » (Ml., p. 4). En actualisant dans le texte un « ailleurs » radicalement « autre », il créé un effet de contraste qui permet de relativiser le réel (ou l’immédiat) en l’intégrant dans le mouvement d’une dérive universelle, indifférente à la durée et à la mort : « … invincible mouvement des mondes dans un recueillement d’éternité » ; astres « en dérive vers l’éternité à travers le silence [55] ; « dérive des nébuleuses… » [56]. Comme on le constate, l’interrogation sur la signification mystérieuse de l’aventure humaine est généralement menée par Malraux en regard de la présence neutre et indifférente mais toujours insolite et, elle aussi, énigmatique, du destin-destin qui est donc perçu, en termes de sensibilité littéraire, comme une sorte d’exotisme : une présence hors du moment et du lieu.

 

Exotisme et méditation sur le « mystère de l’homme »

 

« Qu’avec un sourire obscur reparaisse le mystère de l’homme, et la résurrection de la terre n’est plus que décor frémissant », lit-on à la dernière page des Noyers de l’Altenburg. [57]. L’exotisme n’aurait-il pas finalement pour fonction supérieure d’ajouter à ce « frémissement du monde » qui entoure et décèle à la fois l’homme énigmatique et fondamental ?

Prisonnier dans le « Camp de Chartres », la narrateur des Noyers… « regarde des milliers d’ombres dans l’inquiète clarté de l’aube et (…) pense : « c’est l’homme » [58] et « l’homme », ce sont ici rassemblés des « sénégalais en casques, [des] Arabes en fez, [des] Français en coiffes de casques semblables aux calottes chinoises » [59]. L’exotisme exprime dans ces pages, par le rapprochement des races, « l’obsession de l’immensité de l’espace, la volonté d’élargir à l’infini les limites de la scène du roman afin de montrer que la condition humaine est universelle » [60]. A cette dimension de l’exotisme malrucien, Jean Guéhenno, le premier, s’était montré sensible. Dans le compte rendu de La Condition humaine qu’il donna pour la revue « Europe » ; il écrivait : « J’entends qu’on se plaint (…) que l’action d’un tel livre soit par rapport à nous si lointaine, que l’auteur ait dû aller jusqu’en Chine chercher les moyens de définir notre condition. C’est cela même, au contraire, qui, à mon sens, fait de ce livre, un livre exemplaire (…). Son exotisme est bien un des principes de la grandeur de cet ouvrage. Tous nos désordres, toutes nos misères, toutes nos grandeurs nous y apparaissent transportées au-delà du monde, éloignés de nous comme pour un spectacle » [61]. L’exotisme favorise une distanciation d’ordre métaphysique qui nous permet de nous saisir comme objets – dimension fondamentale au projet de Malraux qui consiste, avec ce roman, à exprimer, comme on le sait, le « tragique de l’homme » ; dimension que n’avait pas voulu voir Aragon qui préférait Le Temps du Mépris à La Condition Humaine parce que ce dernier roman mettait en scène des « lointains chinois » tandis que le premier présentait un militant communiste européen [62].

L’exotisme sert – épisodiquement dans les romans mais constamment dans le Miroir des limbes – à briser l’axe du récit faire intervenir une « conscience témoin » qui, sous l’association mystérieuse des souvenirs réels ou fictifs et face à la profusion des images qui s’imposent à elle, cherche à discerner un sens, une unité secrète : sous l’éparpillement des signes, un principe de cohérence ; sous la précarité du monde et d’une vie, l’assurance d’une permanence. Malraux déclarait à Roger Stéphane le 9 septembre 1967 : « Quand dans les Antimémoires, je fais succéder les chars au spectacle d’Eléphanta, il est bien clair pour moi que ce que je cherche c’est [à atteindre une sorte d’ineffable.] N’est-ce pas, il y a un certain mystère de la vie qui a une puissance poétique à mes yeux ». [63]

 

La vanité du monde se résorbe ainsi dans la constitution d’un langage. A la suite de Chateaubriand, Malraux apparaît comme un « homme seul en face des êtres et des choses dont on dirait qu’ils ne sont fait que pour comparaître devant lui entre deux néants, témoin, par-delà ce spectacle fugitif, d’une immensité dont il se plaît (…) à accroître l’étendue pour y mieux dresser sa solitude. » [64]. Cette solitude du narrateur, confronté au souvenir de spectacles réels ou imaginaires et à des expériences vécues ou fictives, apparaît dans ces phrases où des verbes de déclaration ou de perception unissent et opposent à la fois un « je », en position grammaticale de sujet, à des groupes nominaux compléments qui consacrent la diversité infinie du monde, l’écoulement du temps et le mystère de la « métamorphose ». Prenons quelques exemples. Dans Les Voix du silence : « J’ai vu l’océan malais constellé de méduses phosphorescentes aussi loin que la nuit permît au regard de plonger dans la baie (…) » [65]. Et surtout, dans « Le Miroir des limbes » : « J’ai vu jadis finir la vieille Chine, et les ombres des renards filer à travers les astres violets des remparts, au-dessus de la procession des chameaux du Gobi couverts de gelée blanche (…). J’ai vu les clôtures des rondins des villages monghols s’ouvrir comme des portes de corral, les cavaliers de Gengis Khan foncer sur leurs petits chevaux hirsutes (…). J’ai vu les vieilles princesses des neiges, comme des reines d’Afrique déjà marquées par les chevauchées de la mort : Mongolie, marches thibétaines, coiffures wisigothes – et, au-dessus des villages putrides, les couvents au parfum de cire dont le parquet reflétait les lamas jaunes et l’Himalaya bleu ». (Ml., pp.40- 408).

Une étude, même incomplète, de l’exotisme dans l’œuvre d’André Malraux permet de constater, avec Jean Carduner, que « l’exotisme [y] est (…) plus important qu’on ne le croirait au premier abord » [66]. Fasciné par la diversité des cultures, curieux des bouleversements et des mutations qui réalisent la métamorphose de notre monde, conscient aussi d’avoir vécu la fin d’une époque historique favorable à l’aventure exotique, Malraux nous apparaît, pour parodier une de ses célèbres formules [67], comme une sorte de Loti qui aurait eu les moyens de Chateaubriand. Son exotisme se situe en effet, paradoxalement, moins dans le choix des sujets ou des décors que dans la relation à l’espace et au temps – moins dans les romans « exotiques » que dans les écrits sur l’art et Le Miroir des limbes. Les dernières œuvres deviennent en effet un soliloque solennel où l’exotisme sert à convoquer les cultures éparses sur la terre et dans la durée, où une conscience solitaire tend à unifier les disparates ­ comme à rassembler les moments désaccordés d’une vie – pour dégager enfin l’illusion d’une intelligibilité et le mirage d’une permanence.

Plus qu’un thème ou qu’un décor, l’exotisme correspond fiinalement pour Malraux non seulement à ce qui est irréductible au moi, à ce qui est radicalement autre, mais plus encore à ce qui échappe à l’Histoire : à « l’Intemporel ». Dès que l’Histoire cesse « d’être en jeu », l’exotisme, par la profusion des images et des « choses vues », manifeste l’énigme fondamentale et obsédante de la vie en même temps qu’il permet de mieux comprendre la réflexion de Claude Van nec selon laquelle « toute œuvre d’art, en somme, tend à devenir mythe » [68].

 

 

[1] René Marill Albérès, Métamorphoses du Roman, Paris, Albin Michel, 1966. P. 43.

 

[2] René Lalou, Le Roman français depuis 1900, Paris, P.U.F.1951, Collection « Que sais-je ? » n° 49 p. 83-84.

 

[3] Fernard Baldensperger, La littérature française entre les deux guerres, Marseille, Editions du Sagittaire, 1943 – p. 205-210.

 

[4] Henri Bénac, Guide pour la recherche des Idées dans les dissertations et les études littéraire, Paris, Hachette, 1961, p. 124, Article : « exotisme ».

 

[5] Victor Ségalen, Essai sur l’exotisme, [Montpellier], Fata Morgana, 1978, p. 20.

 

[6] Germaine Brée, Littérature française : Le XXème siècle (1920-1970), Paris, Arthaud, 1978.

 

[7] La tentation de l’Occident, Edition du Livre de Poche, 1972, p. 159-160 :

 

[8] Entretien avec Frédéric Gorver (20 août 1971). Cité dans F, Graver, Six entretiens avec André Malraux sur des écrivains de temps (1959-1975), Paris, Gallimard, 1978, Collection « NRF-Idées », N° 401, p, 75.

 

[9] Préface à La Danse Civa, op. cit. p. 9 et 16.

 

[10] A. Malraux, Déclaration faite à Kyoto le 22 mai 1974. Reproduite sous le titre « Qu’est­ce que l’Asie ? » dans : André Malraux, Cahier de l’Herne n° 43, Paris, l’herne, 1982, p. 367.

 

[11] « Jean Vilar : un entretien avec André Malraux », dans : « Magazine Littéraire » n° 54, juillet-août 1971. p.23.

 

[12] Entretien avec F. Grover (20 juin 1975) Op. cit., p. 130

 

[13] Annotation en marge de l’essai de Gaëtan Picon : Malraux, Paris, Seuil, 1953. Collection « Ecrivains de toujours », n° 12 p. 12.

 

[14] Entretien de Clara Malraux avec Jean Montalbetti (19 décembre 1980). Il s’agit exactement des derniers vers du sonnet « Médiocrité » : « … Combien même s’en vont /sans avoir seulement visité leur planète ! » (Le Sanglot de la terre).

 

[15] Pour ne pas alourdir davantage les notes en bas de page, nous donnerons à la suite des citations et sous la forme abrégée Ml, les références à l’édition du Miroir des Limbes que nous avons utilisée (Edition de la Pléiade, 1976).

 

[16] Préface au catalogue de l’exposition « Sept mille ans d’art en Iran ». Paris, Petit ­ Palais, 1961, sp [p. 11-12].

 

[17] Préface à La Danse de Civa, d’Ananda Coomaraswamy. op. cit., p.8.s

 

[18] A. Jean-Marie Drot, Malraux dira d’Einsten qu’il fut « le premier écrivain important sur l’art nègre ». Leur amitié fut profondes mais s’interrompit mystérieusement. (Malraux aurait été pressenti pour être, avec Braque, son exécuteur testamentaire mais ce fut finalement au peintre que Lydia Gue, rekian confia le manuscrits de son mari). Rappelons enfin que Clara Malraux avait traduit, avec Einstein, le roman « cubiste » de ce dernier Bebuquin (le manuscrit de la traduction fut ensuite perdu).

 

[19] J.P. Van Der Linden : « Une remarquable amitié : Du Perron et André Malraux » dans : « Etudes germaniques », n° 4. OCT. Nov. 1970. p. 367.

 

[20] « Porte de l’inconnu », dans « l’Intransigeant » du 3 mai 1934, p. 2.

 

[21] Entetien avec Frédéric Grover (1er juillet 1968). op. cit. , p. 52.

 

[22] Jean-Yves Tadie. Le roman d’aventures, Paris. P.U.F., 1982. Collection « Ecriture ». p. 161. On remarque cependant que Raymond Aron, par exemple, avait procédé, dès 1933, à un rapprochement significatif entre les deux écrivains. Voir son article : « Sur La Condition humaine d’André Malraux » dans « Libres propos – Journal d’Alain », du 25 décembre 1933 – Reproduit dans « Commentaire » – Julliard) – Février 1985 – Volume 8/n° 28-29 pp. 287 et 288.

 

[23] Entretien avec Sœur Cathleen Healey (5 janvier 1972) – Reproduit dans « Mélanges Malraux Miscellany » XII, n° 1 – Spring, 1980 – p. 20.

 

[24] « Consolation ou apaisement, je ne crois pas… « Entretien avec Kommen Becirovic (5 mai 1969) reproduit dans : André Malraux – Cahier de l’Herne. op. cit., p.20.

 

[25] L’expression est de René-Marill Albèrès ­ op. cit., p. 43.

 

[26] André Malraux : « Le Secret de Saba dans « L’Intransigeant » du 13 mai 1934. p. 2.

 

[27] Articles des 3, 9 et 10 mai 1934 parus dans « L’Intransigeant » sous le titre général : « Au-dessus du désert d’Arabie à la découverte de la capitale mystérieuse de la reine de Saba ».

 

[28] Gaëtan Picon, op. cit. pp. 78 et 80.

 

[29] « Ce n’est pas seulement la richesse, c’est le combat qui échappe à l’Angleterre », (Les Conquérants Romans, Bibliothèque de la Pléiade (1976), p. 25) ; « [Gisors] se rendait compte que la présence des Occidentaux, qui avaient joué un (…) rôle en Chine était terminée », fait remarquer Malraux dans son entretien avec Jean Vilar. Op., cit, p. 13.

 

[30] Edition de 1967. p. 450.

 

[31] Cette « Indochine des années 20 » constitue pour l’ethnologue Georges Condominas un « préterrain, qui conduit Malraux à des affabulations stéréotypées et coupables : « Où le jeune Malraux a-t-il pu pêcher de tels exploits [ceux de Perken et de Grabotl ? Tout simplement dans les cales à la mode de la société saïgonnaise. Il lui suffisait d’y écouter les inventions des Tartarins du coin (…). D’où le dégoût de Condominas pour « cet exotisme caliban » qui imprègne La Voie royale. (Georges Condominais : « le Moi est Haïssable » dans « Le Monde d’aujourd’hui », 2-3 septembre 1984, p. XI).

 

[32] Les Voix du silence, Paris, Gallimard, 1951, Galerie de la Pléiade, p. 351-352.

 

[33] Romans, Bibliothèque de la Pléiade (1976). op. Cit. p. 51).

 

[34] Romans, Bibliothèque de la Pléiade (1976), op. cit., p. 51).

 

[35] Les Chênes qu’on abat… Paris, Gallimard. 1971. p. 7.

 

[36] Malraux fera également remarquer que L’espoir est « un roman-reportage comme Les Frères Karamazov est un roman policier » (Extrait d’une lettre datée du 17 juillet 1970 adressée à Robert S. Thornberry qui la cite dans son ouvrage : André Malraux et l’Espagne. Genève, Droz, 1977. p. 81).

 

[37] Préface à Indochine SOS d’Andrée Viollis, Paris, Gallimard, 1935. p. VII-VIII. C’est ainsi que, par opposition à des œuvres comme Rien que la terre de Morand, Le dragon blessé de Croisset, La Chine en folielutionnaire et nationaliste chinois et secondairement à la ville du jeu et des plaisirs pour Occidentaux (voir à ce propos l’étude de Jean-Michel Coblence : « Pékin et Shanghaï. Clichés littéraires de l’entre-deux-guerres » dans la « Revue d’Esthétique ». Toulouse, Privat, 1983 – n° 5 : « Autour de la Chine ». p.105).

 

[38] On pourrait comparer ces passages de La Voie royale à l’horrible paysage de Bolgako après l’attaque par les gaz dans Lazare (repris dans Ml., p. 855 et Sq.) : « trèfles et ombelles (…) noires, gluantes, comme rapportées d’un fond de vase », « noirs les arbres qui ferment l’horizon, gluant eux aussi », « troncs suppurants », « forêt pourrie ».

 

[39] Pierre Drieu La Rochelle, Article reproduit dans : Sur les écrivains, Paris, Gallimard, 1964. p. 154.

 

[40] Bertrand d’Astorg, Les noces orientales. Paris, Seuil, 1980, p. 114.

 

[41] Roman. op. cit., p. 205

 

[42] Antimémoires, Edition de 1967, p. 384.

 

[43] La Tête d’obsidienne, Paris, Gallimard, 1974, p. 212.

 

[44] Paul Valéry, « Orientem versus » dans : Regards sur le monde actuel, Paris, Gallimard, 1945. Collection « NRF-Idées », n° 9 [Edition de 1964], p. 200 et 201

 

[45] Royaume Farfelu dans : Œuvres complètes d’André Malraux, Genève, Skira, s.d. [1945], p. 150.

 

[46] Romans, op. cit., p. 181.

 

[47] op. cit., p. 11

 

[48] Romans, op. cit.. p. 3

 

[49] Ibid., p. 175.

 

[50] Ibid., p. 3

 

[51] Ibid., p. 315

 

[52] Ibid., p.421-422.

 

[53] Le Temps du Mépris, Paris, Gallimard, 1935. p. 54.

 

[54] Ibid., p.56

 

[55] Ibid.

 

[56] Les Voix du silence, op. cit. p. 639.

 

[57] Les Noyers de l’Altenburg, Paris. Gallimard, 1948, p. 291-292.

 

[58] Ibid. p. 27

 

[59] Ibid. p. 19.

 

[60] Jean Carduner, La création romanesque chez Malraux, Paris, Nizet, 1968, p.200.

 

[61] Jan Gudlenno. Article reproduit dans Entre le passé et le futur, Paris, Grasse, 1979, p. 204-205

 

[62] Cette lecture d’Aragon sera violemment critiquée par Eddy du Perron. Voir : J P Van Linden, op. cit… p. 376.

 

[63] Entretient télévisé avec Roger Stéphane du 9 septembre 1967 sous le titre « Antimémoires improvisées »

 

[64] Jan Mourot Chateaubriant, Rythmes et sonorités dans les Mémoires d’Outre-Tombe, Paris, Paris, Armand Colin, 1967, 184.

 

[65] op cit. p. 639

 

[66] op. cit., p. 198

 

[67] « Goya est un Sade qui aurait eu les moyen de Victor Hugo », déclara-t-il à Jean-Marie Drot. Entretien télévisé, diffusé le 12 avril 1978 lors de l’émission « Promenade imaginaire avec Goya » dans la série : « (Journal de voyage avec André Malraux à la recherche des arts du monde entier ) ».

 

[68] La Voie Royale. Romans. op. cit. p. 202 Chateaubriand. Son exotisme se situe en effet, paradoxalement, moins dans le choix des sujets ou des décors que dans la relation à l’espace et au temps – moins dans les romans « exotiques » que dans les écrits sur l’art et Le Miroir des limbes. Les dernières œuvres deviennent en effet un soliloque solennel où l’exotisme sert à convoquer les cultures éparses sur la terre et dans la durée, où une conscience solitaire tend à unifier les disparates ­ comme à rassembler les moments désaccordés d’une vie – pour dégager enfin l’illusion d’une intelligibilité et le mirage d’une permanence.
Plus qu’un thème ou qu’un décor, l’exotisme correspond fiinalement pour Malraux non seulement à ce qui est irréductible au moi, à ce qui est radicalement autre, mais plus encore à ce qui échappe à l’Histoire : à « l’Intemporel ». Dès que l’Histoire cesse « d’être en jeu », l’exotisme, par la profusion des images et des « choses vues », manifeste l’énigme fondamentale et obsédante de la vie en même temps qu’il permet de mieux comprendre la réflexion de Claude Van nec selon laquelle « toute œuvre d’art, en somme, tend à devenir mythe » [68].

[1] René Marill Albérès, Métamorphoses du Roman, Paris, Albin Michel, 1966. P. 43.

[2] René Lalou, Le Roman français depuis 1900, Paris, P.U.F.1951, Collection « Que sais-je ? » n° 49 p. 83-84.

[3] Fernard Baldensperger, La littérature française entre les deux guerres, Marseille, Editions du Sagittaire, 1943 – p. 205-210.

[4] Henri Bénac, Guide pour la recherche des Idées dans les dissertations et les études littéraire, Paris, Hachette, 1961, p. 124, Article : « exotisme ».

[5] Victor Ségalen, Essai sur l’exotisme, [Montpellier], Fata Morgana, 1978, p. 20.

[6] Germaine Brée, Littérature française : Le XXème siècle (1920-1970), Paris, Arthaud, 1978.

[7La tentation de l’Occident, Edition du Livre de Poche, 1972, p. 159-160 :

[8] Entretien avec Frédéric Gorver (20 août 1971). Cité dans F, Graver, Six entretiens avec André Malraux sur des écrivains de temps (1959-1975), Paris, Gallimard, 1978, Collection « NRF-Idées », N° 401, p, 75.

[9] Préface à La Danse Civa, op. cit. p. 9 et 16.

[10] A. Malraux, Déclaration faite à Kyoto le 22 mai 1974. Reproduite sous le titre « Qu’est­ce que l’Asie ? » dans : André Malraux, Cahier de l’Herne n° 43, Paris, l’herne, 1982, p. 367.

[11] « Jean Vilar : un entretien avec André Malraux », dans : « Magazine Littéraire » n° 54, juillet-août 1971. p.23.

[12] Entretien avec F. Grover (20 juin 1975) Op. cit., p. 130

[13] Annotation en marge de l’essai de Gaëtan Picon : Malraux, Paris, Seuil, 1953. Collection « Ecrivains de toujours », n° 12 p. 12.

[14] Entretien de Clara Malraux avec Jean Montalbetti (19 décembre 1980). Il s’agit exactement des derniers vers du sonnet « Médiocrité » : « … Combien même s’en vont /sans avoir seulement visité leur planète ! » (Le Sanglot de la terre).

[15] Pour ne pas alourdir davantage les notes en bas de page, nous donnerons à la suite des citations et sous la forme abrégée Ml, les références à l’édition du Miroir des Limbes que nous avons utilisée (Edition de la Pléiade, 1976).

[16] Préface au catalogue de l’exposition « Sept mille ans d’art en Iran ». Paris, Petit ­ Palais, 1961, sp [p. 11-12].

[17] Préface à La Danse de Civa, d’Ananda Coomaraswamy. op. cit., p.8.s

[18] A. Jean-Marie Drot, Malraux dira d’Einsten qu’il fut « le premier écrivain important sur l’art nègre ». Leur amitié fut profondes mais s’interrompit mystérieusement. (Malraux aurait été pressenti pour être, avec Braque, son exécuteur testamentaire mais ce fut finalement au peintre que Lydia Gue, rekian confia le manuscrits de son mari). Rappelons enfin que Clara Malraux avait traduit, avec Einstein, le roman « cubiste » de ce dernier Bebuquin (le manuscrit de la traduction fut ensuite perdu).

[19] J.P. Van Der Linden : « Une remarquable amitié : Du Perron et André Malraux » dans : « Etudes germaniques », n° 4. OCT. Nov. 1970. p. 367.

[20] « Porte de l’inconnu », dans « l’Intransigeant » du 3 mai 1934, p. 2.

[21] Entetien avec Frédéric Grover (1er juillet 1968). op. cit. , p. 52.

[22] Jean-Yves Tadie. Le roman d’aventures, Paris. P.U.F., 1982. Collection « Ecriture ». p. 161. On remarque cependant que Raymond Aron, par exemple, avait procédé, dès 1933, à un rapprochement significatif entre les deux écrivains. Voir son article : « Sur La Condition humaine d’André Malraux » dans « Libres propos – Journal d’Alain », du 25 décembre 1933 – Reproduit dans « Commentaire » – Julliard) – Février 1985 – Volume 8/n° 28-29 pp. 287 et 288.

[23] Entretien avec Sœur Cathleen Healey (5 janvier 1972) – Reproduit dans « Mélanges Malraux Miscellany » XII, n° 1 – Spring, 1980 – p. 20.

[24] « Consolation ou apaisement, je ne crois pas… « Entretien avec Kommen Becirovic (5 mai 1969) reproduit dans : André Malraux – Cahier de l’Herne. op. cit., p.20.

[25] L’expression est de René-Marill Albèrès ­ op. cit., p. 43.

[26] André Malraux : « Le Secret de Saba dans « L’Intransigeant » du 13 mai 1934. p. 2.

[27] Articles des 3, 9 et 10 mai 1934 parus dans « L’Intransigeant » sous le titre général : « Au-dessus du désert d’Arabie à la découverte de la capitale mystérieuse de la reine de Saba ».

[28] Gaëtan Picon, op. cit. pp. 78 et 80.

[29] « Ce n’est pas seulement la richesse, c’est le combat qui échappe à l’Angleterre », (Les Conquérants Romans, Bibliothèque de la Pléiade (1976), p. 25) ; « [Gisors] se rendait compte que la présence des Occidentaux, qui avaient joué un (…) rôle en Chine était terminée », fait remarquer Malraux dans son entretien avec Jean Vilar. Op., cit, p. 13.

[30] Edition de 1967. p. 450.

[31] Cette « Indochine des années 20 » constitue pour l’ethnologue Georges Condominas un « préterrain, qui conduit Malraux à des affabulations stéréotypées et coupables : « Où le jeune Malraux a-t-il pu pêcher de tels exploits [ceux de Perken et de Grabotl ? Tout simplement dans les cales à la mode de la société saïgonnaise. Il lui suffisait d’y écouter les inventions des Tartarins du coin (…). D’où le dégoût de Condominas pour « cet exotisme caliban » qui imprègne La Voie royale. (Georges Condominais : « le Moi est Haïssable » dans « Le Monde d’aujourd’hui », 2-3 septembre 1984, p. XI).

[32Les Voix du silence, Paris, Gallimard, 1951, Galerie de la Pléiade, p. 351-352.

[33Romans, Bibliothèque de la Pléiade (1976). op. Cit. p. 51).

[34Romans, Bibliothèque de la Pléiade (1976), op. cit., p. 51).

[35Les Chênes qu’on abat… Paris, Gallimard. 1971. p. 7.

[36] Malraux fera également remarquer que L’espoir est « un roman-reportage comme Les Frères Karamazov est un roman policier » (Extrait d’une lettre datée du 17 juillet 1970 adressée à Robert S. Thornberry qui la cite dans son ouvrage : André Malraux et l’Espagne. Genève, Droz, 1977. p. 81).

[37] Préface à Indochine SOS d’Andrée Viollis, Paris, Gallimard, 1935. p. VII-VIII. C’est ainsi que, par opposition à des œuvres comme Rien que la terre de Morand, Le dragon blessé de Croisset, La Chine en folielutionnaire et nationaliste chinois et secondairement à la ville du jeu et des plaisirs pour Occidentaux (voir à ce propos l’étude de Jean-Michel Coblence : « Pékin et Shanghaï. Clichés littéraires de l’entre-deux-guerres » dans la « Revue d’Esthétique ». Toulouse, Privat, 1983 – n° 5 : « Autour de la Chine ». p.105).

[38] On pourrait comparer ces passages de La Voie royale à l’horrible paysage de Bolgako après l’attaque par les gaz dans Lazare (repris dans Ml., p. 855 et Sq.) : « trèfles et ombelles (…) noires, gluantes, comme rapportées d’un fond de vase », « noirs les arbres qui ferment l’horizon, gluant eux aussi », « troncs suppurants », « forêt pourrie ».

[39] Pierre Drieu La Rochelle, Article reproduit dans : Sur les écrivains, Paris, Gallimard, 1964. p. 154.

[40] Bertrand d’Astorg, Les noces orientales. Paris, Seuil, 1980, p. 114.

[41Roman. op. cit., p. 205

[42Antimémoires, Edition de 1967, p. 384.

[43La Tête d’obsidienne, Paris, Gallimard, 1974, p. 212.

[44] Paul Valéry, « Orientem versus » dans : Regards sur le monde actuel, Paris, Gallimard, 1945. Collection « NRF-Idées », n° 9 [Edition de 1964], p. 200 et 201

[45Royaume Farfelu dans : Œuvres complètes d’André Malraux, Genève, Skira, s.d. [1945], p. 150.

[46Romans, op. cit., p. 181.

[47] op. cit., p. 11

[48Romans, op. cit.. p. 3

[49] Ibid., p. 175.

[50] Ibid., p. 3

[51] Ibid., p. 315

[52] Ibid., p.421-422.

[53Le Temps du Mépris, Paris, Gallimard, 1935. p. 54.

[54] Ibid., p.56

[55] Ibid.

[56Les Voix du silence, op. cit. p. 639.

[57Les Noyers de l’Altenburg, Paris. Gallimard, 1948, p. 291-292.

[58] Ibid. p. 27

[59] Ibid. p. 19.

[60] Jean Carduner, La création romanesque chez Malraux, Paris, Nizet, 1968, p.200.

[61] Jan Gudlenno. Article reproduit dans Entre le passé et le futur, Paris, Grasse, 1979, p. 204-205

[62] Cette lecture d’Aragon sera violemment critiquée par Eddy du Perron. Voir : J P Van Linden, op. cit… p. 376.

[63] Entretient télévisé avec Roger Stéphane du 9 septembre 1967 sous le titre « Antimémoires improvisées »

[64] Jan Mourot Chateaubriant, Rythmes et sonorités dans les Mémoires d’Outre-Tombe, Paris, Paris, Armand Colin, 1967, 184.

[65] op cit. p. 639

[66] op. cit., p. 198

[67] « Goya est un Sade qui aurait eu les moyen de Victor Hugo », déclara-t-il à Jean-Marie Drot. Entretien télévisé, diffusé le 12 avril 1978 lors de l’émission « Promenade imaginaire avec Goya » dans la série : « (Journal de voyage avec André Malraux à la recherche des arts du monde entier ) ».

[68La Voie Royale. Romans. op. cit. p. 202