Notes

LETTRE OUVERTE AUX FUTURS ILLETTRES ; Paul Guth ; Ed. Albin Michel

Ethiopiques numéro 26

revue socialiste

de culture négro- africaine

avril 1981

C’est à une attaque sans nuance du système français d’éducation et des mœurs « décadentes » de la société française d’aujourd’hui que se livre Paul Guth dans sa « Lettre ouverte aux futurs illettrés », adressée à Jacques, jeune lycéen.

Qu’on en juge : Les Français sont devenus « cinquante millions de taupes vides, aveugles, anesthésiées qui poursuivent, hallucinées, les activités pour lesquelles on les a programmées ». « Pour se reposer d’un travail qui le dégoûte, ce pays déchristianisé chôme les fêtes d’une religion à laquelle il ne croit plus et celle d’une nation évanouie ».

« Le vent souffle au matriarcat… Mais la « libération » de la nana aboutit à son pire esclavage ». Tu deviens, Jacques, « dans ce tintouin, un paquet de chiffons que ta mère traîne à la crèche ». « On ne flirte plus, on drague, on viole ».

Quant à l’Ecole… Ah, l’école, cette école d’autrefois, pour laquelle Paul Guth nourrissait un attachement sans bornes ! Ce miroir de justice, temple de sagesse, rose mystique, tour d’ivoire, maison dorée, arche d’alliance, porte du ciel, étoile du matin… » est devenu la mère de tous les vices, et l’auteur des « Naïfs » éprouve à son égard des sentiments d’amoureux trompés.

En ouvrant l’école à la politique, sous prétexte de l’ouvrir au monde, on a introduit les marchands dans le temple. On a livré le royaume des enfants au catéchisme, marxisant, aux luttes et aux petitesses des grands, au bruit et à la fureur de la société, au vacarme de la rue. La scolarité jusqu’à seize ans ? Démagogie délirante. L’égalité des chances, l’affaiblissement de la sélection ? Impardonnables erreurs, monstrueux mensonges. « De simplification en « simplification », la France se réduit à un bras gauche, une jambe gauche, un œil gauche et à la moitié gauche du cerveau, pour travailler, marcher, entendre, voir et penser plus « clair ». Pauvre Jacques, « on peut te confondre avec n’importe qui, te remplacer, par n’importe qui. Bétail interchangeable… Dans notre démocratie laxiste de la langue française. Autrefois, « une société trônant sur des certitudes édictait un code grammatical. Un manichéisme du langage : les mots corrects, les mots incorrects. La morale se prolongeait dans le langage : le bien et le mal, la lumière et l’ombre. Le langage tenait lieu de Carte d’identité. Plus que la vêture, il révélait votre condition sociale.

Aujourd’hui « en se ravalant au rang d’hexagonal, notre langue de princes est devenue un idiome de clochards : un sabir de poubelles où des loques de « franglais » s’accrochent à des débris de parler journalistico-radiophonico-télévisuels ». En « égorgeant le latin à l’école » on a coupé la langue française de ses racines, et privé les jeunes d’un instrument privilégié d’accès à la pensée scientifique et aux techniques modernes de pointe.

En « défendant aux jeunes Français d’apprendre l’Histoire de France », les responsables de l’Education nationale ont, avec la passivité complice des parents, défrancisé les jeunes Français.

En transformant l’enseignement du dessin en « paria » de l’école, on a émoussé la sensibilité et la créativité des enfants.

En mettant à la mode le vocabulaire des mathématiques modernes, on a fait croire qu’il y a une difficulté où il n’yen a pas. « En pleine Beauce, on fait croire qu’il y a l’Himalaya ».

Et que dire de l’abandon des classiques, des belles lettres ! « Aujourd’hui, sur l’étal de notre inappétence, la femme s’offre cuisses ouvertes, et les bouchers pédagogues jettent à nos enfants toute crue, la littérature moderne ».

En définitive, « nous assistons à la poursuite méthodique du génocide intellectuel, spirituel, moral ourdi contre notre peuple, du lavage de cerveau perpétré pour défranciser les jeunes, c’est-à-dire la France de demain, qui tombera, sans guerre, sans invasion comme une poire mûre, dans les mains de l’occupant ».

Faut-il, alors, désespérer de l’avenir des Français et de la France ? Non. Les chances d’un sursaut national existent.

Il y a, d’abord, ceux qui, fidèles à leurs convictions, organisent la Résistance intellectuelle. Au premier rang de ceux-ci, Léopold Senghor, « vrai chef de la francophonie », « un des plus grands poètes et homme d’Etat de ce temps », auquel son ancien condisciple de Louis-Le-Grand rend un vibrant hommage.

Il y a, aussi, les réactions de saine nature de la plupart des jeunes.

Il y a, enfin, « la révolte jaillie des profondeurs de la nation » et, même, la lucidité du nouveau Ministre de l’Education nationale Christian Beulac, et la générosité de ses vues.

C’est donc sur une note d’espoir que s’achève le livre de Paul Guth. Mais un espoir qui se fonde, essentiellement, sur le rétablissement, disons même la restauration, de l’ordre et des valeurs anciens.

On ne contestera pas la justesse, sur de nombreux points, du jugement de Paul Guth, ni le caractère percutant de certaines formules. Mais on peut trouver excessive la sévérité de ce jugement global, dans lequel il entre beaucoup de nostalgie. Après tout, tout n’est pas négatif dans l’éducation d’aujourd’hui : l’ouverture de l’école sur la vie, la démocratisation même de l’enseignement doivent-elles être condamnées ? Si l’on suit à son terme la logique de Paul Guth, il faudrait répondre par l’affirmative à ces questions.

Il est regrettable, en outre, que l’auteur n’ait pas cru devoir assortir sa critique, virulente, de propositions concrètes et tournées vers l’avenir.

Peut-on raisonnablement faire comme si la société d’aujourd’hui devait revenir au système d’éducation et de valeurs d’avant guerre ? Une telle attitude ne serait pas réaliste. La révolution des techniques, la démocratisation de l’école, l’accès à tous les niveaux d’enseignement de professeurs et d’élèves issus de toutes les catégories sociales, ne pouvaient rester sans effet sur les modes d’éducation, sur le statut des enseignants, sur le comportement des élèves, sur le contenu de l’éducation. Le temps où l’éducation était dispensée par une élite pour une élite est révolu. La société française n’est pas immobile. Il faut inventer dans l’éducation aussi.

Cette adaptation ne doit certes pas s’effectuer au prix d’un reniement des valeurs profondes de la société et de la culture française. Mais elle implique une symbiose entre ces valeurs et les nécessités d’une société en transformation constante.