Développement et sociétés

LE PARALLELISME ASYMETRIQUE DANS L’ART AFRICAIN

Ethiopiques n°46-47

Revue trimestrielle de culture négro-africaine

Nouvelle série 3ème et 4ème trimestre 1987 – volume 4

 

INTRODUCTION

Le parallélisme asymétrique est perceptible sur les statuettes de l’art africain traditionnel mais également sur les tableaux de peinture moderne. Un axe vertical au centre du tableau ou au milieu de la statuette, le (la) partage généralement en deux parties jugées habituellement identiques, c’est-à-dire égales et exactement symétriques. Or cette symétrie est en réalité illusoire. C’est au fond une symétrie asymétrique » [1], en ce sens que les deux parties ne sont jamais rigoureusement égales, semblables. C’est la conception senghorienne du parallélisme asymétrique.

Si cette théorie se vérifiait, elle remettrait en cause plusieurs théories esthétiques, notamment la conception traditionnelle du Beau qui, en réalité, l’identifie à l’harmonie, à l’équilibre, à la proportion, à la symétrie exacte de deux ou plusieurs parties de toute oeuvre d’art.

Cette conception traditionnelle du Beau procède, nous le savons, des « arts imitatifs et du réalisme classique, pour lesquels la vocation de l’art réside dans la reproduction des modèles naturels. D’où le Beau se définira par l’adéquation et la conformité de la copie au modèle. Or ces conceptions et théories ont été subverties des les débuts du XXe siècle par différents courants esthétiques et artistiques : expressionnisme, fauvisme, surréalisme et cubisme notamment. Mais nous savons, selon le mot de Daniel-Henri Kahnweiller, que le grand renouvellement de l’art contemporain, nous le devons à l’exemple de l’art nègre. En effet, dans l’art abstrait comme dans l’art nègre, l’artiste s’est totalement affranchi des modèles extérieurs et des exigences de l’imitation. Par la même occasion, ces arts nouveaux et les théories nouvelles qui les accompagnent ont révélé les limites et les insuffisances de l’art classique et de ses conceptions. Car, dans la nature comme dans l’art, l’imitation n’est jamais parfaite, ni la symétrie absolue. Aussi, si de nouvelles normes et de nouveaux codes de lecture des oeuvres d’art s’imposent désormais, c’est parce que les artistes contemporains, à l’image des artistes nègres, ont opéré une « révolution du regard » qui leur a permis de déconstruire le réel, pour aboutir cependant à une autre forme de réalisme. C’est tout le sens de la révolution cubiste, avec Picasso notamment.

Pour traiter cette question, nous examinerons dans un premier temps la conception de la Beauté dans l’Art et l’Esthetique de l’Occident, en nous appesantissant sur le réalisme classique qui a imposé ces exigences des engins de l’Art jusqu’au 19e siècle. Dans un second temps, nous envisagerons les raisons de la subversion des arts imitatifs et des théories esthétiques qui les fondaient. Ces mêmes raisons étant aux sources de l’art abstrait, nous étudierons ensuite cet art, sous la forme du cubisme de Picasso, dont les itinéraires africains, désormais incontestés, nous introduisent dans la question des rapports entre le cubisme et l’art nègre. C’est dans ceux-ci que nous trouvons la meilleure illustration du parallélisme asymétrique, dont la réalité dans l’art contemporain oblige nécessairement à la révision du contenu du concept de Beau et à la modification de certaines habitudes mentales, notamment celle de percevoir.

I – LA BEAUTE DANS L’ART ET L’ESTHETIQUE EN OCCIDENT

La peinture réaliste et la sculpture sur marbre et sur pierre de toutes les régions de l’Occident et depuis l’art gréco-romain, fournissent des modèles et des exemples d’oeuvres d’art dans lesquels la Beauté correspond à l’harmonie, à l’équilibre, à la proportion et à la symétrie des différentes parties d’un ensemble ou d’une oeuvre. Ainsi, dans sa nature intrinsèque, et non dans ses effets, le Beau se définit par l’harmonie.

En prenant l’exemple d’une statue de marbre grecque représentant un héros ou un personnage légendaire, on découvre une correspondance non seulement des deux grandes parties que sépare un axe central, mais également une correspondance un à un des différents éléments des deux parties. La régularité de ces correspondances et la régularité des traits des différents éléments créent des égalités, des équilibres et donc des harmonies.

De manière plus précise, on découvre sur cette statue un axe vertical central, partant du front et le divisant en deux parties identiques et égales, passant par le nez, la bouche, le menton, le cou au niveau de la pomme d’Adam, la poitrine, le ventre, le nombril… Chacun de ces é1éments est divisé en deux et les é1éments des deux parties sont en correspondance régulière : égaux, situés au même niveau l’un de l’autre et équidistants par rapport à l’axe vertical central ; leur symétrie et leur égalité sont parfaites. A cela s’ajoutent la symétrie des deux oreilles par rapport à l’axe, celles des yeux, des membres supérieurs, des jambes et des pieds. La symétrie et l’identité sont encore plus frappantes pour les membres du corps, c’est-à-dire les bras et les jambes : mêmes é1éments constitutifs, mêmes structures, mêmes dimensions, etc.

Cette structure des motifs de l’art occidental fait penser à un « art anatomique, soucieux du respect rigoureux des proportions, des détails, et de leur configuration et tributaire d’une observation attentive des modules à reproduire. Ces modules sont constitués par les êtres, les animaux et les choses que l’on perçoit quotidiennement dans la nature.

Aussi, l’oeuvre d’art, outre sa structure propre, configuration et agencement de ses différents éléments et parties, nous renvoie à sa relation avec son module. Le beau de l’oeuvre se situera également dans la correspondance de la copie et du module. Le beau dans de telles oeuvres d’art se définit par l’adéquation, la conformité de la copie au module, dans le respect rigoureux des détails anatomiques et dans la ressemblance ; la copie est belle si elle traduit la fidé1ité de l’artiste à son modèle.

 

II – LA SYMETRIE DANS LES OEUVRES DE LA NATURE

Ce module de beauté dans l’art occidental procède sans aucun doute des exemples que fournit la nature. Car, en effet, dans les êtres vivants, nous découvrons les mêmes symétries, les mêmes proportions et les mêmes égalités.

Chez l’homme comme chez l’animal, l’axe vertical divisant le corps en deux parties identiques est une constante, ainsi que les correspondances des différents é1éments l’un à l’autre des deux grandes parties du corps.

Cette structure des êtres vivants a été considérée comme l’oeuvre d’une intelligence supérieure : Dieu, sur le module de laquelle Aristote prétend que la causalité finale de l’activité humaine a été conçue. Selon Aristote en effet, c’est à partir de l’observation des modules constitués par les êtres vivants que l’homme aurait façonné des objets artificiels, et notamment des objets d’art, sur la base de l’imitation.

C’est pourquoi, dès ses origines, l’art s’assignait pour vocation l’imitation de la nature. L’essence de l’activité artistique consistait donc à reproduire le plus fidèlement possible, à imiter les modules que fournit la nature.

Les exemples les plus élevés et les plus pertinents de cette théorie de l’imitation se rencontrent aussi bien dans l’art égyptien et grec que dans l’art occidental classique (Rodin, Corot, Courbet, Ingres, Dürer, David, etc.). Cette théorie de l’imitation a été poussée à l’extrême, notamment chez certains artistes, chez lesquels l’idéalisation des traits est élevée à un niveau supérieur.

Ainsi, dans l’art imitatif, les portraits des personnages sont parfaitement ressemblants à leurs modèles, vrais anatomiquement, peints afin de donner l’impression, l’illusion, qu’ils possèdent de l’épaisseur comme leurs modèles, et que modelés, ils sont des volumes à trois dimensions installés dans un espace creux (cf. le tableau de Courbet – Bonjour, Monsieur Courbet).

Il s’agit d’une peinture descriptive, qui fait des comptes-rendus.

Or, dans cette peinture descriptive comme dans les oeuvres de la Nature, la symétrie des différentes parties d’un ensemble ou d’un être n’est pas aussi absolue que le laisse croire une observation rapide et « macroscopique ». En effet, une observation méticuleuse, « microscopique », à la « loupe », révèle toujours des inégalités là où l’esprit humain était habitué à percevoir des égalités.

Il n’est donc pas toujours aisé de déceler ces inégalités ; mais il nous arrive d’en faire l’expérience sur notre propre corps. Ainsi, nous faisons parfois l’expérience de l’inégalité de nos membres ; par exemple, l’alliance de l’annulaire gauche ne sied pas toujours à l’annulaire droit : soit elle est trop grande, soit trop petite ; par exemple, certaines personnes ont des cors aux orteils, soit du pied gauche, soit du pied droit, alors qu’elles portent des chaussures identiques et égales. Ces inégalités naturelles sont perceptibles également lors du port des vêtements. A ces inégalités infimes et presque imperceptibles s’ajoutent des cas concrets, quoique rares, de dysmorphisme chez certains êtres humains.

Mais n’étant d’emblée ni apparentes ni importantes, ces inégalités sont évacuées par les égalités manifestes : les apparences et l’illusion se sont imposées à la conscience humaine et les habitudes perceptives ont été montées.

D’où, dans l’art, la vocation de l’artiste consistera à créer des égalités et des symétries puisqu’elles sont censées émaner de la nature. De ces égalités, proportions et symétries procède le Beau de l’art. De sorte que le Beau de l’art est en réalité une copie de Beau sensible, celui de la nature. Les premiers arts ont été des arts imitatifs.

 

III – L’IMITATION DANS L’ART

L’activité humaine commence en effet d’abord par l’imitation, tant au plan phylogénétique qu’à celui de l’ontogenèse.

Au plan phylogénétique, Leroi-Gourhan et les paléontologues l’ont assez montré.

Au plan de l’ontogenèse, les divers apprentissages de l’enfant commencent par l’imitation, aussi bien dans le domaine des connaissances que dans celui de l’action et de la locution. Dans l’apprentissage du langage, il commence, après la phase prélinguistique d’émission spontanée de sons, par imiter les sons entendus, puis les mots, les groupes de mots, les phrases, etc. Il en est de même au plan de la motricité et dans l’acquisition des habitudes sociales (manger, s’habiller, se vêtir, se comporter, dessiner, etc.).

L’importance de l’imitation est telle dans la vie humaine que pour Gabriel de Tarde [2] l’essence de la socialité consiste dans l’imitation – toute la vie sociale réside dans l’imitation.

C’est pourquoi, dès les premières formes d’art, l’humanité a imité la nature et a ainsi développé, pendant plusieurs siècles, les arts dits imitatifs et leur corollaire esthétique, le réalisme.

En Occident, ce réalisme a pour lui la longue tradition du classicisme gréco-latin.

Pendant longtemps en effet, les artistes eux-mêmes ont eu la conviction que l’objet de leur art était de reproduire la réalité. Aussi, la peinture et la sculpture étaient-elles appelées, il n’y a guère longtemps, des « arts d’imitation ».

Ingres [3] écrivait : « Dessine, peins, imite, fût-ce de la nature morte : l’art n’est jamais plus parfait que lorsqu’on peut le prendre pour la nature ». Albert Dürer [4] avait déjà écrit : « l’art réside dans la nature ; qui peut l’en extraire le possède. Plus ton oeuvre, dans son aspect, sera conforme à la vie, meilleure elle sera ».

De nos jours encore, le grand public ne considère-t-il pas les arts comme devant avoir pour objet la représentation de la réalité ? Ce qui le préoccupe dans une oeuvre, c’est de savoir quel en est l’objet : il demande ce qu’un tableau représente, ce qu’un poème signifie. Et ce public se sent frustré lorsqu’il ne reconnaît pas la réalité dans les images qui lui sont présentées.

L’art, des ses débuts, devait traduire et représenter le réel. La nature fut instigatrice des premières oeuvres d’art dont elle servait de modèle. L’art était en ce sens, pour Platon, imitation des apparences sensibles. C’est à la nature que l’artiste emprunte ses formes ; c’est dans la nature qu’il puise les matériaux sur lesquels il travaille ; c’est elle qui lui fournit souvent les sujets de toutes ses productions ; c’est le spectacle de la nature qui émeut l’artiste et provoque parfois le besoin de créer l’inspiration.Toute oeuvre d’art se rapporte ainsi, d’une maniéreplus ou moinsdirecte à la réalité. Le contenu d’une oeuvre d’art,reconnaît Hegel dans son Esthétique, est d’une nature telle que, tout en étant spirituel, ne peut être représenté que sous une forme naturelle.

Cependant, prise en elle-même, dans son impassible sérénité, sans l’humanité et sans la conscience esthétique de l’homme, la nature n’est ni belle ni laide ; elle est, dit Charles Lalo [5], anesthétique. La nature a beau offrir des formes et des matériaux, ces données ne revêtent un caractère esthétique que parce que l’esprit humain se livre sur elles une activité qui les élabore et les dessine, les agence et les combine, etc. Si tel paysage paraît beau, ce n’est pas par lui-même, mais par l’artiste, par sa grâce propre, par l’idée ou le sentiment qu’il y attache. Si la nature fournit des matériaux l’artiste, c’est celui-ci qui les choisit, qui les arrange et c’est son imagination qui les assemble.

Devant la nature impassible, l’artiste se pose parfois des questions qui déterminent souvent ses choix et son activité : que faut-il imiter de la nature ? Est-il possible de tout reproduire ? Pourquoi tel élément ou tel aspect plutôt que tel autre ? … Il est souvent amené à opérer des choix et des rectifications. Et ce qu’il faut imiter de la nature, chaque artiste le détermine selon ce qu’il est et il exprimera dans son oeuvre, sa manière personnelle de voir et de sentir la réalité. Dans la reproduction de la nature, l’artiste se heurte également à ses propres limites techniques, l’imperfection de ses instruments de travail. Toutes ces raisons expliquent que l’art imitatif est aussi peu fidèle que possible. En outre, l’imitation trahit la vie organique de la nature : l’art imitatif fige le réel et l’éternise.

La nature se présente à l’artiste comme un dictionnaire, dit Charles Baudelaire. Ce dictionnaire, selon Baudelaire [6], est un instrument à usages multiples, dans lequel on peut chercher le sens des mots, leur étymologie… Grâce aux mots que l’on y puise, on compose des phrases, des poèmes. Mais le dictionnaire n’est pas un poème, une composition dans le sens poétique du mot. « Les poètes qui obéissent à l’imagination cherchent dans leur dictionnaire les éléments qui s’accordent à leur composition ; encore en les ajustant avec un certain art, leur donnent-ils une physionomie toute nouvelle. Ceux qui n’ont pas d’imagination copient le dictionnaire ». Il en résulte le vice de la banalité. Bien connaître le dictionnaire, ce n’est pas nécessairement bien connaître l’art de la composition. Tout l’univers se présente ainsi, selon Baudelaire, comme un magasin d’images et de signes auxquels l’imagination donnera une place et une valeur relatives. « Les artistes qui veulent exprimer la nature, moins les sentiments qu’elle inspire, se soumettent à une opération bizarre qui consiste à tuer en eux l’homme pensant et sentant, … ils prennent le dictionnaire de l’art pour l’art lui-même. Ils copient un mot du dictionnaire, croyant copier un poème. Or un poème ne se copie jamais. Il veut être composé ».

L’imitation pure n’est pas création. La création d’une oeuvre d’art exige autre chose que l’application de recettes et l’obéissance à des règles et des conventions. Et il n’y a pas de beauté dans une oeuvre d’art sans l’activité spirituelle et technique du sujet.

Car l’activité artistique est une technique, c’est-à-dire stylisation, harmonisation, décoration, idéalisation, organisation de données, mise en forme, choix et arrangement, par lesquels l’esprit créateur transmue en beauté les données de la vie indifférente et les soumet aux lois et aux exigences de la conscience esthétique. La technique est ainsi essentielle à l’art pour lui permettre de s’incarner hors de l’esprit, dans des objets concrets, appelés oeuvres ; mais l’art existe d’abord avant la technique, idéalement, au sein de la pensée créatrice d’images. C’est le travail des facultés spirituelles qui organise en visions de beauté données de la vie indifférente ; et ce travail ne relève pas de la technique.

L’art ne peut donc être conçu comme un processus de pure reproduction mécanique, un pur automatisme, excluant toute intervention positive et constructive de l’esprit. L’oeuvre d’art n’est pas autre chose que « le résultat du travail représentatif accompli par l’esprit, extériorisé, incarné dans certains éléments de la réalité ambiante. Elle est l’image ou la vision intérieure que s’est formée l’artiste, retracée au dehors à l’aide de couleurs, de lignes, de sons, de mots, etc. [7].

Par les choix et les rectifications, par l’activité de l’esprit et l’action technique concrète, l’artiste est souvent conduit à réaliser les images idéales ou déformées du réel, dans lesquelles les égalités des parties et des é1éments, les proportions et les symétries ne sont pas absolues.

L’art ne peut donc avoir pour but l’imitation purement formelle de la nature : l’imitation ne peut, écrit Hegel [8], donner naissance qu’à des artifices techniques, n’ayant rien de commun avec une oeuvre d’art. Aussi, la photographie a-t-elle supplanté progressivement, dans les temps modernes, les arts du portrait et de l’imitation !

Malgré la rupture, au cours de l’histoire, de l’art avec la nature et les normes traditionnelles, malgré les mouvements nouveaux qui entraînent l’art vers la recherche de formes nouvelles et de styles plus audacieux, l’art reste lié à la nature. La matière sur laquelle s’exerce l’art n’est pas autre chose que la matière de l’expérience livrée à l’action triomphante de l’esprit. Mais cette matière est une matière informée, un « sensible abstrait », qui n’entre « dans l’art qu’à l’état d’idéaliste. L’artiste obtient la forme en élaborant l’informe, en travaillant sur les données anesthétiques de la réalité. C’est alors seulement que la matière devient ce que Hegel nomme « le sensible spiritualisé » ou le « spirituel sensibilisé ». De cette sorte, « la forme n’est que le résultat de l’élaboration de la matière par l’esprit. Avant que le contenu ait été formellement organisé, il demeure esthétiquement indifférent » [9].

Ainsi, grâce à l’art, la réalité visible, matérielle, jusque-là uniquement physique, prend un sens humain, mais en même temps, ce qui est spécifiquement humain, ce qui est dans l’esprit, prend forme, devient réalité visible, incarne dans une apparence visible. Il se produit ainsi, entre le spirituel et le matériel, le sensible et l’intelligible, un merveilleux et fécond échange d’où naît une tierce réalité, qui est à la fois l’homme et le monde, qui participe des deux et les relie, en les portant en même temps à un degré supérieur d’existence, celui de la beauté.

En réalité, comme l’a indiqué René Huyghe [10], toute pratique artistique implique la collaboration de trois partenaires : le monde réel qui fournit à l’artiste les matériaux et les formes de son œuvre ; la plastique, qui impose ses exigences leur agencement ; et l’artiste, qui cherche à exprimer ce que lui fait éprouver le spectacle des choses, qui choisit les matériaux et qui, grâce à son intelligence, son imagination, sa volonté, sa sensibilité, dirige, dispose les formes, les signes, les symboles, les lignes, les couleurs et les images, etc.

IV – L’ART ABSTRAIT

L’art abstrait prétend n’emprunter à l’univers réel que des lignes et couleurs, mais qu’il dépouille de toute signification objective, puis il les assemble soit en fonction d’exigences purement géométriques, soit en spéculant sur leur pouvoir de suggérer certains sentiments. N’empruntant donc ni forme, ni image et ni modèle à la nature, l’art abstrait crée des images et des réalités ne représentant aucune réalité physique. C’est un art qui se suffit de couleurs, de lignes, de signes et de points dont les combinaisons et les agencements produisent de la beauté [11]. Le principe énoncé par Kandinsky est que les couleurs et les formes ont une « résonance » affective ; par conséquent, comme la musique, la peinture peut parler directement à la sensibilité sans figurer des objets. Kandinsky considère, en outre, qu’il n’y a pas de forme exclusivement matérielle en art. Car « une forme matérielle ne peut jamais être reproduite avec une exactitude absolue. Bon gré, mal gré, l’artiste doit s’en remettre à son œil, à sa main plus artistes que lui parce qu’ils osent aller au-delà de la simple reproduction photographique. L’artiste qui crée en pleine conscience ne peut pas se contenter de l’objet tel qu’il se présente. Il cherche nécessairement à lui donner une expression… Ainsi, en art, voit-on, peu à peu, passer au premier plan l’élément abstrait qui, hier encore, craignant de se laisser voir, se dérobait derrière les tendances purement matérialistes… plus la forme organique est rejetée à l’arrière-plan et plus cet élément abstrait s’affirme et amplifie sa résonance… [12].

Dans l’art abstrait, dans le cubisme notamment, ces tonnes et ces couleurs, ces éléments abstraits sont agencés dans une perspective qui défit le normal, l’ordinaire ; les lignes et les contours ne respectent plus les plans horizontal et vertical. D’où une certaine bizarrerie émanant des œuvres de l’art abstrait. Les différents éléments se rencontrent, se chevauchent, se recoupent sans perspective précise, sans plan unique. Une forme d’incohérence créée précisément par cette diversité d’éléments, de lignes, de points, de formes mais également de couleurs (cf. Picasso, Pichet, Bol et Fruits, 1931 et Portrait de Nush, 1937). Et cependant, au bout du compte, le tout reflète bien une cohérence et une unité.

Dans ces productions (voir également Braque : Le Billard, 1954 et Kandinsky, L’Arc noir, 1912), l’harmonie, au sens classique en tant que symétrie et égalité de deux parties d’un tout, disparaît ; une autre harmonie apparaît, dans laquelle n’existent ni axe central, ni deux parties identiques en tous points. Ici l’harmonie semble résider dans la cohérence et l’unité de l’ensemble ; les différents éléments ne se présentent plus opposés, parallèles, équidistants et égaux ; ils sont plutôt différents, tant du point de vue de la grandeur que de la couleur. Sur L’Arc noir de Kandinsky, nous découvrons une infinité d’éléments (plus de 30) et plusieurs couleurs aux nuances variées. Ces éléments ne sont disposés ni selon un plan déterminé ni selon un axe. Et même si on traçait un axe imaginaire au milieu du tableau, on n’aurait pas deux parties identiques : l’unité du tableau disparaîtrait, laissant place à deux ensembles inachevés, mutilés. Si on ôtait une partie ou un élément, tout s’écroulerait, perdant ainsi toute signification.

Cette structure des œuvres de l’art abstrait défie la raison et les habitudes mentales ; habitué à l’harmonie et à la symétrie dans les objets et les oeuvres d’art, l’esprit semble agressé et perturbé par les bizarreries que lui propose l’art abstrait : il est dérangé. Mais en scrutant plus attentivement ces nouvelles créations, il se surprend à y découvrir un autre ordre, une certaine harmonie inhabituelle ; alors elles lui apparaissent bien expressives.

Dans l’art abstrait, la beauté ne se définit donc plus par l’harmonie faite d’égalités, de proportions, d’équidistances et de symétries.

La conception traditionnelle de la beauté dans l’art classique est ainsi subvertie. L’art abstrait introduit donc de nouvelles perspectives et de nouvelles normes artistiques et esthétiques : dans les œuvres, aucun plan ne sert de référence ; toutes les perspectives sont des possibles ouverts car sur un même tableau par exemple, les lignes peuvent être simultanément verticales, horizontales, obliques, en circonférence, etc. ; l’imitation n’est plus un principe dans la création artistique. L’essentiel, c’est que l’œuvre d’art soit significative et expressive par la seule vertu de sa cohérence et de son unité.

La beauté ne se définit plus par la conformité et l’adéquation à un modèle ni par l’harmonie résultant à la fois de la symétrie, de l’égalité, de la proportion, etc. Le modèle de référence ayant disparu, il s’agit désormais d’apprécier l’œuvre en elle-même, en fonction de sa structure propre, de l’agencement de ses différents constituants, du jeu des couleurs et de leurs tonalités. Alors on découvre que la structure de l’ensemble, la combinaison des éléments internes, la coloration, etc. présentent une certaine cohérence, un ordre, un équilibre ; en sorte que l’ensemble est en définitive harmonieux.

  1. PICASSO ET LE CUBISME

Plus encore que Piet Mondrian, Kandisky et Paul Klee, c’est Picasso qui paraît incarner le plus authentiquement l’art abstrait sous ses aspects les plus variés, aussi bien par la diversité de son expérience, par l’évolution constante de son style que par l’abondance de ses créations [13].

Bien que les spécialistes retiennent plusieurs périodes dans le cheminement de Picasso, à chacune desquelles correspondent des styles et des œuvres spécifiques, il nous semble que la période du cubisme analytique, coïncidant avec la période dite « rose » (1904-1906) mais la débordant sur les années suivantes, traduit de manière pertinente la technique cubiste et détermine de manière décisive des œuvres magistrates de Picasso, de cette période et des périodes ultérieures (cf. Les demoiselles d’Avignon 1907, L’Autoportrait 1907 Femme nue au bord de la mer (Baigneuse), 1908-1909, Usine à Horta de Ebro, 1909, Jeune fille à la Mandoline, 1910, Portrait d’Ambroise Vollard, 1910, Femme assise dans un fauteuil, 1913, Les trois musiciens, 1921, Baigneuse, 1930, etc.).

Dès cette époque (1904-1914), les procédés cubistes sont montés et consistent globalement dans la réduction de l’espace en volume géométrique, la déconstruction en facettes, en « cubes » (cf. Usine à Horta de Ebro, Portrait d’Ambroise Vollard, Jeune fille à la Mandoline) et la modification de la perspective traditionnelle pour rapprocher les motifs du spectateur, au détriment de la profondeur. L’artiste peut ainsi, dit Apollinaire, « cubiquer ».

Le procédé de la « déformation expressive » consiste donc à altérer les apparences naturelles des objets et surtout du corps humain par leur réduction à des formes géométriques (volumes, cubes, carrés, rectangles, triangles), en des séries de plans discontinus et imbriqués.

Ainsi, dans la toile Deux femmes nues, 1906, les deux personnages, exagérément pesants et volumineux, reposent sur des membres qu’il a fallu raccourcir et épaissir pour équilibrer les grosses têtes et les troncs massifs (procédé caractéristique de l’art nègre). A cette oeuvre on peut rapprocher la Femme nue au bord de la mer (Baigneuse), peinte en 1908-1909 et dans laquelle les formes dodues s’équilibrent dans l’architecture du corps, les deux jambes sont disproportionnées et inégales, l’une étant plus longue que l’autre, et orientée vers l’arrière ; la jambe la plus courte est arquée et elle supporte, au niveau de la hanche, les deux fesses accolées et de profil ; le dos de la femme est voûté et au-dessus, toutes les deux épaules sont perceptibles. Ce tableau nous offre un des premiers modules de la technique picassienne de déconstruction et de déformation du corps humain. Effet de gaucherie ou pauvreté de l’imagination ? Que non ! Dans cette oeuvre de Picasso comme dans l’art nègre, il s’agit d’un effet voulu et savamment construit.

Ainsi, dans Usine à Horta de Ebro, 1909, en dehors des trois palmiers, dont les troncs sont d’ailleurs des cylindres, il n’y a que des formes géométriques (des rectangles, des carrés, des trapèzes, des parallélépipèdes) sur un fond (le ciel à l’horizon) également de formes géométriques qui s’estompent en haut à droite. Le peintre a pu ainsi donner l’apparence de trois dimensions. Avec le Portrait d’Ambroise Vollard, un an plus tard, la cubication et la déformation sont accentuées ; ici, Picasso opère une fragmentation systématique du personnage, des objets et de l’espace ; les apparences sont éclatées en facettes multiples ; mais cette décomposition n’empêche cependant pas la ressemblance du portrait au modèle car le génie de Picasso a pu réaliser, à l’aide de formes géométriques uniquement, un portrait assez fidèle de son ami et marchand de tableaux.

Les trois musiciens, 1921, marquent l’apothéose du style cubiste, dans lequel l’art se satisfait désormais de lignes, de cercles, de figures géométriques, de points, etc. L’artiste est alors dans la période du « cubisme synthétique », dans laquelle il réalise des œuvres à l’aide uniquement de formes et de figures qui, prises isolément, n’auraient ni sens ni fonction identifiables mais qui, par la manière dont elles sont traitées et combinées dans un ensemble, acquièrent une signification représentative. Ainsi deux cercles de chaque côté d’une ligne verticale deviennent des yeux, un trait horizontal au-dessous veut dire une bouche, etc. (cf. La femme fleur, 1946).

On peut ainsi dire que les styles cubistes de « cubication » consistant à procéder à des déformations, des distorsions, des dislocations et des altérations des apparences naturelles, aboutissent cependant à la réinvention des apparences par la création d’un nouveau langage pictural fait de lignes, de cercles, de figures géométriques toutes simples et de points.

Dans l’oeuvre de Picasso, c’est avec Les Demoiselles d’Avignon de 1907 que s’inaugure le style cubiste et c’est avec cette oeuvre que Picasso accomplit la première grande révolution artistique du XXe siècle : celle du regard ; mais en même temps, l’artiste ouvre une vision picturale radicalement neuve par la déconstruction de l’image traditionnelle de l’homme pour tenter de construire le vrai visage de la modernité [14] ; les formes naturelles sont brisées et de nouvelles organisations, angulaires et obliques fort peu réalistes, apparaissent.

Dans ce tableau des Demoiselles d’Avignon, il y a cinq jeunes filles.

Les trois demoiselles de gauche sont « ressemblantes », « normales », avec pour les deux de droite des nez biaisés, mais les formes traditionnelles demeurent ; cependant, leur regard demeure énigmatique comme celui des deux jeunes filles de droite : ce qui leur confère une certaine étrangeté.

Les deux jeunes filles de droite par contre ont un visage de forme géométrique, faite de lignes, de traits qui ne sont pas droits mais obliques : les rondeurs et l’harmonie ou la pureté des traits ont disparu ; les yeux ne sont pas au même niveau, n’ont pas la même grandeur et leur orientation n’est pas la même ; les visages ne sont pas de face mais de profil ; le nez est formé de deux traits parallèles fermés à l’une des extrémités par un autre trait ; la bouche est disproportionnée par rapport aux autres éléments du visage : trop petite pour l’une des demoiselles et trop large pour la seconde ; pour la première, c’est un trou et pour la seconde, un trait large à peine distinct du nez.

La structure de ces deux visages fait penser aux masques nègres. Certains spécialistes reconnaissent en effet, parmi toutes les influences ou sources d’inspiration de cette œuvre, les masques nègres que Picasso aurait vus au Trocadéro. Or ces masques nègres sont faits de signes, de lignes, de figures, de points à perspectives multiples.

Cependant, quelles que soient la vérité et la réalité des rapports entre Picasso et l’art nègre [15] et de l’influence du second sur le premier, les deux demoiselles de droite, avec leur « visage nègre », constituent la première expression de ce style nouveau de déconstruction : en elles et par elles apparaît le nouveau visage de la femme, le visage picassien de la femme. Dans ces visages, comme dans ceux qui suivront, les rondeurs et la pureté des formes, les égalités et les proportions, l’ordre et l’harmonie ont disparu. C’est le début de la subversion de l’imitation et de ses canons. La perspective unique est éclatée en plusieurs plans et en plusieurs directions ; la symétrie s’évanouit et avec elle les équilibres traditionnels.

Et pourtant, malgré la hardiesse des formes, l’étrangeté du regard et la nouveauté du visage, Les demoiselles d’Avignon sont considérées, avec Guernica, comme l’œuvre la plus célèbre de Picasso.

Avec cette œuvre, pour la première fois, l’art occidental et l’art nègre, considéré jusque-là comme un art primitif, ont des points de convergence, notamment un langage plastique semblable. En effet, c’est la période pendant laquelle Picasso introduit des innovations majeures et originales dans l’art : outre le langage des signes, de lignes, des traits, des formes abstraites, il introduit des matières humbles dans l’art, comme par exemple les papiers collés et autres matières de récupération. Dans Tête de taureau, 1943, une selle et un guidon de bicyclette sont assemblés pour faire une tête et des cornes. Ou dans La femme à la poussette, 1950, une vieille passoire sans fond sert de roue, des anses de poterie font figure de bras et de jambes de l’enfant, un vase de terre figure le chapeau et la tête de l’enfant et un tuyau de poêle est utilisé pour servir de jupe de la femme.

A l’exemple de Picasso, Braque commença à mêler du sable à sa couleur, Gonzales fit des sculptures de métal, etc.

Dans le premier chapitre de leur ouvrage [16], consacré à la création plastique africaine, Michel Leiris écrit : « En 1906-1907, Picasso peint ses Demoiselles d’Avignon dont la partie droite, où la forme est créée par la couleur apposée en traits parallèles et non par le clair-obscur, annonce le cubisme. Avec cette toile qu’avaient préparée d’autres œuvres de moindre format, Picasso inaugure son « époque nègre », caractérisée par des figures dont les traits violemment accusés ne laissent pas d’évoquer des spécimens alors connus de la sculpture africaine… A cette époque (1913-1914), Picasso possédait un masque de la région de Sassandra (Côte d’Ivoire), spécimen d’un type de masques dont la particularité la plus remarquable est celle-ci : la face est figurée par une surface plane, ou légèrement concave, sur laquelle, entre le front en encorbellement et la bouche parallélipépidique qui, elle aussi, fait fortement saillie, sont fixés, de part et d’autre d’une mince planchette répondant au nez, deux cylindres, ou troncs de cône reposant sur leur partie la plus étroite, qui avancent jusqu’à dépasser, dans certains spécimens, les parties saillantes et figurent les yeux. On a là une combinaison d’éléments quasi géométriques dont chacun, en même temps qu’il est perçu comme existant de façon relativement autonome, s’allie aux autres et prend valeur de signe dans le tout à partir duquel le spectateur reconstitue imaginairement le visage. La présence de celui-ci s’impose d’autant plus péremptoirement que l’objet échappe à l’espèce de suspicion que susciterait un faux semblant assimilable à un moulage sur nature ou à son imitation plus ou moins déformée, comme il en est de la plupart de nos sculptures en ronde bosse » (souligné par nous).

La rencontre de l’art nègre et du cubisme procède donc de raisons fondamentalement esthétiques : les formes simples et peu imitatives de l’art nègre et l’usage fréquent dans cet art des matériaux les plus humbles (fer, fibre, écorce, bois, coquillage, terre,. etc.) ont profondément marqué les cubistes ; un coup fatal fut alors porté au culte européen de la « belle matière » (marbre, peinture à l’huile, etc.).

Aussi, a-t-on pu dire qu’au moment où les sociétés occidentales vivaient, dès la fin du XIXème siècle, un grand malaise et arrivaient dans une impasse, l’art nègre apporta d’abord aux artistes européens les éléments d’un langage nouveau pour exprimer ce malaise, puis des possibilités de renouvellement artistique.

Daniel-Henri Kahnweiller [17] , historien du cubisme, dégageait ainsi tout le sens de la rencontre de l’art nègre et du cubisme, lorsqu’il écrivait en 1948 : « Ce sont les masques Wobé qui ont ouvert les yeux à ces peintres… La sculpture emblème remplace ainsi dans l’art européen la sculpture dérivée des moulages sur nature, ouvrant la voie à tout ce qui a été réalisé depuis… Une telle sculpture crée non seulement des volumes, mais encore, des espaces, comme l’architecture, agrandissant ainsi, magnifiquement, son domaine. C’est dans les masques de la Côte d’Ivoire que les peintres cubistes avaient découvert le principe de la sculpture transparente, principe qui a été pour beaucoup dans leur action libératrice et constructrice. Le moyen dont s’étaient servis les auteurs des masques Wobé pour créer la forme, ils l’avaient employé, eux aussi. Ce qui plus est, en ce faisant, ils avaient compris le pouvoir des « signes plastiques », des « emblèmes », en dehors de toute imitation. L’admirable liberté de l’art de notre temps qui lui ouvre des perspectives inouïes, nous la devons à l’exemple de l’art nègre ».

 

VI – L’ART AFRICAN

Les oeuvres de l’art africain traditionnel présentent une certaine unité qui procède de caractéristiques communes : styles semblables, pratique des signes plastiques et des emblèmes, structure identique dans tous les objets de la sculpture, etc. C’est un art qui, selon l’ethno-esthétique, se bornerait à des indications. Ce qui confère un cachet particulier à l’architecture des objets d’art africain.

Dans la sculpture africaine traditionnelle, l’objet serait généralement taillé directement sur la masse de bloc extraite de l’arbre. Il en porterait ainsi la marque (forme cylindrique du bloc de bois) et sa structure générale refléterait celle du bois à partir duquel il est taillé.

Dans cet objet d’art, la tête est toujours grosse et disproportionnée par rapport aux autres parties du corps ; le nez est à peine indiqué, au figuré par un léger trait vertical ; les yeux sont de simples lignes ou de losanges percés d’un trou ; la bouche est un trait horizontal ou une balafre brutale ou un petit cercle ; le menton ou la barbe forme une saillie rectiligne. Le cou, comme le tronc, est un cylindre parfait ; il est généralement long et mince ; lorsqu’il s’agit d’une statue de femme, les seins pointent comme des obus ; le nombril est saillant ; le ventre est plat, voire creux ; le sexe est grossièrement développé.

Les membres, supérieurs et inférieurs, sont des combinaisons de cylindres et de polyèdres et ne se meuvent, exceptionnellement, que dans d’étroites limites ; ils sont généralement collés au corps. Mais lorsque des bras abandonnent leur position-type, serrée au corps et pliés à angle droit, ils sont timidement élevés aux côtés de la tête ou alors les mains sont posées sur les genoux ; ces mains seraient creusées avec la netteté d’une cuillère et les doigts seraient collés ; les jambes, en général fléchies aux genoux, imposent un strict alignement des pieds, parfois la statue s’agenouille, s’assied ou s’accroupit. La tête fait front ou, très rarement, se tourne de quarante-cinq degrés. Les membres inférieurs sont généralement grêles et rigides ou atrophiés et plus courts que nature ; fait surprenant chez des populations dont les jambes sont habituellement longues.

La masse cylindrique du tronc, le traitement des bras et la structure générale des objets sont pratiquement identiques dans toute la statuaire noire.

L’anatomie [18] des objets d’art africain, de la statuaire en particulier, révèle dans des formes géométriques, des disproportions des différents éléments, des signes (points, cercles, traits, etc.) qui font disparaître la pureté des formes, le raffinement des traits et donc l’harmonie. Il s’agit donc d’un art peu imitatif, pour lequel l’adéquation et la conformité de l’œuvre et du modèle ne constituent plus des impératifs plastiques ; conséquemment, aucune symétrie ne se dégage des œuvres de l’art africain.

Par la pratique de ces signes et formes géométriques, l’art africain traditionnel a créé des styles propres, que l’ethno esthétique a appelés styles déformateurs et géométrisants.

Cet art serait un art conceptuel dans lequel l’artiste extrait, après observation et analyse des modèles sensibles, les traits dominants, les attributs essentiels du modèle : la simplification des motifs naturels conduit à l’élaboration de ces formes géométriques ; l’artiste généralise les aspects au lieu de tendre au portrait. Loin de reproduire avec exactitude une figure ou de fournir une interprétation intellectuelle des formes naturelles ; il s’efforce de suggérer et de représenter à l’aide de signes, de symboles, de lignes et de cercles. Ce qui demeure de la forme naturelle représentée, après la réalisation de l’œuvre, c’est ce qui permet la suggestion des attributs essentiels de la forme, et non pas cette forme visible elle-même.

L’invention des signes plastique permet ainsi de signifier assez fortement les réalités du monde extérieur. Or, une sculpture africaine, dit Daniel-Henri Kahnweiller [19] est « signe, emblème, dans son ensemble comme dans chacun de ses éléments ; elle aboutit, dans l’imagination du spectateur, à la création de la réalité signifiée. Ce sont des signes que ce bras, cette jambe, cette poitrine, ce sexe. L’ensemble même de la statue un signe. Le résultat de la « lecture » de ces signes, c’est un homme, une femme, reconnaissables même, pour le connaisseur, comme originaires de telle région, membres de telle tribu, tel clan. L’essentiel, uniquement, est signifié ».

Cette pratique des signes plastiques et des emblèmes témoigne de la liberté dont jouit l’artiste dans son activité. Cette liberté est encore accrue par l’usage fréquent des ornements, des juxtapositions et des combinaisons et par l’emploi des matériaux de récupération (clous et collages, perles et cauris, fibres et objets divers en cuivre, en laiton ou en argent, etc.).

L’art africain traditionnel n’est donc ni un art imitatif, ni un art descriptif. Il est libre, dit Jean Laude [20] , « à l’égard de la copie du réel, il n’emprunte aucun trait à la vision directe. Mais pour définir – ou plus exactement pour qualifier – un élément de réalité, il invente des signes qu’il combine entre eux et dont le sens varie selon leurs combinaisons, ou n’apparaît qu’en elles…La sculpture africaine n’étant – ni ne devant être – confondue avec l’être à l’image duquel elle est taillée, le sculpteur ne stylise, ni n’interprète, ni n’imite les apparences de cet être. Devant signifier – et non pas reproduire -l’homme ou l’animal, elle est strictement conçue comme un agencement de formes ».

Dans les styles africains, il y a ainsi des éléments qui sont valorisés, mis en relief, exagérés par rapport à d’autres, qui eux, sont le plus souvent négligés, insignifiants ou tout simplement atrophiés dans la structure d’ensemble des objets. Il s’agit là des éléments déterminants : la tête, le ventre, le cou, les seins, les fesses, etc. ; un ou plusieurs éléments à la fois peuvent être déterminants. Ils sont tantôt situés sur la tête, sur la poitrine avec les seins, tantôt sur les fesses, sur les jambes, etc. Ainsi, dans une même oeuvre, toutes les parties ne se retrouvent pas dans la même échelle ; les proportions ne sont pas rigoureusement respectées.

D’une manière générale, les artistes africains se sont efforcés d’incarner dans leurs créations les canons esthétiques en vigueur dans leurs sociétés. Les détails signifiants ne précèdent pas toujours et nécessairement de préoccupations magico-religieuses ou d’une incapacité technique de maîtriser les matériaux, incapacité qui serait due à l’archaïsme et à l’imperfection des instruments de travail.

Au contraire, l’architecture des objets est savamment préméditée par l’artiste. Elle réalise et révèle la nature profonde d’un style. Elle ordonne et groupe les traits de détails qui n’acquièrent souvent de sens que par la place et l’importance qui leur sont accordées dans l’ensemble. De sorte qu’en dehors de ces détails, facteurs de déformation et de distorsion, le reste de l’œuvre se présente comme une ébauche. L’artiste oblige ainsi à percevoir d’emblée ces détails et à reconnaître qu’en dehors d’eux, finement et amoureusement travaillés, le reste de l’œuvre demeure un support.

Cette conception des détails signifiants, qui crée des styles, a fait dire à un vieil artiste africain [21], au sujet des bronzes d’lfé : « si ces derniers se présentent toujours sans tronc et sans membre, c’est que ces dernières parties n’étaient pas importantes dans l’esprit de leurs créateurs ; c’est le visage qu’on veut perpétuer dans le temps et transmettre aux générations futures. Dans un portrait de chef, l’essentiel, c’est la tête. Les artistes Yoruba de l’époque partageaient le même point de vue ».

Cette structure des objets de l’art africain et les styles déformateurs sont conformes à l’esprit et à la pensée négro-africains, qui, à la différence de la pensée et de la rationalité occidentales, refusent la dichotomie et la dualité, tant dans l’ordre du réel que dans celui de la pensée. On sait en effet que la pensée occidentale est entièrement bâtie sur une logique bivalente (la logique d’Aristote) sur la base de laquelle le raisonnement procède en dichotomisant et en dualisant ; les oppositions suivantes sont devenues dans le rationalisme occidental des constantes : vrai/faux, être/néant thèse /antithèse, intelligible/sensible, bon/mauvais, etc. [22].

Or l’esprit et la pensée négro-africains ne dualisent ni ne dichotomisent ; le réel est constitué d’unités distinctes, non opposées : différentes mais non symétriques

Ce qui se révèle dans l’ordre de la pensée mais également dans la musique, la danse et les pratiques sociales africaines. Par exemples, dans la musique d’un orchestre africain constitué de plusieurs tams-tams, de grandeurs variables, une oreille non avertie croirait percevoir une cacophonie à la place d’une musique ordonnée, selon un tempo et un rythme précis. En réalité, malgré la diversité des sons des tam-tams, la musique de l’orchestre recèle bien une harmonie car l’orchestre comporte un chef qui organise et dirige l’ensemble ; mais cette direction n’ôte pas toute liberté d’initiative et de fantaisie aux auxiliaires. D’ailleurs les libertés et les fantaisies elles-mêmes s’intègrent parfaitement dans la musique d’ensemble. De la même manière, dans la danse africaine, ce qui a particulièrement frappé les observateurs étrangers, notamment les ethnologues du début du XXe siècle, ce sont les déchaînements, les débordements et la frénésie ; il apparaît en effet que dans la danse africaine, plusieurs danseurs sur une même scène peuvent exécuter des mouvements différents et variant d’un danseur à un autre, chacun selon un rythme qui différerait de celui des tams-tams et de celui des autres : une incohérence et un désordre qui semblent absolus ! En réalité, comme pour la musique, il n’y a ni désordre ni incohérence ; simplement, il n’y a pas un seul ordre mais des ordres, pas un seul rythme, mais des rythmes correspondants aux différents acteurs sur scène. Tous ces rythmes et ordres créent un ensemble coloré et complexe, qui exprime la vie. C’est pourquoi, la musique et la danse africaines sont si vivantes [23]. Or, la vie ne se laisse ni schématiser ni dichotomiser ; elle est mouvement, évolution, dynamisme Aussi, quelle qu’en soit la forme (sculpture, peinture, musique ou danse, etc.) l’art africain n’exprime ni ne réalise des régularités et des formes linéaires, des symétries absolues et des égalités immuables.

C’est cet esprit négro-africain qu’un jeune architecte sénégalais, Pierre Goudiaby Atépa [24] , pourtant formé en Occident, a voulu traduire et incarner dans ses créations architecturales. Pour lui, ce qui différencie fondamentalement la pensée et l’esprit négro-africains de la pensée occidentale, ce sont les oppositions, le dualisme, la rigueur cartésienne et la logique formelle en vigueur dans le rationalisme occidental. Dans une interview à Jeune Afrique [25], Pierre Goudiaby dit justement : « … dans l’art africain, le désordre n’est qu’apparent ; il renferme une structure cachée ; il est fait de rupture, de rythme et de mouvement ».

Cet esprit inspire et guide sa pratique architecturale. L’architecture sera donc pour lui un moyen d’illustration de l’esprit et de la pensée négro-africains et de manière plus fondamentale, du parallélisme asymétrique. Il dit, dans la même interview à Jeune Afrique, que « le parallélisme asymétrique n’est qu’une source d’inspiration et de recherche ».

Mais dans le fond, il s’agit de créer une autre architecture, en rupture avec l’école et les canons de l’architecture occidentale. Cette architecture apparaît bien, à la lumière des réalisations de Pierre Goudiaby et des spécimen que nous avons pu observer [26], originale et novatrice.

Dans les constructions réalisées par Pierre Goudiaby dont des images figurent sur le document qui nous a été offert, on décèle deux types de formes : les formes pyramidales sont plus fréquentes, suivies et où s’accompagnant des formes rondes ; de sorte qu’il y a très peu ou pas de formes carrées ou rectangulaires, comme dans l’architecture occidentale ; dans les rares cas où la géométrisation intervient, sa prégnance est atténuée par les rondeurs : les tours sont fréquentes dès que la construction prend de la hauteur. Les réalisations de Pierre Goudiaby comportent peu ou pas d’angles droits [27]. Il s’agit d’œuvres à allure élégante et racée, dans lesquelles le gigantisme du béton semble banni.

Ainsi, les constructions à faible hauteur, comme les maisons d’habitation, les villas, etc., ont une structure pyramidale ; ce qui leur confère une allure « bâtisse » ou « bateau », sans cependant de caractères massif et ramassé : l’Ecole de Gestion des Entreprises à Dakar, « Les Pyramides » et l’Agence de la SGBS en zone industrielle constituent des exemples de ce type de construction.

Dans cette première catégorie fait également partie l’immeuble de l’Agence nationale de la BCEAO, avec cependant des particularités certaines. Bien que de forme pyramidale, l’immeuble est une bâtisse peu élevée, ne comportant ni colonnes, ni axe central ni non plus parties distinctes, opposées ou correspondantes et parallèles deux à deux ; il n’y a que des éléments et des parties qui coexistent. La base n’est ni un cercle parfait, ni un rectangle ni une figure géométrique précise ; elle est constituée de plusieurs parties, dont les perspectives et les orientations sont différentes ; ces parties et plans constituent des unités autonomes, différenciées, individualisées.. Les couleurs dominantes sont le beige, le jaune, la châtaigne, le marron et le bleu. Sur le bâtiment comme autour de lui, des espaces verts et des parterres sont aménagés.

Mais, lorsqu’il s’agit d’immeubles à plusieurs étages, donc très élevés, même si la base est pyramidale, comme l’immeuble de la Caisse nationale d’épargne à Pointe-Noire (République du Congo), le reste de l’œuvre se présente sous forme de tour (des formes rondes qui, dans certains cas, se combinent aux formes géométriques).

Le siège de la BCEAO à Dakar semble être la synthèse de toutes ces formes pyramidales et rondes : dans sa forme générale, l’immeuble est une tour dont la base est pyramidale ; l’immeuble symbolise un gigantesque baobab dont les racines (les colonnes du bâtiment) s’enfoncent dans la terre.

Cependant, malgré les dimensions de ces constructions (il s’agit parfois d’immeubles comportant une vingtaine d’étages), nulle impression de gigantisme ne s’en dégage : ce sont à la fois des réussites heureuses au plan technique et des merveilles au plan esthétique, par leur allure élégante et leur sveltesse.

L’idée de pierre Goudiaby selon laquelle le désordre renferme une structure cachée et qu’il est fait de rupture, de rythme et de mouvement, est matérialisée par l’immeuble de l’Agence de la BCEAO de Ziguinchor, dans lequel une multitude de crochets, à l’extérieur et au niveau de chaque étage, créent une impression de désordre : éléments de décor, ils créent des équilibres dans l’ensemble de l’immeubleet peuventservir de balustres ; il s’agit donc de détails dans l’ensemble mais qui s’y intègrent parfaitement tout en lui donnant un cachet particulier [28].

Les particularités structurales des constructions de Pierre Goudiaby sont encore accentuées par l’usage de couleurs claires et tendres, dans lesquelles l’ocre domine, suivi du beige et de couleurs vivantes (vert, bleu notamment), au lieu du blanc et du jaune habituels.

La plupart des réalisations architecturales de Pierre Goudiaby que nous avons pu observer s’accompagnent d’un aménagement, soit sur certaines parties des constructions, soit tout autour, d’espaces verts et de parterres : expression de son souci d’intégrer la dimension écologique à l’architecture afin que celle-ci préserve la vie et ne s’en écarte pas ; il instaure ainsi une harmonie entre l’œuvre architecturale et son environnement naturel, alors que l’architecture de type occidental avait l’habitude d’implanter dans les milieux africains des corps étrangers, immenses et massifs.

Ainsi, non seulement par les formes et l’allure mais également par les couleurs, l’architecture de Pierre Goudiaby est en rupture avec les canons de l’architecture traditionnelle occidentale. Mais surtout par les formes qu’elle réalise, par les détails signifiants et par ses couleurs de prédilection, cette architecture, comme le dit Pierre Goudiaby lui-même, « ne laisse pas indifférent : elle est agréable et joueuse.

Une certitude désormais : Pierre Goudiaby Atépa a su créer un style architectural original et « africain » et dont les caractères propres le rapprochent des styles dits déformateurs et géométrisants de l’art africain traditionnel. En cela il est héritier de la grande tradition plastique africaine.

De nos jours, cette architecture fait l’unanimité en Afrique noire, car les Africains ne s’y sont pas trompés, eux qui sollicitent désormais les services du cabinet d’architecture de Pierre Goudiaby pour la construction d’édifices tant à Dakar que dans les autres régions du Sénégal, à Banjul et à Bissau, à Niamey et à Pointe- Noire, à Conakry et à Lomé, au Zaïre et au Cameroun, etc.

CONCLUSION :

Louis Pasteur, le grand savant français, disait : « L’univers, c’est ma conviction profonde, est dissymétrique ». Mais cette dissymétrie n’est ni manifeste ni décelable aisément, d’autant que les vieilles habitudes perceptives nous incitent à voir partout des symétries, des égalités et des équilibres comme si ceux-ci constituaient l’essence des choses, des êtres et de l’univers tout entier et la condition de leur intelligibilité (cf. les principes de la raison et ceux de la logique). Or, au plan logique, l’instrumentation progressive de l’observation scientifique et son perfectionnement constant traduisent bien le caractère approximatif des connaissances acquises par nos organes des sens ; les symétries, les égalités et les équilibres perçus partout par ceux-ci ont bien des chances d’être des illusions.

La dissymétrie et les inégalités sont en réalité partout : dans le réel et dans la pensée, dans les choses et dans les êtres, dans l’art occidental et dans l’art africain ; les difficultés des théories de l’imitation et l’incapacité des artistes imitatifs à réaliser les symétries et les égalités parfaites dans les reproductions des modèles naturels, les formes audacieuses et fantaisistes de l’art abstrait et du cubisme, les déformations et les distorsions de l’art nègre, les constructions rondes et pyramidales de l’architecture de Pierre Goudiaby, etc., sont autant d’exemples de la réalité et de la permanence de l’asymétrie dans les œuvres de civilisation. Aussi, bien que l’ordre, l’harmonie et l’équilibre soient des exigences de l’esprit constitué d’habitudes, il y a lieu de se convaincre que la conception traditionnelle du Beau est devenue trop étroite pour traduire et recouvrir tout le champ sémantique de l’esthétique. Charles Baudelaire disait déjà que le Beau est bizarre, traduisant bien ainsi la nécessité de bousculer nos habitudes commodes de percevoir, et de voir également le Beau ailleurs que dans l’harmonie, l’équilibre et l’ordre.

L’esprit humain, par paresse et par souci de quiétude, refuse souvent d’être dérangé dans ses habitudes. Cependant, les formes variées et audacieuses de l’art moderne (cf. le pop art par exemple), par la révélation des immenses possibilités d’expression de la créativité artistique, devraient imposer la nécessité de réviser plusieurs concepts et théories esthétiques. La découverte du parallélisme asymétrique dans l’art s’inscrit dans cette perspective de renouvellement de l’esthétique et elle est le fait d’un esprit averti qui ne se complaît pas dans le confort des vieilles habitudes de percevoir et de penser.

BIBLIOGRAPHIE

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TARDE, Gabriel de. Les lois de l’imitation, Paris, Flatkine, 1979.

 

[1] C’est ce que nous a fait percevoir le Président Léopold Sédar Senghor au cours d’un entretien qu’il nous a accordé à la fin du mois de mars 1986, à l’aide d’exemples concrets sur les oeuvres d’art de son salon et de son bureau

 

[2] cf. Tarde, Gabriel de. Les lois de l’imitation, 1980.

 

[3] Peintre français et élève de David, Ingres est un des champions du classicisme en France au dix-neuvième siècle.

 

[4] Durer, Albert. Traité des proportions du corps humain, Da Costa, 1975.

 

[5] Lalo, Charles. Introduction à l’esthétique (Paris, Armand Colin, 1912).

 

[6] Baudelaire, Charles. (Oeuvres complètes (Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1954).

 

[7] Mottier, Georges. Le poète de l’Art (Dijon, imprimerie Darantiere, 1936, p. 205).

 

[8] Hegel, Friedrich. Friedrich Paris, Aubier, 1964).

 

[9] Mottier, Georges, op. cité, p. 219

 

[10] Huyghe, René. Les puissances de l’image (Paris, Flammarion, 1965).

 

[11] Piet Mondrian a cultivé l’art abstrait sous sa forme la plus radicale, en réduisantla peiture à un assemblage de rectangles et de carrés recouverts de couleurs pures

 

[12] Kandinsky, Wassily. Les puissances de l’image ( Paris, Denoël-Gonthier, 1910

 

[13] Il n’est pas dans notre intention de retracer tout l’itinéraire de Picasso, ni de cerner tous les aspects et la richesse de son oeuvre, mais seulement de faire percevoir le rôle de Picasso dans la subversion des arts imitatifs et des théories classiques. A cette fin, nous examinerons quelques-unes de ses oeuvres qui illustrent parfaitement la « manière cubiste » qui, chez Picasso, semble avoir emprunté aux arts nègres.

 

[14] Dominique Bozo dit justement dans « Le modèle en questions (in Le courrier de l’UNESCO, décembre 1980, pp. 47-50) que Picasso a non seulement déformé la nature, les objets, l’homme lui-même, mais aussi et surtout il a osé « défigurer », mutiler le visage de la femme.

 

[15] Ces questions sont topujours discutées puisque Picasso aurait dit qu’il ne connaissait pas l’art nègre et puisque certains spécialistes tendent à réduire voire à négliger l’influence de l’art nègre sur la plastique picassienne

 

[16] Leiris, M. et Delange, J. Afrique noire. La création- plastique, Paris, Gallimard, 1967, 1ere partie, chapitre 1er La « crise nègre » dans le Monde Occidental, pp. 8-11.

 

[17] Kahnweiller, Daniel-Henri. « L’art nègre et le cubisme », Présence africaine (no3, Paris-Dakar 1948, p. 277).

 

[18] Cette anatomie a suscité beaucoup d’hypothèses et a été expliquée diversement par l’ethnoesthétique. Sur toutes ces questions, nous renvoyons à notre étude : Création et imitation de l’Art african traditionnel Dakar. IFAN- Ch.A.Diop, 1984, chapitre 7 ; en voie d’édition.

 

[19] Kahnweiller, Daniel-Henri. op. cit, p. 373.

 

[20] Laude, Jean. La peinture française (1905-1914) et l’Art nègre , Paris. Editions Klincksieck, 1968.p. 35.

 

[21] Propos rapportés par Niangoran-Bouah (Georges). Négritude et Art nègre traditionnel (Paris, présence africaine, 1972. p. 114).

 

[22] Léopold Sédar Senghor a particulièrement insisté sur ces oppositions dans la pensée occidentale et sur les différences de celle-ci avec la pensée négro-africaine ; voir à ce sujet son ouvrage : Liberté I, Négritude et Humanisme », Paris, Editions du Seuil, 1964.

 

[23] Cependant, la danse africaine moderne, notamment celle de Germaine Acogny, montre bien la possibilité d’ordonner et d’exécuter la danse, même chez les Africains, selon une logique, un rythme et une chorégraphie déterminée. C’est donc que la frénésie, les débordements et les déchaînements de la danse africaine traditionnelle apparaissent bien comme des habitudes mentales, des habitudes de comportement, d’agir et de faire, non dépendantes d’une nature africaine immuable, figée : les noires peuvent bien danser autrement et rationnellement.

 

[24] Atepa signifierait en Joola, sa langue maternelle, le bâtisseur

 

[25] Il nous a fait remettre un document comportant une présentation de son cabinet, des coupures de presse et des photographies de quelques spécimen de ses réalisations. Auparavant, au cours d’un bref entretien le lundi 19 janvier 1987, il nous a exposé très sommairement ses conceptions, notamment le parallélisme asymétrique.

 

[26] A Dakar, nous avons pu visiter certaines des créations de Pierre Goudiaby, notamment l’Ecolo supérieure de Gestion des Entreprises, « Les Pyramides » qui abritent son cabinet, le chef-d’oeuvre du siège de la BCEAO et l’Agence de la Société générale de Banque dans la zone industrielle à Dakar.

 

[27] Il disait à ce sujet, dans une interview accordée a Bingo : « J’aimais beaucoup les ronds et pas du tout les octogonales qui me paraissent plus cartons. Un jour on m’a demandé pourquoi dans ce que je faisais il n’y avait jamais d’angle droit. J’ai alors pris l’exemple du corps humain et j’ai dit : si dans le corps humain vous trouvez un angle droit, je vous paie tout ce que vous voudrez… ».

 

[28] De tels détails et les diverses fantaisies confèrent une originalité certaine à l’architecture de Pierre Goudiaby. Cependant, détails, fantaisies et originalité ne signifient nullement que cette architecture est irrationnelle et antiscientifique. L’architecture, d’une manière générale, est une science et une technique, enseignées dans des structures de formation scientifique ; et par conséquent, toute architecture comporte nécessairement de la rationalité et de la logique.