Développement et Sociétés

L’ALLEMAGNE FEDERALE ET LES PROBLEMES MONDIAUX

Ethiopiques numéro 16

Revue socialiste de culture négro-africaine

Octobre 1978

L’Allemagne Fédérale et les problèmes mondiaux [1]

Je dis, pour mon pays et pour ses citoyens : nous souhaitons et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir dans ce sens que les peuples aboutissent à une paix durable.

C’est par ces paroles que j’ai introduit mes propos devant la 10 ème Assemblée Générale extraordinaire des Nations Unies à New-York, et je les répète ici, en y réfléchissant profondément, devant une Assemblée de parlementaires.

Je sais par expérience que surtout les parlementaires ont l’habitude, même alors que les points de vue sont divergents, de parvenir avec patience et tolérance à des solutions communes.

A l’intérieur comme à l’extérieur, le Parlement est un centre de l’entente pacifique.

Si vous, chers collègues, répondez à cette pensée lors de votre conférence annuelle de Bonn, également pendant les discussions de thèmes controversés, vous aurez alors déjà accompli une partie de votre tâche : vous aurez servi les hommes dont vous assumez le mandat.

Moi-même, j’ai ressenti cela de la même façon en 1960, en tant que délégué à la Conférence de l’Union interparlementaire à Tokyo.

Il y a 70 ans, l’Union interparlementaire a siégé pour la première fois en territoire allemand, et elle y a siégé pour la seconde fois il y a 50 ans. Lors de la première conférence, organisée à Berlin en 1908, 18 nations étaient représentées : lors de la seconde rencontre dans cette même ville, en 1928, les délégations étaient déjà au nombre de 38. Le fait qu’aujourd’hui des représentants en provenance de 72 Etats soient rassemblés ici, dans cette salle, illustre la viabilité de la pensée de l’Union interparlementaire.

Qui peut regarder en arrière sur une longue expérience politique, connaît aussi la force que peuvent engendrer les contacts personnels entre ceux qui assument une responsabilité politique et parlementaire. Sous cet aspect également, je suis heureux que mon pays soit, cette année, le cadre de rencontres de ce genre.

Eléments de la sécurité

Dans l’intérêt de la paix, nous avons aujourd’hui besoin d’une vaste coopération politique entre partenaires dans le domaine de la sécurité. Cette coopération doit être coercitive pour tous les Etats du monde, indépendamment des conditions et objectifs sociaux et politiques.

Dans ce concept doit s’inscrire une politique de l’équilibre politique, stratégique et militaire, une politique de détente, d’endiguement des conflits et de l’accord des intérêts. Cela implique la capacité de maîtriser efficacement les crises et, enfin, la capacité de prévoir et de calculer le comportement militaire mais également le comportement politique d’autres pays.

Europe

Dans notre monde interdépendant, nous sommes à la recherche de facteurs d’ordre qui ne peuvent avoir pour nom ni domination, ni hégémonie. Je crois que dans l’ordre mondial futur, les groupements régionaux joueront un rôle important.

En Europe, nous avons à présent atteint le point où ce groupement a également besoin de la légitimation démocratique directe. C’est pourquoi, au cours de l’année prochaine, sont prévues les premières élections au suffrage direct du Parlement européen ; les citoyens des Etats membres participeront ainsi davantage à l’œuvre d’unification européenne qui, de son côté, obtiendra, par cette légitimation démocratique complémentaire, une dimension nouvelle.

L’exemple de la Communauté Européenne en voie d’unification progressive peut -c’est mon opinion- être considéré également parmi les parlementaires de l’UIP, comme une bonne possibilité d’entente par-delà les frontières, et comme un signe prometteur pour leur travail.

Sommet économique de Bonn

Quelques semaines avant vous, les Chefs d’Etat et de Gouvernement de quelques pays industrialisés importants s’étaient réunis à Bonn pour un entretien au sommet portant sur des questions économiques.

L’une des déclarations essentielles faites au cours de cette Conférence se traduisit surtout dans la volonté, proclamée par tous les participants, d’aborder la solution des problèmes économiques mondiaux au moyen d’une vaste stratégie concertée. Chacun contribue de son mieux et suivant les nécessités aux objectifs communs.

Lors de cette rencontre au sommet, les chefs d’Etat et de Gouvernement ont contracté de vastes obligations mutuelles. A l’issue de la rencontre, j’ai souligné que personne ne devait perdre de vue que les Etats réunis à Bonn sont constitués en démocraties et que, pour remplir les obligations qu’ils ont contractées à Bonn, ils avaient besoin de majorités parlementaires. Je lance dès lors un appel aux organes législatifs intéressés et aux parlementaires de ces pays réunis dans cette salle, afin qu’ils adoptent les mesures législatives nécessaires pour que les mesures convenues ici puissent devenir efficaces pour le bien-être d’un grand nombre de personnes.

Dialogue Nord-Sud

Permettez-moi de réaffirmer ici mon opinion suivant laquelle des progrès dans le dialogue Nord-Sud constituent un préalable indispensable si l’on veut que soient résolus les problèmes économiques internationaux et que la paix et la stabilité soient assurées dans le monde. Un pays aussi tributaire des importations et des exportations que la République fédérale d’Allemagne doit se sentir particulièrement obligé en ce qui concerne le fonctionnement d’un ordre économique mondial libre.

Mon Gouvernement souhaite la pleine intégration des pays en voie de développement dans l’économie mondiale. Nous devons et nous voulons assurer aux pays en voie de développement l’égalité des chances à l’égard des pays industrialisés.

Nous savons que, pour ce faire, des processus d’adaptation difficiles sont nécessaires dans notre propre économie. Nous sommes également prêts à accomplir ces mutations structurelles. Nous pensons qu’à côté d’un accroissement de projets de développement publics, améliorés sur le plan quantitatif, des investissements privés et une plus large ouverture des marchés dans les pays industrialisés pour les produits en provenance des pays en voie de développement sont particulièrement bénéfiques.

La politique de développement n’est pas non plus une voie à sens unique. Face à la contribution des pays industrialisés se trouve celle des pays en voie de développement. Cela implique un climat de confiance en ce qui concerne la coopération politique entre partenaires, le sens de l’économie et la sécurité des investissements.

Il y a un peu plus d’un mois qu’ont été engagées à Bruxelles les négociations pour le renouvellement de l’Accord de Lomé entre la Communauté Européenne et des pays du Tiers-Monde. Ces négociations constituent, de même que l’aide renforcée de la Communauté Européenne, l’expression du souhait d’apporter, dans le dialogue Nord-Sud, des contributions concrètes et positives au développement économique et social des pays du Tiers-Monde et, partant, de contribuer à renforcer leur indépendance. Mon pays poursuit cette politique dans l’esprit d’une bonne coopération internationale entre partenaires.

Apartheid et politique raciale

C’est sous cet aspect que doit être considérée aussi notre attitude résolue à l’égard d’une politique de racisme, et d’apartheid. Le Gouvernement fédéral condamne les traitements différents appliqués aux hommes en raison de leur race et de la couleur de leur peau.

Nous avons, à plusieurs reprises, invité avec force le Gouvernement sud africain à renoncer à sa politique d’apartheid. L’Afrique du Sud doit savoir que l’époque où une réforme pacifique est encore possible par le dialogue constructif de tous les groupes de population vient à échéance. Nous exigeons une égalité de droits économique, sociale et, finalement, également politique de tous les hommes et groupes de populations.

Afin d’exercer une influence sur l’Afrique du Sud, nous entretenons un dialogue critique avec le gouvernement de ce pays, de façon à convaincre ce gouvernement que s’il persiste à poursuivre sa politique actuelle, il empêche d’aboutir à des solutions pacifiques du conflit et accroît le danger de voir l’Afrique devenir la scène de conflits internationaux.

Nous utilisons nos relations économiques afin de contribuer, par des mesures telles que le code de comportement de la Communauté européenne pour les entreprises européennes en Afrique du Sud de façon constructive aux modifications nécessaires. Cela ne signifie pas que nous excluions l’exercice d’une pression là où cela semble prometteur. Par contre, nous considérons comme prometteuse une politique de sanctions.

Une politique qui détruise aujourd’hui la base de la croissance des économies nationales africaines détruit également les chances et les espérances des générations futures dans ces pays.

Dans cet ordre d’idées, qu’il me soit permis d’observer également ce qui suit : il n’existe ni une coopération militaire ni une coopération nucléaire entre mon pays et la République d’Afrique du Sud.

Terrorisme/piraterie aérienne

La République fédérale d’Allemagne a fait de la lutte contre le terrorisme international un des points essentiels de sa politique. Sur son initiative, l’Assemblée Générale des Nations Unies a mis en place, en 1973, une Commission spéciale chargée d’élaborer une convention internationale contre la prise d’otages. A nous, les Allemands, notre expérience historique nous a aussi appris qu’il nous faut, dans notre propre pays, comme sur le plan international, imposer des limites à la violence criminelle débordante.

C’est à vous qu’il appartient de mettre à disposition les moyens nécessaires. Les contrôles indispensables, dans l’intérêt de tous les passagers, exigent la compréhension et la coopération de ceux-ci, mais également de la part des parlementaires, des diplomates et d’autres personnes occupant des fonctions officielles.

Mais afin d’aboutir à une meilleure dissuasion, il faut aussi faire comprendre aux criminels éventuels qu’il n’existe plus pour eux de refuges où ils peuvent séjourner impunément et aussi recueillir des fonds pour de nouveaux attentats. Dans ce but, mon Gouvernement s’est associé à ceux des Etats-Unis, du Japon et des Pays-Bas pour intervenir auprès de tous les gouvernements intéressés, afin qu’ils adhèrent aux Accords de la sécurité aérienne de Tokyo, La Haye et Montréal. J’aimerais vous demander de contribuer à ce que ces conventions soient appliquées dans le monde entier dans notre intérêt à tous.

Cela vaut également en ce qui concerne la Déclaration de Bonn eu égard au détournement d’avions déclaration qui fut adoptée il y a un mois, par les chefs d’Etat et de Gouvernement rassemblés dans le cadre du Sommet économique de Bonn. Cette Déclaration prévoit qu’un Etat qui, à l’avenir, ne punira pas ou n’extradera pas des criminels, et qui ne restituera pas un avion détourné, sera coupé du trafic aérien international.

Je voudrais, dès lors, ici également, lancer un appel à vos Etats afin qu’ils se rallient clairement et publiquement à cette Déclaration contre la piraterie aérienne. Pensez, à cet égard, aux hommes que vous représentez, mais pensez aussi à vous-mêmes et à vos propres familles.

Conclusion

Des Gouvernements seuls ne peuvent résoudre les multiples problèmes ni dans leur cadre national étroit, ni sur le plan international. Tous les citoyens de chaque pays sont invités à faire preuve de responsabilités civiques, les parlementaires des Parlements nationaux doivent répondre au devoir lié à leur mandat. Seule la coopération des citoyens, des parlementaires et des représentants gouvernementaux élus en leur sein pour une période limitée, peut permettre de résoudre les problèmes.

Nous sommes conscients de l’importance du système parlementaire, également de l’importance de l’opposition dans ce système. Nous avons besoin de correctifs, nous avons besoin de l’aptitude de trouver le compromis résultant de l’affrontement. Le moyen nécessaire à cet effet est la vertu de la tolérance. Le lieu approprié pour la pratiquer est le Parlement.

Puisse la ville de Bonn, puisse la République fédérale d’Allemagne, pendant ces journées, vous offrir ce lieu.

[1] Ce texte est l’allocution du Chancelier allemand Helmut Schmidt prononcée à l’occasion de la 65e Conférence interparlementaire tenue à Bonn du 3 au 15 septembre 1978.