Notes

LA REVOLUTION A FAIRE (A PROPOS DE : REVOLUTION AFRICAINE) DE PIRZIO BIROLI), DAKAR, NEA, 1982.

Ethiopiques numéro 34 et 35

revue socialiste

de culture négro-africaine

nouvelle série

3ème et 4ème trimestre 1983

volume I n°3 et 4

L’auteur étant présent à Dakar, nous avons voulu causer avec lui au moment d’écrire une Note sur son livre. Cette recension porte donc l’influence du discours direct de l’auteur après un entretien de deux heures.

A première vue le titre da l’ouvrage – « Révolution Culturelle Africaine » – pourrait donner lieu à une équivoque car c’est ainsi que Mao Zedong voulut définir la révolution de la Chine qui en réalité fut purement politique. Mais dès les premiers paragraphes de l’Introduction on s’aperçoit qu’il s’agit bien d’une révolution « culturelle » au sens propre.

Le sujet de la culture africaine et de son évolution dans le modernisme à partir des Indépendances n’est certes pas nouveau, ayant été l’objet d’un débat suivi depuis des années. Mais il nous semble que la manière dont il a été traité par Biroli place son ouvrage parmi les écrits les plus signifiants.

Un choix en la matière, à notre avis, devrait porter avant tout sur la forme et l’esprit des jugements qui sont formulés sur l’Afrique et les Africains, sur le caractère historiquement valable et constructif des analyses, finalement sur la « participation » réelle, ou sur l’« empathie », qu’un auteur manifeste à l’égard des peuples d’Afrique et de leurs problèmes. Il est clair en effet que des approches « ethnocentristes » (pour ne pas dire racistes), ou bien paternalistes, ou encore marquées par des idéologies d’importation, ne sont pas historiquement valables ni constructives, et c’est malheureusement le cas le plus fréquent que nous avons rencontré.

Très soucieux de bien se démarquer de ce genre d’écrits, l’auteur nous prévient déjà dans l’Introduction que son ouvrage « ne veut être qu’un « manuel de réflexion », sujet à toutes les cautions possibles, à toutes les vérifications sur des réalités que seuls les Africains sont habilités à interpréter ». Et afin d’assurer que son analyse se maintienne au niveau historique et culturel, sans dégénérer dans le débat politique, l’auteur prend une autre précaution : « tous les exemples ou références au sujet d’actes ou de faits impliquant des choix politiques négatifs sont volontairement présentés de façon impersonnelle, c’est-à-dire sans faire mention des pays, groupes, partis ou hommes politiques auxquels ils se réfèrent ». Et cela parce que « il ne sert à rien d’ajouter au péché le nom du pécheur », car « l’histoire, comme l’anthropologie, bien plus qu’à juger et condamner, sont appelées à expliquer et justifier ».

Ce sont les raisons qui nous font placer cet ouvrage parmi les écrits les plus valables, qui sont aussi les plus récents : à titre d’exemple ceux de Philippe Decraene, Pierre Biarnès et Jean-Claude Pomonti. On pourrait ajouter que dans notre cas il y a une dimension anthropologique-culturelle qui complète en quelque sorte les travaux précédents, essentiellement historico – politiques, et culturels seulement au sens large.

Le thème de la révolution culturelle africaine est traité suivant trois approches principales qui sont, dans l’ordre de l’accentuation, l’anthropologique-culturelle, l’historique et la socio-économique. Par rapport à ces approches l’élément politique reste en position absolument subsidiaire : une fois admise une réalité donnée et les problèmes qui en découlent, les solutions politiques sont laissées au libre choix de ceux parmi les Africains qui en ont la responsabilité, d’autant plus que souvent il y a plusieurs alternatives toutes également valables. L’auteur, par exemple, reste assez indifférent par rapport à la nature civile ou militaire du pouvoir, par rapport au parti unique ou au multipartisme, par rapport à des solutions socialistes ou libérales dans l’économie, car le problème, à son avis, n’est pas là : « il faut arriver à une façon africaine de gouverner », affirme-t-il.

Dans l’approche anthropologique il apparaît évident que Pirzio. Biroli est un élève de Gorges Balandier, mais au plan scientifique il y a une nouveauté : c’est la méthode d’analyse des sociétés humaines, qu’il applique le cas échéant aux sociétés africaines, notamment en vue du processus de déconditionnement culturel et de reconditionnement dans le sens de la culture africaine héritée de l’histoire. Cette nouvelle « grille » d’interprétation anthropologique des sociétés – qui est due à un anthropologue italien et dont le tableau schématique figure à la page 301 – corrige l’ancienne formule de Malinowski qui était fondée sur les « besoins » de l’homme : l’homme en effet, à la différence des animaux, a des besoins qui, s’exprimant de nécessité en des termes culturels, se traduisent en des « problèmes ». Cette nouvelle méthode d’interprétation a l’avantage d’être valable pour toutes les sociétés, sans distinction entre traditionnelles et modernes. C’est justement parce qu’elle se fonde sur les solutions qui sont appropriées aux différents « problèmes » qui constituent des constantes de la condition humaine.

Grâce à cette méthode rien évidemment n’échappe à l’analyse. Les problèmes actuels de l’Afrique sont examinés par rapport à toutes les sphères de la culture, de la société et de la personnalité. Puisque l’objet de l’étude n’est pas l’analyse des so­ciétés traditionnelles (thème d’un précédent livre, « Afrique Noire », pas encore traduit en français), mais bien le processus de déconditionnement et reconditionnement culturel qui est implicite dans un projet de révolution culturelle, ce dernier est examiné dans tous ses multiples aspects : les sciences de la nature (technologie et techniques), sciences humaines (économie, droit, sociologie), pouvoir social (formation de la volonté politique), développement de la personnalité (philosophie, art, religion). C’est avant tout cette approche systématique qui, à notre avis, impose cet ouvrage à l’attention.

La thèse générale (qui découle d’ailleurs des conclusions du premier ouvrage cité) est que l’impact de la colonisation fut négligeable sur la culture africaine si l’on considère les grandes masses de paysans éleveurs et pêcheurs, voire les 90 % des Africains ; mais qu’il fut dur au niveau des minorités urbaines et d’une partie des classes dirigeantes. Mais malheureusement – l’auteur le constate avec Balandier – ces minorités urbaines, ayant l’exercice du pouvoir politique et l’usage des signes, symboles, privilèges et biens matériels du modernisme importé de l’Ouest et de l’Est, constituent des « majorités sociologiques », capables tout à la fois de contrôler et de dominer la scène culturelle de l’ensemble de la société dans un sens culturellement expatrié. Il ne s’agit pas d’un « retour au passé » (sauf idéalement peut-être), mais bien de remettre la société africaine sur ses propres rails afin qu’elle puisse, elle aussi, contribuer à la « civilisation de l’Universel » sans être conditionnée et téléguidée de l’extérieur. Cette thèse, s’appuie sur l’histoire africaine, qu’il démontre de bien connaître, mais aussi sur une longue expérience personnelle au cours de 17 ans à tous les niveaux du dialogue « avec, dit plaisamment Biroli les chefs d’Etat dans leurs palais ou les chefs de villages sous les manguiers ».