Littérature

ÉVANESCENCE DES FRONTIÈRES ENTRE RÉALITÉ ET FICTION DANS EN ATTENDANT LE VOTE DES BÊTES SAUVAGES D’AHMADOU KOUROUMA ET MADAME BA D’ERIK ORSENNA

Éthiopiques n°96.

Littérature, philosophie, sociologie, anthropologie et art.

Raison, imaginaire et autres textes

1er semestre 2016

ÉVANESCENCE DES FRONTIÈRES ENTRE RÉALITÉ ET FICTION DANS EN ATTENDANT LE VOTE DES BÊTES SAUVAGES D’AHMADOU KOUROUMA ET MADAME BA D’ERIK ORSENNA

Ahmadou Kourouma, en 1998, et Erik Orsenna, en 2003, signent respectivement En attendant le vote des bêtes sauvages et Madame Bâ, deux romans qui, par-delà la fiction, proposent une relecture réaliste des réalités africaines du XXe siècle. En ce sens, Kourouma, dans un récit à forte résonnance orale, comme en atteste la structuration en « veillées », illustre comment la boulimie du pouvoir a piégé l’aspiration des peuples africains à l’émancipation après tant d’années de domination. Quant à Erik Orsenna, il se fonde sur sa connaissance de l’Afrique et de ses us et coutumes pour romancer comment la vision du monde des peuples au bord du « Fouta-Djalon » s’est heurtée à l’indifférence d’une France qui, reniant presque son passé, tourne de plus en plus le dos à l’Afrique, jadis sa terre de conquête.

Dans la perspective d’une étude comparatiste, deux questions vont principalement guider notre cheminement : comment En attendant le vote des bêtes sauvages et Madame Bâ parviennent-ils à établir un pont entre personnes historiques et personnages fictifs ? Comment l’écriture par son hybridité se charge-t-elle d’anéantir les frontières entre réalité et fiction ?

  1. DES PERSONNES AUX PERSONNAGES

La référence à la réalité est omniprésente dans les récits de Kourouma et ceux d’Orsenna. L’un assume les parallélismes entre faits historiques et faits narrés alors que l’autre, dans un propos fort ambigu, avoue plus qu’il ne cache son stratagème. Ainsi, une année après la publication de son troisième roman majeur, l’écrivain ivoirien se reconnaît dans les dispositions et typologies de ses personnages qui, peu ou prou, sont chargés de ses réalités :

« Les débuts de Maclédio, c’est un peu ma jeunesse. Ses expériences au début du roman sont un peu les miennes. Son voyage initiatique renvoie à mon errance personnelle. Koyaga en Indochine, c’est aussi moi. Les parcours de ces personnages sont les miens romancés » [2].

Le romancier aurait dû, à juste titre, continuer sa réflexion en disant que les personnages que Maclédio et Koyaga côtoient sont aussi des contemporains qui pour la plupart ont occupé des postes de responsabilité à divers niveaux et dans divers pays en Afrique. Mais avant de nous focaliser sur ses relations, disons qu’Orsenna, qui centre son récit dans un espace beaucoup plus réduit, le Mali, n’est pas moins impliqué que Kourouma dans ses récits. L’avertissement, pour le moins ambigu, laisse déjà transparaître une possible interchangeabilité entre ses personnages, son héroïne en particulier, et lui :

« Tous les personnages rencontrés et tous les événements relatés dans ce livre sont le fruit de l’imagination de l’écrivain qui n’aime rien tant que brouiller les pistes… […]

Pardon au Mali, pays que j’aime et dont je respecte les dirigeants, parmi les meilleurs d’Afrique. J’y ai placé une scène peu ragoutante que j’avais observée ailleurs (MB, 505) » [3].

Apparemment Orsenna aime tant « brouiller les pistes » qu’il habille la réalité des faits d’un faux-aveu. Mais son art de la réalité feinte est mis à rude épreuve par ses remerciements qui le font avouer à la fois sa transposition à l’échelle des personnages et la fiabilité de ses sources :

 

« Tenter de devenir Madame Bâ n’était pas une mince affaire. D’innombrables voyages me furent nécessaires et bien des lectures.

Ceux qui veulent en savoir plus sur la très riche culture soninkée liront avec bénéfice et vérifier avec passion : La société soninké, Eric Pollet et Grace Winter, Éditions de l’université de Bruxelles, 1971 ; Parlons soninké de Christian Girier, Paris, L’Harmattan, 1996.

Sur des points plus particuliers ils pourront aussi consulter le beau livre d’Adamé Bâ Konaré Parfums du Mali, Éditions Cauris, 2002, et l’article d’André-Marcel d’Ans : « Être forgeron dans le Mandé », in Revue de l’ACCT, 1992 » (MB, 501).

Il est donc clair, eu égard à tous ces aveux, que Kourouma et Orsenna se sont servis d’un fonds historique pour mettre en œuvre leur récit. Si nous prenons le premier exemple cité, nous nous rendons compte que les pérégrinations de Koyaga en quête d’initiation renseignent sur une page sombre de l’Afrique : celle des dictatures. Pour la dérouler, un détour par l’oralité semble nécessaire si l’on en croit la réflexion de Maurice Houis : « L’oralité n’est pas l’absence ou la privation d’écriture. Elle se définit positivement comme une technique et une psychologie de la communication » [4]. Il n’y a manifestement pas de barrières entre écriture et oralité mais plutôt une passerelle qui permet à l’écrivain-narrateur de puiser dans les réserves de l’histoire, sans faire figure d’historien. Par le biais des intermèdes qui séparent les veillées – des commentaires de narrateurs à cheval entre le fictif et l’historique –, s’insère une dose psychologique nécessaire à l’entreprise de jonction des deux entités. En effet, pour révéler la face hideuse du dictateur Koyaga, il fallait au narrateur une certaine impunité mais également une interpellation directe du concerné lui-même pour certains éclairages. D’où l’importance des veillées et du statut de griots-narrateurs, des récitants qui offrent aux écrits la liberté nécessaire pour explorer le monde complexe et cruel des dictateurs. Mais, et cette remarque a toute son importance, étant donné que Kourouma lui-même revendique, entre autres, l’identité de Maclédio, il affirme implicitement que les faits qu’il narre, quoique historiques et véridiques, sont lisibles sous l’angle de la fiction. En plus, il se met à l’abri, en sa qualité d’écrivain, de toute censure [5] dans quelque pays que ce soit. Avec de si importantes précautions prises, s’enchaîne alors le basculement des personnages réels aux personnages fictifs. Mais s’il est aisé d’identifier, ainsi que les énumère Kourouma lui-même, les personnalités historiques à qui Koyaga rend visite, le personnage de Koyaga est, sans doute, l’incarnation achevée de ce basculement du réel au fictif. Tout le récit, tant dans son architecture que dans son déroulement, est bâti autour de la personnalité de Koyaga que la critique n’a pas hésité, à juste titre, à assimiler à Eyadéma. Dans son article consacré à la part de vérité dans le troisième roman de Kourouma, Sélom Komlan Gbanou explique clairement comment la naissance de ce roman découle d’une histoire réelle :

« En 1976, les Éditions ABC (Afrique Biblio Club) lancent une collection de l’histoire contemporaine autour de grandes figures qui ont, d’une certaine manière, remodelé l’histoire de leurs nations. La collection qui est une bande dessinée est dénommée « Il était une fois… » et compte à son catalogue, en quatre années d’existence (1976-1980), seize monographies ; la première était consacrée au guide de la Révolution togolaise Gnassingbé Eyadéma » [6].

bréviaire du parti unique, va fortement influencer Kourouma qui a exercé pendant longtemps les fonctions d’actuaire au Togo. Il s’est appuyé sur cette monographie qui était un savant mélange de mythifications et de surenchères. Par exemple, le père de Eyadéma, convoqué par les pouvoirs coloniaux pour la construction d’une route, protesta contre les conditions de travail inhumaines et préféra la mort à l’obéissance. Mais, avant de mourir, il prodigua à son fils les conseils suivants : « Je pars travailler sur la route coloniale, Eyadéma. Quoi qu’il arrive, essaie de devenir quelqu’un de grand !…et un homme sage, n’oublie pas ! » [7]. Cette histoire va connaître dans le récit de Kourouma une transposition qui respecte l’esprit du scénario des inconditionnels du parti unique. Tchao, le père de Koyaga, était un redoutable guerrier qui, comme le père d’Eyadéma, travaille pour les Blancs malgré lui :

« Tchao, […], lutta dans toutes les montagnes, derrière tous les fortins, des saisons et saisons sans qu’une fois un autre lutteur parvînt à mettre sa nuque au sol. Manquant d’égal dans les montagnes, il descendit dans les plaines, défia les Peuls, les Mossis, les Malinkés… Chez aucune race de cette terre africaine il ne rencontra non plus de challenger. Les griots le louèrent, le célébrèrent et lui apprirent que les Français cherchaient et payaient les héros lutteurs » (EAVBS, 13).

Ce quiproquo fut si regrettable que Tchao rendit l’âme dans des conditions extrêmement pénibles :

« Tchao rivé au fer dans le fond d’une cellule, dans ses urines et ses excréments, mit trois mois à crever dans la faim et la soif. Il mourut sous les coups de la torture des Blancs. Les Blancs pour lesquels il avait été un héros, un modèle » (EAVBS, 19).

Avant de mourir, il avait convoqué son enfant, Koyaga, et lui avait dit, entre autres, « je me suis sacrifié pour toi d’abord » (EAVBS, 20). C’est dire que les rêves de grandeurs de Koyaga, qu’il faut mettre en parallèle avec ceux d’Eyadéma, se trouvent justifiés par la volonté de ne pas trahir un pacte moral.

Autre jonction entre Koyaga et Eyadéma, le traitement spécial réservé à la maman. De la même manière que Maman Ndaninda est devenue, au Togo, une légende vivante dont la sépulture recevra en août 1985 la bénédiction du pape Jean-Paul II, la mère de Koyaga est aussi le symbole vivant de la gloire du fils. De l’enfantement à la présidence, elle booste les actions de Koyaga et l’aide à devenir un grand homme aussi indispensable que son pendant, Eyadéma. Aussi les trajectoires d’Eyadéma et de Koyaga sont si similaires qu’un fragment de récit écrit à la gloire de la mère se donnant corps et âme pour le devenir de son prédestiné enfant peut bel et bien être lu comme les confessions de Nadjouma.

« La mère : Aujourd’hui tu es à moi, entièrement à moi, comme si je venais de t’engendrer une nouvelle fois. Car mes entrailles ont été secouées il y a quelques heures et j’ai ressenti des douleurs comme celles de l’enfantement […]. Mais je sais que le temps sera court. Tu appartiens à ton peuple. Demain donc je te rendrai au peuple à qui tu es lié, selon l’ordre donné. Je sais qu’il attend. Déjà massé autour de la maison, sur les places publiques, dans la rue, partout dans ce village et dans les autres villes et villages de notre pays, il attend ton message, il espère la bonne nouvelle. Demain tu lui parleras » [8].

Ce « demain » dont il est question ne fait que consolider davantage la dissolution de la réalité dans la fiction. Malgré le fait que Kourouma ait pu éviter « de graves conflits juridiques » n’empêche guère une concordance entre faits historiques et faits romancés. Ainsi, note Sélom Komlan Gbanou :

« Le personnage de Tiékoroni, le président de la République de la côte des Ebènes au totem caïman renvoie au président ivoirien Houphouët Boigny, l’empereur Bassouma au totem hyène évoque l’empereur Bokassa alors que l’Homme au totem léopard se rapporte à Mabutu Sese Seko, le président du Zaïre » [9].

Enfin, même dans la chute, histoire et fiction se recoupent. Le donsomana intervient à un moment où Koyaga perd les traces protectrices de sa maman et de Bokano, le faiseur de miracles, et coïncide avec une période où, au Togo, il a fallu recourir aux Conférences nationales pour tenter de conjurer le mal fait par Eyadéma et essayer de repartir sur de nouvelles bases. Il est un prétexte pour mettre à nu les exactions d’Eyadéma. Si dans le récit, Kourouma se sert des personnages de griots et de Koyaga lui-même, pour accéder à cette cruauté, dans la réalité, un fond documentaire constitué d’écrits hostiles [10] lui sert de base.

Autant dire que le récit de Kourouma décloisonne la frontière entre personnes et personnages. Qu’en est-il de celui d’Orsenna ? Comment, dans un contexte différent de celui de Kourouma, l’académicien parvient-il à un résultat similaire à celui de son devancier ? Il faut noter d’emblée qu’Erik Orsenna, en campant son récit au Mali, ne choisit guère la facilité, car il n’est pas Africain, encore moins Malien. La première étape de rapprochement entre son personnage et lui a été de faire coïncider leur date de naissance. Erik Orsenna, de son vrai nom Erik Arnoult, est né en 1947. L’héroïne elle aussi est née « en début août 1947 » (MB, 73). Plus qu’une coïncidence, apparaît déjà une volonté manifeste de faire de son héroïne une contemporaine, témoin de tous les faits (ou presque) qu’il va vivre, en Afrique notamment. Sa biographie atteste qu’il se rend en Afrique depuis une quarantaine d’années et qu’il ne croit pas à la rupture entre les vivants et les morts, entre la nature et les humains, entre le rêve et les pleurs.

Autant de convictions qui le plongent au cœur des réalités africaines les plus profondes. Il a un curriculum vitae qui en fait le dépositaire d’un savoir sur l’Afrique qui transparaît à travers les missives de Marguerite. En effet, en 1981 déjà, auprès de Jean-Pierre Cot, ministre de la Coopération, il s’occupe de négociations multilatérales. Deux ans plus tard, il rejoignit l’Élysée en qualité de conseiller culturel de François Mitterrand. Dans les années 1980, auprès de Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères, il traitera de la démocratisation en Afrique, et des relations entre l’Europe du Sud et le Maghreb. Cette carrière fait de lui un intellectuel chevronné qui connaît les arcanes de la diplomatie française en Afrique. Quand Marguerite dit :

« Je connais votre administration : sa mémoire est aussi méticuleuse et indestructible que celle de nos éléphants. Alors, puisque de toute façon, dans l’un de vos classeurs implacables, vous retrouverez ma lettre, même vieille de trente-neuf ans, autant vous l’avouer, j’ai déjà écrit à un Président de la République française… » (MB, 51),

Elle emprunte la conscience d’Orsenna pour revisiter les archives. De même, quand Marguerite évoque devant Me Fabiani la question de son identité, elle pose un problème qui est au cœur des préoccupations d’Orsenna lui-même. À cet effet, examinons la question no2 posée à l’avocat : « J’ai présentement le passeport du Mali. Est-ce un pays véritable, celui que tous les habitants valides veulent au plus vite abandonner à son triste sort ? » (MB, 126). Justement, pour partir, tous les moyens sont bons même les plus illégaux. Et dans son avertissement, Orsenna revient sur les difficultés que rencontre l’administration française face aux vagues de Maliens qui, vaille que vaille, tentent de rejoindre l’Hexagone :

« Quant à l’administration de mon pays, nous nous plaisons à la chanter, la meilleure du monde. Cette excellence n’empêche pas que certains agents fautent, notamment dans les consulats. Le ministre des Affaires étrangères a pris les mesures qui s’imposaient. Je peux témoigner qu’à Bamako l’ambassadeur a lutté ferme contre les trafics de visas. Lesquels ont, à ma connaissance, cessé » (MB, 505).

Autant dire que si dans En attendant le vote des bêtes sauvages le dédoublement se fait presque chair, dans Madame Bâ, il est plutôt intellectuel, en ce sens que c’est dans la conscience évocatrice de Marguerite que loge la personnalité d’Orsenna. Dans son rapport à la France et au monde, elle se sert des charges historico-politiques dont l’auteur est dépositaire pour s’ouvrir des perspectives beaucoup plus larges. Ces transpositions, que Christian Milat aurait appelé poétisation [11], permettent aussi bien à Kourouma qu’à Orsenna de mieux appréhender les complexes réalités africaines dont l’évocation passe nécessairement par la symbiose des extrêmes et la prise en charge d’un champ beaucoup plus global : « La vie est une, Monsieur le Président. Qui la découpe en trop petits morceaux n’en peut saisir le visage. Que sait du désert celui qui ne regarde qu’un grain de sable. » (MB, 23). Comment, alors, cette vision globalisation du monde informe-t-elle l’écriture de Kourouma et Orsenna ?

  1. L’HYBRIDITÉ DU TEXTUEL

Il faut noter d’emblée que Kourouma et Orsenna laissent libre cours à l’hybridité et ne tentent nullement d’insérer à l’intérieur de leur narration une critique visant à justifier la pertinence de leur choix. Elle vient d’elle-même et rend pertinente la remarque de Marielle Macé sur la manière dont les genres deviennent opérationnels :

« Aucun écrivain, aucun lecteur n’a cependant besoin de croire à la vérité ou à la réalité des genres, ni même de savoir les définir pour les mobiliser. Il n’est pas nécessaire qu’ils « existent » pour qu’ils opèrent : il y a quelque chose comme un effet de genre, une connotation de genre, un regard générique qui informent massivement l’écriture, la lecture et l’histoire des œuvres » [12].

De toute évidence, il y a un « parler de l’écriture » [13] qui accorde une flexibilité porteuse de sens au rhème. En effet, par elle, l’écriture cesse d’être le véhicule qui se contente de mener l’idéologie à bon port. Elle exige que réalité et fiction puissent cheminer ensemble, comme l’insinue Paul Klee : « […] Toute œuvre n’est pas de prime abord un produit ; elle n’est pas une œuvre qui se fait » [14]. Pour y parvenir, Kourouma et Orsenna s’appuient sur une oralité vivante et actuelle dont le bouillonnement, comme le remarquait Macé, se fait à l’intérieur du récit. Ainsi, il s’agit, dans les deux récits, de se servir de l’oralité pour passer, suivant l’heureuse formule d’Almuth Grésillon, « du visible au lisible et du lisible à l’intelligible » [15]. Dans Madame Bâ, la narratrice avoue son impuissance à analyser le flot de paroles qui finiront par devenir écrits :

« Récit, récit, calme toi.

Arrête de galoper

Rien qu’un instant

Le temps que les doigts de mon avocat se reposent. […]. Il est cantonné au rôle de scribe. Il écoute avec une attention surprenante pour un Blanc, je dois dire, il prend note et me corrige, il tente de me canaliser, tâche désespérée, ô combien.

-Je ne vous accable pas trop, maître Benoit ?

– Continuez, s’il vous plaît, Madame Bâ ? vous m’apprenez… (Me croirez-vous si je vous affirme qu’il rougit ?) Vous m’apprenez l’Afrique ! » (MB, 300).

Ce fragment livre beaucoup d’enseignements parmi lesquels il y a la source même du récit. En effet, si Me Benoît est réduit à être un scribe, c’est que le récit est avant tout oral. Autre enseignement, celle qui interpelle le récit pour qu’il lève un peu le pied, pour rester dans la métaphore du visible, c’est ni plus ni moins que la narratrice elle-même. Autant dire qu’elle ne contrôle plus le récit qui s’auto-déploie sans modération ni censure. Aussi, à travers le dialogue qui s’incruste dans le fragment, Madame Bâ, tout en revendiquant les sources africaines de l’oralité, l’applique-t-elle avec une subtilité qui semble témoigner de sa puissance. Enfin, le rapport entre le type de connaissances fournies et la manière dont elles sont transmises, renvoient, comme le découvre Me Benoît, à l’Afrique où, au nom des multiples correspondances entre le matériel et l’immatériel, le concret et l’abstrait, le vivant et le mort, le réel et le fictif… s’impose une manière d’écrire qui ne déplaît guère à Orsenna de l’Académie française [16]. La narratrice, dans ce contexte et ce cadre africain, devient le pendant des griots qui organisent ou réorganisent les récits de Kourouma. Quand, dans En attendant le vote des bêtes sauvages, le sora énonce : « Il faut, dans tout le récit, de temps en temps souffler », Marguerite commence, avec humour, par s’offrir une pause avant de vouloir l’élargir au lecteur :

« Il me regarde d’un drôle d’air, cinquante pour cent timide, cinquante pour cent protecteur. On dirait qu’il a envie de me prendre dans ses bras. Alors que, menu comme il est, et large, abondante comme je suis, il se perdrait facilement entre mes seins. Quelle chance d’être tombée sur lui ! Je dois me montrer plus gentille, lui offrir, à vous aussi, d’ailleurs, des récréations » (MB, 300).

Ce « vous » qui renvoie au spectateur-lecteur est analogue à celui qui désigne la communauté des initiés qui, dans le troisième roman de Kourouma, permet au processus de purification entamé par Koyaga de pouvoir se dérouler.

C’est dire que la frontière entre ce qui est vu et ce qui est dit, dans les deux œuvres, est mince. Les commentaires que proposent Marguerite pour rendre compte de l’état physico-mental dans lequel se trouve son avocat, tout comme les digressions du sora et de son répondant, plus qu’agrémenter le texte, offrent au genre romanesque, dont se servent les deux auteurs, d’énormes potentialités pour explorer l’univers africain et le redéfinir. En effet, ces récits montrent que le fictif africain est loin d’être dépourvu de soubassements réels. Déjà, dans En attendant le vote des bêtes sauvages, nous disions que la lecture des archives sur les Conférences nationales [17] avait inspiré Kourouma. Cela équivaut à dire que la fiction est rendue possible par un solide travail autour de l’intertextualité et non d’une imagination dépourvue de fondements.

À l’instar de Kourouma, Orsenna met aussi en avant son expérience de l’Afrique et du Mali, et ses lectures sur la société et la culture maliennes pour insuffler un souffle vital à Marguerite. L’un et l’autre lisent pour imaginer. En cela, les propos de Michel Foucault s’adaptent bien à leur entreprise :

« L’imaginaire se loge entre le livre et la lampe. On ne porte plus le fantastique dans son cœur ; on ne l’attend pas non plus des incongruités de la nature ; on le puise à l’exactitude du savoir ; sa richesse est en attente dans le document. Pour rêver, il ne faut pas fermer les yeux, il faut lire. La vraie image est connaissance. Ce sont des mots déjà dits, des recensions exactes, des masses d’informations minuscules, d’infimes parcelles de monuments et de reproductions de reproductions qui portent dans l’expérience moderne les pouvoirs de l’impossible.

Il n’y a plus que la rumeur assidue de la répétition qui puisse nous transmettre ce qui n’a lieu qu’une fois. L’imaginaire ne se construit pas contre le réel pour le nier ou le compenser, il s’étend entre les signes, de livre à livre, dans l’interstice des redites et des commentaires ; il naît et se forme dans l’entre deux des textes » [18].

Dans les deux récits, il y a redite d’autant plus que les auteurs reconnaissent avoir eu recours à des informations consignées, dans le cas de Kourouma, soit dans une littérature « officielle » visant à mythifier la personnalité d’Eyadéma, soit dans une littérature clandestine ou pamphlétaire mettant à nu le cynisme d’un dictateur parmi tant d’autres. En ce qui concerne Orsenna, il exploite les archives et les ouvrages relatant l’histoire du Mali. Cette intertextualité cohabite de fort belle manière avec l’oralité, prise en charge dans la pensée de Foucault par les « commentaires ». Ceux-ci permettent de revitaliser le récit et de lui donner la poéticité nécessaire à l’autonomie.

Dans Madame Bâ, la désarticulation du formulaire de demande de visa par Marguerite et la nécessité pour elle de s’attacher les services d’un avocat sont un prétexte pour s’inscrire dans le double registre de l’intertextualité et de l’oralité. Dès les premières pages de roman, tel un géographe, Orsenna, aux pages 12 et 13, situe le Mali dans l’Afrique. Il prend même le soin, par une légende, de préciser les signes qui indiquent les délimitations des frontières, routes, pistes, chemin de fer et fleuves. À tout point de vue, on est tenté de croire que ce récit va s’additionner à ceux qui, des siècles avant, ont retracé le parcours des matières premières à l’époque coloniale. Mais dès que les pages de la carte sont tournées, commence un récit où se mêlent tradition profane et religieuse [19]. « J’ai bien réfléchi : notre ancêtre est un oiseau ». Ô « serefana ni yélinégna », « comme nous disons, nous autres Soninkés » (MB, 15). Comme par magie, les délimitations géographiques deviennent problématiques, car à l’instar de l’oiseau qui n’a besoin ni d’autorisation ni de visa pour se déplacer, Marguerite doit se mouvoir librement pour recouvrer la plénitude de ses origines. Ces déplacements, voyages, allons-nous dire, ne sont pas que physiques ou spatiaux, ils sont aussi historiques, mentaux et même oniriques :

« Je me suis éloignée du village, j’ai marché entre les pousses de mil, j’ai posé les deux mains sur la tête pour me protéger du soleil, j’ai froncé les sourcils pour m’étirer le cerveau et j’en suis arrivée à cette conclusion : celui qui ne remonte pas aux siècles lointains des ailes ne comprend rien à notre histoire » (MB, 15).

L’énoncé relatif à l’ancêtre oiseau, ajouté à celui-ci, permettent à Marguerite Dyumasi de revendiquer une grande part des attributs des griots « traditionnistes » africains qui remontent le temps pour acquérir les connaissances nécessaires à l’exercice de leur fonction. Et dans ce magistère, Marguerite bénéficie du même mode de transmission du savoir que tout bon griot. Pour nous en convaincre, examinons la manière dont, dans un récit de Djibril Tamsir Niane, le griot d’un des plus grands souverains africains de l’histoire justifie, aux yeux de tous, sa science.

 

« Je tiens ma science de mon père […] qui la tient du son père ; l’histoire n’a pas de mystère pour nous […]. Je sais comment les hommes noirs se sont divisés en tribus, car mon père m’a légué tout son savoir. Ma parole est pure et dépouillée de tout mensonge ; c’est la parole de mon père ; c’est la parole du père de mon père. Je vous dirai la parole de mon père telle que je l’ai reçue, les griots de roi ignorent le mensonge […] Écoutez ma parole, vous qui voulez savoir ; par ma bouche vous apprendrez l’histoire » [20].

Dans Madame Bâ, quoique la narratrice ne puisse se prévaloir de la même légitimité que le griot du Mandingue, elle n’utilise pas moins les mêmes canaux de transmission en avouant implicitement devoir tout à son père : « Viens, dis le père à sa fille. Il lui prend la main et l’emmène pour lui expliquer tel ou tel mystère du monde » (MB, 27). Et les récits que racontait le père

« […] déclenchaient bien sûr des vocations. Tous mes frères voulaient inspirer des rois. Et, je rêvais d’un jour « porter la parole ». Je me voyais chargée de moto, traversant des pays pour aller les déposer aux pieds d’un puissant. Projet réalisé, puisque aujourd’hui je m’adresse à vous, Président, le plus puissant des puissants Français » (MB, 34).

Partant de son expérience personnelle, Madame Bâ reconnaît que ses écrits, qui constituent le roman, sont un héritage ancestral. Ses ancêtres ont influencé des rois, tout comme elle devra le faire avec des présidents. C’est dire que son récit devient, du point de vue de l’esprit qui en assure la parturition, le prolongement des grandes épopées orales africaines.

La remarque qui inscrit Madame Bâ dans la lignée des récits épiques est aussi valable pour En attendant le vote des bêtes sauvages. Bingo et Tiécoura y jouent le rôle de Marguerite et de ses ancêtres : être des confidents des rois et pouvoir les influencer. Voici dans la description qui est faite du décor, la place qui est la leur :

« Vous Koyaga, trônez dans le fauteuil au centre du cercle. Maclédio, votre ministre de l’Orientation, est installé à votre droite. Moi, Bingo, je suis le sora ; je louange, chante et joue de la cora. Un sora est un chantre, un aède qui dit les exploits des chasseurs et encense les héros chasseurs. Retenez mon nom de Bingo, je suis le griot musicien de la confrérie des chasseurs » (EAVBS, 9).

Le narratif d’En attendant le vote des bêtes sauvages devient un imaginaire qu’alimentent à la fois les savoirs livresques que nous évoquions précédemment, les impressions visuelles, les images mentales et les souvenirs biographiques que se chargent de relater Bingo, Tiécoura, Maclédio et même Koyaga.

Renseigner sur la manière dont Kourouma et Orsenna proposent une écriture qui amincit au point de rendre nulle la frontière entre la réalité et la fiction, c’est donc voir comment intertextualité et oralité opèrent dans leur récit. L’intertextualité sert de couverture à l’écrivain pour éviter un usage non littéraire des faits sociaux :

« Alors l’intertextualité permet de penser la littérature comme un système qui échappe à une simple logique causale et même à la linéarité du temps humain : les textes se comprennent les uns par les autres et chaque nouveau texte qui entre dans ce système le modifie, mais n’est pas le simple résultat des textes précédents ; il est à la fois leur passé et leur futur […] » [21].

En plus de l’immersion exclusive et salutaire dans le littéraire qu’elle permet aux deux auteurs, l’intertextualité évite à Kourouma les conflits qu’évoquait son éditeur. Quant au second pilier auquel s’adosse leur écriture pour effacer les frontières, il permet justement de prolonger l’intertextualité et de lui donner une nouvelle perspective. En effet, par les commentaires que s’autorisent les dépositaires du récit – ou, si nous préférons, de la parole –, se réécrit non plus l’histoire, mais une histoire dont le socle est et reste la littérature.

CONCLUSION

Il convient de noter que réalités socio-historiques et faits littéraires ne sont pas inconciliables. En attendant le vote des bêtes sauvages d’Ahmadou Kourouma et Madame Bâ d’Erik Orsenna ont su montrer, à plus d’un titre, qu’il est fréquent que le social et/ou l’historique, sous une forme ou une autre, imprègne l’univers fictionnel sans que celui-ci y perde ce qui caractérise son autonomie.

Ainsi l’un et l’autre ont fait du roman – genre d’imagination, par excellence – le cadre d’une réflexion qui éclaire nos lanternes sur la manière dont les premiers dirigeants africains ont trahi l’aspiration des peuples, pour l’un, et sur les relations bilatérales entre la France et le Mali, dans un contexte marqué par les résurgences du colonialisme, l’émigration, le trafic de visas…, pour l’autre. Mais le charme de leur démarche, c’est qu’en même temps que le fond est essentiellement réel, la poétique qui abrite cette thématique, par le truchement de l’intertextualité et de l’oralité, nous rappelle que ce réel était déjà moulé dans une architecture éminemment littéraire.

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– « Entretien avec Ahmadou Kourouma », propos recueillis par Thibault le Renard et Comi Toulabor, in Politique africaine, n° 75, 1999, p. 178-183.

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ZINSOU, Sénouvo Agbota, Le soldat de paix, théâtre, premier prix du concours littéraire« Prix du Président de la République », tapuscrit (143 pages), 1987.

[1] Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal

 

[2] KOUROUMA, Ahmadou, « Entretien avec Ahmadou Kourouma », propos recueillis par Thibault le Renard et Comi Toulabor, in Politique africaine, n°75, 1999, p. 183.

[3] Toutes nos références à Madame Bâ, Paris, Fayard/Stock, 2003, seront ainsi notées, le chiffre renvoyant à la page de la citation. De même, les références à En attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Seuil, coll. « Points », 1998, seront constituées du numéro de la page où se trouve la citation précédé du sigle EAVBS.

[4] Anthropologie linguistique de l’Afrique noire, Paris, PUF, 1971, p. 09.

[5] « J’ai voulu écrire ce roman avec ces noms [Sékou Touré, Houphouët Boigny, Bokassa, Mobutu], mais mon éditeur m’en a dissuadé. Selon lui, cela risquait d’entraîner de graves conflits juridiques. J’ai voulu alors conserver quelques-uns, tels Houphouët Boigny, Mobutu, Hassan II, Bokassa. Cela n’a pas marché non plus. J’ai gardé toutefois certains de leurs totems : le léopard, le caïman, l’hyène, etc. Officiellement, il ne s’agit pas de dirigeants africains », Ahmadou KOUROUMA, « Entretien avec Ahmadou Kourouma », art. cit., p. 178.

[6] GBANOU, Sélom Komlan, « En attendant la vote des bêtes sauvages ou le roman d’un « devoir de vérité », in Études françaises, vol. 42, n°3, 2006, p. 55.

[7] SAINT-MICHEL, Serge et FAGES, Dominique, Il était une fois… Eyadéma. Histoire du Togo, (scénario), Paris, ABC, 1976, p. 3.

[8] ZINSOU, Sénouvo Agbota, Le soldat de paix, théâtre, premier prix du concours littéraire « Prix du Président de la République », tapuscrit (143 pages), 1987, p.107.

[9] « En attendant le vote des bêtes sauvages ou le roman d’un « diseur de vérité », art. cit., p. 54.

[10] Il s’agit, entre autres, des ouvrages de Andoch Nutepe BONIN, le Togo du sergent en général, Paris, Lescaret Éditions, 1983, Jean Yaovi DEGLI, Togo : la tragédie africaine, Ivry-sur-Seine, Éditions Nouvelles du Sud, coll. « Les Afriques », 1996 ; Comi TOULABOR, Le Togo sous Eyadéma, Paris, Karthala, coll. « Les Afriques », 1986.

[11] Robbe-Grillet, romancier alchimiste, Ottawa, L’Harmattan/Les Éditions David, coll. « voix savantes », 2001, p. 32.

[12] Le genre littéraire, Paris, Garnier Flammarion, 2004, p. 15.

[13] Cf. COLY, Augustin, Duplications et variations dans le roman francophone contemporain : Les Gommes (1953) et La Jalousie (1957) d’Alain Robbe-Grillet, Monnè, outrages et défis (1990) et En attendant le vote des bêtes sauvages (1998) d’Ahmadou Kourouma, Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces Littéraires », 2015, p. 349.

[14] La Pensée créatrice, Paris, Dessain et Tobra, 1973, p. 437.

[15] La mise en œuvre. Itinéraires génériques, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 55.

[16] Nous faisons allusion à la manière dont il est présenté à la première page de couverture de l’édition de Madame Bâ qui nous sert de référence.

[17] Les historiens de l’histoire togolaise renseignent que dans les veillées IV, V et VI, la Conférence nationale togolaise est évoquée, avec des détails précis comme l’attaque de la primature, la séquestration par les militaires des délégués.

[18] « La Bibliothèque fantastique », in Gérard GENETTE et Tzvetan TODOROV (éds), Travail de Flaubert, Paris, Seuil, coll. « Points », 1983, p. 106.

[19] Comme un refrain biblique de la Genèse, le récit du père de Marguerite commence par évoquer la création du monde.

[20] Soundjata ou l’épopée mandingue, Paris, Présence Africaine, 1960.                                                                          [21] RABAU, Sophie, L’intertextualité, Paris, Garnier-Flammarion, collection « Lettres », 2002, p. 15.