Littérature

BEYOND THE HORIZON D’AMMA DARKO : ENTRE REPRÉSENTATION DE SOI ET REPRÉSENTATION D’AUTRU

Éthiopiques n°96.

Littérature, philosophie, sociologie, anthropologie et art.

Raison, imaginaire et autres textes

1er semestre 2016

BEYOND THE HORIZON D’AMMA DARKO : ENTRE REPRÉSENTATION DE SOI ET REPRÉSENTATION D’AUTRUI

L’œuvre littéraire est par excellence le champ de théâtralisation ou de mise en scène de la réalité sociale. Cette mise en scène est une forme de représentation de la vie communautaire. Selon Michaël Hayat :

« La représentation est le moyen d’expression, de traduction, de révélation et de création de la réalité commune (…), la comprendre est la clé de cette circulation : elle est au cœur de la pensée individuelle, de la science, de l’art, de la philosophie, c’est le mode majeur de traduction de la réalité, qui l’exprime, la reconfigure, la révèle et la crée qui est toujours à la fois découverte et invention » (2002, p. 8).

Ainsi la représentation est à la fois un support, un medium, un révélateur et un producteur du réel, pourvu qu’on sache trouver les bonnes formes expressives. Ici, l’image n’est pas un double, un reflet, un simulacre, mais elle est une traduction expressive du réel sous la forme d’une image construite. Pour Moscovici,

« Cette représentation n’est pas le reflet dans l’esprit d’une réalité externe parfaitement achevée mais un remodelage, une véritable construction mentale de l’objet conçu comme non séparable de l’activité symbolique » (1972, p.305).

L’acte de représentation est donc un acte de pensée par lequel l’individu se rapporte à un objet. Dans ce sens, « se représenter », c’est tenir lieu, être à la place de. La « représentation » est le représentant de quelque chose : objet, personne, événement idée, etc. « Représenter », c’est re-présenter, rendre présent à l’esprit, à la conscience. Pour cette raison, le roman Beyond the Horizon (1995) d’Amma Darko doit être lu comme une représentation du vécu quotidien des immigrés africains en Europe. La romancière est née en 1956. Elle est originaire d’un petit village ghanéen connu sous le nom de Tamala. Après avoir terminé ses études à Kumasi, elle travaille dans la société des Sciences et Technologies de Kumasi. Dans les années 1980, elle quitte son Ghana natal pour s’installer en Allemagne où elle espère vivre dans un « paradis terrestre ». Elle est également une promotrice du féminisme radical, qui vise le renversement de l’ordre social établi. Le combat qu’elle mène contre l’exploitation et la violation des droits de la femme transparaît clairement dans son roman, qui s’apparente à une autobiographie.

Deux conditions essentielles nous poussent à considérer le roman de Darko comme une autobiographie : l’identité de l’auteur et du narrateur, l’identité du narrateur et du personnage principal. Dans cette logique, Philippe Lejeune déclare : « Pour qu’il y ait autobiographie, il faut qu’il ait identité de l’auteur, du narrateur et du personnage » (1975 : 15). Par le biais de l’écriture, l’auteur démontre que la vie sociale et la vie mentale sont perpétuellement en interactions. Par conséquent, il existe une interdépendance, voire une « communication entre Soi et Autrui, entre Je et Moi, entre « Autrui généralisé » ou société et les éléments mentionnés » (Mead, 1963, p. ix). Mais comment cette communication est-elle possible ? Pourquoi l’on décide de s’auto-sculpter et de reproduire la réalité quotidienne ? Pour répondre à ces questions, nous nous servirons de la théorie de la représentation de Michaël Hayat comme méthode d’analyse. Ainsi, trois points seront analysés dans cette étude : l’image de soi : une image dégradée, le portrait d’Autrui : démon et ange, et les enjeux d’une écriture de la représentation.

  1. L’IMAGE DE SOI : UNE FIGURE DÉGRADÉE

À ce niveau de notre étude, parler de l’image de soi, c’est parler de l’autofiction. L’autofiction est donc la représentation de soi. Dans cette perspective, s’auto-sculpter ou se re-présenter, c’est écrire soi-même le récit de sa vie privée. Ici, le récit est « la représentation d’un événement ou d’une suite d’événements, réels ou fictifs, par le moyen du langage, et plus particulièrement du langage écrit » (Gérard Genette, 1969 : 49). L’écriture de soi n’est autre qu’une écriture autobiographique. L’autobiographie, selon Philippe Lejeune, est un « récit rétrospectif en prose, qu’une personne réelle fait de sa propre existence lorsqu’ elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité » (1975 : 14). Dans cette logique, le roman Beyond the Horizon peut être lu comme l’autobiographie de la célèbre écrivaine ghanéenne, Amma Darko. Elle s’écrit ou du moins retrace l’histoire de sa vie intime dans les moindres détails pour se connaître et comprendre le monde. La femme africaine nue et son image adultérée ou déformée sur la page de couverture est la parfaite matérialisation de la pratique de la représentation, qui foisonne dans le roman. Le texte joue donc le rôle de miroir qui permet au protagoniste de voir son image, afin de mieux apprécier l’altération physique que le corps a subi. Dans ce sens, le roman s’ouvre sur une présentation du miroir de l’héroïne Mara.

« I am sitting here before my large oval miroir. (…) I am staring painfully at an image. My image ? No ! –what is left of what once used to be my image. And from my left and my right, all about me, I keep hearing chuckles and pantings, wild bedspring creaks, screaming oohs and yelling aahs. They are coming from rooms that are the same as mine, rooms where the same things are done as they are in mine. And in all of them of them there are pretty women like myself, one in each room waiting to be used and abused by men. They are all about me. And yet here by myself, alone inside my room, I feel so very, very far away on my own. So friendless, isolated and cold » (p.1).

Dans ce passage, on note que Mara est assise sur une chaise devant son grand miroir ovale. Elle se contemple ou du moins observe une image. Cette image adultérée ou déformée que le miroir projette est son image actuelle. Les malformations du visage l’obligent à rejeter cette image comme la sienne. Implicitement, le miroir laisse transparaître le double de Mara. Mara est le symbole de l’immigrée africaine, qui utilise son sexe comme instrument d’intégration, de résistance et de survie, face à la misère ou aux mesures de l’austérité en Europe. Au-delà de cette image symbolique, Darko relate des pans essentiels de sa vie d’immigrée africaine en Allemagne. À travers cette représentation caricaturale de sa vie de prostituée, elle dénonce et critique la bestialité des immigrés africains en Europe. Le miroir fait revivre dans la conscience de Mara les cris (oohs ! oohs !oohs !) et les gémissements (aahs !aahs ! aahs !) des clients des « sex workers » ainsi que les craquements des lits des chambres de passe. Mara se souvient toujours de son fidèle client. Ce gentleman qui vient pleurer à chaudes larmes comme un gamin chaque jour dans son lit. Ce client habitué aime bien son épouse, mais celle-ci le terrorise et l’oblige à lécher ses pieds la nuit. Il n’entretient pas de rapports sexuels avec cette femme coriace. L’activité sexuelle de Mara lui permet de retrouver la joie de vivre. La compagnie de Mara lui permet également de se sentir comme un vrai homme. Ainsi, il retrouve son l’équilibre mental grâce aux câlins et au réconfort de la prostituée africaine que Mara représente dans le texte. Dans le déroulement de l’intrigue, on observe que ce fidèle client brutalise Mara et l’oblige à hurler comme une bête sauvage pendant leurs ébats sexuels. Derrière la souffrance de Mara, cet habitué des chambres de passe voit une victoire sur « l’embargo sexuel » que sa femme coriace lui impose dans le lit conjugal. Ce passage met en exergue la souffrance de la narratrice-personnage Mara :

« The injury was done to me by one of my best spenders, a giant of a man but who always, when he comes to me, cries like a baby in my arms, telling me about this dictator wife whom he loves but who treats him so bad she makes him lick her feet at night. (…) He imagines me to be her, orders me to shout I am her, and does horrible things to me like I never saw a man ever do woman before in the bushes I hail from. But I hear it because it is part of my job. I listen attentively to his talk and comfort where I can. And even when he puts me in pain and spits upon me and calls me a nigger fool I still offer him my crimson smile and pretend he’s just called me a princess, for I’ve got a job to do, and I’ve got to put my all in it » (p.2-3).

L’analyse de cet extrait démontre que Darko écrit pour ne pas se taire ou mourir. Elle écrit pour vivre. Vu sous cet angle, « l’écriture est une arme, une défense, une distance ; la mise à nu y est toujours volontaire » (Major, 1984 : 8). Darko se sert de l’écriture pour se questionner afin de comprendre pourquoi elle est devenue l’écrivaine qui s’expose ou se dévoile au grand public. Autrement dit, elle écrit pour dire la vérité, afin de guérir du traumatisme psychologique qu’elle a subi en Allemagne en tant que prostituée et femme illégalement mariée à un Allemand. Ici, l’écriture est donc un jeu où le « je » occupe une place prépondérante. Comme dit Philipe Lejeune, « le nom est la caution du je, se porte garant du je. C’est lui qui d’une façon incontestable est la marque qui relie la réalité au texte, qui revendique la propriété-mais prend aussi le risque de la responsabilité de ce qui est écrit » (2007 :18). Dans le texte, on voit une nette ressemblance entre l’héroïne Mara et l’être en chair et en os qu’incarne Darko. Le pseudonyme Mara, renvoie à l’identité cachée de l’auteure. Ce pseudonyme est une recomposition du nom de l’auteure. La romancière a simplement sélectionné les dernières lettres (ma) de son prénom Amma et les associe aux deux lettres (reta) de son nom Darko pour créer le nom du personnage principal Mara : m+a +r +a. La narratrice-personnage Mara est le porte-parole de la romancière dans le texte. Le récit à la première personne est le fruit d’un choix esthétique conscient, et non le signe de la confidence directe, de la confession, de l’autobiographie (Gérard Genette, 1972 : 255). Par conséquent, le « je » narrateur n’est autre que le « je » de l’auteure. Le « je » de la narratrice et le « je » de l’écrivaine forment un tout indissociable dans le texte. Pour cette raison, on voit le spectre de Darko se profiler derrière chaque action de Mara. Parlant de l’importance de l’écriture du moi, Philipe Lejeune soutient que

« L’autobiographe est un être du temps passé et de la nuit des temps : il sonde les époques révolues de son moi pour mettre au jour, exhumer, à partir de l’écoulement du temps. Le présent de l’écriture est alors le temps de la réflexion lucide : l’identité auteur-narrateur-personnage recouvre en fait un dédoublement qui a pour fondement l’exercice spirituel visant à percer le secret profond d’une existence. L’écriture est ce par quoi et grâce à quoi se réalise cette récapitulation qui, chapitre après chapitre, recherche, dans l’écart du moi au moi, les causes radicales de ce moi présent qui en est la conséquence » (2007 :35-36).

Darko se sert de la voix de Mara pour dépeindre la misère des immigrés africains en Europe. L’annonce du départ de l’héroïne pour l’Europe est perçue à Naka, son village natal, comme une grâce divine. Le voyage de Mara est également une source d’espoir et de réconciliation. La femme ghanéenne illettrée, Mara qui part en Europe pour rejoindre son mari Akobi, se sent très honorée par cette invitation. Le voyage représente pour elle la récompense des sacrifices effectués pour assister Akobi dans sa misère au Ghana. La famille de Mara jouit d’une grande réputation depuis l’annonce de son départ imminent pour l’Europe, l’Eldorado des Africains :

« That I was travelling to Europe raised me in the esteem of my family in the village so much that my mother didn’t even care any longer about the beads she had to sell. Suddenly, people were greeting her with low respectful bows and mothers were warning their children to handle my two sons with respect and care during play. From the city, too, Esiama sent a message to me through Mama Kiosk that she had forgotten our fight and that she and her driver lover even wanted to shake hands with me if time would allow me to come over the station before I left for Europe. True to their word, when I went strolling there one afternoon just out of curiosity, since I knew that all there knew about my impending travel, Esiama came and greeted me and her lover even offered me a bottle of cool beer which I equally coolly refused with the excuse that it was too bitter, though the truth was that I didn’t want to drink his beer just in case he one day should use it to blackmail my conscience » (p.54).

Ce voyage permet à Mara de se représenter autrement. Elle se fait une « représentation mentale » (Hayat, 2002 : 100) de sa nouvelle condition sociale. Dans le récit, sa famille est estimée et enviée par toute la communauté de Naka. Par conséquent, tout le village vénère et salue respectueusement la maman de Mara. Chaque femme du village conseille à ses enfants de prendre soin des deux enfants de Mara pendant leurs jeux. Le voyage apparaît également comme un vecteur de réconciliation et de cohésion sociale dans le texte. Le voyage a permis à Mara et ses deux ennemis jurés de la gare routière (Esiama et son amant) de se réconcilier. Les deux partis décident de faire la paix, afin de bénéficier de la fortune que Mara va certainement mettre à la disposition de la communauté villageoise de Naka dès son arrivée dans l’Eldorado. Cette réconciliation symbolise l’image reluisante de Mara dans l’inconscient de chaque Ghanéen. L’existence d’une relation entre deux systèmes d’objets, réels ou mentaux, est donc une condition nécessaire de toute représentation : l’un est le représentant de l’autre, le représenté (Hayat, 2002 : 99).

Le changement du statut social de Mara rythme avec sa nouvelle méthode de représentation. Dans son esprit, Mara ne se voit plus comme cette femme pauvre, qui habite un quartier précaire de la ville et qui gagne à peine à manger. Elle se représente comme une femme évoluée ou civilisée qui part pour l’Europe, ce paradis où l’or et l’argent coulent en abondance. « I, illiterate Mara, had turned into a modern woman, body and soul ; a caricature pseudo-Euro-transformation that brought with it its caricature pseudo-high feel. I felt a new me (p.55) ». Il ressort de ce qui précède que Mara s’est totalement métamorphosée depuis l’annonce de son voyage. La « représentation mentale du dedans du corps » (Hayat, p.112) qu’elle se fait est celle d’une immigrante africaine très riche et prospère. Mara s’aperçoit dans son for intérieur comme une Afro-allemande, totalement différente de la Mara illettrée de Naka. Elle s’aliène et se dénature pour être en phase avec les exigences de ce monde d’immoralité que l’Europe représente dans la « conscience collective » de Naka, comme un l’Eldorado ou une terre promise. Pour cette raison, le prêtre de la religion traditionnelle de Naka prédit que Mara reviendra un jour au bercail avec des valises remplies de liasses d’Euros pour libérer son peuple de la misère. « All was going to be golden for me there and, though I was going there poor, I would return with wealth and bring honour to Naka. And I, like my mother and all the other villagers, believed him » (p.55). Mara est donc dépeinte comme une « héroïne-libératrice » dont la mission est de transformer la misère de son village Naka en paradis terrestre.

Au cours du voyage, Mara se rend compte que l’Africain se fait une fausse représentation de l’Europe. D’ailleurs, le voyage clandestin est décrit comme un parcours risqué et périlleux dans le roman. Les faux papiers du voyageur clandestin peuvent être identifiés et confisqués à n’importe quel « check point ». Dans une telle situation, le clandestin s’expose à des poursuites judiciaires voire l’expulsion. Mara voyage avec Osey qu’elle ne connaît pas. C’est une aventure très dangereuse parce qu’elle risque le viol, le vol et la mort. L’accompagnateur, Osey, profite du déséquilibre mental de Mara causé par le long voyage pour tenter de la violer dans le train :

« Crossing women over the border, Madam Akobi, is not just the passport trick, unless the full fee is paid. Your dear Cobby knows the rules. And he deliberately did not pay the fee, which makes laying you for free a part of the deal. You get it. (…) Have no more fear, hm ! He went on. ‘You are not a bad-looking chicken, I must say, but you are too green, and such greenness kills my appetite. Maybe next time, another time in the near future after you’ve received enough coaching and improvement’ » (p.66).

Ici, Darko montre que le voyage clandestin est une institution mafieuse. Dans cette mafia, la valeur de l’argent est au-dessus de toute chose. Les relations humaines sont quasiment inexistantes. C’est pourquoi Osey, le fidèle ami d’Akobi, veut s’amouracher de Mara en contrepartie de l’argent du voyage non payée par le mari Akobi. Pour convaincre Mara à accepter ses avances, Osey lui dit que l’activité sexuelle est la source de bonheur des immigrées africaines en Allemagne.

« There are many pretty African women like you here, Mara (…). ‘They do what I wanted to do with you in the train, for which you killed my appetite. But for money, not for free like I wanted to do with you or like your husband Akobi did once upon a time with you back home (p.68) ».

Par ailleurs, Osey considère Mara comme une femme naïve et sans expérience sexuelle. Il remet donc à plus tard son projet de s’accoupler avec elle. Selon Osey, Mara a besoin d’une formation accélérée en sexologie pour être endurante, efficace et performante. En Europe, les immigrés africains veulent gagner l’argent par tous les moyens. Pour atteindre leur objectif, ils font partir, clandestinement, leurs femmes d’Afrique en Europe où elles sont utilisées comme des esclaves sexuelles, comme c’est le cas de Mara dans le récit. Mara a honte d’elle-même ou du moins de son image déformée, parce qu’elle a été contrainte par son mari Akobi à rejoindre le club des « sex workers » ou des prostituées dès son arrivée.

« Then he took my jeans, spread them on the bathroom floor, and knelt down. I felt him enter me from behind and the next second he was out of me (…), then lower the radio and shout to Osey to bring him one rubber please ! I heard Osey grumble and his wife chuckle. Seconds later Osey’s hand poked through the side of the curtain and handed a condom to Akobi. Then he peeped through and laughed out and said to me, ‘You look like you’re waiting to grind your mother’s millet for her, Mara.’ An expensive joke at my kneeling position, naked from waist down, my bare bottom exposed. (…) My thoughts were curtailed when I felt the sudden sharp pain of Akobi’s entry in me. He was brutal and over-fast with me, fast like he was reluctantly performing a duty, something he wouldn’t have done if he had his way, but which he must because he must. And then he was up and I was still kneeling there very much in pain because what he did to me was a clear case of domestic rape » (p.84).

Dans cet extrait, on note que le premier rapport sexuel qu’Akobi a avec Mara est comparable à un film pornographique. Le décor du film pornographique est planté. Le couple Akobi et le couple Osey s’accouplent au même moment dans un même studio. Akobi ne passe pas par les préliminaires et il pénètre violemment Mara par son derrière dans la douche. Au même moment, Osey et Vivian font également leurs ébats sexuels sur le lit. Mieux, Osey envoie des condoms à Akobi dans la douche et découvre la nudité de Mara. Le lieu choisi pour accomplir l’acte sexuel est symbolique. La douche du studio n’est pas l’endroit idéal pour avoir des rapports sexuels avec son épouse venue d’Afrique. Aussi, la violence sexuelle et la pénétration anale révèlent la bestialité des immigrés africains. Cette scène obscène participe à la formation sexuelle de Mara.

« I have this fear that haunts me day in and day out, that if I show my face there one day, out of the blue that sex video Akobi made of me clandestinely will show up there, too. Worse still, I am now to be seen on a couple more sex videos. Home will have to remain a distant place. Oves comes in holding his snow-white Siamese cat which he is stroking delicately. He’s just come in to tell me about the two customers who are coming to me in the next hour. At Oves’ brothel, I have plunged into my profession down to the marrow in my bones. There is no turning back for me now. I am so much a whore now that I can no longer remember or imagine what being a non-whore is. I have problems recollecting what I was like before I turned into what I am now » (p.139).

Au regard de ce qui précède, le lecteur remarque que Darko pose des actes importants de sa vie devant le « tribunal » de sa conscience. Elle part du présent ou du moins son statut de prostituée (sex worker) pour remonter vers le passé afin de mieux se comprendre. Il est donc évident que le moi écrivant, doté d’un parcours intellectuel riche et longuement amendé par la réflexion, dispose d’outils et d’expériences lui permettant d’approfondir la connaissance de soi (Miraux, 2007 : 36). Son roman Beyond the Horizon est aussi un récit rétrospectif, voire une analyse rétrospective du moi, qui s’effectue grâce à un mouvement de retour sur soi-même. Dans le texte, Darko est au rendez-vous du moi et du monde. Elle prend la fiction comme alibi pour rendre un témoignage aux lecteurs sur sa vie individuelle. Elle n’agit donc pas comme une simple artiste. Elle confronte l’ineffable au dicible, par le truchement de l’expérience intime de son moi. En mettant en rapport l’inexprimable et le scriptable, elle nous conduit à l’examen des relations que l’homme entretient avec autrui ou ses semblables.

  1. LE PORTRAIT D’AUTRUI : DÉMON ET ANGE

Dans le roman de Darko Beyond the Horizon, les « Je », les « Moi » et les « Soi » sont polysémiques. Ils se confondent dans leurs interactions pour donner une véritable signification aux actions des personnages. L’expérience sociale, identique à l’action sociale, a pour épicentre les rôles assumés et joués par les « Moi », les « Soi » et les « Autrui ». Dans ce sens, dire que ce sont les rôles qui font naître les « Soi » par l’intermédiaire des « Moi » qui ne sont que des internalisations des Autrui, c’est faire ressortir l’impossibilité des rôles et à plus forte raison des Soi sans la vie sociale (Mead, p. viii). C’est également confirmer que tout « rôle » est un rôle social et que le « Soi » a un aspect essentiellement social.

Dans le récit, la première représentation que Darko fait de son semblable ou son alter égo est celui du diable. La narratrice présente à l’héroïne (Mara) son père comme son véritable ennemi dès les premières pages du livre. Mara n’est pas heureuse dans son foyer parce qu’Akobi n’est pas le mari de son choix. Son père, qui respecte scrupuleusement la loi de la société patriciale de Naka, l’oblige à épouser Akobi. Retraçant l’histoire de son mariage, Mara laisse transparaître sa déception à l’égard de la tradition :

« I remember the day clearly. I returned from the village well with my fourth bucket of water of the day when mother excitedly beckoned to me in all my wetness and muddiness, dragged me into her hut and breathlessly told me the ‘good news’. ‘Your father has found a husband for you’ she gasped, ‘a good man !’All I did was grin helplessly because I clearly remembered the good news as this that mother had given my older sister two year before. Found, too, by father. And my sister was now wreck. (…) And he did. And made known to me that my chosen husband was the man named Akobi. And it astounded me, first, that this man had settled on me as his wife, and second, that father had had the guts to approach his father to offer him his daughter. But I soon learnt that, yes, Akobi choose me as his wife, but it was his father who had approach mine and not vice versa. And my astonishment was because of the position that Akobi’s family held in the village » (p.4).

Mara accuse son père comme le responsable de son malheur. Derrière cette accusation du père, on observe une mise en question de l’aristocratie traditionnelle de Naka. La société ou Autrui généralisé est en réalité le véritable commanditaire de l’action sociale que mène le père de Mara. Le père respecte une pratique ancestrale, même si l’acte qu’il pose au nom de la tradition est contraire à la volonté de sa fille. Le foyer de Mara est un enfer. Mara et sa sœur souffrent quotidiennement dans leurs foyers. Elles vivent avec des maris insupportables et inhumains. La narratrice révèle que Mara et sa sœur n’ont pas eu la chance du mariage à l’image des autres filles du village. D’ailleurs, plusieurs femmes de Naka sont très heureuses dans leurs foyers, parce qu’elles vivent avec des époux compréhensibles, qui les traitent avec un minimum de respect. Ces femmes comblées n’accepteront jamais d’échanger leurs maris contre l’or ou l’argent de ce monde adultéré. « Many women in Naka were extremely content with their marriages and their husbands and wouldn’t exchange them for anything in the world. And some such good men still existed in Naka » (p.4). Les autres hommes de Naka se choisissent de bons gendres à la différence du père de Mara, qui fait toujours de mauvais choix. À ce stade, Darko fait une critique acerbe de l’autorité du père. Le père phallocrate du texte ne pense qu’à ses intérêts personnels. Il est conscient que des hommes dignes, courageux, respectueux et honnêtes existent partout dans l’espace référentiel Naka. Mais son véritable problème est la valeur de la dot. Tous les habitants de Naka savent que le père de Mara ne donne ses filles en mariage qu’aux soupirants opulents venus de la ville. Akobi est caricaturé dans l’intrigue comme le deuxième obstacle majeur que Mara doit surmonter pour accéder à son émancipation. Akobi est donc représenté dans l’inconscient de Mara comme un agent du diable. Malgré sa soumission aveugle et totale à Akobi, Mara est traitée avec dédain. Elle est maltraitée, bastonnée et humiliée publiquement par lui. Mama Kiosk considère donc le mari de sa meilleure amie, Mara, comme un homme sans cœur et sans scrupule. « Your husband is one of those men who have no respect for village people ». Malgré l’humiliation, la souffrance, la bastonnade et le mépris, Mara, en sa qualité de femme africaine vertueuse et respectueuse, continue de servir son mari Akobi comme son « seigneur ». Chaque jour, elle se réveille à l’aube pour lui chauffer de l’eau et faire le ménage. Cette activité domestique quotidienne, qui passionne Mara est clairement perceptible dans ce paragraphe :

« For instance, it was natural that after I had woken up first at dawn, and made the fire to warm up water for Akobi, and carried a bucketful of it with his spongebagto the public bathhouse for him, and returned to wake him up to tell him his bath was ready-it was natural that I also had to stand outside while he bathed just in case some soap suds should go into his eyes and he should need me. Moreover, it was me who always carried back the empty bucket and the bathing accessories and saw to drying his towel ready for next morning since he hated wet towels touching his skin. It was natural, too, that when he demanded it, I slept on the concrete floor on just my thin mat while he slept all alone on the large grass mattress since, after all, mother had taught me that a wife was there for a man for one thing, and that was to ensure his well-being, which included his pleasure. And if demands like that were what would give him pleasure, even if just momentarily, then it was my duty as his wife to fulfill them » (p.12-13).

Ce passage démontre que Mara est le prototype de la femme africaine soumise. D’un point de vu féministe, le travail ou du moins la corvée qu’elle effectue quotidiennement dévoile l’exploitation de la femme par l’homme. Dans l’intrigue, Mara s’occupe soigneusement de son mari comme l’exige la tradition. Elle obéit à Akobi et l’adore comme un dieu. En dépit de cette exploitation et de cette soumission, Mara n’est ni aimée ni respectée par son mari, Akobi. D’ailleurs, Mama Kiosk, l’alliée de Mara, se révolte contre le caractère inhumain d’Akobi. Elle déclare que la tradition oblige la femme à respecter, à adorer son époux et à lui obéir. Mais cette même tradition force le mari à respecter sa femme et à prendre soin d’elle.

« Tradition demands that the wife respect, obey and worship her husband but it demands, in return, care, good care of the wife. Your husband neglects you and yet demands respect and complete worship from you. That is not normal (p.13) ».

Akobi est obnubilé par la quête du bonheur. Il est prêt à sacrifier la vie de Mara pour atteindre son objectif. Il refuse de la nourrir sous prétexte qu’il économise son argent pour la réalisation d’un projet personnel. La répugnance qu’Akobi éprouve à l’égard de sa femme Mara est sans pareille. C’est pour cette raison qu’il transforme Mara, son épouse légitime, en l’éboueuse des autres femmes de leur quartier sordide.

« ‘From now on you will throw you will throw Mama Kiosk’s rubbish away for her and she will pay you with foodstuffs and vegetables. And since that means you need not go to the market often, I can also save by cutting down on the daily chop money I gave you, you understand ? ‘Yes’, I replied, shaking all over. ‘And sleep on your mat today. I want to sleep on the mattress alone’. (…) I lay there on the mat spread on the hard floor, trying to tolerate the nice and cockroaches, my eyes wide open. I lay there like that until the first rays of the morning sunlight streamed through » (p.11-12).

L’analyse du non-dit de ce passage met à nu la méchanceté d’Akobi. Ce mari avare n’accorde aucune importance à Mara. Mama Kiosk et ses voisines ne supportent plus la puanteur du dépotoir public de ce quartier précaire. Les femmes du quartier évitent tout contact avec la décharge pour ne pas contracter des maladies contagieuses et dévastatrices. C’est donc la sauvageonne, la villageoise, Mara, qui ignore tout, que Mama Kiosk sollicite toujours pour vider sa poubelle. Mara se met au service de tout le monde, parce qu’elle pense que la « solidarité organique » (Rocher, 1968 : 68) du village existe également en ville. Elle travaille pour son entourage sans exiger une rémunération en contrepartie du travail effectué. Le respect des valeurs cardinales de la société traditionnelle dans l’espace urbain ghanéen du roman fait de Mara la risée du quartier. On pense même qu’elle est venue en tourisme en ville alors que tout le monde est en quête perpétuelle d’argent, la source du vrai bonheur. Chaque citadin ou citadine veut gagner très rapidement de l’argent. Dans ce sens, Mama Kiosk appelle ironiquement Mara « greenhorn » ou la femme naïve : « Hey, hey, greenhorn ! I turned. I didn’t know that greenhorn was something rude until, laughing, she said she only meant it as a joke » (p.10). Akobi est effectivement un frein à l’épanouissement de Mara. Son attitude vis-à-vis de son épouse choque le lecteur. Akobi force sa femme Mara à travailler pour des femmes du voisinage contre de la nourriture. C’est une pratique qui lui permet d’épargner l’argent allouée à l’achat de la nourriture quotidienne. Akobi ne désire pas avoir un enfant dans la misère. Par conséquent, Il refuse d’avoir des rapports sexuels non protégés avec Mara. Dans son for intérieur, l’enfant constitue un obstacle à sa liberté et à la réalisation de son projet de voyage. Autrement dit, Okobi prive Mara d’affection, de nourriture et de plaisir sexuel qui favorisent l’harmonie et l’ambiance des couples. Mama Kiosk parle du caractère démoniaque et inhumain d’Akobi comme suit :

« What African man got angry because his wife was carrying a baby ? And the first baby at that. ‘Mara’ began Mama Kiosk, ‘This your Ministries man, he is not only a bad man and a bad husband, he has also got something inside his head. I only hope that he won’t destroy you with it before you too start seeing red with your eyes like I do’ » (p.17).

L’implicite des propos de Mama Kiosk démontre l’aliénation et la perdition d’Akobi. Son aliénation a atteint son point culminant si bien qu’il ne sait plus la valeur que l’enfant représente dans une famille africaine : l’espoir, l’héritier et la continuité.

Par ailleurs, la narratrice représente Mama Kiosk dans le texte comme un ange bienfaiteur. Elle est décrite comme l’amie intime et la mère adoptive de Mara. Mama Kiosk soutient Mara dans son combat quotidien contre la pauvreté, la souffrance et l’humiliation. Les deux sont devenues pratiquement des amies inséparables. Mama Kiosk est dans l’imaginaire de Mara le symbole des valeurs cardinales : la solidarité, le partage, l’entraide, l’amour de l’autre et la générosité. C’est elle qui réconforte et oriente Mara quand elle est déprimée et désorientée. Cet extrait met en exergue l’amitié et la complicité qui existent entre les deux femmes :

« Between Mama Kiosk and me now existed a mother-daughter relationship. I had grown to trust her and to talk openly with her about everything. Then too she was the one person I spent most of my time with since I left in the morning with her to go to the station and returned in the evening with her. (…) So it was that in my desperate need for a mother I saw a substitute in Mama Kiosk. And she took on the role wholeheartedly, advising me on what to do and what not to do ; asking and searching for herbs, which she made me sniff and chew, bringing me up to date on hygiene and noting down for me things I could start buying. She was a true friend and a perfect substitute mother. And I valued her enormously » (p.23).

Le paragraphe qui précède révèle l’existence d’une relation filiale entre Mara et Mama Kiosk. Mama Kiosk joue un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’intrigue. En sa qualité d’amie, de confidente, de conseillère, d’éveilleuse de conscience et de mère adoptive, elle intervient dans toutes les actions que mène l’héroïne dans le roman. Elle œuvre activement pour le bien-être et l’équilibre mental de Mara. Dans cette perspective, elle encourage Mara à entreprendre la vente d’œufs bouillis à la gare routière :

« It was Mama Kiosk who suggested that I should take up hawking boiled eggs to travellers at the lorry station where she had her kiosk because it was a very popular snack with them. And when in the end no better alternative cropped up, I went to Akobi with this hint. He agreed that it was worth a try, and gave me the capital for my first batch of eggs plus the sieve container in which the land law required cooked foods to be sold, but not before he had made it clear to me that he expected me to repay the capital as soon as I had made my first profits » (p.18).

Cette vente d’œufs permet à Mara d’être financièrement indépendante. La prospérité de son activité lui permet de doubler rapidement la quantité des œufs et de rembourser le capital investi par son mari Akobi. Dans le récit, les deux enfants de Mara sont également représentés comme une source de motivation et d’espoir. L’héroïne retourne au bercail grâce à la magie du cordon ombilical qui relie l’individu à sa communauté. Le roman de Darko transpire de la bigarrure. Quelles sont les idées qui sous-tendent cette écriture de la représentation ? Pour comprendre cette forme d’écriture, le dernier point de notre travail sera centré sur les enjeux de cette représentation.

  1. LES ENJEUX D’UNE ÉCRITURE DE LA REPRÉSENTATION

Beyond the Horizon d’Amma Darko est un roman postmoderne qui se singularise par sa simplicité et son ouverture aux autres genres littéraires. À travers la violation des règles de la littérature instituée ou classique, la romancière ghanéenne tente de créer une forme d’écriture éclatée ou hybride pour propager son idéologie. L’écriture subversive illumine toutes les pages du roman. Cependant, derrière cet amalgame des genres littéraires, on voit se profiler une quête identitaire de la romancière. « I was now to be my own master » (p.44). Darko se sert de cette écriture subversive pour critiquer et dénoncer la méchanceté des hommes vis-à-vis des femmes dans la société africaine contemporaine. L’écriture de l’obscénité ou du choc est la technique qu’elle utilise pour représenter le caractère inhumain d’autrui : Akobi, Osey et tous les immigrés africains en Europe.

« My wife came about nine months ago and is working to get plenty money to marry a German man so that she too will have no problem living here. You understand ? We don’t do it because we want to. We do it because we have to. It is the only way out for us to live here » (p.77).

Darko prend le texte comme prétexte pour fustiger la bestialité ou l’immoralité des immigrés africains qui utilisent le sexe comme moyen de lutte et de résistance face à la crise économique et sociale qui secoue l’Europe. Au-delà de la violence sexuelle dans le texte, Darko tente de mettre en scène la violence au travers des thématiques qui théâtralisent la déperdition des valeurs africaines. Les thèmes de l’immigration illégale, du mariage illégal, de la prostitution, de l’abus sexuel et de l’exploitation de la femme qu’elle aborde dans le roman traduisent la souffrance ou du moins l’exploitation de la femme par l’homme.

« (…)I found myself working as a housemaid for a German Family. I worked three times a week and sometimes at weekends if the Madam demanded it. Akobi took the money I earned, as payment for the roof he and Gitte had provided over my head, for my food and transport » (p.106).

L’écriture de l’obscénité ou de la violence est, pour l’écrivaine féministe, une manière de se battre avec des lexèmes contre l’aliénation mentale, le cynisme des idéologies et l’absurdité des actions des dirigeants africains. Dans l’inconscient de Darko, les leaders africains privilégient les hommes au détriment des femmes dans leurs projets de société. Dans Beyond the Horizon, elle fait la satire d’un univers social fictif adultéré et désaxé. Cette société adultérée est la société patriarcale qui prive la femme de tous ses droits civiques. Darko se révolte contre cette société patriarcale qui transforme les femmes en sous-hommes ou esclaves à la solde des hommes. Beyond the Horizon est donc une invite à l’affirmation et à l’auto-détermination de la femme africaine. La femme doit être représentée dans la « conscience collective » (Rocher, 1968 : 29) africaine comme un partenaire ou un alter égo de l’homme. Selon Darko, la femme a la capacité physique et intellectuelle de faire toutes les activités au même titre que les hommes. Dans cette logique, Mara nous parle des projets qu’elle veut réaliser à Naka, son village natal :

« I am also financing a cement-block house for my mother in the village. They say that it has raised her esteem so much that it has even won her back to my father. Trust my father ! But I am pleased for her. I have issued instructions to them to find a small cement house in town which I can buy for my two kids, so that when I sink too deep beyond help they will at least have a decent place to lay their heads. Material things are all I can offer them. As for myself, there’s nothing dignified and decent left of me to give them » (p.140).

Au regard de ce qui précède, on note que l’auteur prône l’émergence d’une nouvelle société juste et égalitaire. Dans cette nouvelle société, la domination de la femme sera remplacée par un partenariat entre l’homme et la femme. Par ailleurs, l’échec du pouvoir des hommes oblige Darko à confier la gestion de la nouvelle société africaine aux femmes. C’est d’ailleurs pour cette raison que les immigrés africains (Akobi et Osey) sont dominés et maltraités par leurs épouses allemandes. Le mariage entre immigrés et Allemands est un « bonheur » sur mesure. L’homme est relégué au second plan. Il joue le rôle de domestique dans le foyer. Darko démontre ainsi, tout en restant ancré dans l’actualité politique africaine, que

« L’écrivain ne développe pas des idées abstraites, mais crée une réalité imaginaire (…) et les possibilités de cette création ne dépendent pas en premier lieu de ses intuitions, mais de la réalité sociale au sein de laquelle il vit et des cadres mentaux qu’elle a contribué à élaborer » (Goldmann, 1964 : 239).

Le roman se termine par une contribution active de la femme africaine (Mara) à la croissance économique de son pays. C’est pourquoi Mara finance activement la construction d’une maison moderne pour sa maman au village. Elle s’apprête également à acheter une maison pour ses deux enfants en ville. Cet engagement de la femme dans le développement économique et social symbolise la montée fulgurante du féminisme. Cette percée du féminisme dans le roman représente le déclin de l’autorité du père.

CONCLUSION

Au total, cette réflexion sur la représentation de soi et d’autrui nous permet de comprendre que le roman Beyond the Horizon d’Amma Darko joue le rôle de miroir pour la romancière. Darko prend le roman comme prétexte pour révéler sa vie intime au lecteur. La romancière ghanéenne se découvre toute nue à travers les lignes du roman. Cette représentation de l’obscénité lui permet de se connaître, afin de mieux comprendre le monde ou les autres. Dans le texte, le personnage-narratrice Mara refuse son image comme la sienne à cause des malformations subies par le visage. Ces malformations résultent de la manipulation de son corps par plusieurs mains impures. Dans l’intrigue, Mara est engagée de force par son mari Akobi dans l’institution du sexe ou de la prostitution. À travers la représentation d’autrui, on note que l’autre ou le « soi » est caricaturé dans le roman comme le démon et l’ange. La société globale (Naka), les « soi » et les « moi » inter-échangent et se fusionnent dans le texte pour donner un sens à l’existence humaine. Le « moi » sans le « soi » ou autrui n’a aucune valeur en dehors de la société. C’est donc l’autre qui me permet de me voir tel que je suis. L’autrui constitue également une source d’angoisse et de privation de liberté. Au- delà de la méchanceté des autres hommes, Mama Kiosk est présentée dans l’imaginaire du lecteur comme l’amie, la confidente et la mère adoptive de Mara. En bref, le véritable ouvrier d’un tel ouvrage n’est positivement personne. L’auteur ne devient auteur que lorsqu’il cesse d’être homme pour devenir cette machine littéraire, cet instrument d’opérations et de transformations, (Gérard Genette, 1966 : 259).

BIBLIOGRAPHIE

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GENETTE, Gérard, Figures I, Paris, Seuil, 1966.

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GOLDMANN, Lucien, Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1964.

HAYAT, Michaël, Représentation et anti-représentation : des beaux-arts à l’art contemporaine, Paris, L’Harmattan, 2002.

– Vers une philosophie matérialiste de la représentation, Paris, L’Harmattan, 2002.

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MAJOR, Jean-Louis, Entre l’écriture et la parole, Paris, Éditions Hurtubise HMH, 1984.

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ROCHER, Guy, Introduction à la sociologie générale : l’organisation sociale, Paris, Éditions HMH, 1968.

ROCHER, Guy, Introduction à la sociologie générale : l’action sociale, Paris, Éditions HMH, 1968.

Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire