ANALYSE DES ASPECTS SOCIO-HISTORIQUES DES VALEURS TRADITIONNELLES
Ethiopiques numéro 31 revue socialiste
de culture négro-africaine
3e trimestre 1982
Les Etats généraux de l’Education et de la Formation, tenus à Dakar les 28, 29, 30 et 31 janvier 1981, ont montré que la crise que traverse l’Ecole sénégalaise est le reflet d’un profond malaise qui secoue l’ensemble de notre société sur les plans culturel, social et économique.
Ils ont alors dégagé une somme de voies et moyens pour la mise en œuvre d’une école nouvelle et d’un homme nouveau, dans le sens de l’édification d’une société.
L’école nouvelle, méthodiquement et hardiment définie et mise en œuvre, permettra de prendre en charge l’éducation et la formation de l’ensemble de notre jeunesse à partir des valeurs les plus positives de notre, société, fondées sur les aspirations authentiques et légitimes du peuple travailleur.
Le nouvel homme sénégalais sera un homme libre, responsable, réconcilié avec lui-même, un homme doté d’un sens élevé de civisme autant que d’une haute conscience de ses devoirs patriotiques.
L’objectif clairement poursuivi doit viser l’émergence d’une société nouvelle, une société libre, prospère, épanouie et où toutes nos valeurs constructives pourront trouver occasion et moyens de s’exprimer, de se développer et de s’épanouir. C’est également dans cette perspective qu’un accent particulier a été mis sur la nécessité de renouer avec notre passé dont le contenu authentique et positif a été jusqu’ici nié ou éludé par de multiples facteurs le plus souvent d’origine extérieure.
Aujourd’hui, dans la perspective d’un développement endogène et autocentré, il est urgent et nécessaire que notre école puisse prendre en charge la revalorisation de ce passé ainsi que l’épanouissement de nos valeurs les plus positives en vue d’une assomption consciente et efficiente de notre histoire, de notre devenir.
C’est certainement dans ce sens que le présent colloque, centré sur un regard et une appréciation critiques, portés sur nos valeurs traditionnelles vécues par nos différentes populations, trouve son sens, son poids et sa valeur.
Les participants au colloque formulent alors le vœu que les conclusions dégagées puissent trouver, dans le cadre de l’école nouvelle et par l’intermédiaire de la grande Commission nationale de Réforme, un moyen de participer au grand projet à l’ordre du jour, à savoir la Réforme de notre système éducatif.
Par souci d’efficacité et pour une meilleure approche de la question, le colloque, en étudiant la problématique de nos valeurs traditionnelles a réparti les tâches en trois grandes commissions.
– La première commission ou Commission « A » avait pour objet de dégager les aspects sociohistoriques des valeurs traditionnelles au Sénégal.
– La 2e commission « B » avait à dégager les fondements de ces valeurs, à savoir les aspects philosophiques et religieux.
– La 3e commission « C », les voies et moyens pour une meilleure intégration de ces valeurs dans notre système éducatif.
La Commission « A » qui avait pour tâche d’analyser les aspects socio-historiques des valeurs traditionnelles sénégalaises a été confrontée à certaines difficultés dues notamment à l’étendue du sujet et à la grande diversité non seulement des aspects étudiés mais aussi d’autres aspects nouveaux tels que l’économique, l’écologique et le technologique.
Nous n’avons pas la prétention d’avoir analysé en profondeur tous ces aspects. Nous faisons alors appel à votre sens de tolérance pour certaines imperfections qui ne manqueront pas de surgir au fil du présent rapport.
Définition des valeurs
La valeur peut être définie comme un ensemble d’éléments qui permettent de porter une appréciation sur
– un objet
– une idée
– un comportement donné etc.
Le concept de valeur peut se présenter sous deux aspects :
- a) l’aspect statique qui constitue l’idéal ou la perfection tel que défini par le groupe ;
- b) l’aspect dynamique étant l’ensemble des pratiques par lesquelles le groupe tend vers l’idéal.
Dans ce processus, il affine les valeurs déjà acquises pour un besoin régulateur et en secrète d’autres.
Universalité et Spécificité des valeurs
- A) Universalité des valeurs
Par ailleurs, il est indéniable qu’il existe des valeurs universelles en raison même de l’unicité de l’espèce humaine dans son essence.
Il en est ainsi des valeurs telles que :
– la justice
– la loyauté
– l’intelligence
– la lucidité
– le courage, etc.
- B) Spécificité des valeurs
Cependant il existe des particularités dans la pratique, compte tenu du contexte écologique et du contexte sociologique. D’où il ressort la notion de spécificité.
Le fait de vider son bol de repas du fait du manque de pudeur par exemple en est une dans la zone soudano-sahélienne, mais pas exclusivement du Sénégal actuel en tant que cadre géopolitique légué par la colonisation.
Nous vous livrons ici un glossaire des valeurs :
1) Valeurs écologiques :
-Culte des ancêtres
– Sens magique de la terre
– Austérité – ascétisme
– Sacrifice
– Mythe – culte – rite
– Cosmogonie
– Propriété (urbanisme – habitat)
– Pharmacopée
– Sorcellerie
– Sacré – profane
– Préservation
– Conservation
– Initiation
– Sauvegarde
– Mise en valeur
– Endurance (milieu écologique hostile).
2) Valeurs sociales
-Responsabilité
– Générabilité
– Honorabilité
– Interdits- totem
– Kal (cousinage)
– Mariage
– Polygamie
– Endogamie
– Exogamie
– Fécondité
– Héritage
– Veuvage
– Lévirat
– Sororat
3) Valeurs économiques
-Valeur du travail
– Courage au travail
– Formation professionnelle initiatique
– Travail collectif
– Souci du progrès
– Nouveaux modèles
– Respect des interdits
– la division du travail
– Grenier familial
4) Valeurs techniques :
-Techniques de l’habitat
– Techniques culinaires
– Techniques médicales
– Techniques de fabrication
5) Valeurs morales :
-Probité
– Dignité
-Responsabilité
– Honorabilité
– Magnanimité
– Générosité
En wolof nous avons :
Ngor : Honneur – probité
– Mun : Patience – persévérance
– Njambar : Courage
– Téranga : Hospitalité
– Kersa : Retenue
– Warugal : Devoir
– Jom : Courage moral, dignité
6) Valeurs culturelles :
-Contes
– Légendes
– Dicton
– Proverbe
– Devinette
Sports et jeux traditionnels
– Koupet – Yooté – Bay xaal
– Langaa Buri.
Evolution historique des valeurs
L’éducation traditionnelle inculquait très tôt à l’enfant les principes fondamentaux de ce qui, plus tard, servira de base à sa conduite dans le groupe social.
La tradition orale ainsi que de nombreuses survivances de cette éducation montrent qu’elle présentait une réelle efficacité. Ainsi, l’enfant apprenait les manières par lesquelles il pouvait éviter le mal ou l’interdit et atteindre le bien, dans le cadre familial et en dehors.
Dans la conduite et le comportement de l’adulte, c’est de certaines qualités supérieures telles que dignité, responsabilité, probité, générosité que précédaient d’autres qualités encore meilleures autour desquelles gravitaient l’admiration et l’amour que ses semblables lui vouaient dans la société au regard des rapports qu’il entretenait avec ceux-ci.
Chacune de ces qualités supérieures était déterminative d’un élément précis du caractère de l’adulte modèle parmi ses semblables.
De nos jours, il faut le dire, les choses ont changé. Des facteurs multiples, essentiellement nos rapports avec l’Occident européen, mais aussi, dans une certaine mesure la dynamique interne de notre histoire ont profondément modifié les canons de valeurs de même que les formes et le contenu du système éducatif.
Les causes qui sont à la base de cette crise sont de deux ordres :
Causes conjoncturelles : marginalisation des anciens, l’argent, la ville, les villas, les loisirs, les idéologies nocives, les interventions administratives, l’école, le comportement des adultes, l’exode rural, l’imagination…
Parmi les causes profondes nous retenons l’affaiblissement du sens civique, le culte de la personnalité, la baisse de la conscience professionnelle, le goût des solutions faciles.
Au total, de nombreuses valeurs ont perdu de leur connotation d’hier et acquis un contenu qui, pour l’essentiel, est négatif.
C’est ainsi que la cohésion sociale et familiale s’effrite de plus en plus alors que la famille nucléaire fait son apparition, engendrant la disparition d’un ensemble de valeurs positives : champs collectifs familiaux, classes d’Age traditionnelles, initiation par le Kassak.
La société rurale a aujourd’hui perdu à ce niveau la possibilité de reprendre en main la jeunesse et de lui donner l’essentiel de l’éducation d’autrefois.
Perspectives d’avenir
Renaissance « Adina bëcegu weru Koor la Feek Jeant sô ul Juubu wee so gul ».
« Tant qu’il y a vie, il y a de l’espoir ».
C’est pourquoi, il est nécessaire de ne pas désespérer et de poursuivre la voie de la recherche de solution fiable pour la réhabilitation de nos valeurs.
En tout état de cause, il faut authentifier le sentiment national et populaire, il faut le propager et le purifier. Il faut en faire une conscience. Le sentiment national contient la substance de la renaissance culturelle. Il faut savoir le détecter, il faut le magnifier et lui donner sa valeur. Et l’école peut participer à ces deux dernières tâches.
Il faut donc développer l’éducation et la formation. Ce développement permettrait de mobiliser les potentialités nationales et populaires.
L’histoire conscientisée permettra de restituer et de revaloriser toutes les valeurs, qui expriment et donnent une signification à la société sénégalaise dans son évolution historique.
Il est indiqué de penser à une histoire nationale culturelle et populaire, à l’élaboration d’une charte : Culturelle nationale et populaire.
Bu disso amee, rëro rër.
LA COMMISION