Edouard Maunick
Poésie

WYANDOT

Ethiopiques numéro 7

Revue socialiste

De culture négro-africaine 1976

 

Wyandot [1]

 

À René Noyau, l’authentique

 

Mot pour mot peut-être

Coup pour coup sûrement

Mort pour mort jamais…

 

D’un paysage gratté jusqu’au sang

Un sang vert pas amer pour autant

Nous venons la sorcière parenté

D’être debout dans un lieu d’été :

Une foule accusée d’âme oblique…

 

Nous n’avons que le travers des branches

De faire éclater ainsi nos hanches

En des danses aussi vieilles que races

Pour que soit reconquise la trace

D’avant les méandres maléfiques…

 

Petit peuple aux amours de Latouche

Tes lianes n’ont de terre que ta bouche

Ce sont paroles de sel et de feu

Que tu plantes envers les vents houleux

Les vents terrassiers les vents-canines…

 

Mais c’est ton écorce menacée

Si jamais ta gorge est fiancée

Au contre-cantique des harponneurs :

Ta salive est une autre liqueur

Leur évangile un coup sec de foëne…

 

Jamais notre histoire nous fut contée :

À la place notre mémoire hantée

Par d’autres voyages en d’autres terres

Par d’autres conquêtes sur d’autres mers…

Si seulement tu savais Makondé

 

Si seulement tu savais Malabar

Et le nom de ceux qui prirent la barre

Pour virer de bord la cargaison

Te jeter de cale en dérision…

Si seulement tu pouvais aborder

 

Ton originel pays de foule

Bondir au plus vivant de ta houle

Plonger nu et profond sans grimace

Dans ta marée défiant les nasses

Jetées par les grands séparateurs…

 

Si seulement il te venait l’amour

De t’aimer en connaissance d’amour

Sonder en toi le signe insulaire

Celui que tu veux à tout prix taire…

Si maintenant tu avançais l’heure

 

Il suffira d’accorder ton pas

Au pas du soleil le seul appât

Qu’il te faudra gober pour survivre

Et laisser le rhum qui mal enivre

Non ! l’île n’est pas qu’un alambic

 

Certains jeux affadissent le sang

Certain sommeil est voleur de temps

Ne joue plus le Sega d’avoir mal

Plante bien droit ton épine dorsale

Et ne te farde plus de colique…

À mon cou beau collier coolie

Dont l’histoire a fait monter le prix

J’embaume le safran de Bénarès

Comme un qui allume sa caresse

Au flanc d’une terre à féconder…

 

À mes reins mon beau Sega tenace

Que l’exil arbore de place en place

Le monde me voit venir dans ma danse

Venue de Guinée en récompense

D’une agonie vive jouée aux dés…

 

Brûler les épices de la mer :

Si l’Histoire veut être reliquaire

Qu’elle raconte un jour notre réveil

Comme le cri levant d’un soleil

Désormais les traits de notre face…

 

Bannir les brûlures de la mer :

Si l’Histoire sait être cimetière

Qu’elle enterre notre mort clandestine

Adieu mer échouée des salines

Nous naviguons pour trouver la passe…

 

changer de mémoire amère

Parler patois pour chasser l’hiver

En chasse sur nos terres capricornes

Piquer d’incendies versants du Morne

Pour briser tout nouvel attentat…

 

Exploser les musées de la mer :

L’Histoire ne peut être imaginaire :

Nous sommes d’os de chair et d’aujourd’hui

Tous les faux portraits seront détruits

Sauf la mort que nous ne prendrons pas !