Léopold Sédar Senghor, Poète et Chef d’Etat
Culture et Civilisations

STRUCTURE DE LA TRILOGIE D’OYONO

Ethiopiques numéro 33

revue socialiste

de culture négro-africaine huitième année

Nouvelle série volume 1 n° 2

2ème trimestre 1983

Les trois romans de Ferdinand Oyono [1] sont connus pour être des satires particulièrement virulentes du colonialisme. L’humour décapant de l’écrivain camerounais y dissout le vernis de respectabilité qui recouvrait la prétendue entreprise civilisatrice.

Une vie de boy, Le vieux nègre et la médaille, et Chemin d’Europe ont aussi ceci de commun qu’ils analysent le problème colonial sous l’angle racial et présentent la colonie comme un univers où Blancs et Noirs sont en continuelle confrontation. Et toutes les structures romanesques sont sollicitées pour l’illustration de ce conflit. On peut donc, eu égard à ces similitudes fondamentales, parler de trilogie oyonienne et essayer une approche globale de l’œuvre.

Pour nous, cette brève étude sur la structure de la trilogie d’Oyono doit essentiellement nous amener à identifier les différentes formes de manifestation du projet idéologique sur lequel elle se constitue. Après un bref survol de l’armature temporelle, nous axerons principalement notre analyse sur la structure spatiale des romans d’Oyono. Nous essaierons enfin de dégager la signification profonde des récits analysés.

La structure temporelle

Il n’est pas possible, à notre avis, d’appréhender la structure temporelle de la triptyque d’Oyono en tant qu’elle serait moteur d’idéologie.

Une vie de boy est un journal intime et Chemin d’Europe un roman à la première personne du singulier. Nous avons affaire ici à des récits « auto-biographiques » dont l’ossature temporelle est de conception classique.

Les préoccupations de l’auteur y sont de deux ordres. D’une part, il veut, à travers des notations temporelles « précises », donner l’illusion de l’écoulement normal du temps. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’expression temporelle dans Une vie de boy avec des indications comme : « Août ». « Après l’enterrement », etc. D’autre part, puisqu’il n’est pas possible de raconter exhaustivement ne serait-ce qu’une partie de la vie d’un homme, l’art de l’auteur consiste à donner l’illusion d’une vie entière avec une juxtaposition harmonieuse de durées élues. De ce point de vue, et pour prendre un exemple, la partie révélée de la vie d’Aki Barnabas, le protagoniste de Chemin d’Europe, est assez consistante et les événements rapportés assez nombreux et probants pour servir de support à l’explication des réactions et des choix décisifs du héros.

Il peut arriver aussi que l’aventure soit d’une chronologie tout à fait rigoureuse comme dans Le vieux nègre et la médaille. Ici le récit se passe entre le 11 et 15 juillet. A l’intérieur de ce segment temporel, les faits sont ventilés avec un souci remarquable de la proportion. Le 11 juillet, le vieux Méka, se rend à une convocation du Commandant de cercle et s’entend déclarer qu’il sera décoré le 14 juillet. Méka, en effet, a rendu d’importants services à la France : il a cédé ses terres à la Mission catholique et ses deux fils sont morts à la guerre.

Les 11, 12 et 13 juillet, Méka prépare l’événement. Des villages les plus éloignés, parents et amis sont venus à Doum pour participer aux festivités. Le 14 juillet, c’est la cérémonie de la décoration. Le comportement des colonisateurs blancs fait l’effet d’une douche froide pour Méka et ses congénères. Ce même jour, celui-ci retenu en ville par un orage est arrêté et sévèrement malmené.

Le 15 juillet, il regagne son domicile et, avec les frères restés à l’attendre, il conclut que « les Blancs sont toujours les Blancs »

L’étalement de la première séquence prépare en fait la briéveté de la seconde. La joie prématurée des colonisés, croyant voir dans le geste des autorités l’annonce d’une ère de fraternité entre Blancs et Noirs, est brusquement interrompue. La désillusion est brutale, elle est suivie par la résignation.

L’aisance d’Oyono dans le maniement technique du temps était déjà manifeste d’ailleurs dans Une vie de boy. Dans un premier temps, les faits y sont racontés sans aucun souci de précision de leur durée. Rien d’étonnant à cela, l’intention de l’auteur étant de relater la vie quotidienne d’une petite ville coloniale. On observe une attention plus soutenue pour la structure temporelle seulement après qu’une brouille entre Toundi, le narrateur, et ses maîtres blancs eut dégénéré en conflit sournois puis violent. Emprisonné, Toundi est ignoblement torturé. Le temps porte, alors, la marque de son calvaire. La durée est particulièrement pesante car elle se confond avec les sévices.

« Deuxième nuit au camp des gardes », « Midi », « une heure ».

Et :

« Corvée d’eau. Eau et sueur. Chicotte. Sang Colline abrupte – Montée mortelle. Lassitude… ».

La marche inéluctable vers la tragédie se traduit par l’instauration d’un climat pesant à travers le « ralentissement » de la progression temporelle.

Mais, nous le répétons, la structure temporelle n’est ici guère qu’un indice, très sérieux, des talents d’écrivain de Ferdinand Oyono. La mise au jour de la signification de son œuvre s’opère plus sûrement grâce à une interprétation de la structure spatiale.

La structure spatiale

L’espace romanesque, il est devenu banal de le dire, n’est jamais innocent. Chez Oyono l’espace a une fonction technique et idéologique très importante. On peut même dire que c’est à partir de la structure spatiale que tous les autres éléments composants et la signification de l’œuvre peuvent être systématiquement balisés.

La trilogie oyonienne a pour cadre un type ne varietur de ville coloniale. Cette ville s’appelle Dangan dans Une vie de boy, Doum dans Le Vieux nègre et la médaille et n’est pas nommée dans Chemin d’Europe. Anonymat au demeurant significatif : les toponymes Dangan et Doum sont parfaitement fictifs et ne figurent sur aucune carte du Cameroun. En réalité toutes ces villes sont des villes-symboles. En les décrivant, Ferdinand Oyono décrit avant tout la cité – ou l’enfer ! – colonial classique.

Dangan, Doum, etc., sont, toutes, rigoureusement segmentées en quartiers blanc et noir.

Toundi Ondoua, le narrateur d’Une vie de boy, note que la ville de Dangan est divisée en « quartier européen » et « quartier indigène », avec d’un côté, « des maisons au toit de tôle » et, de l’autre, « des cases en poto-poto ». C’est dire d’emblée que la séparation introduite est celle qui distingue les privilégiés des défavorisés.

Le vieux Méka de son côté rapporte que la ville blanche est bâtie sur une colline et domine la ville noire. Cette précision amène aussitôt à l’esprit une série d’associations bipolaires : blanc/noir : haut/bas ; dominant/dominé. Sur un des axes verticaux nous avons les séries blanc – haut – dominant et, sur l’autre, noir, bas, dominé. Il n’y a donc pas de doute, la ville coloniale est le lieu où coexistent deux communautés rigoureusement ségrégées symbolisant respectivement la puissance et la faiblesse.

Les descriptions de détail confirment largement cette impression.

Dans le quartier blanc les maisons sont très belles et confortables. Les Gruchet de Chemin d’Europe se paient même le luxe d’un « petit jardin à la française » avec ses saules pleureurs et ses « sapins altiers ».

Indéniablement, les choses sont très différentes dans le quartier noir. Déjà les rues qui y conduisent, belles et bitumées dans leur partie blanche, dégénèrent « en piste, ruisseau infect au fur et à mesure qu’elle (s) se rapproche (ent) du quartier noir ». La plupart des colonisés habitent de véritables taudis. Toundi, par exemple, après avoir fréquenté pendant toute la journée la luxueuse résidence du Commandant, rejoint, la nuit venue, sa pauvre case du quartier indigène où il retrouve son « matelas de feuilles mortes de bananiers cousues dans une vieille toile de sac ».

Il est cependant des endroits que les Noirs et les Blancs sont obligés de fréquenter ensemble. Cela n’atténue en rien la folie ségrégative de ces derniers.

Il en est ainsi de l’église pourtant lieu d’amour et de fraternité, où les colonisateurs pénètrent « par la porte de transept strictement réservé aux Européens ». A l’intérieur on les voit « confortablement assis dans des fauteuils de rotin recouverts de coussins de velours ». Au contraire, parqués dans la nef de l’église, les indigènes sont obligés de s’installer sur des troncs d’arbre.

Partout prévaut la ségrégation. Il n’est pas jusqu’au cimetière où n’existe « un coin réservé aux Blancs ».

Si le colonisateur a voulu, en agissant de la sorte, organiser sa propre inaccessibilité, il a vraiment réussi. Le colonisé non seulement évite les zones interdites mais c’est toujours avec un profond soulagement qu’il quitte tout endroit marqué par la présence du Blanc.

Ainsi le vieux Méka revenant du quartier européen.

« (Il) se sentait heureux (…) A chaque pas qu’il faisait vers le quartier indigène fondait le poids indéfinissable dont Méka était accablé ».

Or cette attitude craintive et soumise est bien la réaction que le colonisateur attendait du colonisé. Si la pratique de la ségrégation est si intransigeante c’est qu’il s’agit d’une savante stratégie de conditionnement.

Elle vise à amener le colonisé à vivre sa situation comme normale ou, tout au moins, fatale. A force d’accepter toutes les faces de son humiliation, l’indigène en vient à évacuer tout réflexe d’indignation ou de colère dirigé contre l’ordre imposé. Par son attitude servile le Noir avalise la domination du Blanc.

C’est en tant qu’aspect de la stratégie de conditionnement qu’il faut voir la concentration dans le quartier européen de toutes les activités administratives et commerciales. Pour rejoindre son poste de travail ou se livrer à des activités lucratives, le colonisé est obligé de monter tous les jours au quartier blanc.

Toutefois, comme il lui est sévèrement interdit d’y résider ou même d’y rester passées certaines heures, il est tout aussi quotidiennement obligé d’en redescendre.

Ce flux et ce reflux symbolisent l’admission dans le Paradis suivie de la redescente aux enfers. Chaque fois qu’il accomplit ce mouvement le colonisé acquiesce objectivement à l’ordre colonial, c’est-à-dire entérine sa propre infériorisation.

Le déploiement de la population (et de l’armée) coloniale sur une crête inaccessible est significative également d’une certaine prudence. Cette position facilite la surveillance, en tous cas elle donne à l’indigène l’impression d’être perpétuellement tenu à l’œil !

Toutefois si seule paraît signifiante l’opposition entre les deux sociétés noire et blanche, il reste que la complexité interne de chacune d’entre elle exige sa description particulière.

La société blanche

C’est la société dominante.

A cause de l’adoption de foyers « subjectifs » – par opposition aux foyers « objectifs » ou « neutres » – la société blanche ne s’offre jamais comme une réalité impartialement donnée. Elle est le produit du regard des Africains. Ses tares, telles que nous en prenons connaissance, ne sont donc pas nécessairement des tares avérées et indiscutables. Toutefois les témoignages de Toundi, de Méka et ses comparses et d’Aki Barnabas sont tous convergents. Ils donnent tous des images assez révoltantes du colonialisme pour nous convaincre que le système est réellement pernicieux.

La société blanche est présentée à travers quelques types coloniaux et professionnels.

Il y a d’abord le Commandant de Cercle, la plus haute autorité de ce que l’on peut appeler une préfecture. C’est un homme en général brutal et autoritaire avec les Nègres. Ce qui ne l’empêche pas – il est responsable du maintien de l’ordre dans les colonies – de savoir se montrer fin politique. Ainsi, il sait recevoir, avec beaucoup de déférence, les chefs traditionnels : marionnettes entre ses mains et dont il exploite le prestige qu’ils conservent auprès de leurs sujets. Le Commandant sait également se montrer assez persuasif pour faire décorer, pour services rendus, un vieux nègre des colonies.

A côté de la classe administrative, on trouve d’autres catégories sociales comme les commerçants. Ici ils sont grecs. Au Cameroun colonisé les Grecs monopolisaient le commerce du détail et du demi-gros, jouant en cela le même rôle que les Libanais en AOF. Chez Oyono les Grecs sont présentés sous des jours peu favorables. Ils sont cupides, corrompus, sans scrupule. Ils portent tel ce M. Kriminopoulos, des noms qui se passent de commentaires. Tel M. Janopoulos – qui, de pauvre rescapé d’un groupe d’aventuriers est devenu « le plus riche de tous les Blancs Dangan » – Ils ont un passé particulièrement édifiant.

Une autre catégorie de colons est formée par les Prêtres et les instituteurs. Ce sont en principe des vecteurs essentiels de la civilisation européenne – appréhendée, on le sait, comme un modèle achevé et référentiel. Or eux non plus, ne peuvent s’empêcher de succomber au racisme ambiant. Dans Une vie de boy, le Père Vandermeyer « a la manie de battre les Chrétiennes adultères, les indigènes bien sûr… II les fait mettre nues dans son bureau… » On y entend aussi un instituteur soit disant prendre la défense des Noirs, exprimant en réalité à leur sujet des idées pour le moins paternalistes.

Le racisme, ce mépris affiché pour les Noirs, apparaît assez paradoxalement comme le seul terrain d’entente des Européens.

En effet la communauté blanche est constamment menacée de désagrégation tant sont nombreuses et tenaces les contradictions qui la minent. De nombreuses pratiques amorales, comme l’adultère, cristallisent ainsi et exacerbent les oppositions inter-personnelles.

Malgré cela, la société blanche tend à s’homogénéiser dès qu’il s’agit de faire face aux colonisés.

Elle a conscience qu’elle ne doit pas dévoiler les brèches qui la défigurent en tant qu’édifice mais au contraire donner d’elle-même l’image d’un bloc uni et solidaire. Toutefois, il n’est pas sûr qu’elle ait réussi. En effet, n’oublions pas que la Société blanche telle que nous la découvrons est la résultante du regard des colonisés.

La société noire

Face à la Communauté européenne se dresse la communauté noire. Il faut reconnaître d’emblée qu’Oyono l’a peinte sous des couleurs plus attractives. D’ailleurs les personnages à travers lesquels elle est perçue sont eux mêmes des Noirs. Ce qui ne veut pas dire que nous n’ayons aucune idée de la façon dont les Blancs voient les Noirs, au contraire. Seulement, les opinions qu’ils expriment sont tellement outrées, parce que dues à l’aveuglement raciste, qu’il est difficile de leur attacher une quelconque crédibilité.

Les Blancs ont seulement l’apparence d’un groupe. Entre les membres de ce prétendu groupe, la solidarité est celle des intérêts matériels. Affectivement, c’est le vide presque total.

Rien de tel en ce qui concerne la communauté noire. La solidarité est ici très réelle, c’est même une philosophie de l’existence. C’est que, malgré la présence en son sein d’« intellectuels » détribalisés comme Aki Barnabas, la société noire est restée une société de paysans très attachés à la tradition. En toute occasion le Noir se réfère à la parenté et à l’alliance. Ainsi peu après l’annonce de la prochaine décoration de Méka, tout le quartier indigène est envahi par des hôtes arrivés des villages environnants. Par la suite la cérémonie sera considérée par tout un chacun comme sa fête personnelle. La joie de Méka, sa cruel1e déception puis finalement le retour résigné, en matière de relation colonisateur et colonisé, au statu quo ante, tout cela est vécu avec une intensité égale par Méka et ses congénères.

Toutefois cette société est d’autant plus malléable qu’elle est actuellement en crise.

L’administration traditionnelle est décapitée. A sa place ont été inaugurées des Chefferies avec des dirigeants généralement pusillanimes et dévoués aux colons.

La terre ancestrale n’étant plus un moyen de subsistance absolument sûr, les structures familiales éclatent. Beaucoup de jeunes en effet quittent la concession familiale pour aller chercher du travail.

Bref la société noire pratique la solidarité avec une opiniâtreté d’autant plus remarquable qu’elle a conscience que le contraire consacrerait la victoire absolue et irréversible du colonisateur.

Au total l’espace colonial hybride est le lieu de la confrontation de deux sociétés irréconciliables. Toutefois la différence des deux sociétés, le caractère irréductible de leurs aspirations réciproques ne doit pas faire illusion. L’avenir de la colonie est actuellement aux mains des Blancs et d’eux seuls : « De l’espace et des hommes qui l’occupent » écrit Ch. Wondji, « se dégagent plusieurs horizons contrastés (…) A l’analyse force est de constater cependant que l’espace et le temps hétérogènes dans le détail sont globalement conformés par la situation coloniale. C’est en effet la société des colonisateurs (qui) articule deux espaces et deux sociétés et dirige leur dynamique » [2].

Le Noir a pleinement conscience de son impuissance mais ne fait rien qui puisse vraiment changer les choses. Et c’est là qu’apparaît l’aspect essentiel de la trilogie oyonienne : Tout y concourt à préparer un conflit violent entre colonisateurs et colonisés. Pourtant le face à face explosif ne débouche jamais sur les affrontements attendus.

La figuration dichotomique comme finalité

Les colonisés ne répondent jamais à la violence qu’ils subissent par une violence proportionnée. Face à l’arrogance du colonisateur, ils restent étrangement timorés et n’envisagent pas une réaction collective. Leur seule résistance est celle que véhicule un humour particulièrement caustique dont font les frais le plus souvent les colonisateurs. Ceux-ci sont moqués à tout instant sans qu’ils le sachent. Leur hypocrisie est constamment mise à nu. Les indigènes se permettent même en profitant de la différence de langues – de leur décocher des flèches en leur présence.

Tels ces commentaires émis en haute voix sur le passage de la femme du Commandant de Cercle.

– « Vois ce jeu de fesses ! (…)

Quelle taille ! Quelle chevelure !

– Ah ! si on pouvait voir ce qu’il y a dans ce pantalon !

– Dommage que tout ça soit pour les incirconcis ! ».

Le recours à l’humour est si systématique que, revenu de sa fameuse équipée, le vieux Méka déplore la tristesse et l’abattement de ses compatriotes :

– « Mvemas ! Mvemas ! Etes-vous devenus tous des Blancs ?

Vous ne connaissez plus la plaisanterie ! »

Et toute la foule d’être gagnée par une hilarité générale !

L’humour est ici une vengeance sans conséquence. Avec le rire, la colère du colonisé est évacuée. La satire et l’humour tout en se substituant à l’action rendent plus supportable l’enfer colonial.

Pourquoi Ferdinand Oyono n’a-t-il pas voulu représenter les résistances anticolonialistes violentes ?

Son procédé est d’autant plus étonnant que les trois romans ont tous été publiés après 1945. A cette époque, l’image des nations colonialistes est fortement dépréciée dans les colonies. La guerre, avec ses indescriptibles horreurs a définitivement ôté toute crédibilité au discours humaniste des colonisateurs.

L’intelligentsia africaine prône le retour d’urgence aux traditions africaines. Et, devant la résistance des impérialistes, des mouvements de libération sont mis sur pieds.

Au Cameroun même, une longue période de troubles a abouti à la répression féroce des mouvements anti-colonialistes et à l’assassinat de Ruben Um Nyobe, leader de l’UPC (Union des Populations Camerounaises).

A côté de cela, tous les colonisés de la trilogie d’Oyono semblent craintifs, masochistes.

Peu après la publication de L’enfant noir du Guinéen Camara Laye, le romancier camerounais Mongo Béti, ainsi que d’autres intellectuels africains, reprocha à ce roman son silence sur les exactions coloniales. A ses yeux, le rôle du roman négro-africain était de témoigner sur les méfaits du colonialisme.

Intervenant trois ans après L’enfant noir, Oyono paraît avoir retenu la leçon. Mais il ne semble guère vouloir faire plus.

A part la violence des colonialistes ce qui est dévoilé c’est la coupure de la colonie en deux mondes antagonistes. Coupure on ne peut plus nette, ressortissant même à une ségrégation raciale planifiée.

Au moment où le colonialisme était sapé dans ses fondements, sans doute Oyono a-t-il voulu apporter sa part de témoignage accablant ? Il ressort de ses trois romans que nul n’avait plus le droit d’attacher du crédit aux infatigables professions de foi « humanitaires » des nations impérialistes.

La fraternisation des races dans la colonie est rendue impossible par la faute exclusive des Blancs qui y organisent une ségrégation particulièrement élaborée. Et le simple fait de décrire cette ségrégation avec force détails revenait à porter un coup terrible au discours officiel – qui célèbre la fraternisation – et à montrer que l’on en était à un stade où la colonie est devenue invivable pour le colonisé.

Oyono, à sa façon levait les voiles sur une situation particulièrement critique. L’éclairage qu’il jetait ainsi sur le colonialisme ne pouvait enfin de compte que mettre de l’eau au moulin de tous ceux qui, face à l’aveuglement têtu des nations impérialistes, prêchaient le soulèvement populaire et la révolution.

[1] Ferdinand OYONO : Une Vie de boy, Julliard 1956, Le Vieux nègre et la médaille, Julliard 1956, Chemin d’Europe, Julliard, 1960.

[2] Ch. Wondji. « Approche socio-historique d’un roman africain : « Une vie de boy » de Ferdinand Oyono ». In Annales de l’Université d’Abidjan, série D. T. 7, 1974, pp. 118-119.