SOCIALISME ET LIBERTE
Ethiopiques n° 64-65 revue négro-africaine
de littérature et de philosophie
1er et 2e semestres 2000
Socialisme et liberté [1]
En intervenant à ce colloque, organisé à l’occasion de l’ouverture de la Maison de Karl Marx, je voudrais adresser, au peuple allemand, le salut amical du peuple sénégalais, qui, dès son accession à la souveraineté internationale, et avant même celle-ci, avait décidé de participer activement au dialogue des cultures pour l’élaboration progressive de la Civilisation de l’Universel. Si j’interviens, c’est également pour rendre hommage à ce grand peuple allemand qui, à travers les siècles, a donné au monde, dans tous les domaines de l’esprit, des hommes dont la pensée, créatrice, fait désormais partie du patrimoine universel.
En effet, qu’il s’agisse des sciences exactes avec des savants comme Albert Einstein, de la littérature avec des poètes comme Wolfgang Gœthe ou de la philosophie avec des penseurs comme Karl Marx et Friedrich Engels, dans tous les domaines, le peuple allemand a produit des génies qui restent enracinés dans la terre allemande : dans les vertus de la Germanité.
Dans ce contexte, la tenue de ce Colloque, consacré aux rapports entre le Socialisme et la Liberté, revêt, à mes yeux, valeur de symbole, car ce thème traduit, avec pertinence, la constance de la réalité culturelle du peuple allemand, attaché qu’a toujours été celui-ci, si l’on veut bien y réfléchir, aux vertus que prône le Socialisme. C’est aussi que le peuple sénégalais a, dans une Afrique où règnent encore le racisme et le tribalisme, choisi de faire, de ses différences ethniques et socioculturelles, comme le peuple allemand, une symbiose dynamique.
Pour toutes ces raisons, j’éprouve une grande joie à participer à ce Colloque, dont le but est d’honorer l’un des plus grands esprits que le monde ait connus et qui, dans une féconde synthèse de rationalisme européen et des expériences de son temps, aura embrassé tous les domaines de la condition humaine. En effet, Karl Marx aura marqué, plus que tout autre, non seulement la pensée européenne de son siècle, mais également la Civilisation de l’Universel, qui s’élabore actuellement de par le monde. La pensée marxienne s’est naturellement, développée à partir d’un patrimoine déjà fort ancien et qui, d’Aristote à Hegel, est marqué d’une dynamique interne qui en garantit l’élan créateur.
C’est dans ce contexte, marqué, dès le XVIIIe siècle, du vent de la liberté, que vont s’élaborer, progressivement les théories philosophiques et politiques dont le socialisme sera l’une des plus positives. Depuis les théoriciens français dits « utopistes , comme Proudhon, Fourrier et Saint-Simon, jusqu’aux penseurs allemands modernes, dont Marx et Enge1s seront les plus « scientifiques », le Socialisme sera une doctrine faite pour l’homme. C’est dans cette perspective humaniste, mais moderne, que se situe, dans toute sa force, la pensée marxienne. Naturellement, pour des raisons historiques, ethniques et culturelles, celle-ci renferme des éléments propres à l’Europe occidentale du XIXe siècle ; mais, grâce à la méthode dialectique fondée sur le matérialisme, elle renferme, en même temps permanents : des vérités objectives et universelles.
C’est sur cette base que nous allons aborder les relations, également dialectiques, qui existent entre le Socialisme et la Liberté, dans la perspective humaniste de la pensée marxienne, c’est-à-dire le thème même de ce Colloque.
DEFINIR LE SOCIALISME
Mais, auparavant, qu’est -ce que le Socialisme ? En effet, pour une question de méthode, il est essentiel de définir, d’abord, les mots, ce qui nous permettra de clarifier le débat.
Comme on le sait, le mot « socialisme », souvent « scientifique » et désigné, par la suite, par le terme de « marxisme », donne lieu, dans sa définition, à plusieurs interprétations, souvent subjectives, voire tendancieuses.
Ces interprétations diverses ne seraient-elles pas contraires au caractère « scientifique » de cette « science » ? Les grands marxologues et, avant eux, Marx et Engels, ont répondu, eux-mêmes, à cette question : « Notre doctrine » , écrient-ils, « n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action ». Je précise : c’est une méthode pour l’action.
Si le socialisme fait l’objet de différentes interprétations, c’est, dans une large mesure, parce qu’il comporte, en lui-même, des éléments particuliers, spécifiques à des réalités sociales : historiques et géographiques, ethniques et culturelles, ces éléments ne peuvent être perçus ou vécus de la même manière par tous les pays et toutes les époques, cependant et encore une fois, le socialisme, c’est aussi, c’est essentiellement un certain nombre d’éléments permanents et universels : de vérités objectives.
Comme je l’ai indiqué au Colloque de Tunis, en 1975, dans une conférence intitulée : Pour une Relecture africaine de Marx et d’Engels, le « marxisme, c’est l’accent mis sur certaines idées, comme la théorie et la pratique, l’homme et l’aliénation, la lutte des classes, l’histoire et, dans celle-ci, la priorité de l’économie ». Plus précisément, par-delà ces concepts, et dans une liaison dialectique, le marxisme est une idéologie considérée « comme un système de valeurs proposé aux hommes pour leur permettre de se transformer, en transformant le monde, dans le sens de ces valeurs ».
Ainsi, après l’analyse des réalités humaines, contingentes et universelles, ou « sociologie », le problème majeur du Socialisme, sa finalité, est la condition de l’homme. Mais pour aller plus loin, l’essence du Socialisme, c’est la méthode même employée, qu’il s’agisse d’analyse ou de synthèse, surtout de la liaison de l’analyse et de la synthèse en symbiose. C’est la vieille méthode dialectique que les Grecs avaient empruntée aux Egyptiens, que Hegel avait désincarnée en voulant en faire un absolu, et que Marx a revivifiée, humanisée, en la réincarnant dans la matière.
Ainsi défini, le Socialisme apparaît, dans toute sa rigueur, comme un « perpétuel esprit de recherche ». Il propose un projet de société fondée sur la justice dans la solidarité des hommes, donc sur la liberté, parce que sur la science de l’homme.
C’est dans cette perspective que le Socialisme, en tant qu’étude, puis théorie scientifique de la société, s’appuie sur des vérités générales, valables pour tous les temps et pays, mais aussi sur des vérités particulières, puisque celles-là s’enracinent dans celles-ci et que le Socialisme se donne comme but ultime la libération et l’épanouissement de l’homme, situé dans un cadre socioculturel particulier. Dans ces vérités, la dialectique, comme méthode d’analyse scientifique, mais aussi de synthèse, et la planification comme méthode de la symbiose, c’est-à-dire d’organisation rationnelle de la production ou, plus généralement, de l’ « activité générique » de l’homme, occupent une place de choix. Il est vrai, encore une fois, que ce n’est pas Marx qui a inventé la dialectique, mais c’est lui qui l’a appliquée aux faits concrets, très exactement à la réalité sociale. Il a donné à la dialectique à la fois une base et un champ d’application concrets.
Ce sera, sans doute, l’apport le plus fécondant de Marx à la pensée socialiste. Cet apport, grâce à la pensée socialiste, cet apport, grâce au contexte historique, marqué par le développement des sciences, dans lequel il a été élaboré, a reçu une très large diffusion, et sa rigueur a fini par s’imposer au monde comme une théorie efficace. A ce système donc, on a donné le nom de Marxisme.
Les vérités particulières contenues dans le socialisme scientifique concernent les rapports entre l’infrastructure et la superstructure, la théorie du développement uniforme, mais surtout la théorie de la « lutte des classes ». En effet, ces vérités ne sont pas exportables d’un espace socio-culturel précis, avec ses réalités économiques spécifiques et ses valeurs originales de civilisation, vers un autre univers, différent : elles s’appliquent à des hommes « en chair et en os », déterminés par leur histoire et leur géographie, leur ethnie et leur culture.
C’est, dans une large mesure, sur ces considérations qu’il convient de situer les diverses expressions du socialisme, qui, si différentes qu’elles soient, convergent toutes vers le même but : la libération et l’épanouissement de l’homme, cette libération et cet épanouissement étant, eux-mêmes, le résultat de l’ « activité générique » de l’homme se libérant par le travail.
UNE IDEOLOGIE A FINALITE HUMAINE
C’est ainsi que nous sommes situés dans la véritable perspective du Socialisme :l’Humanisme.
En effet, comme je l’ai montré ailleurs, l’ambition de Marx, et son paradoxe apparent, a toujours été d’exprimer, à travers toute son œuvre, la dignité de l’homme avec ses exigences spirituelles, sans avoir jamais recours ni à la métaphysique, ni à la morale, ni à la religion, pas même à la philosophie. On s’est, en effet, demandé au nom de qui ou de quoi Marx osait affirmer la dignité humaine et le droit d’appropriation de l’homme sur les produits de son travail, au nom de qui ou de quoi il condamnait le travail nocturne, le travail des enfants et la traite des Nègres. Je réponds : c’est au nom d’une certaine intériorité humaine, d’une force spirituelle, osons le dire, qui, née de l’homme, dépasse l’homme. En tout cas, la condition humaine, je veux dire le destin humain à réaliser, est bien le sens de toute son œuvre. C’est le fondement de l’humanisme marxien, car, comme le dit le Robert, l’humanisme est bien « toute théorie ou doctrine qui prend pour fin la personne humaine et son épanouissement » . Même si Althusser en fait une « idéologie » , celle-ci demeure une idéologie à finalité humaine.
Mais quelle est la conception marxienne de l’homme ? Il convient, avant de répondre à cette question, de rappeler, en les précisant, les conceptions humanistes antérieures, dont la marxienne ne peut être détachée, au risque de lui enlever toute originalité.
En effet, l’humanisme, considéré comme un mouvement intellectuel ayant pour « fin la personne humaine et son épanouissement » , a pris une forme théorique cohérente à partir de la Renaissance. Cette conception, qui est celle des humanistes, est, grâce au contexte philosophique de l’époque, imprégnée de rationalisme métaphysique. L’homme de ce mouvement est l’homme en général, qui n’a ni race, ni patrie et n’appartient à aucune ethnie. Il est une construction de l’esprit : une théorie, pour parler comme les Grecs. Cet homme, placé dans un cadre spatiotemporel purement conceptuel, sera, à plusieurs égards, l’homme de Hegel et Feuerbach, qui auront profondément marqué la pensée de Marx.
Au demeurant, si nous tenons compte de la césure théorique intervenue dans la pensée de Marx, de la « coupure épistémologique » de 1845, nous distinguerons deux moments dans l’élaboration de la théorie marxienne.
En effet, les œuvres de jeunesse de Marx, qui s’arrêtent en 1845, sont marquées par des influences de Hegel et de Feuerbach, où, naturellement la conception marxienne de l’homme est très proche de la conception hégélienne. Mais, déjà, l’homme marxien était un être plus concret. C’était un bourgeois, mais, plus réellement, un travailleur situé matériellement et socialement. C’était, en effet, un homme situé en Europe occidentale, mais surtout impliqué dans un système social donné, le système capitaliste, à l’intérieur duquel ses attributs essentiels, la dignité et la liberté, étaient aliénés parce que lui-même, en tant que producteur, était soumis à l’aliénation. Par cette aliénation, était consacrée la perte, pour lui, des produits de son travail comme acte libre, et la perte de lui-même comme personne dont l’ « activité générique » est, par-delà la satisfaction des « besoins animaux », de créer des œuvres d’art : de beauté. Pour ce Marx-là, la propriété privée, est, déjà, le symbole et la réalité de l’aliénation, qui substitue l’avoir, mort, du capitaliste à l’être, vivant, du travailleur.
Après la coupure épistémologique, l’analyse du concept de l’aliénation sera, dans une large mesure, poursuivie par Marx, dans Le Capital, où nous retrouvons un théoricien, non pas insensible à la condition humaine et à la philosophie, sans sentiments ni passion, mais aguerri, fort des expériences de la vie passée à côté des ouvriers. Comme l’indique Roger Garaudy, dans Perspectives de l’Homme, « Marx, dans Le Capital, ne renonce nullement à cette analyse de l’aliénation : il l’approfondit en opérant une reconversion des concepts spéculatifs, qu’il dépasse en les intégrant ».
En effet, l’étude des conditions des ouvriers concrets situés dans le système capitaliste, a permis à Marx de distinguer trois formes fondamentales de l’aliénation : l’aliénation du produit du travail, l’aliénation de l’acte de travail, l’aliénation de la vie générique. Le concept restait un instrument d’analyse théorique, mais chargé d’une signification sociale et économique concrète ; il devenait un concept scientifique, mais, dans une démarche prospective, un instrument efficace,qui permettait aux travailleurs de prendre une conscience claire de leur condition d’exploités ; partant, il devenait un instrument de libération politique, mieux, d’épanouissement culturel.
Il s’agit, plus précisément, dans Le Capital, d’indiquer aux travailleurs, situés dans le système capitaliste, fondé sur le salariat, comment, à partir d’une situation d’aliénation, où ils sont traités comme des marchandises par la vente de leur force de travail, ils peuvent s’organiser pour accéder à des conditions d’existence plus dignes, où l’homme sera son propre créateur. C’est à partir de cette organisation que les producteurs, associés, règleront leurs échanges, d’une part, entre eux et, d’autre part, avec la nature, qu’ils auront aménagée pour servir leurs besoins. Au-delà, commencera le développement des aptitudes et des possibilités humaines comme fin en soi, singulièrement dans le domaine de l’art. C’est, là, toute la perspective humaniste du Socialisme : une société d’hommes libres, socialement désaliénés et culturellement épanouis. D’un mot, le Socialisme est, essentiellement, auto-création de l’homme.
RENDRE L’HOMME CONCRET PLUS HEUREUX
Il résulte, de ce qui précède, que la conception marxienne de l’homme est inséparable de la finalité humaine du Socialisme lui-même. Donc, plus que les aspects économiques, fondés sur l’appropriation collective des principaux moyens de production, en conformité avec le caractère social de la production, par quoi se dépasse la contradiction essentielle du système capitaliste, le Socialisme se donne, comme ambition, l’Homme, dont l’attribut fondamental est la liberté, plus exactement, l’action libre. C’est pourquoi l’analyse et la compréhension du concept de l’aliénation paraissent si importantes, car il ne peut avoir de liberté dans l’aliénation, mais, en même temps, la démocratie est, historiquement, un moyen de la liberté et un instrument de la justice.
Les problèmes de la liberté ne peuvent être posés correctement que dans la perspective de la libération de la classe la plus nombreuse et la plus contrainte, c’est-à-dire la classe des travailleurs. Pour quoi la finalité du Socialisme, c’est-à-dire l’instauration d’une société fondée sur la solidarité des hommes dans la justice, est aussi celle de la liberté et de la démocratie.
Ces attributs essentiels de l’homme ne peuvent donc s’épanouir que dans le cadre d’une société où les rapports sociaux fondés sur l’exploitation de l’homme sont, non seulement supprimés, mais encore remplacés par des rapports fondés sur l’égalité et la solidarité, partant, sur la justice. Dans ces conditions seulement, l’homme, qui est un ensemble de besoins, pourra se réaliser en tant qu’être dans toute sa plénitude culturelle. Il deviendra, alors, conscient de lui-même et de ses possibilités de création : il aura recouvré intégralement sa liberté.
Ainsi, au-delà de ses objectifs économiques immédiats, le Socialisme, à travers l’appropriation collective des moyens de production et la justice sociale, a pour finalité la condition humaine : rendre l’homme concret plus heureux et meilleur par l’épanouissement intégral de tous ses attributs, dont le plus essentiel est la liberté.
Le Socialisme, sans la liberté, comme objectif majeur, ne peut être que totalitarisme, car ce serait la négation de l’homme. On ne peut prétendre, en effet, construire un projet de société dans une perspective socialiste en niant l’attribut fondamental de l’homme, c’est-à-dire la liberté ; liberté dans la réflexion, dans l’action, dans le travail, dans la création.
Si nous avons, à travers la pensée marxienne, assimilé l’humanisme à la liberté, pour éclairer les relations du socialisme avec celle-ci, c’est parce que, non seulement c’est naturel – toute théorie qui se donne pour finalité l’Homme et son épanouissement étant humaniste -, mais aussi qu’elle permet l’épanouissement de toutes les capacités humaines. C’est dans la liberté et pour la liberté que l’humanisme fleurit.
Naturellement, la liberté dont il s’agit ne saurait être celle qui fut longtemps, comme pendant la Renaissance, le sujet de la spéculation métaphysique. Il ne s’agit pas non plus de la liberté qui justifie, dans le système capitaliste, le droit d’exploiter, en l’aliénant, l’homme par un autre homme, sur la base de la propriété privée. Il s’agit de la liberté de l’être concret, libéré de toutes les contraintes politiques, sociales et culturelles.
Il s’agit de la possibilité, pour l’homme, de développer toutes ses facultés individuelles, dans une société, une collectivité également libre de se déterminer. En effet, comme l’écrivait Marx, dans l’Idéologie allemande,« ce n’est que dans la communauté que l’individu acquiert les moyens de développer ses facultés dans tous les sens ; ce n’est que dans la communauté que la liberté personnelle devient donc possible ».
C’est le sens du combat que mènent les militants du socialisme démocratique moderne. C’est en ce sens que, dans la construction actuelle du Socialisme, les réalités économiques et culturelles de chaque peuple doivent être considérées comme des éléments décisifs. C’est également en ce sens que la distinction, rigoureuse, entre vérités permanentes et vérités particulières devra être opérée. Sans quoi, on ferait du Socialisme ce qu’il n’est pas : un dogme. Nous le savons, en effet, par l’expérience, l’Homme de tous les temps et de tous les lieux, ce n’est plus l’homme vivant, réel, mais une simple vue de l’esprit. On ne peut saisir les traits permanents de l’homme qu’à travers ses particularités historiques, géographiques, ethniques, culturelles. Pas plus que l’Européen, l’Africain n’échappe à cette règle. Ils sont situés, l’un et l’autre, dans deux espaces, deux civilisations différentes encore que complémentaires. C’est pourquoi les méthodes et les moyens choisis, ici et là, pour construire le Socialisme ne peuvent être identiques.
Comme je l’ai montré dans un article intitulé « Marxisme et Humanisme » et publié, en 1948, dans la Revue socialiste de Paris, le message de Marx « est toujours actuel, en ce sens qu’une nous propose ni doctrine, ni système, mais, encore une fois, une méthode d’action au de l’homme total : ce qui exclut tout totalitarisme, tout fixisme, car l’homme est toujours à réaliser » .
SOCIALISME, DEMOCRATIE ET LIBERTE
Le Socialisme, considéré comme une philosophie, ou comme une idéologie, est toujours un projet de société d’hommes libres, solidaires dans la justice.
Pour réaliser ce projet de société par l’homme, rendu à lui-même dans sa dignité restaurée, la méthode d’analyse et d’action que préconise Karl Marx demeure la plus efficace parce la plus rationnelle.
Un Socialisme qui, dans sa construction comme dans sa finalité, nie la dignité humaine, en mutilant l’être, c’est-à-dire les droits fondamentaux de l’homme, dont le plus essentiel est la liberté, ne serait pas socialiste. Mais l’exercice, dans toute sa plénitude, de la liberté, suppose, comme condition, l’existence de la démocratie, qui, comme nous l’avons indiqué, est historiquement et dans les faits, un moyen de la liberté.
Pour toutes ces raisons, le Socialisme sans la liberté ni la démocratie ne saurait être socialiste. Il s’agit, comme récrivait Marx dans Économie Politique et philosophie, en libérant l’homme de sa triple aliénation, de lui « permettre l’appropriation réelle de l’être humain par et pour l’homme… en tant que retour complet, conscient, accompli à l’intérieur de toute la richesse du développement passé, de l’homme à soi en tant qu’homme social, c’est-à-dire en tant qu’homme humain et libre ».
Il s’agit, en définitive, de rendre l’homme, qui est le cœur du monde, conscient et libre, pour que son « activité générique », grâce au travail, transforme ce monde pour l’accorder, par-delà ses « besoins animaux », à ses exigences spirituelles de liberté et de création.
C’est, là, le message permanent de Marx et du Socialisme démocratique. Pour nous, Sénégalais, l’homme est, à la fois, moyen et fin. C’est pourquoi nous le mettons au début et à la fin de notre Plan de Développement économique et social. Mais il est question d’un homme libre, non pas de celui de la « civilisation de consommation » : encore une fois, d’un homme qui, libéré des besoins animaux, sait, comme le voulait Marx, créer des « œuvres de beauté » pour en faire des nourritures spirituelles.
[1] Article publié dans la revue ÉthiopiquesN° 12, Octobre 1977