Notes de lecture

SIRE MAMADOU NDONGO, LE FANTANG. POEME MYTHIQUES DES BERGERS PEULS, KARTHALA-IFAN-UNESCO, 1986, 204 PAGES

Ethiopiques n°48-49

revue trimestrielle de culture négro-africaine

Hommage à Léopold Sédar Senghor

Spécial les métiers du livre

1e et 2e trimestre 1988

– volume 5 n°1-2

Un ouvrage qui manquait aux études sur la littérature pulaar vient de paraître. Son auteur, Siré Mamadou Ndongo comble ainsi une lacune et d’une manière remarquable.

Genre très populaire de la littérature peule, le Fantang doit surtout son renom à son origine mythique. On raconte qu’un jour un guitariste entendit fredonner un air musical, qu’il décida d’essayer de reproduire à l’aide de son instrument de musique et le Fantang naquit de son succès. En guide averti, Siré Ndongo restitue au lecteur l’atmosphère de ce genre, tout en essayant de mettre en valeur son environnement socio-culturel. Il en donne ainsi une vue interne à partir de la transcription et de la traduction de deux textes inédits : le premier recueilli auprès de Silèye DIA, griot guitariste du village d’Aéré Lao (Département de Podor) et le second au près de Birom Gael Ndiaye de Barkédji (Département de Linguère).

La transcription et la traduction, faites avec rigueur, permettent à un lecteur non spécialiste de percevoir le ton et le fond, en un mot les traits marquants du Fantang. Ce corpus est ensuite soumis à une analyse historique et sociologique dont le but est de dégager la genèse et les fonctions sociales du Fantang. L’auteur s’y livre à des analyses pertinentes, par exemple lorsqu’il tente de percer le mystère de Ilo Yaladi Diâdié, personnage que le mythe et l’histoire se disputent ou lorsqu’il essaie d’identifier la vache de Ilo.

Après la transcription, la traduction et l’analyse socio-historique du Fantang, M. Ndongo en arrive à l’analyse socio-mythique de son corpus. Celle-ci lui permet de mettre en relief les rapports existants entre la société peule et ses génies tutélaires (Koûmen, la vache, Guéno, les Frères mythiques…). Le lecteur perçoit là l’esquisse d’une étude des éléments constitutifs de la « pulaagu » ou idéal peul.

Enfin, la quatrième et dernière partie de l’ouvrage aborde l’analyse littéraire du corpus. Leur aspect technique, hérité du Mémoire de Maîtrise qui est à l’origine de ce livre, n’effarouchera pas un lecteur moyen bien disposé. Car l’auteur fait preuve d’une grande pédagogie pour mettre en valeur la corrélation existant entre la thématique, les personnages et l’univers mythique. En guide sûr, Siré Mamadou Ndongo, initié à l’ésotérisme peul et à la mystique musulmane, dévoile le sens des signes et des symboles au lecteur transporté dans un autre monde.

Comment taire le plaisir que la lecture de livre procure ? Ouvrage qui répond à l’exigence de fidélité qui l’a suscité, il est aussi écrit par un esprit honnête et curieux. Le Fantang de Ndongo apparaît à bien des égards comme une belle médaille. Mais toute médaille a son revers, on le sait, et ce livre remarquable n’échappe pas à toute critique.

La première critique que nous ferons concerne les dimensions réduites du corpus qui empêchent, du même coup, l’extension de l’analyse au Fantang de l’ère exclusivement agro-pastorale. L’auteur en est d’ailleurs conscient, puisqu’il reconnaît en introduction que : « Nos textes sont insuffisants quantitativement, mais leur contenu est éclairant… »

De même, on note un certain déséquilibre dans l’analyse, ainsi qu’une fascination trop voyante pour Godelier et Goldmann même si, par ailleurs, Amadou Hampaté Ba est invoqué en contrepoint. Certes les présupposés théoriques se justifient tout à fait, mais les textes issus de la littérature orale impliquent, avant tout, une étude fondée sur la spécificité de l’oralité qui les inspire et justifie leur existence. Faute d’une telle approche systématique le travail passe sous silence la réception du Fantang, point capital du genre.

D’une manière générale, le Fantang se présente comme un vaste geste de la « pulaagu », exaltant le peul , la vache, son fidèle compagnon, la femme, mais aussi les qualités définissant un peul.

Poème pastoral, il chante aussi la campagne, les pâturages, les points d’eau, les joies et misères du pâtre. Il exploite aussi les généalogiques et s’appuient sur les « diarâle », tableaux pittoresques qui circulent à travers les genres traditionnels, que Teen Youssouph Guèye définit par une formule heureuse comme des : « éléments décoratifs autour d’un motif central ».

Quelles que soient ces réserves, qui ne mettent pas en cause un ensemble particulièrement cohérent. Ce livre nous donne l’occasion de souhaiter bonne chance au Fantang et de former des vœux pour qu’il soit inscrit très rapidement au programme des écoles et universités africaines.

La chaleur qui transporte nos souhaits ne saurait surprendre, car nous partageons avec l’auteur de ce beau livre, une même passion pour la cause du pulaar, pour la littérature pulaar !