Poèmes

SAINT-LOUIS SANS MESURE

Ethiopiques n°73.

Littérature, philosophie et art

2ème semestre 2004

Tu es le sourire des rivières du Nord

Et jusqu’à l’estuaire paisible

La longue extase du bras de mer

Où les pélicans ont fait leurs nids

Tout là-bas ma mémoire tangue

Comme une galère

J’ai si mal au cœur depuis l’embarcadère

D’avoir vu la mer dilatée

Comme une pupille géante

Je me suis dit

Quelle idée de partir d’ici pour l’Amérique

De ces rues fatiguées que j’aime pour leur âge

De cette ville qui dort au bord de ses plages

De cette petite ville qui bruit de légendes fières

Où roulent enlacés sous les ponts

Jusqu’à la Langue de Barbarie

Atlantique et Sénégal _Amoureux jusqu’à l’embouchure

J’ai confié ton nom au prince des poètes

Il était ivre il n’a retenu que ta grâce

Saint-Louis

Je te vois toujours sourire

Lors mon sommeil est plein de visions claires

Au fond d’un cœur immense

Autant que ton nom m’est poignant

Saint-Louis de mes jeunes années les yeux rayonnants

Et la houle et le roulis et le souffle des jours heureux

Bàmba faites que le fleuve et la mer jamais ne mêlent leurs colères

Sur mon front plein des tourmentes du vaste monde

Ton baiser aux éclairs de tendresse

Saint-Louis Terre maternelle où les aigrettes par milliers disent

Qu’il faut venir se prosterner

Saint-Louis à l’âme et le bonheur est sans raison

Saint-Louis l’exil et la sécheresse est de toute saison

Sans soucis sous les alizés bohèmes

Saint-Louis la Chaumière

Et nos mémoires câlines autour de leurs reins splendides

Tes filles de braise sont d’un autre monde

Saint-Louis mon foyer de tendresse

Saint-Louis ma source de vie

Mon soleil haut sur les souffles pénibles

Mon hymne d’amour par les lunes de mai

Tu reverdiras ma vieille ville

Saint-Louis où les Dieux écoutent

Ta chevelure de palétuviers dansants

Est l’écume d’or des pays du Sud

J’irai à l’église dans les quartiers musulmans

Car les imams et les prêtres sont frères en vrai

Ils disent les uns et les autres croire au même Dieu

C’est si bon de revenir pour un vagabond des livres

Vivre entre filaos et flamboyants séculaires

L’ancienne vie indigente et sa paix d’avril

Près des marécages où la lumière s’isole

Ici la vie ruisselle dans le sourire des femmes

Noires et belles elles font mourir d’amour

Des Berbères en ont vanté la vertu aux migrants

Leurs royaumes n’avaient que sept portes

Leurs sourires les ont toutes ouvertes

Saint-Louis embarcadère pour les îles du souvenir

Quand vient le temps pour la bonté et que l’amour

Vous monte dans l’âme comme un vin de palme

Si les temps revenaient du chemin des écoliers

Et des bois qui chantent à Lewna

Et de l’antilope imprudente sur la Corniche

Et du Gouverneur Général au bout du Pont

Les temps des Trarza sans capitale

Des jeere insouciants

Des libidoor scintillants

Du mil abondant à Leybar

Et des chéchias volubiles

Je n’aurais qu’une sagaie pour me nourrir

Et toute l’année je ne jouerais de la flûte

Que pour Jeynaba

Loin des ailes métalliques des Mermoz

Saint-Louis

Ton front souriant à la mer aux fleuves aux rivières

Et comme un talibé débraillé de Sànnaar

Je choisirai mon auberge à l’Etoile du Sud

Terre qui m’as bercé je crois en toi

Terre maternelle

J’ai connu le vaste monde

Et les blondes profondeurs

Des toisons sublimes et faciles

Sous de faux cieux j’ai aimé

Dans les fleurs et les confettis

J’ai offert à l’avenir des pays métis

Des germes imbibés de rhum vieux

Ne fallait-il pas aimer

Toutes celles qui ont reçu si peu d’amour ?

Je ne leur demandais qu’un peu d’affection

C’est tout ce qu’elles pouvaient donner

Fort peu

Comme une bête elles m’ont fait souffrir

Moi aussi j’ai menti dans les grandes villes

Et craché à la face des ministres et des palais

Mon âge était verdoyant et mes poches vides

Les filles étaient belles et leurs tailles fines

Pour les séduire il suffisait de sourire

Adieu princesses subtiles et vos étreintes au jasmin

Cent et cent fois c’est ici

Ile désuète

Que je veux mourir

Ici parmi la brise marine _Et le murmure des rivages

Ici quand au crépuscule

De leur haleine de sucre

Les goyaviers hèlent des piroguiers rompus

Terre charnelle

Ailleurs j’ai perdu ma vie

A ton nom mon chant s’élève vers le jour

Et je vois sur des calèches bariolées

Des cochers tranquilles somnolant

Sous la conduite de leurs chevaux

La bise siffle au grand ballet des ancêtres

Où mes yeux sablés d’or fin revoient

Sàmba Carpot à Sinndóone où la maison frissonne de joie

Maademba à Balakoos de foyer resplendissant

Jibril à Njólófeen dans la beauté du jour

Kanny à Soor pour que s’éternise la grâce

Màggat à Sancba où les muezzins jamais ne se taisent

Faliilu à Ganjóol où l’air du soir sent le laitage

Pour tout l’amour versé dans mon cœur

De l’antique jeunesse frondeuse

Aux jours vertueux de la cinquantaine

J’ai loué sous le minaret de Balakos

Une place tiède face à l’Imam Daat

Où sur des nattes tawareg tressées

De prières blanches

Se cabre mon chant en dix lettres

Saint-Louis

Saint-Louis il me suffit de revenir

Pour que mes pas soient lyriques

Il me suffit d’entendre les voix lumineuses

De Nafy Safy Kanny Sooda Awa Amina

A tous âges mes sœurs ferventes

Et je me rebâtis comme on élève une tour

Ile infinie

Tu entends le bruit neuf de mes pas impatients

De mon cœur avide si près de ta mamelle radieuse

J’y voudrais puiser mon accent ma force

La beauté du jour et la paix du silence