Poésie

ROUGE EST LE SANG DU NEGRE

Ethiopiques numéro 26

révue socialiste

de culture négro-africaine

avril 1981

A Nelson MANDELA

Tout est sombre autour de moi

Mes idées sont baillonnées

Et le monde marche à l’envers

Dieu ! Je suis seul sur le balcon de la Vie

Et le parvis de l’Enfer fleuri de cris

de crépitements d’étincelles d’odeur de chair

rythme danse de SATAN libéré

Satan couronné de Satan mage.

…BACCHUS est de la fête

Aujourd’hui l’eau de vie coulera

du puits de l’injustice et de l’honneur piétiné

jusqu’à la lie du fût de l’oubli

puis… l’inconscience dressera ses remparts :

– Venez c’est l’archie dans la misère profonde

La mère étrangle son enfant et s’asperge de son sang

– L’enfant décapite son père et lapide sa mère et de

l’autre côté l’inceste se défoule dans le pêché

Dieu ! je suis seul sur le balcon de la vie

et ne m’y reconnais plus…

Ici des regards furtifs se croisent

écrasés comme une ombre sur la potence du rêve –

Mimétisme voulu dans le glacis de l’extraversion

devant le piédestal du mal incarné

Les espoirs s’effeuillent les espérances se figent

les vérités sont tues les mensonges clamés à la criée

dans le deuil plâtré et pernicieux de la parole castrée

Nul n’a plus de langue nul n’a plus d’yeux :

Il faut écouter croiser les bras et attendre

que les rideaux de calicot tombent sur le Silence glacial

de l’amertume étouffée et de voluptés séniles ;

Venez ! venez ! c’est le banquet de la peur de la faim

de la terreur :

Le fossoyeur le bourreau le gardien de cimetière

sont aux premières loges-vêtus de pourpre

« Ici ne sont admis que les candidats à la mort noire

à la mort accidentellement provoquée, brumeuse et maquillée »

Dieu ! je suis seul sur le balcon de la vie

et ne reconnais plus ce monde sanguinaire inutile et caustique

Mon espoir étendu sur un fil pourri

respire un parfum mortel

et de temps en temps je me révolte

Devant l’Eternité une belle-de-nuit aux fleurs éclatées

répand dans la nuit naissante une odeur de poison

et de mort avortée

Mon avenir n’est pas rose

Celui des autres est morose.

C’est la confusion totale et le mal est roi.

Cruel destin !

Je n’ose plus garder – mon ombre me traque

Elle est là embusquée se confondant avec elle-même

raclant les murs les oreilles aux aguets.

Mais je ne dirai plus rien même à moi-même.

Et voilà que l’on viole mon silence :

« Vous avez une fois pensé à vous suicider »

Et c’est le procès et c’est la valse des avocats.

 

Cinq ans de prison pour avoir pensé à me suicider

Inquisition !

Maintenant il faut descendre dans les obscures geôles

Adieu Soleil !

Adieu lune !

Adieu tout le monde !

Cinq ans de prison ! – C’est la mort avant terme

C’est la mort au ralenti

Ah laissez-moi rédiger mon testament –

Au fait pourquoi ? – Puisque je n’ai rien à léguer

Mais si… la vérité une – la vérité non tronquée

Elle triomphera un jour dans le sang giclant de partout

Et de mon trou de proscrit je rirai

et mon rire comme tonnerre fera trembler la terre

et les crevasses immenses engloutiront mensonges

et vendeurs de promesses raccommodées

Je n’ai rien fait- Je l’ai dit et crié tout haut

Ils n’ont voulu entendre que la voix absurde

de la vengeance.

Ils assassinent l’innocence sur le chemin négatif

de la force aveugle.

Pas de remise de peine

pas d’amnistie

pas de grâce

Ni pleurs

Ni soupirs

Ni prières

Ne ramollissent leur cœur de pierre

Ils sont de marbre et leur conscience de granit

Dieu ! Je suis seul sur le balcon de la vie.

et ne reconnais plus ce monde inhumain.

Quand sonnera le glas de tout cela ?

Je ne sais pas –

Mais ce jour là la vérité triomphera

et l’on saura que rouge est le sang du nègre

et que rouge est le sang des autres.

Nouakchott

Dakar

Lagos, Août 1980