Fernando d’Almeida
Poésie

REVER LA REALITE (extraits)

Ethiopiques n°46-47

Revue trimestrielle de culture négro-africaine

Nouvelle série 3ème et 4ème trimestre 1987-volume 4

 

Rêver la réalité

(extraits)

Beau-frère du quotidien

 

J’ai besoin de me repaître de mots

Au nocturne foyer des images

Beau-frère du quotidien

J’ose encore l’écriture

Pour dire le mal-dingue de mon peuple

 

Dieux ! qu’enfin sous mes pas

Le réel s’incorpore

Afin qu’à leur tour reverdissent les mots

Qui nous relient à l’illogique

De notre terre dévêtue de joies tutélaires

 

Je suis en mois et hors de moi

Pour que les mots transhument

Vers le jour qui tonne là-bas

Au large des eaux maternelles

Je suis en moi pour réinventer le réel

 

Tant de délires proférés

N’ont guère suffi à m’exorciser du réel

Mais qui sait de quel rivage

Nous viendra le totem fondateur

Terre je ne suis ivre que de toi

 

Et j’habite l’écho des rues

Qui puent le chancre et le désespoir

De ceux quine savent plus s’ils doivent

Continuer à vociférer ou à geindre

Pour que la vie ait un sens pour eux

 

Je dirai toutes les rancœurs entassées

Depuis qu’il nous est donné

De nommer par décret ou par arrêté

Tous ces paumés qui du néant surgissent

Pour tresser des guirlandes aux Princes du jour

 

La danse sacrée du jour

N’est-ce pas assez que je continue

De longer les faubourgs

De m’obstiner à nommer les choses

Pour que de leur alliance vers l’homme

L’homme s’invente de nouveaux délires

 

Sur quelle frêle épaule porter

Le dépit des tuberculeux

Qui de peine toussent

A la porte des dispensaires

Pour apprivoiser la pitié des passants

 

N’est-ce pas assez que je continue

D’habiter l’histoire qui s’accomplit

A la margelle blafarde du jour

Avec ses redites et ses points de suspension

Qui nous certifient que la vie est toujours à refaire

 

Je dis qu’il n’est pas gai de vivre

Si ce n’est pour avoir cette consolation

Que demain il faudra tourner le dos

Au soleil et composer désormais

Avec la gent rampante

 

Mais en attendant que la glaise

Impose son diktat à ma piètre personne

J’entame une danse sacrée avec le jour

Pour ne pas être étranger à ma terre

Pour ne pas être étranger à ma piètre personne

 

Le moi bavard

D’accord c’est entendu :

Je suis toujours de cette terre

Qui au soleil flambe

Comme au jour éclate la hernie

Des convictions

 

Parfois je colle un peu trop

A ce moi bavard qui ne sait pas très bien

S’il faut qu’il s’oppose à la liturgie du réel

Ou bien qu’il se maintienne

A égale distance entre soi et autrui

 

Avant tout il s’agit de ressasser

Les fureurs diurnes des bidonvilles

Sans jamais se déprendre de soi

De ses conflits intérieurs

Avant tout il s’agit d’aller

 

A la rencontre de l’Autre en soi

De faire sentinelle dans le peuple

D’être attentif aux convulsions du jour

Avant tout il s’agit de bâtir sur l’exigence

Le mot Vie que tous nous avons reçu en partage

 

Pour escorter vers l’avenir

Tous nos songes sculptés sur le quotidien

Afin que granulé d’espoirs le jour

Désormais maigre dans la splendeur du moi

Désormais migre dans la splendeur du moi

Qui relie l’orgueil du poète à son terreau

 

L’injure dans la bouche

Et maintenant qu’il ne nous reste

Plus qu’à crier ou à gesticuler

Pour qu’on se retourne vers nous

Au jour transhumant des désirs

Qu’est-ce qu’il est dur d’avoir

 

A plaider chaque matin pour sa chapelle

Comme si la vie n’était faite

Que d’arguments à porter comme des gants

Qu’est-ce qu’il va être dur

D’être toujours sur la défensive le qui-vive

 

Comme si toujours il faut se donner

Des airs de conquistador ou carrément

Entrer dans la vie l’injure dans la bouche

Secret matin de rêves éperdu

Ce n’est pas sans désespoir violent

 

Que je suis ici à me demander

Si je dois continuer à tendre la main

A la vie qui se gausse de moi

Parce que je ne suis là que pour baiser avec le réel

Et bivouaquer avec les choses sans consistance

 

Trop tard pour ajourner mes conflits ?

Je n’ai plus qu’à ouvrir les guillemets

Et clamer qu’on ne peut pas toujours nier

Que moi aussi j’ai mon mot à dire

Sur les certitudes figées de cette planète exfoliée

 

Le chemin des espoirs concassé

Bien sûr que nul n’est obligé

D’avaliser mes phantasmes

De refaire avec moi le chemin

Des espoirs concassé

Que chaque jour j’emprunte

Pour atteindre les rives du songe

 

Je sais qu’il va falloir s’inventer

D’autres cris plus conformes au réel

Pour éviter d’être piégé par le jour

Dont la vocation est de nous faire

Prendre des risques lorsque

Tout semble aller de soi

 

Mais qu’est-ce qu’il est difficile

De faire parfois chorus avec les siens

D’exiger pour soi une place au soleil

Sans être obligé de plier l’échine

De faire la génuflexion devant les gérontes

De manier l’encensoir aux proconsuls

 

Me faut-il encor croire à la vie Tant de désespoirs engrangés

De combats inutiles suffiront-ils jamais

A me ravir de l’imbroglio du quotidien

Si seulement je pouvais savoir de quoi sera fait demain

N’irais-je pas aussi à la lune danser le makossa

 

Au maître de décider si je dois

Continuer à acheminer vers le large mes délires

Ou si je dois cesser d’être loin de moi-même

Pour remettre pied dans la terre argileuse

Et cheminer avec le sable et le gravier

Qui élisent domicile sur les sentes vicinales

 

Au Maître de redire aux distraits

Notre confiance en l’homme

Notre parti pris pour l’homme allant son chemin

Comme un cadavre hurlant à la vie

Ses dernières recommandations

Au Maître de soustraire l’ivraie du bon grain

 

Pourquoi dans le jour flâner

Il va falloir encor se résigner

A vivre de rogatons mais d’espoirs

A colporter vers le matin

La colère rentrée des eunuques

 

Bien sûr le temps sur ses échasses dressé

S’en ira raconter des boniments aux ancêtres

Qui n’ont de cesse de morigéner

Contre la vie définitivement morte en eux

 

Il va falloir être encore présent dans le jour

Pour capter les râles des passants

Les tous sèches des tuberculeux

Arc-bouté sur l’énigme de la vie

 

Il va falloir s’avancer à pas dégingandés

Sur la chaussée pour

Du pied droit heurter la réalité

Qui nous jette au visage ses cris rauques

 

Bien sûr qu’il te faudra tutoyer

Les lépreux qui rêvent éveillés

Assis à l’orée de l’amertume

Dans l’attente d’un matin d’espérance

 

Pourquoi toujours vivre dans la joie morose

Incapable d’aller où fleurit l’espoir

Pourquoi dans le jour flâner

Au lieu d’aller à la rencontre de soi

 

Attiser sans cesse ses contradictions

Et un jour se remettre en question

Afin de savoir si toujours il faut être

Présent dans le jour pour solfier

Les rêves de l’Immense