Fernando d’Almeida
Poésie

POUR SALUER L’ABSENTE

Ethiopiques numéro 13

revue socialiste

de culuture négro-africaine, 1978

 

Je veux te rencontrer

dans la trame du jour

écrire ton nom entre le pouce et l’index

lire tes yeux dans les yeux du matin

et te retrouver calme comme la palme du soir

 

Je veux rompre d’avec la solitude paranoïaque

être au carnaval pour fleurir le doute

et te caresser dans l’enclos de la nuit

quand les filles vierges se masturbent

à l’ombre d’une étoile

 

Je veux au noir matin du veuvage

te parler en images

recréer ta vie à la berge du poème

que la lumière du jour asperge

pour que tu prennes envergure dans la clarté

 

O mon amour piégé au jusant de ma plume

je suis revenu sur les pistes brouillées de l’enfance

pour t’appréhender dans l’énigme

pour apprendre à tutoyer les choses

et recommencer le jeu rhétorique des roses

 

Je te cherche sous la pierre vive du temps

et te voici debout dans la parole native

revendiquant le droit à l’amour à l’humour

tu habites nulle part

Entre le jour et la nuit

 

C’est déjà le matin et nous sommes seuls

dans le havre de tendresse et de grâce

dehors il pleut et la terre est un vaste

enclos – le lieu clos où la lumière

Eclaire tout homme en état de contradiction

 

Aux angles vifs de ton nom

je m’en suis remis à l’enfance

pour à l’innocence rendre son dû

Me voici parvenu à l’âge de concéder

et je t’écris parce qu’il est minuit moins le quart

 

Amante femme-enfant

j’honore ton nom au bief de l’écriture

couronné de mots épinglés dans le quotidien

j’en suis venu à me dépayser moi-même

me renouvelant à la croisée des pistes ombilicales

 

Je t’ai croisée aux frontières de l’Histoire

qui s’écrit dans les tours d’ivoire

j’ai reconnu ta voix dans la maison d’en face

promis à l’ivresse des mots

Je t’ai dévisagée quand tu faisais ton petit paon

 

Je t’ai cherchée dans la parole matricielle

pour t’identifier à la violence proclamée

et te voici dans l’herbier de l’exil

Riche de mots englués dans la démesure

 

Je porte l’espérance comme un fardeau

sous les tronçons des mots j’interroge ma source

et je marche repu d’images

pour construire mon salut

Dans la strophe annexée à l’accomplissement

 

Aux marches glissantes du destin

j’ai brisé mon miroir sans tain

je veux vivre au creux de la nuit

Etre dehors pour réinventer ma vie

 

Dans le silence de la grand’ route

livré à la violence j’ai déchiré ma vie

et je vais gouverné par l’éthique du renouveau

graviter autour de l’amour

Comme un homme en quête d’un ailleurs-assouvissement

 

J’ai voulu te faire complice de mon poème

t’inscrire dans l’épicentre de mon drame

rebaptiser ton nom au jourdain tropical

j’ai voulu rompre les amarres du réel

pour t’intenter un procès de divorce

 

et puisqu’il m’est dit de mettre en relief

la parole sur l’autel votif racontée

j’ai pris audace et me voici face à la mer

et j’avance avec ma mère dans ma main

tatouée de mots tatouant l’éphémère

 

Au lieu-dit lieu nul

je me suis dissimulé derrière les symboles

pour amputer l’écriture et saccager

cette demeure verbale que l’hiver

édifie en quel point d’exigence

 

longtemps j’ai voulu avoir accès

sous l’apatam délaissé de l’amour

où l’on travestit la vérité

pour célébrer l’office du mensonge

et du songe éveillé

 

Que veux-tu : aux murs tapissés de l’histoire

j’ai écrit ton nom en lettres de sang

brûlant de désir

à la croisée des mots où vient le doute gésir

me voici partagé entre la violence et la générosité

 

et je vais homme de chair et de sang

te dévisager à la périphérie de l’eau

je ne veux pas brûler dans le ressentiment

chaque jour je gravite dans l’espérance

pourchassant la mer pourchassant son ombre