Omar DIACK, A la rencontre de la jeune peinture sénégalaise, T. 1, Dakar, Fondation Sonatel, 2010. Ethiopiques n°86.
Littérature, philosophie et art
2ème semestre 2010
A la rencontre de la jeune peinture sénégalaise a été réalisé par Omar Diack grâce au soutien de la Fondation Sonatel, entreprise de télécommunications au Sénégal. Après avoir été le directeur de la Galerie Yassine à Dakar, Omar Diack a créé Typic Arts Gallery en janvier 2007, galerie virtuelle avec un pied-à-terre au Village des Arts. L’ouvrage a un objectif particulier : celui de soutenir de jeunes artistes talentueux qui n’ont pas eu le soutien nécessaire. Une grande partie des vingt artistes sélectionnés habite dans les quartiers surpeuplés de la banlieue qui n’ont pas d’infrastructures artistiques suffisantes ce qui peut expliquer le fait qu’ils sont pour la plupart autodidactes (seuls quatre ont été formés à l’Ecole Nationale des Arts). Cette prise de position rappelle le besoin d’aider davantage les quartiers abandonnés par le gouvernement afin de rééquilibrer autant que possible la situation et permettre à des jeunes qui ont des habiletés de créer et de s’exprimer. On peut bien évidemment se demander pourquoi ceux-ci choisissent coûte que coûte une telle profession alors que le public au Sénégal n’est pas facilement porté vers cette forme artistique et qu’ils doivent surmonter de nombreux obstacles pour trouver le matériel et les connaissances pour dessiner ou peindre. Le livre donne subtilement plusieurs réponses possibles. Tout d’abord, il y a le besoin de dénoncer les problèmes du quotidien auxquels une grande partie de la population fait face. Modou Guèye par ses dessins au crayon noir (procédé qui accentue la douleur exprimée) parle de la déchirure, du manque d’espoir. Mor Faye s’intéresse aux « sans voix », aux chiffonniers qui pour survivre doivent fouiller les détritus au risque de leur santé. Cheick Tidiane Keïta dépeint les talibés et le fardeau que ces enfants démunis portent en eux. Ensuite, on retrouve chez ces peintres la volonté d’embellir l’existence et ceci en misant sur la luminosité, l’intensité des couleurs. Landing Diémé tout en traitant de sujets douloureux (déminage) tente de surmonter le vide causé par l’absurdité des rivalités humaines. Moussa Ndiaye, tout en dépeignant des scènes urbaines, accentue la lumière qui peut s’en dégager.
Les peintres ou sculpteurs regroupés ici n’articulent pas leur pensée par rapport aux grands mouvements artistiques et ne prennent pas nécessairement en compte les concepts élaborés par les artistes connus de par le monde. Ils cherchent avant tout à capter ce qu’ils voient et l’art figuratif est souvent privilégié ce qui peut être dû au fait qu’autodidactes, ils doivent prouver bien davantage au public qu’ils savent évoquer ce qui les entoure. Aussi comme il s’agit de transmettre le quotidien de la banlieue souvent ignoré par le reste de la population, l’artiste veut rendre son travail aussi évident et clair que possible afin que le public puisse saisir ce qui est décrit, d’autant que l’art pictural n’est pas aussi facilement compris par l’ensemble de la communauté que la danse ou la musique.
Le catalogue par sa robustesse, son papier brillant et épais ainsi que par sa mise en page symbolisent son objectif qui est de rendre visible et de valoriser les œuvres de ceux qui travaillent en dehors du système. Le montage est soigneusement réfléchi : la photo de chaque artiste diminue le fossé entre celui-ci et son public et l’écrit communique l’essentiel sans trop s’appesantir, invitant chacun à voyager vers l’imaginaire créé.
En quelques sortes, on peut dire qu’Omar Diack prolonge la politique d’inclusion du Off de la biennale de Dakar qui expose toutes sortes de productions (populaires, spirituelles, conceptuelles, etc.), créant une plateforme qui est partage et dialogue, offrant un large éventail de regards qui eux proviendraient de l’ensemble des composants de la société. Ceci contribue à enrichir notre compréhension et du même coup à questionner le système en place qui promeut un écart de plus en plus dangereux, voire explosif, entre centre urbain et ses nombreuses périphéries ; entre formés et autodidactes ; entre ceux qui ont accès aux institutions en place et ceux qui sont livrés à eux-mêmes. Et, on vient à vivement espérer qu’un tel travail inspirera d’autres à soutenir ce genre de projet.