Culture et Civilisation

MEDECINE ET CULTURE

Ethiopiques numéro 08 revue socialiste

de culture négro-africaine

octobre 1976

Nous vous proposons d’aborder un Sujet qui ne constitue qu’une partie de ce thème assez évocateur ; nous l’intitulons « pour une nouvelle éthique médicale ou l’approche d’une médecine traditionnelle intégrée ».

Le choix de ce thème et de ce sujet découle du livre « Plaidoyer pour une antimédecine : l’art et la manière d’être malade… » d’un médecin français [1].

Dès l’abord, l’auteur ne partage pas l’attitude triomphaliste des médecins, qui s’appuie sur l’augmentation de l’espérance de vie, la réduction de la mortalité infantile. Il les réfute avec pertinence pour souligner qu’en dépit de ces indices et des immenses progrès de la médecine, les malades sont sans cesse plus nombreux.

« Chaque victoire sur une maladie semble compensée par la recrudescence d’une autre ». La formation du médecin et sa conception étroite de la santé y sont pour quelque chose « la santé n’est pas la somme d’un certain nombre de guérisons… ».

Puis dans une analyse très objective, avec un style piquant qui exprime une certaine révolte, l’auteur fait constater : la déshumanisation de la médecine, la passivité d’une société victime de son progrès, par son inadaptation sociale et socio-professionnelle, ils confèrent au médicament un culte et réduisent la santé à l’état d’un mythe.

Dans son pays, la médecine se déshumanise de plus en plus à cause du comportement souvent condescendant, parfois même spécieux, mais généralement conformiste des médecins, encore enfermés dans l’orthodoxie d’une formation qui ne suscite en eux aucun engagement. L’expression de ce manque d’engagement est l’impossibilité de toute communication, de toute affectivité relationnelle dans les rapports du malade et de son médecin. Celui-ci dans l’ignorance complète « des dimensions individuelles et sociales » en somme du facteur humain du malade, – faute d’une formation psychologique adéquate, s’en arrête au symptôme. C’est ainsi, qu’envahi par des malades de plus en plus exigeants, harcelé par des visiteurs médicaux subtils et « accrocheurs », surveillé par les tenants d’officines, mais soucieux par dessus tout de se sécuriser matériellement et professionnellement, le médecin « qui n’a ni le temps, ni la science, ni l’aptitude, d’aller au delà du symptôme », devient un automate prodigue en ordonnances et en examens de spécialistes. Ces examens, comme ceux des laboratoires ne sont pas toujours sans intérêt. Leur abus doit être dénoncé, dit l’auteur, « ils compensent l’incompréhension du médecin de son malade… »

Quant au client, frustré de toute information salutaire, qui justifie d’ailleurs ses exigences, obsédé par le désir de bien vivre, excité par une publicité pharmaceutique -sans égale, il ne peut se douter que son symptôme ressortit à une inadaptation sociale et socioprofessionnelle avec tout ce qu’élle comporte d’affectif, d’émotionnel… Cette inadaptation fréquente et nette chez les immigrants étrangers, est à l’origine de bien des accidents et même de « certains diabètes, voire de la tuberculose… ».

Dans cette atmosphère de malentendu, du médecin dépassé et du malade passif, le médicament apparaît comme le seul recours. Il offre au malade « la satisfaction de trouver ce qu’il attend du médecin », à celui-ci le sentiment d’avoir prescrit « du nouveau ».

Comme le dit l’auteur il y a là un véritable leurre. L’une de ses manifestations, la plus évidente, est la surconsommation de médicament encouragée, et entretenue par des laboratoires pharmaceutiques sans scrupules, dont le potentiel industriel pouvait servir à d’autres fins.

Mais du leurre, on tombe dans une impasse, fait remarquer l’auteur : d’une part l’institutionnalisation d’une organisation qui confère à la maladie et à la guérison un droit comme l’éducation – d’autre part « une médecine entraînée elle aussi dans la frénésie du progrès, qui ne voit plus ce qui se cache derrière cet être humain… ».

Les individus sont responsables des maux dont ils souffrent « par la pollution, la dégradation des milieux écologiques, le bruit, l’entassement, les rythmes frénétiques, auxquels il faut ajouter outre l’alcool, la drogue, le stress, la délinquance auto, les accidents, la violence, les changements… enfin la société de consommation qui refoule plus qu’elle ne défoule, qui dépersonnalise… ».

Aussi, au terme de son analyse riche d’enseignements que nous avons ainsi synthétisée, l’auteur ne se contente pas d’accabler davantage sa société ni ses médecins, il formule des propositions.

D’abord, en soulignant implicitement l’absence de toute approche globale de l’organisation de la santé publique, qui ne soit pas limitée à la seule détermination des besoins, il fait remarquer la négligence d’études socio-économiques et psycho-dynamiques plus poussées ainsi que le manque d’information réciproque. Ils ont contribué à isoler davantage le médecin, à déshumaniser sinon dégrader ses rapports avec les malades ; ils ont rendu illusoire une médecine préventive qui ne marque guère de progrès.

Ses propositions pour redresser cette situation ne sont pas empreintes de ce langage sarcastique qui désavoue la déontologie ou de cette sorte de surenchère qui oblige les pouvoirs publics ; elles sont tirées des réalités qu’il a exposées.

Nous les résumons sans commentaire bien que certaines expressions soient de l’auteur :

– Envisager une équipe de santé pluridisciplinaire, dont le personnel médical et paramédical polyvalent, bénéficiera d’un recyclage obligatoire, régulier, pour ne pas le frustrer des possibilités de pouvoir retourner à l’hôpital – En faisant appel à la participation de la population auprès de laquelle serait suscitée la mise en place d’une structure gérée par elle même, une telle équipe ouvrira au dialogue, favorisera la reconversion des états d’esprit singulièrement du médecin.

– Créer un nouveau type de médecin plus humain, en tous les cas moins automate, moins prodigue d’ordonnances moins « lié aux exigences du système capitaliste ».

– Eviter la dualité parfois compréhensible de médecin savant et de médecin tout court ainsi qu’une spécification trop poussée qui ne concerne qu’une infime partie des malades sans sacrifier à la recherche.

– Lutter contre le culte du médicament par la création d’un laboratoire national de pharmacie ainsi que contre la publicité qui encourage et maintient ce culte.

Dans sa péroraison, pour ainsi dire, l’auteur souligne la nécessité de repenser totalement les moyens mis en œuvre par rapport à la finalité recherchée… et en tout état de cause, semble-t-il dire, se convaincre :

« – éducation, santé et bonheur sont inséparables »

« – qu’on ne fait rien pour la santé si l’on ne fait rien contre ce qui la dégrade »

Ressemblance

Nous ne porterons pas de jugement sur ses propositions qui rappellent à certains égards les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé en particulier, à laquelle son pays avait adhéré avant le nôtre et dont d’éminents praticiens ont été ou sont encore de grands experts.

Nous remarquons simplement, bien que les impératifs et les problèmes sanitaires et l’optique de la formation ne soient pas identiques, que les propositions de l’auteur rejoignent les directives de notre politique sanitaire, notamment de ces dernières années, ainsi que les nouvelles orientations de la formation médicale. Qu’il suffise de citer la réalisation d’une couverture sanitaire totale grâce au développement de services de santé de mieux en mieux intégrés et une organisation rationnelle des soins de santé primaires [2] déjà en place. Ils impliquent du personnel médical, élément moteur, une formation adéquate.

Nous rappellerons le premier colloque des doyens de facultés de médecine francophones, tenu à Marseille en février 1976, mettant l’accent sur « la nécessité de former sur place les médecins africains et d’adapter les programmes d’enseignement aux besoins locaux [3] ».

Le Sénégal serait-il en avance et le livre de Dayant sans intérêt pour les praticiens sénégalais, d’autant qu’ils sont tous sinon en majeure partie des agents de l’Etat, c’est-à-dire plus ou moins assujettis à des contraintes auxquelles rechigne une profession par essence libérale ? Bien au contraire : il révèle des similitudes de mentalités et de comportements qui nous ont suggéré le titre de cet article. Ils constituent par ailleurs un avertissement pour nous qui entrons dans l’ère préindustrielle avec toutes ses répercussions socio-psychologiques.

De ces similitudes, nous donnerons deux exemples dont l’évidence ne heurte pas la conscience de certains agents ; l’accueil des malades, le problème des médicaments.

L’accueil du malade est généralement singulier ou obséquieux, rarement mesuré pour dissiper l’angoisse du patient. C’est ainsi qu’à peine la porte de la salle franchie, il se perd dans l’anonymat des chiffres pour se voir interpeller par un numéro.

L’engouement pour les médicaments les plus sophistiqués et les examens de plus en plus spécialisés gagne de plus en plus certaines classes des centres urbains et non des moindres. Ils nous placent devant un paradoxe coûteux, celui de la pénurie et de la surconsommation de médicaments. Les milieux ruraux n’y échappent pas. Les uns et les autres sont néanmoins surpris de se voir gratifier d’une « lourde » ordonnance par rapport à un examen souvent bref. Certes les signes sont parfois évidents, pour permettre un diagnostic rapide car la consultation est toujours tardive, mais l’interrogatoire généralement laconique ne permet pas de déceler les motivations profondes de cette consultation, pour donner au traitement toute son efficience. Ainsi on ajoute au désarroi de ce patient qui était venu chercher avant tout, l’expression authentique d’un savoir au dessus du féticheur dans le langage d’une culture commune. Il ira de médecin en médecine ; il aura une malle remplie de médicaments et de radiographies comme ils le déclarent « urbi, orbi ». C’est souvent celui-là qui finira par mourir dans un hôpital, la conscience troublée… par les injections du féticheur, l’âme envahie par cet homme en blanc, prodigue en gestes, avare de sa science parce que le mourant n’a jamais vu en lui un frère.

Educateur sanitaire de longue date, nous étions déjà convaincu de la péroraison de Dayant, lorsque nous savions que l’éducation sanitaire suppose une éducation civique, éthique voire politique.

Aujourd’hui avec lui, nous disons que la médecine, dans sa pratique de tous les jours ne peut plus être universaliste. Elle est de plus en plus un problème de culture. Le médecin négro-africain sénégalais, pour s’identifier à sa culture et avoir les chances d’atteindre à la finalité de la santé c’est-à-dire « ce bien être physique, mental et social » [4] doit lui restituer pleinement cette dimension socio-culturelle dont l’ignorance explique en partie ses échecs… et peut être aussi la réticence des malades…

A cet effet nous livrons à sa méditation ce que révèle l’opinion du Noir sénégalais sur la santé, la maladie) la mort [5].

L’opinion sénégalaise traditionnelle sur la santé, la maladie, la mort, est demeurée encore mystique et mythique pour reprendre les termes du Professeur Marc Sankalé qui a consacré la première partie de son livre « Médecine et Action Sanitaire en Afrique Noire » [6] à une approche ontologique de la question, qui en est aussi une véritable apologie.

En outre, avec les courants et les échanges religieux plus fréquents, l’urbanisation et l’éclatement des sociétés traditionnelles, l’accélération de l’acculturation, cette opinion est de plus en plus déformée, sinon d’analyse décevante.

La santé, la maladie et la mort constituent une trilogie d’événements ou de faits inséparables, interférents, appartenant à la même cause presque toujours surnaturelle.

Mais pour bien saisir cette opinion, il y a lieu d’analyser comment le Sénégalais conçoit la vie et l’au-delà

Selon la pensée populaire la plus répandue dans l’ethnie wolof en particulier, pour certains la vie est une échéance dont le terme appartient à Dieu seul, qui en a fixé le moment, (la date) dès la naissance d’où des expressions qui signifient, traduites littéralement, « son moment est venu, – terme échu ». Pour d’autres, la vie est un cycle, d’où les expressions « telle personne est perdue… telle personne est sortie d’ici – sous entendu ici bas ».

Echéance ou cycle peuvent être interrompus par un accident grave, une mort inattendue qui apparaissent alors comme une manifestation de justice imminente ; « Justice de Dieu, Dieu en a décidé ainsi… » dit-on souvent. Dans ces cas, on invoque une faute grave, un péché, parfois lointains.

Mais échéance et cycle peuvent aussi être prolongés par l’un des facteurs suivants : charité discrète et fréquente, respect des personnes âgées, culte de l’amitié ; précisément ne jamais délier cette amitié, qu’elle soit parentale ou de simple alliance.

Dieu, détenteur suprême et unique de la vie humaine, en a confié la surveillance, – comme celle de tous les autres êtres, – tout au moins en partie, à des divinités, des sous dieux appelés « RAVANES » [7] aussi nombreux que toutes les parties du corps. Ils ne quittent les humains que pendant leurs repos, précisément pendant leur sommeil ou après leur mort pour aller veiller sur d’autres âmes. Cette réflexion est d’autant plus crédible, qu’en milieu wolof les jeux prolongés des enfants sont arrêtés d’autorité pour reposer les sous-dieux. Néanmoins, ces sous-dieux restent en communication avec les âmes, même pendant leur sommeil d’où l’origine du rêve, du songe… Ainsi l’on admet que les accidents qui peuvent émailler une vie sont en rapport direct avec le comportement ou les réactions de ces divinités. Si celles-ci sont vigilantes, alertes, et bien veillantes l’accident pourra être conjuré. Si elles sont peu vigilantes ou indifférentes, l’accident se produira mais sans lendemain. Ce n’est pas toujours le cas.

A ces sous-dieux s’opposent les génies ou « djin – djinné » généralement des esprits malfaisants. Ils ne sortent qu’à des heures insolites et peuvent se manifester sous des aspects d’animaux, généralement serpents ou oiseaux ; ou des phénomènes naturel, vents, tourbillons, tempête, incendie.

Divinités et génies sont en éternelle tension, en hostilité dont l’éclatement décisif serait le prélude de l’apocalypse, de la fin du monde – hostilités dont encore les deux belligérants auront à rendre compte au jugement dernier ; les divinités pour leur manque de vigilance, les génies pour avoir été insatiables de méfaits malgré le châtiment qui les a frappés.

Quoi qu’il en soit, c’est la vision de ce conflit dans un monde invisible qui est dans l’immensité des cieux ou dans les profondeurs de la terre comme dans la maison, dans la case, qui hante l’homme sénégalais et règle sa vie, son existence matérielle.

La santé

C’est ainsi que si la santé dans son essence appartient à Dieu seul qui « crée, règne et juge », dans la mentalité courante, elle n’est rien d’autre qu’un état d’équilibre dont la conservation ou la recherche constituent le fondement, mieux, « l’archétype de toutes les pratiques religieuses ou profanes ».

Cet équilibre qui procède toujours d’un raisonnement mystique et postule un état de grâce, lié tout à la fois à une dévotion constante à Dieu, une satisfaction des divinités et une protection contre les génies, est de deux ordres.

1) Un équilibre externe de plénitude physique, intellectuelle et affective en rapport avec l’équilibre des forces invisibles en hostilité.

Ainsi tel petit accident comme une piqûre d’écharde, de pointe, – une chute causée par un caillou, seront attribuées à un mauvais génie et cette écharde, ce caillou seront jetés dans le feu, élément purificateur et exorcisant – Ainsi tel travail intellectuel sans résultat, tels comportements d’inadaptation sociale voire de prédélinquance seront attribués aux génies – les difficultés matrimoniales constituent en l’espèce l’exemple le plus fréquent.

Ce sont d’ailleurs cette conversation ou cette recherche de cet équilibre externe, qui induisent la médecine traditionnelle proprement dite, faite d’exorcisme, d’ésotérisme et de spiritisme [8].

2°) Un équilibre interne assez confus dans les esprits, de caractère bien secondaire, que l’on rapporte souvent sinon toujours à l’alimentation et au mode d’alimentation.

Cette opinion-ci est corroborée par l’attitude du féticheur – Ce médecin, prêtre, éducateur, et à l’occasion devin ou spirite, s’avise toujours de discerner chez le patient qui se présente ou lui est présenté, si son état est tout d’abord accessible aux esprits ou non, c’est-à-dire fatal – puis s’il s’agit d’esprits malfaisants, sorciers ou mangeurs d’âmes en particulier – ou d’un aliment, d’un breuvage.

Cet équilibre interne serait à son tour à l’origine de la pharmacopée traditionnelle que certains penseurs sénégalais illustrent par le naufrage de l’Arche de Noë (Nouhoum en wolof). Ils disent que les eaux du déluge en se retirant ont fait pousser sur les écrits de Noë riches en préceptes de guérison les plantes médicinales d’aujourd’hui.

La maladie

Il ressort de ce qui précède, que la maladie exclut toute notion de pathologie même si les signes sont évidents et reconnus.

En effet, en dehors de l’action divine inéluctable, – considérée chez l’adulte comme le salaire du péché, d’une malédiction- ou une épreuve, notamment chez les personnes âgées, deux grandes causes surnaturelles sont à retenir- Elle sont toujours rapportées à l’intensité du conflit qui oppose les deux forces qui ont été évoquées, où à leur équilibre.

Ce sont :

– d’une part, le manquement à des règles traditionnelles bien établies, les maléfices et mauvais sorts du sorcier.

– d’autre part, des causes secondaires naturelles liées curieusement et généralement à des interdits et tabous alimentaires.

Il est intéressant de noter, à propos de la croyance des personnes âgées évoquée plus haut, que celle-ci s’extériorise par leur refus de recevoir tous soins, toute médication. Bien des médecins ont tenté d’outre-passer ce refus, parfois ils ont payé leur imprudence par une réprobation générale. C’est dans de tels cas en particulier, qu’une opinion assez répandue s’accorde à justifier l’habileté et la compétence du médecin ou l’efficacité d’un médicament par la bienveillance des sous-dieux qui potentialisent en somme l’action ou l’effort. Par contre leur indifférence qui favorise la prédominance des mauvais esprits expliquerait la chronicité de la maladie et l’inefficacité subjective du traitement.

Le manquement à des règles traditionnelles bien établies

C’est ici que fleurissent les lieux communs. Les maladies relevant de cette cause se manifestent généralement par tous ces syndromes psycho-névrotiques souvent dramatiques mais sans lendemain, dont l’évidence clinique de leur rapport, avec des signes de carences, de dismétabolisme, d’infections malignes, n’échappent pas au praticien le moins averti. En milieu sénégalais, l’une des meilleurs illustrations est le neuropaludisme de l’adulte et de l’enfant, où le délire zoopsique de l’un, les crises convulsives de l’autre sont rapportés à ce manquement, – promenade ou jeux à des heures indues, des jours interdits, – et appellent exorcisme et autres pratiques charlatanesques avant l’injection salvatrice souvent tardive et comme fatale. D’autres fois encore les maladies de ce manquement se traduisent toujours curieusement par des états psychopathologiques caractérisés, inexorablement rapides et qui échappent aux investigations cliniques les plus poussées.

A cette catégorie s’attachent des affections mineures : conjonctivite en entrant dans une chambre non éclairée au crépuscule, – blennoragie en urinant debout contre le vent, ou sur la cendre chaude. Elles sont de nature plutôt superstitieuse et ne requièrent que quelques gestes incantatoires de guérisseurs.

Le « sorcier »

[9].

Les causes secondaires liées souvent à des interdits alimentaires

On citera dans cette catégorie les helminthiases rapportées à l’abus de poissons, notamment [10] la lèpre dont la maladie liée à une malédiction est extériorisée par certains poissons, certaines viandes, celle de la chèvre en particulier. Cette catégorie de maladies a introduit beaucoup d’attitudes considérées aujourd’hui comme croyances tel que mettre un morceau de charbon sur tout aliment exposé non couvert pour que mauvais esprits ou sorciers ne les enjambent ou n’y jettent un mauvais sort…

Telles sont, – aussi sommairement décrites qu’elles paraissent simplistes ou décevantes, les principales causes de maladies. Elles n’en sont pas moins inculpées très tôt dans les esprits et entrent ainsi dans le lot de toutes ces croyances dont le Sénégalais a une conscience presque morbide. Ainsi, la vision de l’Au-delà paré de mirages et d’une félicité insondables, exalte cette prise de conscience pour échapper au châtiment, dû à l’inobservance de toutes ces croyances, la mort.

La mort

L’idée d’une mort naturelle même liée à une maladie évidente, chronique et inexorable n’est pas admise. Toute mort est toujours surnaturelle.

Pratiquement c’est l’âme qui quitte le corps dans des circonstances bien établies, car le Sénégalais reconnaît l’immortalité de l’âme (Rou, Rouou) qui appartient à Dieu seul.

L’âme peut quitter le corps c’est alors le décès, parce que ce corps a atteint son terme dans de bonnes conditions. Ce départ de l’âme est annoncé par des signes prémonitoires organiques qui s’identifient à un coma vigile et qui n’est pas l’agonie bien connue et appelée « SOUKOURATE »

– D’autres fois ce sont des signes naturels : perte de son ombre [11], ou plus généralement aboiement de chiens particuliers, hurlement strident insolite d’oiseaux noctambules au dessus de la concession, de la case d’un présumé défunt…

Hormis cette particularité, les causes de mort sont les mêmes que celles des maladies.

Mais chez certaines ethnies sénégalaises, diola et sérère en particulier, l’Au-delà n’est pas seulement mirages et félicité, il est vie… Les défunts qui l’on rejoint ont besoin d’aliments et de breuvages d’où la tradition quasi sacrée et commune à presque tous les Sénégalais de jeter un peu de l’aliment du plat ou de la boisson au moment du repas. Chez les ethnies citées, cette croyance induit la réincarnation, qu’il s’agisse de celle si bien décrite par de nombreux ethno-sociologues en parlant du culte des ancêtres dans cet enfant prédestiné vénéré comme les vieux de la famille, ou simplement des animaux totems « les tours » qui sont protégés et vivent parfois dans la maison, ou encore des lares tels que les « pangols » sérères objet d’un entretien particulier et rituel.

« Si l’opinion traditionnelle sénégalaise sur la santé, la maladie et la mort paraît erronée ou inopportune, elle prouve néanmoins l’effort pensant de l’homme sénégalais ; il faut en tenir compte et non l’ignorer »  [12].

Cette opinion explique les attitudes, les comportements des patients et certaines pratiques de l’entourage que les médecins et bien d’autres personnels sanitaires répriment à tort.

Mais le sujet n’est pas épuisé dans cette grande recherche de l’heure qu’est l’intégration de la médecine moderne et de la médecine traditionnelle. Certains coopérants, alliant le pragmatisme de leur formation (…) au bon sens de leur culture, en donnent le ton. Nous n’avons pas honte de dire qu’il a fallu qu’ils viennent…

« Nit nit ay garabam » : l’homme est le médicament de l’homme.

[1] Charles Dayant – Plaidoyer pour une antimédecine – l’art et la manière d’être malade. Presse de la Cité Paris – 1974.

[2] Etienne Berthet – L’Enfant en milieu tropical – Cie Paris 1975 numéro 102 O.M.S.

« Approche globale de tous les problèmes curatifs, préventifs, éducatifs et sociaux ». Ils sont liés à des facteurs biologiques, géographiques, démographiques, culturels, socio-économiques, politiques qui influencent la promotion de la protection de la santé.

 

[3] Le Quotidien du Médecin. Journal d’informations médicales et générales réservé au corps médical, Paris n° 49 page 6.

[4] O.M.S. « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ».

[5] a) Conférence faite par nous dans le cadre de l’enseignement post universitaire de la clinique médicale de la Faculté mixte de Médecine et de Pharmacie de Dakar du Pr Sankalé – Janvier 1974.

  1. b) Communication à la Conférence sur l’Education sanitaire en Afrique, organisée par le Projet O.C. E.A.C. – Université de Pittbourg à Yaoundé – Février 1974.

[6] Présence Africaine – Paris « De la médecine d’ hier à la médecine d’aujourd’hui, pages 15-28.

[7] De fait les Ravânes sont de bons anges – ceux là que l’on appelle au cours des retraites spirituelles (XALWA chez les wolofs) ou qui inspirent certaines pratiques divinatoires comme celle de l’eau.

[8] J. Kerharo et J. G. Adam – La pharmacopée sénégalaise traditionnelle Médecine traditionnelle et pharmacopée pages 65-84, Vigo – frères – Paris 1973 – préfacé par L.S. Senghor.

[9] Qui est sorscier ? texte inédit de Amar Samb,intitulé le « mythe de la socellerie »

 

On lui attribue le don de métempsycose qui lui permet d’agir seul de loin ou de profiter d’une maladie. Il peut aussi jeter des mauvais sorts ou employer la magie pour utiliser des poisons. Dans ces cas, son action malfaisante est immédiate, fatale. Sinon généralement ses méfaits sont lointains, durables, et se manifestent par l’apparition de phénomènes inaccoutumés et soudains chez des personnes jusque là bien portantes : syncopes, crises paranoïaques, états comateux subintrants. Enfin, à un degré suprême le sorcier « mange » l’individu, du moins certains organes nobles, notamment le cœur, le foie.

Cependant on distingue deux sortes de « sorciers » : les uns insatiables, implacables, dont le seul regard peut atteindre la proie désignée comme une balle ; ils ont aussi le don de se métamorphoser pour échapper aux châtiments ; aussi sont-ils l’objet d’un ostracisme non dissimulé parfois. Il y a enfin des « sorciers » de statut acquis dira-t-on, guère méchants, susceptibles d’être débarrassés de leur tare maléfique par un aveu de leurs méfaits, pouvant aller des noms des victimes aux raisons et circonstances. Il s’agit bien plus d’envoûtement pour assouvir une passion, gagner une émulation etc… Mais Ce phénomène peut être plus accentué chez les premiers et on parle de Diafour [[Voir Kérharo page 76 – L’usage du datura métel.

[10] M. Sankalé – P. Ndiaye – I. Bèye ; Opinion du noir sénégalais sur les helminthiases – Médecine d’Afrique Noire – 1969 – T. XVI 63-66.

[11] Ne s’agirait-il pas de ce double éthérique du corps physique dont la séparation provoque la mort et dont parle le Pr. H.N. Cahmpigny, cité par son collègue A. Samb dans son texte ?

[12] M. Sankalé.