Notes

L’UNIVERS DE LA PAROLE DE THEODORE MAYI-MATIP YAOUNDE

L’UNIVERS DE LA PAROLE DE THEODORE MAYI-MATIP YAOUNDE, EDITION CLE 1983, 108 P. COLLECTION ETUDES ET DOCUMENTS AFRICAINS

 

Ethiopiques numéro 39

revue trimestrielle

de culture négro-africaine

4e trimestre 1984

 

Nouvelle Série volume II N°4

 

Devant l’occidentalisation des élites et le déracinement des jeunes africains, il s’agit pour l’auteur de prendre la parole afin d’aider chacun à s’assumer, à s’intégrer dans son entité ethnoculturelle et dans l’ensemble pluriculturel national.

Il s’agit de faire connaître les valeurs authentiques de la civilisation africaine pour leur recréation, dans une démarche où la modernité doit venir en renfort de la tradition.

En prenant la parole, l’auteur ne prétend à aucun statut scientifique. Il ne se définit et ne se veut ni anthropologue, ni nécro-mancien, ni magicien. C’est un Grand Initié dont la démarche découle devant l’importance de l’enjeu, de la nécessité de communiquer la Parole reçue. En cela, pense Prince Dika-Akwa nya Bonambela qui a préfacé l’ouvrage, Théodore Mayi-Matip s’inscrit dans la droite ligne du message d’Ogotommeli.

La participation des Grands Initiés au vaste débat sur la civilisation africaine doit s’effectuer, penser l’auteur, dans une rencontre avec les intellectuels africains mais pour ce faire, il faut qu’il existe une mutuelle reconnaissance. En sa qualité de député, 1er Vice-Président de l’Assemblée nationale du Cameroun, et de mbombok, c’est-à-dire de Patriarche en raison même de son haut degré d’initiation, l’auteur pourrait être au cœur de cette rencontre et devrait en être l’un des artisans.

Une fois sa démarche justifiée, Théodore Mayi-Matip, se propose d’introduire son lecteur dans l’univers de la parole grâce au mbok.

Le mbok est une institution gérontocratique et aristocratique qui informe toute l’organisation sociale et dont l’idéal, in fine, est l’élévation spirituelle de l’individu dans la perspective d’une promotion de la société globale (p. 17). La formation passe par une longue initiation qui permet au postulant d’acquérir les connaissances fondamentales relatives aux règnes animal, végétal, minéral ; aux lois qui les régissent ; à la maîtrise de la parole ; aux signes et symboles.

C’est pourquoi à l’issue de sa formation, l’initié du mbok « … se recommandait par sa naissance, sa valeur morale et intellectuelle intrinsèque, son statut authentique de notable dans la société, son charisme personnel, sa profonde connaissance des lois qui régissent les deux faces de l’univers : la visible et l’invisible ; le maniement de la parole, la possession exclusive des reliques des ancêtres » (p. 27-28).

L’initiation délivrée dans le cadre du mbok apparaît ainsi comme une parole gigantesque dans le cadre de laquelle le postulant est introduit, jusqu’à son sacre qui est lui-même parole. Dès lors, parler du mbok, c’est introduire dans l’univers de la parole d’autant que pour l’auteur et la culture basàà, la parole peut être ouïe (mélodies, son du tam-tam et, d’autres instruments, proverbes, maximes, adages, sentences, préceptes, apophtègmes, etc…), ou vue (gestes, figures, masques, dessins, couleurs, formes, nœuds, objets taillés etc…) p. 55.

Parce qu’elle informe toute l’organisation sociale, l’institution du mbok intègre de multiples domaines que l’auteur aborde et où il analyse le rôle que la parole y joue. C’est ainsi qu’il examine tour à tour les rapports entre la parole d’une part et d’autre part les minéraux, les végétaux, les animaux, la médecine ; la parole dans la vie judiciaire ; la parole et l’individu (grossesse, naissance, attribution du nom, mariage, inhumation) ; la parole et la société globale ; la parole et les phénomènes et la prise de parole.

L’auteur illustre par sa démarche une difficulté réelle, liée à l’étude de la parole et plus largement de la communication, difficulté bien circonscrite par Geneviève Calame-Griaule lorsqu’elle écrit : « La communication (…) est le ciment sans lequel les éléments de la culture ne pourraient tenir ensemble, mais son étude suppose connus l’ensemble de ces éléments » (in Langage et cultures africaines 1977, p. 26-27). Pour rendre compte de la parole, Théodore Mayi-Matip a dû interroger certains domaines de la société basàà liés au mbok, afin d’y traquer la parole et d’en faire ressortir les diverses fonctions et facettes.

De ce point de vue, il est effectivement parvenu à donner à son réciteur, une image de la parole à la fois une et multiple. La parole revêt les formes d’un phénomène abstrait, d’un verbe créateur, d’une énergie indéfinissable qui atteste sa puissance sur les trois règnes animal, végétal, et minéral, sur les rapports sociaux etc. Cette puissance, dans le cadre du mbok, est assez largement fondée sur le sacré et suppose souvent une harmonie de l’initié avec les trois règne déjà cités.

Cependant l’intérêt réel des indications de l’auteur n’assouvit pas la soif de connaissance du lecteur devant les promesses entrevues.

Si « l’organisation sociale était entièrement assumée par… le mbok » (p. 21), on peut se demander si toutes les composantes de celui-ci ont été effectivement abordées par l’auteur. Sur le plan de la profondeur de l’analyse, on aurait souhaité voir Théodore Mayi-Matip aller bien plus loin, au lieu de se contenter dans de nombreux cas, d’affirmer l’efficacité de la parole sans montrer comment celle-ci opère.

Une telle exigence de la part du lecteur est légitime car celui-ci entrevoit l’étendue du savoir dont l’auteur est dépositaire, mais qu’il n’a livré qu’avec une certaine parcimonie. Certes dès l’avant-propos l’auteur a prévenu qu’il n’y aura pas « … dans ce livre, une initiation aux secrets du monde invisible » (p. 27). Mais cette précision aggrave la soif du lecteur qui sait de la sorte que cette initiation aurait pu avoir lieu.

En réalité, le problème qui s’est posé à l’auteur et qui sera celui de tout Grand Initié qui décide de prendre la parole, c’est celui de savoir dans quelles limites il convient d’enserrer la Parole à divulguer. Selon Prince Dika-Akwa, la divulgation du savoir de l’auteur a plongé celui-ci dans une véritable lutte avec soi-même, « …tiraillé qu’il est entre d’une part, le souci d’instruire, les jeunes générations dans les mains desquelles ces instruments peuvent être détournées de leur finalité : à savoir la recherche de la cohésion et la promotion du groupe, et d’autre part la crainte de livrer au-grand public des secrets hérités de l’Afrique mystique. Cela a conduit Mayi Matip à un dosage munitieux, au risque d’atténuer – parfois l’importance de son message » (p. 11).

De notre point de vue, l’importance du message a effectivement souffert d’un dosage qui s’est révélé être une réelle auto-limitation. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que l’auteur reprenne rapidement la parole pour, à l’instar de Socrate, porter le débat à l’Agora, au lieu de continuer à l’enfermer dans les cercles initiatiques. Les risques à encourir ne peuvent être supérieurs aux bénéfices qu’on peut attendre de la démarche.

Sur ce plan Ogotommeli avait déjà pris les devants dès 1947. Quand il fit mander avec insistance et intelligence Marcel Griaule pour lui livrer la grande parole qui allait devenir Dieu d’eau, il savait qu’il allait à contre-courant de sa société et avait précisé que s’il était surpris, il serait frappé d’une forte amende. Lui, le vieux chasseur aveugle qui mourra une année à peine plus tard, a quand même pris le risque de livrer la Parole reçue.

Combien sont-ils aujourd’hui les jeunes Africains qui se sont nourris de cette parole et qui, grâce à elle, ont poussé des racines plus profondes encore dans l’humus culturel du terroir ? Qu’à l’image d’Ogotommeli dans le sillage duquel il se trouve déjà, Mayi-Matip reprenne la-parole.

Dans cette attente, on lira avec intérêt : L’Univers de la parole.