Récits inédits

L’OISEAU SACRE

Ethiopiques n°61

revue négro-africaine

de littérature et de philosophie

2e semestre 1998

1948-1998

Cinquantenaire

de la l’Anthologie

de la nouvelle poésie nègre et malgache

de langue française

de Léopold Sédar Senghor

L’oiseau sacré [1]

Dès le lever du jour, un jeune marchand ambulant se mit en route, malgré l’aube pluvieuse.

Chaque pas qu’il faisait lui donnait des frissons, car le vent était frais.

Ses parents, qui étaient pauvres, le maltraitaient sans arrêt parce qu’il ne rapportait rien. Il se lança, très jeune, dans la vente des petites choses, passant de maison en maison pour contribuer à sa manière au maigre revenu de la famille. Sur sa route, il fut surpris par un curieux personnage : un magicien vêtu de peaux de léopard dansait, chantait et faisait de mystérieuses incantations sous la pluie battante.

Cet individu convoitait l’oiseau sacré, gardien du temps et protecteur du jour et de la nuit. Depuis longtemps, il rêvait de posséder les mêmes pouvoirs que lui.

– Je ferais reculer les frontières de la nuit, pensait-il, en augmentant la peur des ténèbres.

Il interpella le jeune passant et lui dit :

– Vous devez me capturer l’oiseau qui avale la lune la nuit pour accoucher du soleil à l’aube. Je vous donnerai l’or en échange. Vous deviendrez riche et puissant. Vous verrez votre beauté grandir et toutes les femmes n’aimeront plus que vous !

Surpris, le jeune marchand méditait. Il resta perplexe un long moment. Après avoir pesé les avantages de la proposition, il déclara :

– Pourquoi n’allez-vous pas le chercher vous-même ?

– Il ne faut pas avoir connu de femme pour accéder aux grands mystères, mon jeune ami ! Ce qui n’est plus mon cas. Vous, vous êtes intègre, audacieux et encore innocent.

– J’accepte l’idée de vous rendre ce service.

Il allait partir ; il revint et, après une sérieuse hésitation, il demanda avec une méfiance soudaine :

– Êtes-vous sûr qu’il n’y a pas de danger, là-dedans ? questionna-t-il. Et d’insister ensuite :

– Que va donc vous rapporter l’oiseau ?

Le magicien hésita à répondre spontanément. Il lui fallait une astuce bien malicieuse pour convaincre le jeune impertinent. Il devait donc proposer quelque chose de bien alléchant. Mais il ne trouvait rien.

Subitement, il se décida :

– Apportez ce que je désire et vous serez récompensé. Mon unique satisfaction sera de posséder un bien unique.

Le jeune homme, tenace, subtil, vigoureux et persistant, réfléchit. Rien ne lui faisait peur.

Moins naïf que le magicien ne l’aurait cru, il répliqua avec autorité :

– Je ne crois pas en votre bonne foi. Nul ne serait si généreux d’offrir une richesse importante contre un animal qui ne rapporte rien. Il vaut sûrement plus que ça.

Le jeune marchand le considéra avec méfiance et comprit qu’il voulait le tromper, lui jouer un mauvais tour.

Étonné, le vieux malin tourna du regard. Il observa attentivement l’insolent, surpris, mais à la fois très menaçant. La colère et la haine se lisaient aisément dans ses yeux. Nul n’avait jamais réussi à lui tenir tête.

Le jeune marchand hésitait, saisi par l’inquiétude, mais tenté par l’idée d’une chance à saisir. Il soupçonnait une ruse de la part de son interlocuteur, un piège dont il aurait tant voulu comprendre le dessous.

Le jour, soudain, s’assombrit de nuages. Le jeune homme, incertain du résultat, erra à la recherche de l’oiseau miraculeux. Son coeur palpitait au rythme des visions angoissantes. Il se promenait, plein de doutes et d’incertitudes, escaladant les versants des montagnes et des collines. Il descendit dans les vallées et les abîmes et traversa l’herbe sauvage sans aucune appréhension.

Désormais, il ne connaissait plus de frontières. Il était là, entre le lever et le coucher du soleil, entre l’apparition et l’évaporation des saisons.

Il aperçut subitement au loin un astrologue qui contemplait les astres et qui lisait un papyrus.

Il s’en approcha et s’informa :

– Monsieur le savant, dit-il, je voudrais connaître le lieu exact où trouver l’oiseau qui donne le jour et qui apporte la nuit.

– Étonné, le vieillard l’observa avec inquiétude.

– Tout dépend des étoiles, mon enfant, lui répondit-il.

– Je m’intéresse à sa capture, dit le jeune homme.

Le vieil astrologue le regarda avec des yeux grand ouverts :

– Quoi ? Vous ignorez l’énigme des constellations et vous voulez attraper l’oiseau magique ? Voyez-vous, mon jeune ami, le monde est plein de mystères !

– J’avoue que j’ai besoin de vous.

L’astrologue fronça les sourcils, se frotta les mains et entama la contemplation du ciel.

Le sang du jeune homme remuait ; l’esprit excité, il suivait le spectacle avec curiosité et admiration.

Il lut attentivement les mouvements des astres selon les recommandations de l’astrologue et sursauta de joie. Il venait, en effet, de découvrir la formule magique qui l’aiderait à accomplir son voeu. Ainsi, avec le charme entre les mains, il captura l’oiseau divin, un bel oiseau aux paillettes d’or, dont les couleurs se confondaient toujours à celles du ciel à l’aube comme au couchant.

– Si tu acceptes de vivre en moi, lui dit l’oiseau, tu apprendras des choses merveilleuses et tu connaîtras l’éternité. Par contre, poursuivit-il, si je viens en toi, tu seras doué de pouvoirs exceptionnels. Tu partageras mon destin en assurant un lieu de repos au soleil, la nuit, et en protégeant la lune, le jour, tout en continuant ta vie d’homme.

– Je te préfère en moi, souhaita le jeune homme, avec prudence.

Et l’oiseau s’incarna en lui. Heureux, le jeune homme repartit. Il rentrait dans son village natal, quand il entendit un vieillard pleurer. Il accourut et se trouva en face d’un couple éprouvé par la longue souffrance de la femme. L’oeil troublé, l’homme se plaignait :

Ma femme est au plus mal. Le médecin nous a dit qu’elle ne passera pas cette nuit. Son mal est inguérissable. Il ne nous reste plus qu’à pleurer.

Le jeune homme se pencha sur la mourante, la prit par la main et lui susurra :

– Il faut toujours croire en sa chance.

La pauvre femme, désespérée et triste, gémissait de douleur. Une terreur superstitieuse s’était emparée d’elle. D’une voix étranglée, elle demandait de l’aide.

Son vieux mari, chargé de chagrin, se tenait debout auprès d’elle.

Le passant prit un peu d’eau dans la paume de la main, prononça quelques paroles secrètes et lava le visage de la souffrante.

Voilà que la femme se leva, guérie.

Effarée, elle s’assit, regarda autour d’elle, serra son époux dans ses bras, remercia l’étranger, puis, d’une voix douce, déclara :

– J’ai faim.

Elle allait mieux. Son mari, surpris, devint jovial ; il invita le guérisseur à boire pour fêter l’événement.

Le jeune marchand, fier et pensif, resta longtemps sans oser dire un mot. La surprise l’avait tétanisé.

Le jour-même, il croisa sur son chemin un bossu qui se plaignait de son état et rêvait d’être soulagé de son infirmité. Et l’homme toucha sa bosse d’une main et celle-ci disparut.

De passage dans un village, il fit connaissance d’une fille dont on se moquait parce qu’elle était bancale.

Pris de compassion pour elle, il massa ses jambes et la guérit.

Il aida les bègues à retrouver la parole, les sourds à entendre et les muets à parler.

Homme d’exception, il rendait fécondes des femmes stériles, rien qu’en pressant sa main sur leur ventre ; il guérissait les malades condamnés à mourir avec sa seule parole.

Quand vint le crépuscule, son être éprouva d’étranges sensations ; et son oeil captant l’ultime rayon du soleil le changea en oiseau sacré.

Il se glissa entre ses ailes, très léger, et, emporté par le vent doux, il s’envola dans les airs, l’esprit libre, le coeur plein d’émotion. Il survola les maisons, les forêts, les volcans et les montagnes, l’âme ravie, avec une grande joie qui brillait dans ses yeux.

Il connut une métamorphose discrète, la réalisation qu’il rêvait de vivre depuis que l’oiseau sacré s’était incarné en lui.

Désormais, il découvrait les choses que seul le soleil voyait. Il visitait les personnages que seule la lune côtoyait pendant la nuit.

Le soleil et la lune devinrent ses yeux pour voyager dans l’univers et sonder les astres inconnus et éloignés de la terre.

Au plus fort de la nuit, il redevint homme et rentra se coucher chez lui.

Dès le lendemain matin, au premier chant du coq, il vécut à nouveau le changement.

L’oiseau chanta, et bientôt le soleil, jaillissant de son bec d’or, lança son premier rayon limpide sur le visage du monde. Il disparut, faisant place à un jeune homme surpris lui-même par cette métamorphose. Il s’éveilla, s’assit, regarda l’horizon et sourit. Il était gai et d’un air satisfait, il tressaillit de bonheur.

Ainsi, il pouvait avaler le soleil, la nuit, libérer la lune, au crépuscule et, entre le lever et le coucher, redevenir un homme.

Depuis, il apporta son aide aux personnes en danger, dans une attitude tellement secrète que personne ne soupçonna ses pouvoirs.

Plus tard tous ses voeux se réalisèrent les uns après les autres. Il se maria à la plus belle femme du monde et prit des servantes et des serviteurs à son service pour mieux illustrer sa réussite. Il construisit un palais en or et connut une richesse sans commune mesure. Il transforma son village en une superbe ville prospère.

En chaque fin de semaine, il organisait une grande soirée de fête où se côtoyaient les plus belles femmes, les hommes les plus riches et les princes et princesses des pays voisins. Tout ce beau monde était sans cesse émerveillé par la magnificence de son palais, les beaux vêtements de son personnel et surtout la beauté exceptionnelle et surhumaine de sa femme.

Il rencontra des rois prestigieux, accorda son aide aux artistes et aux poètes. Il incita ses amis riches, sans héritier, à faire don de leurs richesses aux créateurs : écrivains, poètes, peintres et musiciens, plutôt qu’aux gens sans talent ou à l’État :

– Car, disait-il, il vaut mieux avoir pour héritier un génie créateur qu’un imbécile.

Il était devenu un homme riche, puissant et admiré. Il bénéficiait désormais des pouvoirs de l’oiseau mystérieux.

Il passait avec sa femme de longues soirées tranquilles et gaies, se disant en toute franchise des choses intimes du coeur.

Des années durant, ils ne s’étaient jamais quittés ni disputés. Ils avaient vécu, voyagé, rêvé ensemble. Ils avaient aimé, apprécié les mêmes choses d’une même complicité.

Il connaissait désormais les joies de la vie, les plaisirs de l’amour et les jouissances de la richesse. Longtemps, les choses allèrent ainsi.

Un jour, le magicien retrouva la trace de celui qu’il avait envoyé lui chercher l’oiseau magique. Il se décida à aller voir ce qu’il était devenu. Quelle ne fut pas sa surprise de le trouver riche, puissant et marié à la plus belle femme du monde. Après réflexion, il ne s’étonna pas et comprit que le jeune homme n’était pas si maladroit qu’il en avait donné l’impression.

Il jura que son bonheur ne durerait plus longtemps et s’impatientait, exaspéré. Chaque jour qui passait lui semblait une angoisse étreignante, une épreuve interminable et douloureuse.

Résolu à se venger, il conçut le projet de lui dérober l’oiseau merveilleux. Il sollicita une audience auprès du riche seigneur qui se souvenait de lui et qui voulait lui témoigner sa reconnaissance.

Et, d’un air soupçonneux et sournois, le magicien lui demanda :

– Qu’avez-vous fait de l’oiseau sacré ?

– Je l’ai caché en lieu sûr !

– Où ça ?

– Je ne vous le dirai jamais.

– Il a été convenu qu’il m’appartiendrait dès que vous l’auriez capturé.

– Dans ce cas, il fallait aller le chercher vous-même !

Le magicien ne l’entendait pas de cette oreille. Il feignit de hausser les épaules et revint à la charge :

– Montrez-le-moi, ne fût-ce que pour le plaisir des yeux !

Le jeune audacieux parut inquiet à cette pensée. Il réfléchit un long moment, puis déclara :

– Je ne céderai pas à votre requête.

Il annonça résolument :

– Je le garderai malgré toutes les menaces.

Le magicien éprouva contre lui une haine déchaînée, impitoyable.

Têtu, obstiné, il ne renoncerait jamais à récupérer l’oiseau. La convoitise empoisonnait son âme. Il lui vint des envies de voler, de tuer pour s’emparer des richesses et de la femme du jeune marchand. Désormais, il présentait une figure sauvage et brute. Il organisa avec ses hommes de main l’enlèvement du marchand qu’il enferma dans la cave de son château de pierre.

Éperdu, le regard ivre de vengeance, il se déguisa en prince étranger et s’introduisit dans le palais de son captif, en quête de l’oiseau.

Là, il tenta de séduire sa femme, mais son stratagème ne marcha pas. Il retrouva vite son âme de magicien et devint menaçant :

J’ai laissé votre mari prisonnier dans mon château. Il a les pieds et les mains liés. Il n’a ni à manger ni à boire. Maintenant, faites le nécessaire, sinon il va lui en coûter la vie. Prenez garde, car je ne plaisante pas quand je me sens contrarié.

La jeune épouse, une belle aux yeux doux, résignée à l’indécision par la peur du magicien et par le respect de son mari, hésitait, balbutiait :

– Je ne sais pas de quoi vous parlez !

Le magicien, aigri, hurlait :

– Vite, l’oiseau divin, il me le faut, sinon je ferai un malheur ! Donnez-moi vite satisfaction ! Je veux le posséder dans un instant, comprenez-vous ?

La femme, effrayée, se décida, d’une voix lasse et désespérée :

– Je vais vous dire où il l’a caché ; ne vous fâchez pas, surtout ne faites pas de mal à mon mari. En vérité, l’oiseau vit en lui.

Le magicien n’avait pas fini d’entendre la réponse que, déjà, il s’était envolé, impatient de rejoindre son captif, déterminé à lui arracher son secret. Il voulait une réponse à l’énigme de cette incarnation.

Là, il se changea en cobra, dévisagea son otage avec un regard farouche et le menaça violemment. Il lui lança un coup d’oeil sévère pour lui faire peur et l’obliger à lui donner la formule magique qui lui ferait récupérer l’oiseau sacré.

Le serpent approcha de plus près le prisonnier et le fixa du fond des yeux pour l’hypnotiser.

Le jeune homme, terrifié, criait au secours.

Le cobra se transforma ensuite en horrible sorcier au visage brutal et impitoyable.

Impressionnant, il intimida son adversaire.

Et, perdant son calme, le magicien le saisit par le cou ; sa gorge se desséchait, son coeur palpitait et le souffle commença à lui manquer.

Convaincu de sa force, il se pencha pour le jeter à l’intérieur d’un gouffre au fond duquel on apercevait des vipères, des scorpions et des mygales.

Au secours ! Au secours ! hurlait le jeune homme, terrorisé.

En effet, il ignorait que ses pouvoirs illimités n’étaient pas fait uniquement pour aider les autres.

L’angoisse mortelle face au danger réveilla son instinct de vie. Et soudain, il se changea en un géant aussi haut qu’une montagne. En se dressant de tout son long, tout s’écroulait autour de lui. Le château de pierres s’effondra.

Surpris, le sorcier se mit à trembler de peur et très fort.

Usant à son tour de la magie, il se changea rapidement en mamba pour blesser mortellement son adversaire.

Mais celui-ci, plus vif encore, se transforma en serpentaire qui commença à piétiner le serpent, tout en lui assénant des coups de bec très violents.

Le reptile, éprouvé par l’étreinte, l’esprit du magicien, surgissant de l’épreuve douloureuse, se changea en foudre qui s’éleva dans le ciel, brilla de toute sa puissance et revint, terrifiante, frapper son adversaire.

Étourdi par le choc, celui-ci soupira. Puis il se ressaisit en devenant l’oiseau sacré qui étreignit les flammes de la foudre entre ses serres.

Agressif et déterminé, le magicien, tenace et avide de revanche, s’incarna cette fois-ci dans l’oiseau de lumière dont les excréments provoquent les éruptions volcaniques et les incendies de forêt pour détruire le pays.

Mais l’oiseau sacré, doté des plus grands pouvoirs, mangea les flammes du volcan jusqu’à l’extinction du feu. Cela ne découragea pas le magicien. Avec la force de la pensée, il provoqua la rupture d’un barrage du lac pour inonder la ville entière.

L’oiseau sacré, plus vif et avisé, éparpilla les nuages avec son souffle et retint ainsi la coulée des eaux.

Choqué par la méchanceté du magicien, l’oiseau sacré le fixa du regard et le neutralisa ; sa magie fut ruinée.

À présent défait, le magicien vécut isolé, son nom bafoué. Il avait déshonoré l’art de la magie en violant les interdits, en s’attaquant à la population innocente. Il attira sur lui la colère de ses collègues. Ceux-ci, indignés, ne l’acceptèrent plus dans leur confrérie.

Il souffrait, à présent, d’impuissance et de remords.

Le jeune marchand, satisfait de sa victoire finale sur son adversaire, retrouva la sérénité et la joie de vivre.

Depuis, il menait une vie très agréable et insouciante.

Pourtant, la convoitise et la méchanceté empoisonnaient sa vie ; car tous ceux qu’il aimait lui vouaient une amitié hypocrite. Il découvrit la solitude des hommes d’exception, toujours enviés et souvent combattus à cause de leurs qualités.

Jaloux de son bonheur, ses amis ne l’approchaient plus que pour lui demander des faveurs.

Malgré sa générosité, il ne les forcerait pas à l’aimer.

Il sentait lui-même que ses proches ne pouvaient pas être sincères avec lui. Ils le considéraient mieux nanti qu’eux :

– Je ne veux plus être là pour rendre des services ni pour distribuer des aides aux ingrats. Je dois hâter ma délivrance, se dit-il.

– Un jour, son épouse désira avoir un enfant. Mais, hélas, avec la vie de son époux, la chose était impossible. Sauf si celui-ci acceptait de renoncer à son incarnation.

Sa belle épouse, bien intentionnée, lui suggéra de se libérer du secret qui le hantait, pour retrouver sa vie de mortel, avec son lot de misères, d’impuissance et de banalité.

Ainsi, il se résolut à reprendre sa place parmi les siens et à tenir la promesse donnée à sa belle femme, obéissant secrètement à l’envie de vivre sa destinée comme un être normal et sans privilège.

Depuis des jours, il ne parlait pas, restant souvent plongé dans des réflexions solitaires.

Enfin décidé à retrouver l’amitié sincère de ceux qu’il aimait, il écouta le conseil du vieil astrologue de ses amis :

– Va, marche et progresse jusqu’au bout du monde, jusqu’à ce que tu découvres un génie céleste qui te reprendra ce lourd fardeau qui a fait de toi un homme au-dessus des autres. Mais réfléchis-y, mon fils. Sois certain que la perte de ta puissance ne va pas attirer ta propre souffrance. Méfie-toi de ceux qui te conseillent, car rien ne garantit que le jour où tu perdras tes pouvoirs, ils seront encore là pour t’apprécier. Malgré cet avis, le jeune homme s’en alla à la recherche du génie venu des étoiles qui devait le soulager et découvrit soudain une source d’eau chaude. De l’eau bouillonnante, le génie de lumière, tout couvert de paillettes d’or, surgit et lui posa une question :

– Que désires-tu, jeune homme ?

– Je dois me délivrer de l’oiseau sacré ! répondit-il.

Le génie, aussi brillant que le soleil, tendit les bras dans les ténèbres, reçut l’oiseau et l’éleva dans le ciel.

Trois fois, il accomplit le geste symbolique. Trois fois, il présenta l’oiseau aux esprits.

Libérez le soleil, dirent-ils. Le soleil, lumière, chaleur, force de toutes choses, le soleil qui pénètre toute la vie ; quand il est là, on vit, on rit ; quand il est absent, on est presque aveugle ; c’est la peur de l’obscurité, le froid ; c’est la nuit sombre.

– Après quoi, le génie le rendit à sa liberté.

Depuis ce jour, nul ne revit l’oiseau sacré.

– Le jeune homme, soulagé, passa le fleuve et continua à avancer du côté où le soleil se lève.

– Il était gai, insouciant, rêveur et se révéla un homme mûr, sûr de lui et d’une très grande richesse intérieure.

– C’était la fin des privilèges sacrés, la réalisation d’un rêve magique.

– Mais il était heureux d’être désormais le seul être vivant à connaître les secrets de l’oiseau magique et l’énigme du coucher de soleil…

[1] Conte inédit extrait de la « nuit écoute », Contes du griot- Tome IV