Poésie

LETTRE OUVERTE A LA MISERE

Ethiopiques numéro 53

revue semestrielle de culture négro-africaine

1er semestre 1991

Hommage à Senghor

Forum d’Asilah (Maroc)

I

Par ta faute, grand-père

nous avons été

les voyageurs enchaînés de l’Océan

Avec des villages, tu as célébré les tam-tams…

Puis ils ont surgi

les enfants des parchemins

Ils étaient le kaolin

des douleurs.

Misère, nous sommes des fourmilières

pour

le continent grabataire.

Nous sommes le sable du désert

les flots de la mer

Et sur les miradores,

nous observons

les trouvères

polissant l’or des paroles.

Nous sommes des fourmilières !

Nous sommes les paratonnerres

les trappeurs des pensées enflammées.

Sur le front de l’Atlas

nous avons de l’union grave le théorème.

Aux remparts des forums

les canons tonnent

Trafalgar.

Nous sommes les rabouteurs

de visages immenses.

Fils des Tamariniers,

tu es resté sur les périmètres

à ressasser les ossements

et les turbulences du tourbillon boréal

ébranlent encore le berceau des géants.

II

Misère,

j’ai posé à découvert de chemin

mes espérances trahies sur les ravins

de Salal,

Mon coeur

labouré par les défaites

traîné sur les grèves

l’écriture des artères.

Je tête

je tête à la mamelle biliaire

d’une douleur qui n’a pas de fin,

perclu aux rumeurs -angoisses

de matins assassins.

Voici la génération du Pavé

je suis le graffiti

le slogan de rafales.

Et je fais le questeur

des traversées de barrages,

des traversées de barricades.

Chemins de Golgotha,

je compte nos Goulags.

Jusqu’au méhari des miradores

je cueillerai le cram-cram.

Jusqu’à la révolte des aurores

je composerai la poudre – arsenic des anophèles

depuis les palmeraies de malaria

mitraillées par les fusiliers des steppes.

Jusqu’aux tropiques de la souffrance

j’assiégerai le désespoir

je briserai l’écueil-label

de la race des parias.

Jusqu’au crépuscule de ma vie,

j’irai de mouroir en mouroir

assemblant les syllabes

pour la germination des berceaux.

Je passerai les miradores

Je raserai les abattoirs

le rêve des grands tyrans.

Voici milliards de larmes,

terre amère du Sahel !

III

Mais

un jour

sur ces territoires

nous traverserons des rivières – arcs-en-ciel

des berges de l’Atlantique à Toronto.

Un jour

la terre vomira

ses entrailles.

Un jour

sur ces territoires

nous serons bergers d’éléphants.

Un jour

nous ferons la razzia des météores

nous célébrerons les germinations

du firmament.

Un jour,

nous serons à Johannesbourg

devant océans et marées humaines

à la Haye

trésors et demeures de parchemins

Je taierai les grandes tueries

et je mettrai à la mer

le cri rouge qui lamine

mon cceur-continent.