Notes

L’ESPERANCE OU LE NOUVEL ETAT DE LA MEDECINE par Jean Bernard, Paris, Buchet-Castel, 1978

Ethiopiques numéro 20

Revue socialiste

de culture négro-africaine

Octobre 1979

 

L’éducation, l’information par les médias de toutes sortes ont créé de nouvelles demandes, de nouveaux types de relations. Le savoir doit se répandre, se donner de plus en plus pour une meilleure compréhension des phénomènes et ainsi une meilleure formation, suscitant alors une élévation du niveau moyen des masses. C’est un cycle qui n’est pas nouveau, mais qui a pris une importance considérable depuis l’ère de l’audio-visuelle.

La médecine, comme les autres sciences, n’a pas échappé à ce courant et il suffit de regarder les taux d’écoute, tant à la télévision qu’à la radio, pour se persuader que les masses veulent savoir, veulent comprendre. Pendant longtemps les médecins ont résisté à cette demande en livrant leurs secrets de telle façon qu’ils en augmentaient le mystère. La peur de perdre un certain pouvoir expliquait ces résistances très certainement.

Mais le courant populaire est toujours le plus fort, aussi une nouvelle génération de malades a engendré une nouvelle génération de médecins. La relation médecine-malade s’est modifiée ; elle n’est plus ce monologue de celui qui détient la connaissance et qui « ordonne » à l’autre sa prescription, en ayant soin d’utiliser un jargon savant et incompréhensible, elle est maintenant devenue un dialogue, un échange – le discours du médecin doit être compris et les explications doivent permettre la compréhension des phénomènes et l’utilité ou la nécessité des médicaments.

BALINT disait que le meilleur médicament était le médecin, mais que la dose était difficile à trouver.

Pourquoi toute cette transformation, pourquoi cet intérêt si nouveau pour les « choses de la santé ? »

Parce que tout ce qui touche à la santé de l’homme est proche de l’idée de mort, et que la mort est génératrice d’angoisse. Et qu’y a-t-il de plus angoissant qu’une question sans réponse ?

C’est parce que l’essai de Jean BERNARD répond à beaucoup de questions, qu’il est important.

Est-il besoin de présenter Jean BERNARD ? Professeur de médecine, Directeur de l’Institut de Recherches sur les Leucémies et les Maladies du Sang de l’Université de Paris, Membre de l’Académie des Sciences depuis 1972, Membre de l’Académie française depuis 1975 ; il est avant tout un homme de bonne volonté.

Ce troisième livre peut se décomposer en cinq parties.

1) Dans la première partie, Jean BERNARD, expose trois sujets qui occupent notre quotidien :

– le sang ;

– le cœur ;

– le cancer.

L’auteur évite le piège d’une description seulement exhaustive qui aurait été rébarbative pour un néophyte. Non, Jean BERNARD, nous entraîne dans une aventure et, raffinement pédagogique, l’écriture du poète transforme une goutte de sang vue sous le microscope, en un merveilleux champ de coquelicots, de bleuets, de violettes et de pervenches. Equilibre entre le passé et le présent, entre la poésie et la rigueur scientifique, qu’ils sont loin les cours magistraux que certains de nos professeurs condescendaient à nous prodiguer doctement.

Car que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’écrire seulement une histoire du sang, du cœur ou des cancers et faire une simple mise à jour des connaissances pour un public privilégié. Il s’agit au contraire avec des mots, des expressions, des images de la vie quotidienne de faire entrer le grand public dans le « cénacle ». De l’amener à un niveau de compréhension des mécanismes complexes suffisant pour susciter l’interrogation, et ainsi provoquer des réponses à leurs questions angoissantes.

Quelle leçon pour ces médecins, savants tout puissants, que l’explication que nous donne Jean BERNARD du système H.L.A. Voici l’un des sujets les plus difficiles, les plus récents, maillon indispensable, abordé simplement en trois pages. Quelle imposture diront certains ! Et pourtant avouerai-je que c’est grâce à ces trois petites pages que j’ai vraiment compris le système H.L.A. ?

Abordant les greffes du cœur, l’auteur n’oublie pas les problèmes sociologiques que cela pose et s’insurge contre toute publicité de ceux « qui font gloire de tout, de leurs succès temporaires comme de leurs échecs durable !! » et donne à ce problème sa véritable dimension en insistant sur le fait que seule la prévention du rejet permettra le progrès.

Abordant les voies de la recherche, il nous fait part de son angoisse de ne pas connaître là ou les causes de l’athérosclérose, cette maladie qui tue 40 % des Français, 50 % des Américains et qui, comme l’ont démontré le professeurs KOATE à DAKAR et BERTRAND à ABIDJAN, progresse à grands pas en AFRIQUE.

Le progrès viendra-t-il de l’aboutissement des recherches actuelles ou au contraire d’un concept neuf ? « Nous l’ignorons, dit-il, mais le temps est long ».

Le temps est long aussi pour le cancer ! Paradoxe de ce cancer qui est prolifération, multiplication, croissance des cellules, qui est donc la vie, mais « vie monstrueuse qui devient mort par son excès même. Mais le ton juste évite le désespoir ou les fausses joies. Tout est mesure. Et Jean BERNARD se demande comment interpréter cette cruelle discordance entre la rigueur des efforts et la modestie des résultats.

Le médecin se fait philosophe

Mais à travers l’aventure thérapeutique des cancers, le médecin devient philosophe et aborde un autre sujet d’actualité, celui du maniement du nucléaire. Le développement sauvage de l’énergie nucléaire est dangereux, et le rôle des médecins est de veiller avec ténacité et persévérance à l’observation stricte et permanente de ces précautions.

Dans les débats souvent passionnés que suscite le développement de l’énergie nucléaire, Jean BERNARD apporte une dimension raisonnable et surtout non politisée du problème. Car voilà bien encore un des paradoxes dans la médecine que ce nucléaire qui sauve et qui tue à la fois. Mais peut-on écarter la politique d’un choix si difficile ?

2) La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée au rêve à celui « des poètes, des philosophes et des psychiatres ». Mais aussi celui des physiologistes et des pharmacologues qui analysent en scientifiques. _On peut être surpris de ce chapitre, mais il est rassurant de savoir que le savant, avec sa rigueur obligatoire, n’oublie pas ce rêve nécessaire à toute vie. « Nous ne savons pas si le rêve est un déchet, une déviation, un message, une leçon, un modèle, un projet ou tout cela à la fois. L’alliance des poètes et des physiologistes permettra peut-être les progrès espérés ».

3) Puis dans la troisième partie, comme émergeant du rêve, Jean BERNARD nous propose un voyage en 2078 – pour examiner la chirurgie du XXIe siècle.

Voyage dans le futur donc, avec la disparition des infections, des cancers, des accidents de la route, bien que cette pathologie résistera le plus longtemps tant est grande « la folie ambulatoire ». Mais le grand rêve du transport par désintégration ionique est réalisé. Cependant l’on frémit à l’idée des erreurs possibles au cours des réintégrations en fin de voyage ! !

Ainsi c’est le siècle de la chirurgie moléculaire, le chirurgien travaille avec des neo-lasers et il est dommage que Jean BERNARD n’aborde pas les dangers des manipulations génétiques ! ! Car enfin il nous présente cette chirurgie du futur comme devant diminuer le malheur des hommes. Mais, si cette nouvelle puissance, encore plus grande qu’aujourd’hui, de pouvoir modifier le code génétique devait être utilisé à des fins non médicales, on peut se demander si le malheur des hommes diminuerait réellement.

4) C’est pourquoi il est bien que Jean BERNARD se penche sur la responsabilité scientifique du médecin dans une quatrième partie.

La biologie crée de nouveaux pouvoirs mais aussi de nouveaux devoirs. Et il définit la responsabilité scientifique comme celle du risque éventuel que font courir les tentatives envisagées.

Il prend une position très nette quant aux limites de l’expérimentation. « Toute tentative comportant des risques pour les malades doit être formellement exclue ; cette règle ne souffre pas d’exception ». Et pourtant l’expérimentation humaine est nécessaire à tous progrès. Ainsi est née une nouvelle race d’hommes qu’il appelle les « héros instruits », recrutés essentiellement parmi les donneurs volontaires de sang.

S’il est vrai que la responsabilité s’exprime souvent sous forme d’une tension entre l’individu et la collectivité, il est important de distinguer deux formes de responsabilité, une responsabilité dans l’application de données scientifiques acquises, une des connaissances nouvelles qui devraient mieux définir les limites du pouvoir médical.

5) Enfin l’auteur conclut en mesurant les difficultés de la tâche du médecin, en écoutant toutes les critiques : du révolutionnaire, du conservateur, du psychésomaticien, du sociologue et du pharisien, pour éviter la création « de nouvelles obscurités ».

Et ce n’est pas la moindre valeur de ce livre que de reconnaître la nécessité de nouveaux efforts, que de refuser le lucre et enfin de respecter l’individu.

Cet essai se dévore comme un livre d’aventure et quelle aventure plus passionnante que la vie.