Développement et société

LE VOTE DES FEMMMES AU SENEGAL

Ethiopiques numéro 6

revue socialiste de culture négro-africaine

1976

En 1944, les revers allemands s’accumulant et la victoire devenant certaine, la France songe à la libération à la réorganisation des pouvoirs publics. Dès janvier 1944, la conférence de Brazzaville propose un plan de réforme des structures coloniales de l’Afrique française. Et le 21 avril est signée en Alger où siège le Comité français de libération nationale, une ordonnance portant réorganisation des pouvoirs publics en France après la libération.

Le vote des femmes dans les territoires d’Outre-mer

L’ordonnance prévoit de nouvelles élections pour redonner vie aux institutions. Les conseils municipaux, les conseils généraux seront renouvelés grâce à de nouvelles élections. L’Assemblée consultative provisoire, réunie en Alger et formée des principaux délégués des mouvements de résistance, se transformera en Assemblée représentative provisoire dès que les 2/3 de ses membres seront élus. L’Assemblée représentative provisoire élira son bureau et à l’unanimité le président du gouvernement provisoire ; elle cèdera sa place à l’Assemblée constituante dès que celle-ci entrera en fonction. L’Assemblée constituante sera élue, au plus tard, un an après la libération par « tous les Français et Françaises majeurs ». La nouveauté est là car les Françaises sont appelées à voter et même à être élues comme le dit l’article 17 : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».

Cette ordonnance est applicable à la France mais il est dit dans le dernier article que les décrets détermineront les « conditions d’application et la mise en vigueur de la présente ordonnance en Algérie ainsi que dans les territoires relevant du département des colonies ».

Une ordonnance du 20 novembre 1944 adaptait à la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion les dispositions de l’ordonnance du 21 avril 1944. Les femmes sont reconnues électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. Ces colonies éliront autant de délégués à l’Assemblée représentative provisoire qu’elles en élisaient à la Chambre des députés.

Un décret du 19 février 1945 adaptait ces dispositions à la Guyane et un autre à Madagascar. Les citoyennes françaises sont électrices et éligibles. Cependant un décret du même jour destiné à l’A.O.F. et au Togo était ainsi libellé en son article 4 : « Seront inscrites sur la liste électorale de leur résidence coloniale actuelle les citoyennes françaises résidant en Afrique Occidentale Française et au Togo qui, en vertu de la législation applicable aux citoyennes originaires de la métropole, de l’Algérie, des Antilles de la Réunion, de la Guyane, de Madagascar, de la Nouvelle Calédonie et des établissements français de l’Océanie, auraient pu prétendre à leur inscription sur une liste électorale de la métropole ou de l’un de ces territoires. Elles seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les citoyens français ».

En clair les femmes africaines citoyennes [1] sont exclues du vote alors que les femmes françaises résidant en A.O.F. peuvent y participer.

Cette discrimination ne pouvait pas ne pas choquer d’autant que toutes les autres femmes de l’empire exceptées celles de l’A.O.F. et de l’Inde étaient admises à participer aux élections. Et qui plus est, ce n’est peut-être pas voulu, mais les décrets instituant le vote des femmes à la Guyane et à Madagascar étaient publiés dans le J.O.R.F. du 21 mars 1945, en même temps que celui excluant du vote les femmes sénégalaises. C’en était trop et l’opinion ne tarda pas à se manifester. Mais comment se fait-il qu’une telle mesure ait été prise à l’encontre de l’A.O.F. alors qu’aussi bien du point de vue de l’importance que de l’ancienneté comme colonie, le Sénégal (puisque c’est de lui qu’il s’agit principalement) pouvait rivaliser avec la Guyane et Madagascar et même l’emporter sur eux. Telle est la question à laquelle il convient de s’arrêter.

Le 13 juin en effet, le commissaire aux colonies, René Pleven, envoie un télégramme-lettre au gouverneur général Cournarie. Il lui expose ce que sera la représentation de l’A.O.F. à l’Assemblée représentative provisoire qui aura à choisir le chef du gouvernement provisoire. Il le prie aussi de donner son avis « circonstancié » sur le vote des femmes y compris les originaires.

Le gouverneur général, le 1er juillet 1944, répond par une longue lettre qui mérite qu’on lui consacre de larges extraits. D’emblée on sent que le gouverneur général Cournarie est hostile au vote des femmes sénégalaises : « Les circonstances actuelles mettent en particulier relief une fois de plus, l’erreur politique lourde commise par les hommes de 1848 [2] lorsqu’ils ont accordé en bloc aux indigènes de nos établissements du Sénégal le même droit de suffrage qu’aux Français de la métropole, erreur qui atteint, dans ses conséquences pratiques, son plein épanouissement avec la loi du 22 septembre 1916 [3] ». Et il poursuit : « La faute n’a pas été de leur accorder le droit de suffrage mais de leur conférer ce droit dans des conditions immédiatement identiques à celles qui sont prévues par la loi métropolitaine sans aucune discrimination basée sur le degré d’évolution constaté ».

Au nom du degré dévolution (qui resterait peut-être à expliciter comme si en France en 1945 il n’existait pas d’analphabètes) il donne son point de vue. Il pense que les Françaises et les Africaines « exceptionnellement évoluées » peuvent voter. Il voit trois possibilités qu’il expose en donnant ses préférences :

– Elimination légale des femmes ne sachant ni lire ni écrire le français. Il propose que l’électrice au moment du vote écrive sur le bulletin le candidat de son choix mais il en mesure la difficulté et rejette cette éventualité puisque beaucoup d’électeurs ne savent ni lire ni écrire.

– Obligation légale pour toutes les électrices de remplir certaines conditions d’instruction mais il souligne que les Européennes refuseraient de se voir imposer des conditions non exigées de leurs soeurs de France.

– Les femmes européennes de la colonie pourraient voter dans le département où elles sont domiciliées en Europe mais cette mesure risquerait de fausser la représentation coloniale.

Aucune de ces possibilités ne lui paraissant suffisante, il expose clairement ses vues ;

– admettre toutes les femmes au vote, ce qui serait conforme aux principes républicains.

– ou bien ne pas étendre à la colonie le droit de vote et « cette seconde solution serait cependant la plus opportune du point de vue local et devrait prévaloir ».

Un rapport adressé au commissaire aux colonies par le gouverneur général Cournarie relatif à l’exécution des résolutions de la conférence de Brazzaville nous éclaire parfaitement sur ses idées en matière électorale et expliquent son refus de voir les femmes sénégalaises accéder au scrutin. Les deux idées maîtresses en sont la défense des intérêts des colons européens qui risquent d’être éliminés de la représentation électorale et par ailleurs le critère fondamental à ses yeux d’évolution comme condition d’accession au scrutin. Dans ce rapport du 26 octobre 1944 Cournarie constate à juste titre : « Les autochtones affirment une tendance de plus en plus nette à faire prédominer leur propre point de vue dans les affaires publiques. Quand il participe aux élections l’autochtone ne vote finalement que pour un Africain et si certaines catégories de sujets français se trouvent réunis à des citoyens pour former un collège électoral, les voix des sujets, alliés à celles des citoyens autochtones, iront à coup sûr aux candidats africains. Ainsi de plus en plus (…) l’élément européen peut se trouver complètement évincé des assemblées représentatives du lieu ». Et Cournarie conclut : « Il serait inadmissible que l’élément européen puisse être systématiquement exclu des conseils du fait de la mise en jeu de règles électorales trop étroitement inspirées de celles conçues dans et pour la métropole ». Et plus loin il finit sa conception du collège électoral : « Le moment semble venu de reprendre cette réforme en lui donnant tout son sens et en faisant résolument de la condition « instruction et évolution » la condition de base essentielle exigée de l’électeur sujet français (…). Ainsi toutes les catégories de sujets français sans exception, quelle que soit l’activité à laquelle ils s’adonnent : chefs indigènes, agriculteurs ou éleveurs, commerçants, agents de l’administration pourraient se voir ouvrir à eux de manière équitable, l’électorat ».

On comprend ainsi l’hostilité de Cournarie au vote des femmes sénégalaises parce qu’à ses yeux elles ne sont pas évoluées. Il était de ceux qui pensaient que les colonies devaient évoluer lentement, mais pas au même rythme que la métropole. Or les Sénégalais que la guerre avait fortement sensibilisés aux idéaux d’égalité ne l’entendaient pas ainsi. Il y avait de la part du gouverneur général une erreur d’appréciation de la mentalité des Sénégalais.

Il s’informe auprès des marabouts et le 12 octobre il télégraphie au ministère des colonies : « Sujets français musulmans Sénégal sont émus par nouvelle que vote serait accordé aux femmes pour prochaines élections ; stop. Ils déclarent la loi coranique ne le permet pas et que si réforme était étendue Sénégal ils l’empêcheraient par tous moyens ».

Ce télégramme a été par la suite reproché au gouverneur général. Qui a-t-il consulté ? Ni les conseillers municipaux, ni le conseil colonial. Il n’avait même pas consulté les citoyens concernés par le vote mais des marabouts « sujets français ». Et parmi ces marabouts qui avait-il vu ? Nous ne le savons pas hélas, mais les contemporains n’étaient pas dupes et la polémique faite après dans les journaux sur les marabouts où la distinction était faite entre les « vrais marabouts » qui s’occupaient de Dieu et des affaires religieuses et les « faux marabouts » imbriqués avec la politique et friands d’honneurs prouvaient bien que les contemporains savaient bien à quoi s’en tenir.

Le 23 octobre 1944 le commissaire aux colonies répond au gouverneur général : « Vous m’avez fait part émotion soulevée parmi sujets français musulmans du Sénégal par l’éventualité de l’extension du droit de vote aux femmes aux prochaines élections. Je vous prie de rassurer pleinement milieu musulman du Sénégal. Il n’entre pas dans les intentions du gouvernement envisager cette extension ».

Le 1er novembre 1944 le commissaire aux colonies envoie un télégramme au gouverneur général où il lui demande d’organiser les élections municipales dans les quatre communes de plein exercice après le 1er février 1945.

Le 3 novembre 1944, la Direction générale des affaires politiques administratives et sociales envoie un télégramme au commissaire aux colonies où il est dit : « Certaine animation commence à se manifester milieux Sénégal et Dakar suite informations presse annonçant ouverture élections générales février 1945 stop si ces informations exactes intervention urgente décret fixant modalités application locale ordonnance 21 avril 1944 serait indispensable raison nécessité mettre au point en temps voulu opérations préparatoires et notamment révisions listes électorales ».

Le 10 novembre le gouverneur général répond au télégramme du novembre du commissaire aux colonies. En raison des difficultés relatives à la reconstitution des listes électorales après cinq années d’interruption, il demande que les élections dans les communes de plein exercice aient lieu après le 1er avril 1945 et celles des communes mixtes après le 1er mai. En ce qui concerne le vote des femmes il s’exprime ainsi : « Vous m’avez notifié qu’il n’était pas dans intention gouvernement étendre A.O.F. vote des femmes stop reconnaissant me préciser si femmes européennes origine métropolitaine ou assimilées seront bien comprises cette exclusion ». Il rappelle la correspondance échangée à ce sujet. Cournarie fait un pas de plus dans la voie de la division. Il s’inquiète du sort qui est réservé aux femmes françaises et assimilées. Seront-elles exclues du vote comme les Sénégalaises ? N’ayant pas reçu de réponse, il envoie un télégramme le 13 décembre demandant la suite donnée aux propositions qu’il a faites.

Le décret du 19 Février 1945

Le 26 décembre le commissariat aux colonies câble au gouverneur général : « Conseil d’Etat va être saisi projet de décret tendant à adopter A.D.P. dispositions ordonnance 21 avril 1944 relatives élections municipales provisoires stop principales dispositions ce texte sont suivantes :

– Primo : pour les communes plein exercice Sénégal arrêté gouverneur général fixera détails procédure applicable à la préparation liste électorale ainsi que date à partir de laquelle sera effectuée cette opération.

– Secundo : citoyennes françaises résidant en A.D.P. et au Togo, qui dans la métropole, en Algérie, aux Antilles, à la Réunion et éventuellement Guyane auraient pu prétendre en vertu législation en vigueur, à leur inscription sur une liste électorale de leur résidence coloniale actuelle. Elles seront éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».

Dans un rapport adressé au gouverneur général le 3 janvier 1945, le directeur général des affaires politiques administratives et sociales attire l’attention de ce dernier sur les difficultés que va soulever cette question. Il fait observer que si cette mesure était admise, on verrait les femmes européennes ou antillaises ne résidant somme toute à Dakar, Saint-Louis et Rufisque que pour un temps, voter pour l’élection des conseillers municipaux de ces trois villes alors que les citoyennes sénégalaises, même instruites et évoluées seront écartées..« Quid des femmes créoles de Saint-Louis par exemple ? Il n’est pas douteux que cette combinaison sera critiquée et exploitée défavorablement ». Il suggère à demi-mot au gouverneur général d’intervenir auprès du département des colonies avant que le Conseil d’Etat ne soit saisi. Il termine son rapport en demandant au gouverneur général de prendre rapidement une décision, « la question ayant du point de vue politique une importance qu’il convient de ne pas sous-estimer ». Le directeur des affaires politiques avait sans nul doute plus de flair politique que le gouverneur général qui s’enlisait dans une situation qui ne manquerait pas d’être explosive.

Le 4 février 1945 le commissariat aux colonies câble au gouverneur général : « Pour écarter électorat citoyen français d’origine indigène CONFORMÉMENT A VOTRE DEMANDE (c’est nous qui soulignons) département avait envisagé formule suivante, citation « les citoyennes françaises résidant en A.O.F. et au Togo qui, dans la métropole, en Algérie, aux Antilles, à la Réunion, en Guyane, à Madagascar, en Nouvelle Calédonie et en Océanie, auraient pu prétendre en vertu de la législation en vigueur à leur inscription sur une liste électorale seront inscrites sur la liste de leur résidence coloniale actuelle ». Il donne la rédaction du Conseil d’Etat qui est plus claire que la première mouture et qui sera retenue pour la publication du décret. Il termine en disant que ce texte va être soumis à la délibération de l’assemblée générale du Conseil d’Etat le 8 février et il lui demande s’il a des observations ou des amendements à proposer.

Il faut noter que par rapport à la première rédaction relatée dans le télégramme du 26 décembre, il y a eu une extension du droit de vote des femmes à la Guyane, à Madagascar, à la Nouvelle Calédonie et l’Océanie. Cette énumération gêne le gouverneur général car elle pourrait susciter les réactions des Sénégalais dont les sœurs et conjointes seraient les seules exclues du vote avec celles des établissements de l’Inde. C’est pourquoi le 7 février 1945 il câble au département : « Ne fais pas objection à rédaction proposée par section Conseil d’Etat bien que serait préférable éviter énumération origine citoyens et trouver formule plus générale stop vous signale Lamine Guèye commence campagne en faveur vote femmes sénégalaises bien que m’ait déclaré il y a plusieurs mois qu’il ne [4] désirerait extension à leur profit droit de vote incompatible avec conditions locales ». Le 19 février 1945 le décret est pris, le 21 il est publié au journal officiel et le 26 le département l’envoie par télégramme au gouverneur général.

Mais depuis un certain temps l’effervescence avait gagné les milieux indigènes.

Lorsqu’en janvier 1945 Kaouza, délégué de l’A.O.F. à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, fait un voyage au Sénégal, les Sénégalais ne manquent pas de lui présenter leurs doléances. Et Lamine Guèye, président de la fédération socialiste S.F.I.O., Charles Graziani, président du parti socialiste sénégalais, de concert, lui envoient une lettre le 17 janvier 1945.

Ils protestent contre la proposition du gouverneur général tendant à exclure les femmes musulmanes du collège électoral. « Ils attirent l’attention du délégué sur le fait :

1) que les déclarations du gouverneur général ne peuvent reposer que sur des renseignements erronés ou tendancieux ;

2) que ni les municipalités, ni le Conseil colonial, ni aucune association qualifiée, n’ont été consultés ;

3) que les musulmans des communes de plein exercice du Sénégal sont d’après la loi des citoyens français (hommes et femmes) et qu’ils ne s’opposent nullement au vote des femmes,

4) que si des mesures d’exception étaient prises envers les femmes musulmanes, cela provoquerait certainement des protestations et pourrait entraîner des troubles, voire même une abstention d’une grande partie des musulmans lors des élections ».

Ils invitent le délégué à intervenir rapidement et énergiquement pour que « tous les citoyens français (hommes et femmes) puissent bénéficier des mêmes droit$ électoraux que ceux de la métropole ».

Le 17 janvier les positions se clarifient. D’un côté le gouverneur général, hostile au vote des femmes, de l’autre Lamine Guèye et Graziani qui le réclament mais en toute modération. Ils n’envisagent la violence que comme une éventualité. Il semble qu’ils craignent davantage l’abstention des musulmans. Ils se dirigent plutôt vers la résistance passive tout en poursuivant une vive campagne de presse.

Les réactions ne manquent pas dans les journaux. Malheureusement nous n’avons que quelques numéros de « L’A.O.F. » organe de la S.F.I.O. L’I.F.A.N. n’en a pas conservé de numéros entre 1939 et 1945. Quant à « Clarté », journal de Graziani et du P.S.S., on peut en trouver une collection à l’I.F.A.N. sous le cote P. 645.

On ne trouve rien sur le vote des femmes dans « L’A.O.F. » du 26 janvier. « L’A.O.F. » n’entre en guerre contre le décret que le 23 février 1945 sous le titre : « La démocratie se porte bien en A. O.F. » Diogomaye écrit : « Nous avons appris que le département sous les suggestions des autorités administratives de Dakar, a décidé d’écarter les femmes sénégalaises des droits de vote et d’éligibilité reconnus à toutes les autres citoyennes de France et de l’Empire ». Il publie la lettre de Lamine Guèye et Graziani au délégué Kaouza du 17 janvier 1945 et le télégramme du 28 octobre 1944 du gouverneur général au gouverneur du Sénégal lui transmettant le télégramme du 23 octobre 1944 par lequel le commissaire aux colonies disait qu’il n’envisageait pas d’étendre le vote des femmes aux Sénégalaises. Il termine son article en disant : « Est-il besoin de dire que nos protestations ne s’arrêteront pas là et que nous épuiserons tous les moyens en notre pouvoir pour faire respecter ce que nous tenons de la loi une et indivisible et que nul n’a le droit de nous enlever sous couleur de considérations religieuses que la république laïque ignore et doit ignorer ».

Le journal « Clarté » mène une campagne identique et retrace avec précision dans son numéro du 30 mars le déroulement des manifestations qui ont éclaté à Saint-Louis et à Dakar.

Les manifestations (mars – avril 1945 )

En effet la promulgation le 1er mars en A.O.F. du décret du 19 février 1945 détermine immédiatement une vive campagne de protestation marquée par une série de réunions publiques et de manifestations.

Dès le 1er mars Lamine Guèye adresse une lettre indignée au gouverneur général. Toutes les associations patriotiques de Saint-Louis à l’exception de Croix de Lorraine expriment leur soutien à Lamine Guèye tandis que la section S.F.I.O. de Kaolack dans un télégramme au gouverneur général souligne le caractère de cette mesure : « incidence fatale pareille exclusion sera échec toutes candidatures noires notamment Dakar devant vote seules citoyennes race blanche et élimination élément noir sein assemblées locales… » et lbrahima Seydou Ndaw précise personnellement : « cette mesure crée Sénégal majorité électorale européenne susceptible entraver évolution sociale) politique et économique du pays ».

Le 4 mars deux grandes réunions publiques se déroulent à Saint-Louis et à Dakar.

A Dakar, le parti socialiste sénégalais dirigé par Graziani et la S.F.I.O. avec Lamine Guèye, Omar Ndir et Amadou Assane Ndoye sont à l’origine de la réunion où les différents orateurs réclament avec insistance l’égalité des droits entre les Blancs et les Noirs.

Au cours de la réunion de Saint-Louis, Amadou Cissé, président de la commission municipale, souligne un fait essentiel, celui de la discrimination par rapport aux Antilles. Charles Cros chef du service de l’enseignement du Sénégal et président de l’association « France-URSS » demande qu’une délégation présente à Paris les doléances des populations sénégalaises. Sow Télémaque, président de l’association des anciens combattants, critique l’absence de consultation des imams et des conseillers coloniaux et municipaux par le gouvernement général. Salzmann Mbaye fait montre d’une grande virulence en déclarant notamment que le gouverneur général avait surpris la bonne foi du ministre et qu’il faisait une politique personnelle. Gnagna Sène termine la série des discours par une improvisation en wolof en appelant l’attention sur la situation faite aux femmes sénégalaises « d’autant plus inadmissible que leurs maris, leurs fils et leurs frères se battaient pour la France ». Une motion de protestation destinée au ministre est approuvée et une délégation est désignée pour se rendre à Dakar comprenant Cros, Khayar Mbengue, Sow Télémaque, Mbaye Salzmann, Abou Sarr, Amadou Gaye et les femmes Gnagna Sène, Tony Diouf alias Bangoura et Mme Claver, mais elle doit ajourner son voyage en attendant le retour de Lamine Guèye parti à Bamako. La réunion est vivement commentée en ville et notamment au marché où les femmes font entendre qu’elles n’admettraient jamais d’être traitées en inférieures.

Une nouvelle réunion publique se déroule le 7 dans le quartier sud sous la présidence de Khalilou Ka et François Salzmann Mbaye. Anta Gaye invite les femmes sénégalaises le jour des élections à barrer la route aux femmes européennes si elles étaient les seules admises à voter . Tous les orateurs, sans exception, réclament l’unité pour arriver au but, faire admettre le vote des femmes. Salzmann Mbave qui est l’inspirateur et l’âme de ces réunions prend en dernier la parole. Il exhorte les femmes et aussi les jeunes à la violence en cas de refus du droit de vote aux femmes en leur disant : « Si demain les femmes ne votent pas. vous vous mettrez dans la rue et ferez le serment solennel de vous battre comme cela s’est passé le 4 mai » [5]. Tety et Cros, représentants de « Combat », organisation patriotique, ont assisté à la réunion pour apporter leur soutien aux Sénégalais. L’Imam de la mosquée et quelques notables étaient aussi de l’assistance. Il est à noter que tous les orateurs et oratrices ont parlé en wolof dans le souci de se faire comprendre de la masse des électeurs. Le français sans être banni des réunions politiques est désormais relégué au second plan : la langue de communication est le wolof.

Le 8 une réunion au quartier de Guet Ndar dans la concession du chef de quartier Ndiawar Sarr rassemble quelque mille personnes dont la moitié sont des femmes. Dès lors les réunions se multiplient à Saint-Louis (9, 10 et 11 mars) avec une escalade de menaces verbales et d’appels à la violence si les femmes européennes étaient seules invitées à voter. Cournarie est vivement critiqué par Salzmann Mbaye pour avoir dédaigné l’élément évolué du Sénégal ainsi que son entourage jugé encore composé en grande partie de vichystes.

Le 10 mars, réunion à l’école Dodds de Ndar Toute : 200 femmes et un peu plus d’hommes y assistent. Le mot d’ordre est le même : l’unité pour faire admettre le vote des femmes. La même unité est évoquée à la réunion qui s’est tenue ensuite au 46 rue André Lebon. 300 femmes et 500 hommes et jeunes gens, selon les renseignements de la sûreté, y assistent. Soukeyna Konaré, cousine de Lamine Guèye et Ndaté Yalla Fall, cousine de Galandou Diouf sont choisies comme assesseurs. Le président de la commission municipale voit dans le choix de ces deux rivales politiques de toujours le symbole de l’unité dans la lutte contre le décret. Un orateur demande à Charles Cros, puisqu’il doit se rendre prochainement en France, de mettre le gouvernement au courant de la situation en A.O.F. Me Monville, un avocat qui jusque là ne s’était pas associé aux réunions, prend la parole pour dire qu’il a étudié la question à fond et est convaincu que les femmes sénégalaises doivent voter.

La plus importante réunion se déroule le 11 au cinéma Rex en présence de 2.000 personnes avec une longue intervention de Charles Cros : « Depuis dimanche une campagne de protestation des femmes sénégalaises pour le droit de vote est ouverte. Cette campagne, nous l’avons reprise dans chaque quartier. Partout l’accueil a été chaleureux (…). Certains disent que les femmes sénégalaises ne savent pas lire. Est-ce qu’il faut savoir lire pour distinguer un honnête homme d’une crapule, un bienfaiteur qui créerait dispensaires, écoles etc… » Cros souligne que les pouvoirs publics avaient prétendu que dans certains milieux musulmans il y avait eu une forte émotion à la pensée que les femmes pourraient voter. « Or, dit-il, depuis dix jours que notre campagne est commencée, nous n’avons pas un seul contradicteur, ceci prouve que nous sommes approuvés pleinement par tous les milieux musulmans ».

Les seuls qui ne se soient pas joints aux manifestations sont l’ancien maire de Saint-Louis et le président du Conseil colonial. Ils partagent néanmoins le point de vue des organisateurs [6].

Dès le 7 mars le gouverneur général Cournarie mesure la virulence et l’unanimité des réactions et télégraphie au ministre des colonies : « Agitation à Dakar et à Saint-Louis atteint certain degré de violence stop cette agitation est menée par Lamine Guèye et Graziani et soutenue par le parti socialiste, parti socialiste sénégalais et front national, et à Saint-Louis par certaines associations patriotiques stop certains indices me laissent supposer action étrangère et en particulier américaine à influence réelle stop il semble que population soit particulièrement sensible que vote est donné à femmes non originaires et refusé à Sénégalaises. Si aucune femme ne votait au Sénégal il semble bien que population demeurerait indifférente (…) Je demeure personnellement convaincu que femmes sénégalaises ne sont pas encore prêtes à participer vie politique et qu’elles se désintéressent absolument de la question stop mais agitateurs se sont emparés de la chose et en font arme contre la France. Devant ces considérations je suis donc amené à vous proposer étendre droit de vote à femmes sénégalaises ».

Il est certain que le gouverneur général cherche à justifier, très mal d’ailleurs, sous le prétexte fallacieux d’une prétendue action étrangère sa position devenue insoutenable. La réponse du ministre des Colonies le 11 mars nous éclaire suffisamment sur la responsabilité de Cournarie déjà soulignée plus haut : « Je tiens à vous faire remarquer que toutes les critiques faites aujourd’hui au système adopté avaient été prévues au cours de votre passage à Paris. Il en avait été question devant mon prédécesseur de façon précise. C’est pourquoi on vous avait recommandé de renoncer au vote des femmes européennes. C’est sur votre insistance qu’il a été maintenu mais il est inutile de revenir sur le passé. Je me rends très bien compte de toutes les difficultés de la présente situation. Pourtant je ne serais pas en principe d’avis de céder pour les élections municipales et au Conseil colonial. Vous devez mesurer en effet perte d’autorité que notre acceptation tardive sous pression populaire entraînera nécessairement. (…) Je vous autorise en revanche à annoncer au public qu’une commission commence actuellement à Paris ses travaux pour définir place que tiendront colonies dans l’Assemblée constituante. Compétence commission s’étendra évidemment au mode de scrutin et il est fort possible qu’elle incline à admettre au vote les femmes sénégalaises (…) En aucun cas vous ne devez laisser se renouveler les incidents sanglants que pour des raisons facilement compréhensibles le gouvernement est absolument décidé à éviter… »

Tandis que la réaction s’est montrée aussi énergique qu’unanime à Saint Louis en raison de la position sans équivoque de la municipalité et des associations patriotiques ainsi que la vigueur des deux personnalités Salzmann Mbaye et Charles Cros, à Dakar au contraire après la manifestation du 4 mars il faut attendre le 18 pour avoir une réunion d’envergure à Yakh Dieuf. Cela est dû essentiellement à deux raisons : D’une part l’absence de Lamine Guèye parti de Dakar début mars pour Bamako, Kankan et Bouaké et surtout l’action négative de Goux. Celui-ci ne tient pas au vote des femmes sénégalaises qui risque de compromettre définitivement ses chances de se maintenir à la tête de la mairie de Dakar. Sans adopter une attitude hostile qui le condamnerait il s’en tient à une position équivoque malgré ses propos officiels puisqu’un télégramme de Cournarie au ministre des Colonies le 10 mars souligne que « Goux, maire de Dakar, toujours opposé au principe du vote des femmes sénégalaises, vient de me faire part de ses craintes de voir des violences s’exercer le jour des élections contre les Européennes si le vote n’est pas accordé aux femmes indigènes ».

 

Mais surtout les conseillers gouxistes se montreront à plusieurs reprises réticents pour voter des motions de protestation au gouverneur général et une réunion extraordinaire du Conseil municipal promise à une délégation reçue par le maire est reportée puis finalement annulée preuve du peu d’empressement des dirigeants gouxistes, malgré le désir des électeurs de voir le Conseil municipal adopter une attitude ferme. Goux est de plus en plus tenu pour responsable du refus de vote aux femmes sénégalaises d’autant qu’il confie le 25 mars que son élection était certaine étant donné l’importance du nombre de ses partisans dans Dakar ville « y compris les femmes européennes » ce qui montre bien l’espoir qu’il fonde sur elles et elles seules.

Les revendications mettent essentiellement l’accent sur une discrimination intolérable et Amadou Cissé président du comité en faveur du vote des femmes de Saint-Louis télégraphie au ministre des Colonies le 13 mars : « 3 .000 citoyennes et citoyens réunis onze mars à Saint-Louis au cours septième meeting tenu depuis une semaine convaincus d’être interprètes opinion unanime démocratie sénégalaise primo expriment douloureuse et intense émotion ressentie annonce mesures exception égard citoyennes originaires A.O.F. et Sénégal (…) secundo demandent avec force abrogation immédiate décret 19 février et extension A.O.F. droit de vote et éligibilité à toutes citoyennes françaises sans distinction origine tertio à défaut accepteraient provisoirement et jusque décision Assemblée constituante maintien du statu quo ante seuls hommes étant électeurs et éligibles ».

Le rôle des femmes sénégalaises dans la vie politique avant 1945

Dans les revendications il est unanimement souligné l’important rôle tenu par les femmes depuis longtemps déjà dans la vie politique.

Ainsi dans un numéro du 9 mars adressé par le « Front National A.O.F » à Cournarie, sous la signature de Jean Silvandre, il est mentionné que « la femme sénégalaise, bien que non électrice, s‘est de tout temps intéressée aux choses de la politique ; dans les communes de plein exercice se formaient, à l’époque des élections, des unions ou groupements de femmes qui manifestaient ouvertement et parfois de façon passionnée leur préférence politique… ». On peut aussi mentionner cette délégation de femmes socialistes allant saluer le ministre des colonies Marius Moutet en 1937.

Le 19 mars Gaspard Ka Aly précise : « L’évolution politique de nos femmes se révélait déjà en 1871 lors des premières élections législatives [7] de la colonie où elles manifestèrent leur sympathie au député Lafon de Fongaufier qui fût élu, battant des tam-tams et chantant en son honneur chansons qui sont encore légendaires dans le pays. Depuis lors elles ne cessèrent de s’intéresser à la politique, formant des comités, versant des cotisations et exhortant les hommes pour qu’ils ne faillissent pas à leur devoir d’électeurs, raisons pour lesquelles leur maturité politique est certaine à mon avis ».

Papa Guèye Fall, ancien combattant, souligne de son côté : « La femme sénégalaise prit de tout temps une large part aux luttes électorales et souventes fois, son influence se fit sentir sur le choix des élus et ce n’était pas souvent celui qui à prix d’or achetait les consciences qui triomphait. Les femmes faisaient partie des comités politiques et haranguaient les hommes les jours d‘élection. Je me rappelle, tout enfant, les cortèges des femmes parcourant les principales artères de la ville de Saint-Louis chantant des chants qu’elles avaient composés à la louange du candidat de leur choix cependant qu’elles maltraitaient son adversaire. Je me rappelle encore à l’occasion de chaque élection les charges de police qui étaient lancées aux abords de la mairie de Saint-Louis pour disperser les attroupements de femmes qui ne voulaient aller se coucher avant d’avoir connu le résultat du scrutin. La mesure d’exception qui prive la femme sénégalaise du droit de vote est donc d’autant plus sensible que son éducation politique est avancée (…) Nous croyons fermement qu’accorder l’électorat et l’éligibilité à la citoyenne noire ne pourrait engendrer que du bien (…) Elle serait pénétrée plus que jamais de la nécessité de s’instruire (…) Ce que le foyer indigène y gagnerait saute aux yeux : élévation de la condition de la femme, meilleure harmonie entre les conjoints, éducation des enfants mieux comprise et mieux assurée. Le droit de vote enfin réhausserait la femme noire dans le milieu social où elle évolue en en faisant l’égale de l’homme devant la loi électorale (…) Au Sénégal le vote des femmes est donc un instrument sûr de progrès moral, intellectuel et social ».

Tour à tour le gouverneur général à Dakar et Dagain gouverneur du Sénégal à Saint-Louis s’entretiennent avec les représentants des associations protestataires sans pouvoir les apaiser par l’éventualité d’un vote des femmes pour l’Assemblée constituante annoncé par le télégramme du 11 mars du ministère des Colonies. En effet, comme le souligne Charles Cros, c’est justement pour les élections municipales que le vote des femmes revêt une particulière importance et Graziani à Dakar affirme qu’il ne s’agit pas d’une « question d’évolution, car les sujets pourtant instruits tels que commis, instituteurs ou médecins ne peuvent voter. Il s’agit simplement d’une mauvaise interprétation de la loi qui reconnaît à tout citoyen le droit de vote ».

Un manifeste réitère solennellement l’exigence du vote des femmes sénégalaises.

Les interventions en France : Cros et lamine Guèye

Le 19 mars, mandaté par les associations de Saint-Louis, Charles Cros gagne Dakar par Louga et Thiès où il reçoit les doléances des associations locales et le 21 il part pour Paris afin d’assister au congrès de « Combat », après avoir été reçu par la S.F.I.O. et le P.S.S. chez Alassane Ndir. Il se propose de s’occuper à Paris du vote des femmes.

Dans un nouveau télégramme du 27 mars adressé au ministre des Colonies, le gouverneur général reste toujours dans l’expectative et cherche à se décharger de la décision sur le ministère des Colonies qui la lui rejette dans sa réponse du 8 avril : « Si une menace de violence se précisait et s’il apparaissait que l’emploi de la violence fût inévitable vous devriez, sous votre responsabilité, apprécier l’opportunité d’accorder ou non en dernière analyse le droit de vote (…) en définitive la solution est entre vos mains ».

Dans les premiers jours d’avril les réunions se multiplient et l’on assiste à une recrudescence de l’activité des associations féminines. A Dakar, le 1er un rassemblement a lieu chez El Hadj Alassane Ndir avec Magatte Camara ex-présidente des « Dames diagnistes » et parmi les promoteurs du mouvement Touty Samb, présidente de l’association des femmes S.F.I.O. du Sénégal se prononce pour l’abstention totale de vote en cas de refus aux femmes sénégalaises. Une seconde réunion le 2 ne parvient pas à mettre au point une motion destinée à être remise à Lamine Guèye, devant l’opposition des gouxistes montrant une fois encore leur attitude équivoque.

Dans « L’A.O.F. » du 13 avril, le rédacteur A.V., sous le titre « Le vote féminin », s’étonne de l’exclusion des femmes sénégalaises du vote et annonce la création d’un comité d’action pour le vote des femmes indigènes présidé par El Hadj Alassane Ndir et Gaspard Ka. Le comité « interviendra avec fermeté et dignité afin de rendre à cette situation boiteuse la stabilité indispensable à la réalisation des grandes choses que d’un commun effort nous sommes décidés à entreprendre ».

De nouvelles réunions ont lieu les 7 et 8 avril à la place Mboth et à Yakh Dieuf en présence de Lamine Guèye qui annonce son départ pour Paris le 13 avril, sans doute poussé par les premiers résultats obtenus par Charles Cros, mais aussi pour rencontrer L.S. Senghor, désireux de mener avec lui des démarches actives en vue d’obtenir la représentation des populations sénégalaises à la conférence de San Francisco [8].

Le 2 avril en effet dans un télégramme à Lamine Guèye, Charles Cros annonçait : « Après dix jours démarches (…) ministre des Colonies favorable mesure de justice, mais attend dernières propositions gouverneur général auprès de qui urgent Saint-Louis, Dakar, Rufisque fassent ultime intervention avec plus vive insistance afin que réponse gouverneur général reflétant état d’esprit réel population du Sénégal permette ministre prendre décision attendue. Sur ma proposition congrès national « Combat » adopta hier unanimité 178 mandats motion faveur égalité droits citoyennes sénégalaises (…) serait entendu par commission colonies Assemblée consultative vendredi six avril… ». Et le 9 il télégraphie au maire de Saint-Louis : « Revu à deux reprises ministre des Colonies plus que jamais favorable mesure de justice extension droit vote citoyennes sénégalaises mais ministre attend toujours pour prendre décision dernières propositions gouverneur général ».

Le 12 avril Cournarie qui a eu connaissance des télégrammes de Cros par interception postale, pour ne pas être pris de vitesse, télégraphie au ministre des colonies en suggérant de prendre immédiatement une mesure favorable au vote des femmes sénégalaises après en avoir conféré avec les gouverneurs Dagain, gouverneur du Sénégal et Mercadier, administrateur de la Circonscription de Dakar et dépendances, en profitant du climat d’apaisement : « (…) L’ attribution du droit de vote aux femmes sénégalaises intervenant dans la période actuelle de calme marqué susciterait un sentiment de reconnaissance sincère envers la France, barrerait la route à la propagande étrangère, ce qui n’est pas sans intérêt au moment où va se réunir la conférence de San Francisco. Je suis donc fermement d’avis d’accorder sans autre délai et surtout sans attendre que des incidents puissent se produire le droit de vote aux femmes sénégalaises… ».

Le 17 avril Giaccobi, ministre des colonies, télégraphie en réponse à Cournarie : « Je soumets ce jour en Conseil d’Etat décret annulant article 4 du décret du 19 février 1945 et le remplaçant par article suivant : « les femmes citoyennes françaises sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les citoyens français. Pouvez dès maintenant rendre publique cette décision et commencer préparation listes électorales sans attendre texte que je vous télégraphierai dès signature ».

Le même jour Charles Cros envoyait de son côté à Mamadou Assane Ndoye un télégramme de teneur identique : « Suite dernières démarches aux affaires ministère des colonies hier et ce matin heureux pouvoir enfin annoncer très prochain règlement favorable question extension droits électoraux citoyennes sénégalaises qui voteront et seront éligibles dès prochaines élections municipales ».

Il le confirme dans une lettre du 21 avril à Seydou Ndaw, agent d’affaires à Dakar, où il précise : « C’est une belle victoire que nous venons de remporter et j’ai pleine confiance dans le succès de cette expérience. Les femmes sénégalaises plus que les hommes encore veulent une amélioration rapide des conditions de vie quotidienne et nous devons avoir prochainement au Sénégal des élections franchement orientées vers la gauche et même l’extrême gauche pour une nouvelle politique ordinairement républicaine ».

La nouvelle fut rapidement diffusée à Saint-Louis et Dakar et fut accueillie avec satisfaction par les Sénégalais qui considèrent que le droit de vote pour les citoyennes est désormais acquis. Lamine Guèye en tire par ailleurs un surcroît de prestige car l’on estime généralement décisive son intervention à Paris, la décision ministérielle suivant de peu son arrivée dans la capitale.

Il faut cependant attendre le 30 mai pour que paraisse le nouveau décret promulgué en A.O.F. le 6 juin 1945.

Il aurait été intéressant de recueillir des témoignages oraux sur la question mais les limites de cet article ne nous l’ont pas permis, aussi allons-nous nous contenter des réactions de la population à travers la correspondance interceptée par les services de sûreté du gouvernement général.

Les Sénégalais, on le devine, sont favorables au vote des femmes. Un Saint-Louisien rend compte dans une lettre du 6 mars 1945 à un correspondant à Rufisque de son point de vue qui est celui de beaucoup de ses concitoyens : « Ceci [l’exclusion des femmes] est une mesure arbitraire, nous nous sommes adressés en masse pour contrecarrer cet agissement administratif. Pourquoi a-t-on décidé sur notre sort sans nous avoir consultés nous qui sommes les propres intéressés ? On s’est lié au dire de quelques marabouts. Est-ce qu’en France quand pareil problème s’est posé a-t-on demandé l’avis du curé avant de prendre cette mesure très injuste pour les autres ».

Un autre habitant de Saint-Louis dans une lettre à un correspondant de Dakar, le 9 mars fait observer que la population est indignée du décret qui écarte les femmes sénégalaises du vote. « Cette mesure, dit-il, est d’autant plus ridicule que le gouverneur général dit que des musulmans sujets français sont contre le vote des femmes. Je ne vois pas pourquoi prendre l’attache de sujets français [9] alors que la question ne les intéresse pas ».

La lettre d’un Dakarois à un conseiller colonial à Ziguinchor, le 10 avril souligne : « Comme Français, nous demandons l’application de la loi légale pour tous. Il est très facile de dire que nos femmes ne sont pas mûres et qu’elles sont la plupart musulmanes, mais la république est laïque et ne peut être que laïque donc la question religieuse est systématiquement écartée, quant à l’état des évolutions, le suffrage universel se conçoit par l’égalité du droit du berger et celui du conseiller et c’est ainsi que la mobilisation n’épargne pas la classe ignorante ».

Le 19 juin un sergent de Ouakam écrit dans un français pittoresque : « A Dakar, Lamine Guèye contre Goux lutte perpétuelle, changeante et multicolore. Mais l’unité de la race est un bloc ferme, homogène, conforme et écrasant plus les femmes électrices est au côté unanime de Lamine. Il surpasse en nombre et en idéal… ».

Les citoyens écartent donc la question religieuse et ne reconnaissent qu’une république laïque qui, demandant les mêmes sacrifices à ses fils, doit les mêmes traitements à tous. Ils aspirent à l’égalité avec les Français de la métropole devant les devoirs et les droits. Une autre idée perce dans la lettre du sergent, c’est l’unité de la race. En effet les noirs sont solidaires dans cette lutte et se massent derrière Lamine Guèye.

Il aurait été intéressant d’avoir le point de vue des femmes, mais malheureusement elles nous ont laissé peu de lettres. Toutefois nous avons celle d’une femme à son mari en Abidjan le 30 mai 1945. Elle avait été pressent« Nous savons que 90 % des Français sont hostiles au vote des femmes sénégalaises ».

Rares sont les lettres où transparaît quelque sympathie pour le vote des Sénégalaises : « Les femmes vont voter parait-il et ça chauffe. Nous avons eu meetings et réunions et cela me rappelait l’époque héroïque des fameuses luttes Diagne, Galandou, Lamine ! Le Sénégal s’enlise jusqu’au cou dans la politique locale et Saint-Louis retentira bientôt des déclamations et joutes oratoires des candidats ».

Le 22 juin, à quelques jours du scrutin, une Européenne marque sa préférence pour Lamine Guèye : « En ce moment la campagne électorale bat son plein (…) A mon avis votre ami Lamine Guèye sera, je crois pour l’instant, élu maire de Dakar (…) car les autres partis sont des gens peu recommandables ».

Une lettre envoyée de Paris le 28 mars 1945 au président de la Chambre de Commerce de Dakar affirme : « Les deux gouvernements (P.S.S et S.F.I.O) sont d’accord pour demander l’égalité des droits des femmes originaires du pays et des Européennes (…) Je crains sans oser l’affirmer qu’il s’agit là d’une manoeuvre électorale destinée à modifier le corps électoral ». On sent le rédacteur quelque peu réticent à l’idée du vote des femmes. Il poursuit en ces termes : « Le statut de la femme sénégalaise originaire, son évolution sociale, son état d’indépendance, sa formation, sa personnalité ne sont incontestablement pas les mêmes que ceux d’une métropolitaine. Il faut donc s’avancer avec beaucoup de réflexion, d’autant plus que toute liberté accordée est acquise dans ce domaine là à titre définitif ».

Si nos sources résident essentiellement dans le milieu des petits blancs, elles n’en traduisent pas moins, à travers un vocabulaire populaire, les réactions de la majorité de l’élément européen. Un employé des Etablissements Petersen écrit en avril 1945 à un correspondant en France : « Les élections que va-t-il en sortir ? Savez vous qu’on a accordé le droit de vote et d’éligibilité aux femmes sénégalaises, que ma djiguène qui comprend à peine le français, qui a des instincts de guenon, va avoir une voix tout comme moi pour élire qui ? Est-ce qu’elle sait ? Comment peut-on faire de telles erreurs dans un pays où il est pourtant facile de savoir ce qu’il y a de profondément ridicule à de telles innovations ».

C’est une lettre du même genre qui est envoyée le 27 avril à un correspondant d’Alger : « Je crois que les élections se feront ici au mois de juillet. Les Sénégalaises nées dans les quatre communes où le vote des noirs est accordé ont obtenu le droit de vote, on va donc mettre nos bulletins avec nos grandes sœurs chéries et bien entendu comme finalement ils sont en grande majorité, c’est pour lui [10] qu’on vote. Franchement pour la première fois que ça m’arrive ça m’embête de voter nègre et la plupart des femmes européennes n’iront pas aux urnes (…). Elles n’ont pas quoique musulmanes le rôle effacé auquel les arabes contraignent leurs femmes. Les hommes s’occupent d’elles. D’ailleurs elles sont parées comme des chattes et flânent à longueur de journée en traînant les pieds le long, des trottoirs ».

Une femme écrit à ses parents le 30 avril : « Les élections ont-elles procuré de l’animation chez vous ? Ici se sera plus tard, mais on va faire voter les négresses encore plus ignorantes et stupides que les malheureux noirs, tellement bornés et incapables ! Quelle politique fausse ! Moi je n’irai pas voter ».

Une lettre datée de Dakar le 1er mai 1945 est ainsi rédigée : « Nous allons avoir dans quelques jours : la vaste rigolade du vote de ce que l’on appelle au Sénégal des femmes, d’ici que Lamine Guèye soit désigné pour aller à San Francisco représenter la grande nation sénégalaise, il n’y a peut-être pas loin ». Et un caporal chef s’indigne dans un français douteux : « Cette année on ne répond de rien, surtout elles votent, les trois quart et demi (sic) ne savent ni causer le français, ni lire, ni écrire et ne connaissent même pas leur date de naissance, elles sont nées vers l’an, je ne sais lequel… Alors avec çà on ira loin. Mais pour la question de langue et de méchanceté elles se placent là. Il faut s’attendre à la casse ».

Un autre militaire développe des idées voisines dans une lettre à sa femme : « Au Sénégal rien d’inchangé (sic) si ce n’est le vote des femmes et ainsi leur éligibilité, nous avons tout vu, passe encore pour la France et même l’A.F.N. [11] mais ici cela prend une tournure révoltante, je ne vois pas les femmes nègres, ou plutôt les négresses devenues françaises depuis quelques années, en haillons non encore civilisées posséder des droits que nous autres militaires nous ne possédons même pas. L’erreur était déjà très grande pour les hommes noirs, ces déchets rongés par toutes sortes de maladies sans nom (…) Jamais un homme ne pourra gouverner du fond d’un bureau (…) Ce vote des femmes est ridicule ».

Après la promulgation du décret du 30 mai, en juin c’est la peur qui gagne le milieu blanc. Une lettre du 25 juin porte : « C’est effrayant le bloc africain est contre les blancs et je n’ai jamais vu autant de haine déchaînée (…) Ce n’est pas une question de parti mais de race (…) Lamine rentre à la mairie, une formidable ovation lui est faite et vous ne voyez que poings levés. Les dirigeants se rendent-ils compte de cette force que Lamine lui même sera impuissant à contenir ».

Point n’est besoin de commentaires tant ces lettres sont éloquentes et prouvent parfaitement l’hostilité des Européens au vote des Sénégalaises.

Les élections municipales de juillet 1945

Le vote des femmes sénégalaises a de toute évidence considérablement modifié les données des élections.

Lamine Guèye, rentré dès le 13 mai à Dakar pour se consacrer à la campagne électorale, retire le plus de prestige, tandis que Charles Cros, resté en France pendant tout le mois de mai se détachait de la vie locale sénégalaise. On peut également se demander si au Sénégal en 1945 un Européen pouvait encore tenir une place de choix dans la politique locale.

Goux, quant à lui, comprend que sa position est ébranlée vis-à-vis de Lamine Guèye, son principal concurrent à la mairie de Dakar. Dès le 27 avril, il entreprend dans des réunions publiques d’expliquer aux femmes sa position, préconisant la constitution d’associations de femmes. Toutefois l’accueil enthousiaste réservé à Lamine Guèye à son retour de France par les comités de femmes constitués en sa faveur montrent à l’évidence que Goux a perdu toute chance de gagner les suffrages des femmes sénégalaises qui représentent environ 21 % du corps électoral à Dakar (3.066 électrices sénégalaises) c’est-à-dire plus que le corps électoral européen dans son ensemble (2.785 électeurs parmi lesquels près de 500 femmes qui ne prendront qu’une faible part au scrutin).

Les résultats des élections à Dakar le 1er juillet confirment le rôle éminent joué par les femmes sénégalaises et pressenti par Goux dans son refus de les voir voter. Les 951 voix que recueille la liste de l’ancien maire de Dakar ne représentent qu’un tiers du corps électoral européen (moins de 10% des votants) tandis que la liste de Lamine Guèye triomphe avec 8.590 voix.

Les résultats de Saint-Louis confirment ceux de Dakar et on relève dans un rapport de synthèse de la direction générale de la sûreté : « Il y a lieu de remarquer que les femmes indigènes votèrent en nombre imposant avec calme et discipline, qu’aucune Européenne ne se présenta dans les salles de vote enfin que les Européens ayant voté furent peu nombreux (au maximum 20) » [12].

Donc tout comme à Dakar l’élément européen dans son immense majorité s’est désintéressé de la question électorale à l’échelon municipal tandis que les femmes sénégalaises donnaient l’avantage à la liste de Télémaque Sow soutenue par Lamine Guèye ainsi que le souligne dans son rapport au gouverneur du Sénégal le commandant de cercle du Bas-Sénégal : « Pour la première fois les femmes sénégalaises étaient admises au vote. Ce sont elles d’ailleurs qui ont montré le plus de discipline et il n’est pas douteux que leurs votes massifs ont fait triompher la liste Lamine » [13].

Au terme de cette rapide étude il convient d’en rassembler les idées maîtresses.

La première question est la raison qui a amené le gouverneur général Cournarie à prendre position dès le départ contre le vote des femmes sénégalaises. De toute évidence, face à l’accaparement inéluctable des mandats électoraux par les élites africaines après la guerre, la politique réactionnaire de Cournarie vise à défendre les intérêts des colons européens en bloquant l’accès des femmes aux scrutins. Mais il a été victime d’une erreur d’appréciation de la société sénégalaise. Il ne se doutait pas à quel point ce peuple qui a élu d’abord en 1848 puis de manière régulière à partir de 1879 un député à l’Assemblée nationale française était mûr et prêt à revendiquer ses droits. En outre le Sénégal a toujours regardé les anciennes colonies – Martinique, Guadeloupe et Réunion – comme ses concurrentes : c’est une erreur politique de leur accorder le droit de vote et de le lui refuser. Cournarie était de cette catégorie de coloniaux (l’idée persiste aujourd’hui sous d’autres formes) qui pensaient que la citoyenneté ne pouvait s’acquérir que par une certaine « évolution ». Pour être citoyen, il fallait être « assimilé français ». C’était un tort puisque des sujets français ayant fait de brillantes études n’avaient pas accès au scrutin, parce que nés hors des quatre communes. Il s’agissait là en fait d’un moyen politique pour sauvegarder la mainmise des colons européens sur la vie politique africaine.

Pourtant les Sénégalais ne s’en sont pas pris à Cournarie personnellement mais à son entourage jugé vichyste et responsable de cette prise de position. Le ténor de ce courant est Salzmann Mbaye, le seul d’ailleurs à avoir prôné la violence à un moment ou à un autre. Sont également dénoncés les marabouts qui ont induit en erreur le gouverneur général en lui donnant de faux renseignements. En somme dans l’opinion publique, le gouverneur général était au-dessus de tout soupçon : il ne pouvait qu’être l’ami du peuple sénégalais et le peuple sénégalais le tenait pour tel.

S’agissant des réactions suscitées par l’exclusion des femmes du vote il est certain que les hommes ont été les premiers à manifester leur indignation et ont entraîné les femmes dans la contestation. Cependant il faut souligner à quel point ils ont trouvé en elles un milieu réceptif. Les femmes sénégalaises en effet ont participé à la vie politique pratiquement depuis 1871, en y apportant non seulement leur élégance dont elles rehaussaient les réunions politiques mais aussi leur passion et leur engagement. Le statu quo ne les aurait pas gênées, habituées qu’elles étaient à ne pas voter, mais admettre les femmes françaises au vote et les exclure lesa ulcérées et, sous l’impulsiondeshommes, elles ont décidé d’agir. Quant aux hommes en général ils ont réagi par souci de fierté, ce mot qui revient si souvent dans « Itinéraire africain » de Lamine Guèye [14] à côté de son corollaire « l’humiliation ». Le Sénégal qui a été avec les quatre anciennes colonies des Antilles et de la Réunion une des premières possessions françaises se sent humilié face aux autres colonies.

Il ne faudrait pas négliger non plus les arrières-pensées électorales. Il est certain que sans l’apport de l’électorat féminin, il eût été difficile de battre Goux à Dakar ; avec cet apport la victoire de Lamine Guèye était assurée. Goux l’a vu d’emblée ce qui explique sa réticence et il n’est pas impossible, pour employer un euphémisme, que ses adversaires politiques l’aient vu aussi. La décence était de ne pas en parler. Les idéaux masquaient l’opportunisme politique et on s’est battu au nom des idéaux de justice et d’égalité.

On peut s’étonner de la rapidité de la victoire des Sénégalais mais en fait cette victoire n’a été possible que parce que les idées qu’avançait le gouverneur général paraissaient indéfendables aux yeux du ministre. C’est pourquoi dès que les manifestations ont commencé à se déployer à Dakar et à Saint-Louis dans une très forte unité et que la radicalisation de la lutte a fait entrevoir des menaces de violences, Charles Cros et Lamine Guèye, partis en France pour défendre la cause des Sénégalaises, ont obtenu une réponse favorable du ministre, obligeant le gouverneur général à céder aux pressions populaires. La position du ministre a été déterminante, il n’était pas convaincu par les arguments du gouverneur général alors que ceux de Charles Cros et Lamine Guèye ont trouvé en lui une attention bienveillante.

 

Lamine Guèye a été le triomphateur dans ce vote des femmes de 1945. Il a battu Goux à Dakar et à Saint-Louis, c’est sa liste, représentée par Télémaque Sow, qui remporte les élections. On pourrait se demander pourquoi Charles Cros, qui a cependant déployé beaucoup d’efforts dans la lutte pour l’admission des femmes au vote, n’a pas été payé de retour. La raison en est qu’en 1945 les Sénégalais entendaient se représenter eux-mêmes. Ils n’avaient plus la moindre intention de confier, sur leur sol, leur destin à des non autochtones. Les non Sénégalais étaient désormais exclus de l’arène politique et Charles Cros en a conçu beaucoup d’amertume.

En outre le wolof fait sa percée dans les réunions politiques. L’électorat féminin et les analphabètes à conquérir font que les orateurs, dans les réunions publiques, parlent dans la langue du pays. Le français est relégué au second plan. Le wolof est désormais le vecteur de sensibilisation des masses dans les réunions politiques électorales. Revendication politique et revendication culturelle conjuguées constituent la manifestation d’une éclosion du sentiment national dans ces années 1945.

Le vote des femmes sénégalaises en 1945 a créé un changement de mentalité de la classe politique sénégalaise. Les femmes sont désormais recherchées pour le rôle qu’elles peuvent jouer dans le déroulement du scrutin. Elles deviennent une force politique capable, par son engagement, de donner un visage nouveau aux consultations électorales. C’est pourquoi après 1945 tant la S.F.I.O. que le B.D.S. auront soin de constituer des comités de femmes dont le rôle important n’a cessé de croître.

N.B. Pour toutes les lettres, le texte et l’orthographe ont été respectés.

Sources : Archives nationales du Sénégal.

[1] Sont citoyens les Sénégalais nés dans les 4 communes (Saint-Louis, Gorée, Dakar, Rufisque).

[2] 1848 : suffrage universel pour l’élection d’un député à l’Assemblée nationale ;

[3] Loi du 22 septembre 1916 (en fait 29 septembre) J.O. A.O.P. 1916, p. 675, étendant aux descendants des originaires des 4 communes de plein exercice du Sénégal les dispositions de la loi militaire du 19 Octobre 1915 : « Sont et demeurent français ».

[4] A été ajouté sinon le télégramme serait incompréhensible.

[5] 4 mai 1930 : incidents sanglants qui se sont déroulés à Saint-Louis le jour des élections au Conseil colonial avec bris d’urnes, à l’instigation de Salzmann Mbaye.

[6] Rapport politique du commandant de cercle du Bas-Sénégal au gouverneur, 11 avril 1945.

[7] Premières élections législatives en 1848 avec l’élection de Durand Valentin ; la représentation coloniale est supprimée par décret du 2 février 1852 et rétablie seulement en 1870 au Sénégal

[8] Conférence qui a établi la charte des Nations Unies (25 avril au 26 juin 1945).

[9] Ils ne votent pas.

[10] Lamine Guèye.

[11] Afrique Française du Nord.

[12] Rapport du 16 juillet 1945.

[13] Compte-rendu du 2 juillet 1945

[14] Guèye (Lamine), Itinéraire africain. Paris, Présence africaine, 1966. In 8e, 244 pages.