Développement et Sociétés

« LE MOUVEMENT SOCIALISTE DOIT INDIQUER LES CHEMINS DU FUTUR »

Ethiopiques n° 25

révue socialiste

de culture négro- africaine

janvier 1981

Mario SOARES au XVe Congrès l’Internationale Socialiste :

Notre 15e Congrès a comme devise « Paix, Liberté et Solidarité ». Trois dimensions d’une réflexion qui constituent l’essence même du socialisme démocratique et qui ne pourront pas être analysées séparément.

En choisissant Madrid comme siège de cette conférence, l’Internationale Socialiste a voulu, par sa présence, rendre hommage au Parti Socialiste Ouvrier Espagnol, vieux et nouveau parti de large tradition ouvrière. C’est un parti auquel nous sommes liés par une profonde solidarité, issue de la lutte commune dans la clandestinité et dans des conditions particulièrement difficiles contre les dictatures ibériques de Franco et de Salazar. Vous permettrez donc que je salue d’une façon particulière nos camarades espagnols, en la personne de leur leader incontesté Felipe Gonzalez, car les socialistes représentent aujourd’hui en Espagne une grande force populaire. Le PSOE est indiscutablement le lieu de rencontre des espoirs d’une large partie du peuple espagnol dans leur lutte pour le progrès et la justice sociale par l’approfondissement des libertés, c’est-à-dire par le socialisme démocratique.

La démocratisation de la vie politique et sociale de nos deux pays ibériques constitue d’ailleurs un exemple fécond pour d’autres régions du globe soumises encore à de durs systèmes totalitaires et particulièrement pour l’Amérique Latine à laquelle nos deux pays sont profondément liés par des traits historiques et culturels qui sont toujours vivants dans les sentiments des peuples respectifs.

Je voudrais mettre en relief les transformations positives intervenues en Amérique Latine malgré les hésitations subséquentes, la présence de forces démocratiques latino-américaines qui se réclament du socialisme démocratique dans l’Internationale Socialiste et l’intérêt croissant d’une liaison plus approfondie entre partis et forces politiques européens et latino-américains dans un avenir prochain. Ces faits ont été souvent soulignés dans nos dernières réunions et en particulier dans la conférence organisée par mon parti à Estoril en octobre 1978. Cet intérêt réel de l’I.S. pour l’Amérique Latine a justifié que son Bureau s’y soit réuni pour la première fois cette année à l’invitation du Parti Révolutionnaire Dominicain.

Le Portugal, l’un des premiers Etats européens qui s’est constitué dans ses frontières actuelles, au 12e siècle, pays européen par excellence qui veut entrer dans l’Europe de la C.E.E., est cependant un pays historiquement et culturellement tourné vers l’extérieur. Pays maritime, la mer l’a toujours lié à d’autres continents et toujours les échanges avec d’autres cultures, peuples et civilisations ont fait partie de sa manière d’être et de sentir. C’est pourquoi mon parti a toujours souligné l’importance de l’approfondissement des contacts avec les mouvements et partis de l’Amérique Latine et de l’Afrique comme l’une des priorités dans ses rapports extérieurs.

Je salue donc toutes les délégations de l’Amérique Latine, de l’Afrique et de l’Asie représentées dans ce 15e Congrès de l’Internationale Socialiste en tant que participants ou observateurs, et qui démontrent, par leur présence et participation, la dynamique que le socialisme démocratique a acquis, les espoirs qu’il a suscités et la capacité démontrée par l’Internationale qui a su se transformer, sous l’égide de notre président Willy Brandt, d’un groupement de partis originaires de pays développés de l’Europe, en un important forum international où, à côté de ceux-là, se trouvent des forces politiques représentatives des pays du Tiers-Monde, créant ainsi un important trait d’union entre le Nord et le Sud, en termes de solidarité idéologique et politique. Dans ce sens, je souligne la situation des pays de l’Europe du Sud, en particulier du Portugal, de l’Espagne, de la Grèce et de la Turquie. Les deux premiers intéressés dans leur intégration dans la C.E.E., tous cependant solidaires dans l’affirmation de ce que le dialogue Nord-Sud doit commencer en Europe même par l’aide solidaire des pays développés du Nord aux pays périphériques du Sud.

Le rapport sur les problèmes Nord-Sud, élaborés par une commission indépendante sous la présidence de Willy Brandt, représente une réflexion approfondie et une contribution de toute première importance pour la discussion et la compréhension de ces problèmes, et contient des recommandations et un authentique programme d’émergence qui, s’il est suivi – et nous espérons qu’il le sera – pourra nous amener à aborder les prochaines décennies avec moins d’inquiétude.

Après la divulgation de ce rapport, qui analyse d’une façon très complète le problème des rapports Nord-Sud et toute la complexe problématique mondiale qui lui est sous-jacente, il est difficile d’innover dans cette matière. Cependant, et puisque c’est ce point qu’il m’a été suggéré d’analyser comme introduction à un des thèmes en débat dans ce congrès et sur lequel j’ai eu d’ailleurs déjà l’occasion de me prononcer au Congrès de Vancouver, je vais essayer de le faire dans la perspective de son insertion dans le contexte international de crise que nous vivons, en suivant de près le rapport Brandt qui constitue nécessairement en cette matière notre point de référence obligatoire.

Priorité à la survie

Il est incontestable que la crise économique et financière dans laquelle nous sommes plongés sans qu’il y ait eu une vraie volonté politique de l’enrayer – aura tendance à s’approfondir avec des conséquences chaque fois plus dangereuses dans le contexte actuel de l’accroissement des tensions internationales.

L’invasion soviétique de l’Afghanistan et la guerre entre l’Irak sont les manifestations les plus visibles de l’aggravation de la crise internationale. Mais ils ne sont pas les seuls. Les difficultés qui ont surgi dans les rapports entre l’Est et l’Ouest ont des causes multiples. Il est évident cependant que la crise de confiance qui s’installe, accentue et rend difficiles les solutions structurelles qui se posent par rapport aux problèmes Nord-Sud. La détente n’est possible que dans un climat de confiance. Mais sans la détente il paraît difficile de développer en termes réalistes et surtout efficaces le dialogue Nord-Sud. Or s’il est vrai que le climat de confiance qui existait après Helsinki n’a pas été complètement brisé la Conférence de Madrid essayera de le démontrer – il est devenu clair qu’il est bien compromis dans l’avenir immédiat. C’est pourquoi les problèmes du désarmement auxquels nous attachons tant d’importance au sein de l’I.S. doivent être abordés sans illusions et avec un réalisme accru de façon à ce que l’équilibre qui est à la base de la logique du système international ne soit pas mis en cause.

La survie de l’humanité et des sociétés démocratiques, dans lesquelles nous vivons est un impératif qui se pose en priorité. Il faut donc dépasser avec rigueur et urgence la situation présente, sans céder unilatéralement, de façon à rétablir les négociations qui contribuent à la rencontre de solutions équitables pour les deux parties. Il n’y a pas d’alternative à une négociation sérieuse.

La Conférence de Sécurité et Coopération en Europe qui se déroule en ce moment à Madrid dans des conditions difficiles ne peut être un dialogue de sourds et doit ouvrir un chemin prudent de façon à dépasser l’impasse actuelle. Les négociations pour la limitation des armes nucléaires stratégiques et les négociations sur les euromissiles doivent être abordées en tenant compte du contexte international actuel mais aussi avec la volonté politique d’aboutir à des résultats effectifs et parallèlement, il est nécessaire de faire avancer les négociations de Vienne sur les armes conventionnelles en Europe (MBFR).

Il me semble indiscutable que c’est seulement dans un contexte de détente qu’il est possible de trouver des solutions adéquates au dialogue entre pays développés et pays en voie de développement. A ce dialogue les pays de l’Europe de l’Est ne peuvent pas se soustraire, sous prétexte qu’ils n’ont jamais été des puissances coloniales. Ces pays font partie du monde développé et participent comme les autres dans le commerce international tout en acceptant ses règles de fonctionnement. On ne peut comprendre qu’ils ne veuillent pas assumer les responsabilités internationales, qu’ils acceptent dans le contexte Est-Ouest, dans le cadre du dialogue Nord-Sud. La République Populaire de la Chine doit jouer un rôle important dans ce dialogue, car elle est le plus grand pays en voie de développement.

Le problème de l’énergie, cause mais aussi conséquence de l’aggravation de la situation internationale, touche tout le monde. C’est là l’un des facteurs primordiaux de la récession économique des pays développés avec toutes les conséquences sociales actuelles, dont le chômage et l’inflation sont les deux plus grands fléaux. Cette récession s’est réfléchie dans la plus grande partie des pays en voie de développement d’une façon brutale car, en plus de l’importance de la crise de l’économie internationale, la « facture pétrole » est devenue insupportable, créant des problèmes de balance des paiements qui compromettent les efforts de développement économique. Le Portugal en est un bon exemple car une grande part de nos problèmes actuels y trouvent leur origine et leur explication. Il s’agit donc de gérer la crise afin de créer des conditions pour dépasser les difficultés présentes dans leurs multiples vecteurs. C’est une tâche irrécusable que nous devons assumer en commun à nos différents niveaux de responsabilités.

Dans le contexte du dialogue Nord-Sud, l’un des facteurs pour surmonter la crise pourra être trouvé dans la recherche de solutions efficaces pour l’utilisation rationnelle des ressources existantes au service des populations. Cependant, le problème des ressources est intimement lié aux problèmes démographiques. L’accroissement de la population mondiale est entré dans une courbe exponentielle qui fera passer de 4,4 milliards d’habitants en 1980 à 6,5 milliards d’habitants en l’an 2000. Plus des trois quarts de cet accroissement se situera dans les pays en voie de développement. Une grande partie de cette population vit déjà en conditions infrahumaines, ce qui, en raison du projet de socialisme humaniste que nous défendons, est parfaitement intolérable. La famine, la maladie, l’analphabétisme, le chômage, sont des fléaux permanents auxquels il n’a pas été possible encore de trouver remède dans les sociétés sous-développées. Dans un monde aux ressources limitées, l’accroissement de la population au rythme actuel nous conduira à une situation tragique si nous n’arrivons pas à opérer des transformations plus profondes dans notre système international.

La dénutrition et la famine constituent aujourd’hui l’un des plus graves problèmes auxquels l’humanité doit faire face.. Dans un avenir prochain, ce problème doit avoir des aspects exceptionnellement alarmants. Les appels des autorités responsables n’ont pas été entendus. Il faut donner priorité à la production d’aliments, facilitant la gestion rationnelle des ressources, et créant notamment des conditions qui favorisent des transferts de technologies dans ce domaine, qui permettent de rationaliser et développer de nouvelles cultures, et il faut trouver les moyens financiers indispensables pour atteindre cet objectif. La gestion des richesses de la mer, qui a été discutée dans le cadre des Nations-Unies, est aussi d’une particulière importance pour la solution de ce problème.

En finir avec la faim à la fin du siècle est l’un des objectifs du rapport Brandt. Je pense que nous devrions prendre conscience que ce devrait être l’objectif commun de toute l’humanité. Il est fondamental de lancer une grande campagne d’opinion publique sur cette question – dans laquelle les socialistes et les sociaux-démocrates devraient nécessairement avoir un rôle prédominant – et on devrait souligner l’importance des problèmes démographiques de façon à rendre les populations conscientes de la nécessité d’un planning familial volontaire qui puisse permettre de diminuer le rythme d’accroissement démographique dans les pays en voie de développement.

L’économie au service de l’homme

Il est aujourd’hui parfaitement clair qu’il n’est pas viable d’envisager ces problèmes sans mettre en cause le concept de développés sur lequel se basent les sociétés des pays avancés.

A la société de consommation qu’il a été possible de créer dans les années 60 se basant sur un concept d’accroissement économique pratiquement illimité – ce qui suppose des ressources inépuisables, de l’énergie bon marché et des marchés en permanente expansion – a succédé, face à la crise énergétique, un contrôle des mécanismes économiques traditionnels. Il est ainsi indispensable que nous nous interrogions sur le fonctionnement de ce modèle de développement. Surtout nous, socialistes et socio-démocrates, porteurs d’un message essentiellement humaniste.

Mettre l’économie au service de l’homme est une question d’actualité aussi ; aussi bien pour les pays développés que pour les pays en voie de développement. La qualité de la vie, la redistribution de la richesse, la solidarité nationale et internationale, sont autant de préoccupations qui ne peuvent pas être systématiquement mises de côté. Nous trouvons souvent une plus grande redistribution de la richesse dans les pays du Nord que dans certains pays sous-développés, où les oligarchies politico-économiques au pouvoir, alliées ou représentées par les militaires de service, jouissent de privilèges d’autant plus scandaleux que leur peuple vit dans la plus grande misère. Transformer la société dans le sens de la justice sociale et en liberté, trouver de nouveaux concepts de développement qui ne soient pas mesurables exclusivement en termes de produit national brut, c’est chercher à atteindre ce que Willy Brandt a appelé dans son rapport « la qualité de la croissance ». Les pays en voie de développement devront trouver et appliquer les modèles de développement qui s’adaptent le mieux à leurs caractéristiques culturelles et socio-économiques dans le sens de la défense de « la qualité de croissance ». L’application de modèles économique et culturel importés donne toujours des résultats désastreux, parce qu’on cherche à les ajuster à des situations qui sont profondément différentes de celles pour lesquelles ils ont été calculés et testés.

Sans mettre en cause la défense des intérêts propres c’est dans le développement et l’approfondissement de la solidarité et dans la recherche des intérêts communs que doit s’orienter le dialogue entre le Nord et le Sud.

Les échanges commerciaux entre pays développés et pays en voie de développement seront bénéfiques pour les deux côtés si ils sont basés sur la recherche d’une plus grande justice et si les premiers sont capables d’assumer la récession économique sans recourir à des mesures protectionnistes qui mettent en cause le développement et l’expansion économique des pays plus retardés. C’est ainsi qu’il faut comprendre la solidarité et l’interdépendance entre pays riches et pauvres, dans l’intérêt non seulement des pauvres, mais de toute l’humanité, et des équilibres essentiels à sa survie. Des problèmes aussi actuels que l’alimentation, la santé, l’écologie, la gestion des ressources et notamment de l’énergie, le contrôle des sociétés multinationales, sont, entre autres, des problèmes aussi importants pour les pays riches que pour les pays pauvres. Ce sont des problèmes qui ont trait à l’humanité dans son ensemble. Il est urgent de trouver des moyens de convergence qui permettent des solutions négociées, et qui mettent en relief la solidarité qui doit lier tous les hommes dans les dernières décennies du vingtième siècle. C’est dans cette perspective que doivent être envisagés également les problèmes du désarmement.

Est-ce que le désarmement peut contribuer au développement ? Question controversée que l’on a posée au fil des années. Si d’un côté l’armement a été un facteur de croissance, d’absorption de main-d’œuvre et d’innovation scientifique et technologique des pays avancés, il a été également un facteur de paralysie qui a empêché la canalisation pour d’autres secteurs prioritaires de moyens humains et matériels qui, dépensés dans d’autres domaines, auraient apporté à l’humanité des bénéfices globaux.

La spirale de l’armement que les deux blocs développent a été un permanent foyer de tensions internationales. D’autre part, la nécessité des pays développés de trouver des marchés pour les armements qu’ils produisent, ont comme conséquence obligé les pays moins développés à dépenser en armement des ressources financières qui pourraient être consacrées à d’autres priorités essentielles. Nous comprenons la juste nécessité de beaucoup de ces pays de garantir leur défense, mais il est cependant nécessaire de réduire les dépenses de ce type, qui ne servent quelque fois qu’à maintenir au pouvoir des gouvernements autocrates. En 1971 le Tiers-Monde a acheté de l’armement pour une valeur de quatorze milliards de dollars. Une part de cette somme et les recettes d’un éventuel impôt international sur la vente des armes pourrait être canalisé pour des secteurs prioritaires comme l’alimentation, l’habitation, la santé, l’enseignement et la défense de la qualité de vie des populations.

Comme on a souvent souligné, l’un des problèmes qui affecte le développement équilibré des pays des Tiers-Monde c’est le frottement permanent auquel sont sujets les prix des matières premières qu’ils exportent. Certains de ces pays dépendent d’un ou de peu de produits d’exportation et se voient ainsi dans l’impossibilité de faire une planification économique sérieuse et à moyen terme.

La garantie de stabilisation des prix des matières premières est un des aspects qui doit intéresser ceux qui exportent et ceux qui importent. Le fonctionnement du STABEX, dans le contexte de l’accord de Lomé, entre la Communauté Economique Européenne et les pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), qui lui sont associés, est un exemple d’une solution novatrice qui a fait ses preuves. Le fonds commun, proposé dans la Ve CNDCED, qui agirait en termes de commerce mondial, doit être développé et il est fondamental que toutes les parties intéressées se mettent d’accord sur son fonctionnement.

La coopération régionale est une arme dont disposent les pays moins développés pour faire entendre leur voix dans des sphères de décision où individuellement ils n’auraient aucun poids. L’exemple du pacte Andin, pour ne parler que celui-ci, démontre comment la coopération régionale peut être bénéfique pour le développement des pays associés, sans parler de la contribution, qui ne doit pas être ignoré que cette association a donné à la progressive démocratisation des pays de la région.

Flux bilatéral d’intérêts

L’aide au développement des pays du Tiers-Monde ne peut pas être comprise comme un cadeau des pays riches aux pays pauvres. La coopération pour le développement doit avoir d’autres prémisses et doit supposer un flux bilatéral d’intérêts. Il faut malgré cela poser le problème du manquement à leur promesse des pays développés de consacrer 1 % de leur PNB à la coopération au développement. Avec la crise économique cet objectif est loin d’être atteint. Il y a, d’autre part, d’importants capitaux disponibles, en provenance des pays exportateurs de pétrole, et il serait fondamental de canaliser une partie de ces ressources financières vers des projets de développement économique dans le Tiers-Monde. Pour cela il serait utile de créer un organisme international en mesure de garantir la confiance des investisseurs et qui puisse simultanément fomenter de grands projets destinés prioritairement à la production alimentaire et à la prospection de nouvelles sources d’énergie. A cet organisme pourrait être également attribués des ressources propres en provenance d’un impôt sur la vente d’armement, dont nous avons déjà parlé, ou des ressources financières d’exploitation de la mer, à travers des mécanismes effectifs dans le cadre des Nations Unies. Pour que ce système puisse être efficace pour les pays du Tiers-Monde, il serait nécessaire que les financements attribués aient des délais d’amortisation et un taux d’escompte d’après une échelle mobile dépendante du degré du développement de chaque pays.

Sans une restructuration du système monétaire et financier international, qui a été consacré à Bretton Hoods, il n’est pas possible de créer des conditions de changement ayant en vue la création d’un nouvel ordre économique international.

La création du FMI et de la Banque Mondiale, la création plus tard du GATT et, dans la séquence du plan Marshall, de ce qui est devenue l’OCDE, les institutions économiques internationales se sont basées dans un contexte international, dominé par les pays développés du Nord, et leurs structure et fonctionnement en sont les reflets. Mais le monde a évolué très vite. Les réalités sont aujourd’hui différentes et beaucoup plus complexes. Dans la séquence de la décolonisation, beaucoup de pays se sont joints à la communauté internationale en y apportant des problèmes qui existaient déjà mais qui ne lui avaient jamais été posés. Les Nations Unies sont devenues le point de rencontre de ces nouveaux pays qui y ont trouvé une nouvelle et importante tribune. La 1ere CNUCED s’est réalisée en 1964 et a donné lieu au groupe des 77, qui compte aujourd’hui plus de 100 membres. C’est dans le cadre de l’ONU qu’on a posé en premier lieu et en termes internationaux le problème Nord-Sud qui a débouché sur la reconnaissance de la nécessité de la création d’un nouvel ordre économique international. Mais nous devons reconnaître que jusqu’à maintenant une telle expression n’a pas passé le stade d’un vœu pieux malgré sa force de persuasion et de dynamisation dans l’opinion publique qu’on ne peut ne peut méconnaître.

En vérité, ce qui a été réussi à travers des négociations, soit dans les CNUCED, soit à la Conférence de Paris, est minime par rapport à ce qu’il importe de faire. Il est urgent donc de développer tous les efforts pour adapter les institutions existantes qui articulent les systèmes monétaire et financier internationaux de façon à ce que les pays en voie de développement aient une participation plus active dans ces institutions qui conditionnent tant leur avenir.

-Dans un aréopage comme le nôtre, où nous nous réclamons du socialisme démocratique, il n’est jamais trop de mettre en relief le rôle de la solidarité internationale. C’est nous par les supports philosophiques qui guident notre action et par notre humanisme profond qui le mieux comprenons que la vieille lutte entre privilégiés et défavorisés, qui passe par l’intérieur de nos sociétés nationales, a aujourd’hui une vraie dimension internationale entre nations riches et nations pauvres. Le socialisme démocratique ne peut qu’être solidairement à côté de ces dernières. Et ce sera à travers de grandes réformes de structure, sur le plan international comme il arrive sur le plan interne de nos pays européens, en mettant en valeur la solidarité et la justice, que nous serons capables de suppléer cette grande division entre pays riches et pays pauvres qui affecte l’équilibre et la paix du monde.

Dans un moment où le mouvement communiste international met à jour ses contradictions profondes, comme les événements de Pologne le démontrent clairement, la réponse ne peut pas venir du recours à de vieilles recettes du capitalisme sauvage ou sophistiqué.

Le socialisme démocratique doit savoir élaborer une stratégie coordonnée et convaincante pour répondre efficacement au défi que nous posent les temps présents et pour donner satisfaction aux aspirations légitimes des pays en retard et des grandes masses populaires. Les solutions technocratiques sont insuffisantes. Il faut que le mouvement socialiste que nous représentons soit capable de mobiliser les volontés, contrarier les routines, changer les mentalités, indiquer les chemins du futur, en alertant l’opinion publique mondiale pour le grand défi auquel nous sommes confrontés. En ayant comme objectif prioritaire la paix, la liberté, le respect des droits de l’homme, la justice sociale, la solidarité internationale entre peuples et nations – valeurs indissociables de tout socialisme. Et sans laisser mourir l’espoir que nous sommes, dans le monde confus d’aujourd’hui, les meilleurs garants.

Madrid 13-11-80