Notes de lecture

« LE HAREM POLITIQUE – LE PROPHETE ET LES FEMMES » DE FATIMA MERNISSI ALBIN MICHEL (296 P)

Ethiopiques n°52

revue trimestrielle

de culture négro-africaine

1e semestre 1989 – vol. 6 n° 1

Fatima MERNISSI, féministe ou révoltée ? Le dernier livre de cette sociologue marocaine, au titre provocateur (Le harem politique, sous titré : « Le Prophète et les femmes »), pose une problématique qui dépasse très largement les frontières du royaume chérifien, même si Fatima cherche avant tout à s’insurger en tant que femme contre son statut dans son propre pays.

Au delà de cette question : « Est-ce qu’une femme peut diriger un Etat musulman ? » et à laquelle, on rétorque le fameux hadith : « Ne connaîtra jamais la prospérité le peuple qui confie ses affaires à une femme », c’est l’expression d’une angoisse, une interrogation d’ordre existentiel – celle d’être de la femme dans la cité islamique, la Umma – qui transparaît à travers ce livre fascinant. Hadith vrai ou faux ?

Là n’est pas le véritable enjeu à mon avis, mais comment peut-on continuer à brandir une telle assertion de nos jours ? Comment justifie-t-on cette kyrielle de mesures anti-féministes comme le Hijab ou voile, la souillure ou pollution, l’inégalité en matière d’héritage, la violence (sous toutes ses formes) etc. En tout cas il s’agit de beaucoup de questions qui interpellent les musulmans.

Mais avant de pénétrer dans les méandres de la « misogynie » des musulmans, essayons tout d’abord de cerner les contours de la psychanalyse de la société musulmane moderne, à laquelle s’adonne Fatima MERNISSI et qui peut s’avérer très édifiante.

L’accession à l’indépendance des anciennes colonies n’a pas réglé pour autant la crise d’identité à laquelle les peuples islamisés furent confrontés. Au contraire, cette crise est plus que jamais vivace et s’articule autour de trois notions :

  1. Le rapport du musulman avec son temps

La révolution technologique du dernier quart du XXe siècle, l’avènement de la civilisation de l’informatique semblent menacer l’équilibre de l’homme du Tiers-monde en général. En effet, une nouvelle forme de domination beaucoup plus insidieuse, s’exprime à travers une manière de calculer, de compter et d’évaluer. Devrait-on subir ou se laisser terrasser ?

  1. Le rapport du musulman au pouvoir en place

Qui pose certes le problème de la démocratie mais celui de la montée de l’intégrisme ou du fondamentalisme. Là, Fatima touche une question brûlante, un véritable dilemme qui se pose aux musulmans modernes : est-il possible de concilier démocratie et théocratie ? Une chose est sûre, le fait d’exclure la femme de la gestion de la chose publique s’identifie à une négation de la démocratie.

Le rapport du musulman et de la femme

Le problème qui s’est posé aux Etats musulmans durant la période coloniale est celui de leur quasi disparition. Ils se sont trouvés « féminisés », « voilés », oblitérés, inexistants. Il fallait après l’indépendance que l’Etat théâtralise sa renaissance et on était dans une société où il n’y avait plus d’hommes mais des êtres asexués.

La renaissance de l’Etat musulman passe nécessairement par une relation au passé historique qu’on fait remonter au VIIe siècle avec l’apparition de l’Islam ; relation imposée par l’homme comme sacrée et qui va l’aider à définir l’harmonie collective, car en Islam, la notion d’individu dans le sens philosophique du terme est inexistante.

Et quel est le statut de la femme dans la tradition musulmane ? S’identifie-t-il à ce hadith précité ? S’appuyant sur le Coran (les sourates : des Femmes, de la Génisse etc.), son tafsir ou commentaire (surtout celui de Tabari), certains traités sur les causes de la révélation, des hadiths, des biographies du Prophète, bref une bonne partie de la littérature religieuse, Fatima MERNISSI nous apprend tout d’abord à relativiser ; elle montre en quoi, le contexte est extrêmement important même en religion. Et malgré, le caractère très révolutionnaire de l’Islam au VIIe siècle, la tradition de l’Arabie anté-islamique ou période de la Jahiliya persistait encore, surtout en matière de traitement des femmes.

L’approche des textes montre que le Prophète dans ses rapports avec ses femmes, comme dans ses prises de positions s’est toujours battu pour une société égalitaire.

Alors pourquoi cette intolérance vis-à-vis des femmes et qui s’exprime parfois à travers des gestes certes anodins mais très douloureux ? Pourquoi une femme qui tend la main à un musulman est souvent sommée de l’abaisser ? Pourquoi une femme ne peut pas rentrer dans une mosquée et faire la prière à côté d’un homme ? Par crainte de la souillure ? Difficile de me faire accepter ce prétexte quand on sait que d’après Umm Maïmouna, une épouse du Prophète Mohammed (PSL), ce dernier « récita le Qoran, la tête posée sur le genou de l’une d’entre nous (ses épouses) qui avait ses règles. Il arrivait aussi que l’une d’entre nous portât son tapis de prière à la Mosquée et l’étalât alors qu’elle avait ses règles.

Qu’en est-il du Hijab ou voile ? Projeté au devant de l’actualité depuis la révolution iranienne, le Hijab et son imposition intéressent toutes les femmes. En remontant la réalité linguistique, sociale, historique et religieuse avec Fatima, on se rend compte que le voile était non pas pour séparer l’homme et la femme mais pour introduire une rupture entre profane et sacré. Il n’était nullement question de reléguer la femme à une espèce de standardisation, de la figer derrière l’inertie de la matière.

627, l’année de la Sourate du Hijab (Sourate 33) correspond à un contexte difficile, militairement, pour le Prophète et ses troupes (siège de Médine par les Mecquois, ou la bataille de Khandaq ou fossé) ; Mohammed (PSL) n’ayant plus de vie intime, toujours assiégé par ses compagnons, le voile, équivalent au rideau actuel, était venu à sa rescousse pour séparer sa vie privée de sa vie d’homme public. Par conséquent le concept Hijab dans ses trois dimensions – dérober au regard, cacher, séparer – n’est pas un élément venu remettre en cause la liberté de la femme. Quant au Hadith sur la femme de l’Etat, il faut le replacer dans son contexte. Il a été brandi, lors d’une fitna (guerre civile) opposant Aïcha à Ali en 656, c’est la fameuse bataille du chameau. Or, ce hadith est le fait d’un certain Abu Bakra, affranchi originaire de Bassorah (cité par Bokhari mais suspecté par l’école Hanéfite et Imam Malik) qui semblait prendre parti pour Ali.

Ainsi ce Hadith comme beaucoup d’autres, est le fruit d’une manipulation liée à des luttes d’intérêts bien après la mort du Prophète ce qui relève du domaine de l’innovation ou bida’a.

Je ne saurai ni commenter, ni exposer tous les sujets abordés par Fatima MERNISSI. Je tenais tout simplement à attirer l’attention de ce bel ouvrage dont l’auteur cherche avant tout à lutter contre l’intolérance au moment où le « mal du présent » et la quête de l’équilibre se disputent les leçons du passé.

Le dernier mot à Fatima MERNISSI : « Le Prophète dirigeant hostile aux hiérarchies, vivait une époque où les femmes avaient leur place, partenaires incontestées d’une révolution qui faisait de la Mosquée un lieu ouvert, et du foyer un temple de contestation ».