Notes

L’AFRIQUE AUX AFRICAINS ; PIERRE BIARNES ; Editions Armand Colin

Ethiopiques numéro 26

revue socialiste

de culture négro-africaine

avril 1981

A la différence de ces observateurs qui regardent l’Afrique de loin, avec le recul et le confort intellectuel et matériel qu’assure l’appartenance à la société de consommation occidentale, Pierre Biarnès est, un homme engagé : toute son activité professionnelle s’est déroulée en Afrique et comme beaucoup d’Européens qui ont passé le meilleur de leur vie sur ce continent, il se sent, à tort ou à raison, personnellement concerné par les succès et les échecs des jeunes Etats.

Ceci explique à la fois le grand intérêt de son livre et le caractère un peu brutal, que revêtent certains de ses jugements sur la gestion de tel ou tel Etat.

La première partie du livre de Pierre Biarnès est consacrée ? L’évolution politique, économique et sociale des Etats de l’Afrique de l’Ouest francophone depuis 1960.

La mise en place des nouvelles institutions, la définition de politiques de développement, la constitution, sous des formes diverses, de bourgeoisies nationales d’affaires ou d’administration y sont décrites avec beaucoup de clarté et de lucidité. La férocité de certains traits n’exclut pas la sûreté du jugement.

Nous formulerons toutefois deux réserves au sujet de cette évolution des sociétés africaines telle que l’a décrit Biarnès : tout d’abord, s’il est exact qu’en prenant le relais du pouvoir politique et administratif détenu précédemment par le pouvoir colonial, les nouveaux Etats ont multiplié les services, les postes, les prébendes et ont souvent laissé se constituer une bourgeoisie administrative pléthorique, Biarnès n’insiste pas assez sur le fait que de véritables Etats avec leurs institutions, leur droit, ont pu être mis en place. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire et bien d’autres, ont un Etat, des services publics qui fonctionnent.

Il ne faut pas oublier qu’au moment de l’Indépendance la presse occidentale estimait l’anarchie inévitable.

Notre deuxième réserve concerne l’appréciation de Biarnès sur l’économie rurale : selon lui, les nouveaux Etats ont organisé, de manière quasi générale, un système de prélèvement sur le monde rural, ce prélèvement profitant aux citadins et singulièrement aux bourgeoisies urbaines.

Cette appréciation est à notre avis inexacte, au moins dans deux cas : celui du Sénégal et de Côte d’Ivoire. Pour le Sénégal, si l’on examine les comptes de la Caisse de Péréquation qui est l’organisme par lequel transitent les principaux flux financiers relatifs aux productions agricoles, on constate que tous les profits tirés de l’exportation de l’arachide ont été intégralement restitués au monde rural, principalement sous forme d’épongements de dettes ou de subvention aux engrais ou au matériel agricole.

Pour finir, la crise du paysannat en zone soudano-sahélienne doit, à notre avis, être imputée principalement à la sécheresse et à l’effondrement dramatique des cours des produits agricoles, arachide notamment. [1]

La seconde partie du livre de Pierre Biarnès est consacrée à l’évolution de chacun des Etats. Nous regretterons ici que cette analyse, au demeurant vivante et très bien documentée, soit essentiellement politique, les problèmes économiques spécifiques à chaque Etat étant quelque peu laissés de côté.

Il reste, à notre avis, à Pierre Biarnès, à poursuivre sa démarche et à entreprendre des études spécifiques aux deux Etats qu’il connaît le mieux, le Sénégal et la Côte d’Ivoire.

[1] En début 1980, l’huile brute est vendue sur le marché mondial moins cher, en francs courants, qu’en 1975 : ceci représente une perte de pouvoir d’achat réel d’au moins 50 à 60 %. Où sont, donc, les responsabilités ?