LA REVISION CONSTITUTIONNELLE DU 6 MAI 1981 AU SENEGAL
Ethiopiques numéro 27
Revue socialiste
de culture négro-africaine juillet 1981
La loi de révision constitutionnelle, votée le 24 avril 1981 à l’unanimité des membres de l’Assemblée nationale et promulguée le 6 mai 1981 [1], est la septième depuis l’entrée en vigueur de la Constitution du 7 mars 1963.
Cela signifie qu’en moyenne, la loi fondamentale a été révisée à peu près tous les deux ans et demi, ce qui constitue une fréquence relativement élevée.
La révision du 6 mai 1981 est substantielle : non pas tellement par le nombre d’articles modifiés, qui est de sept, mais par le contenu des modifications proposées.
Examinons ces modifications dans l’ordre des articles. Celle qui concerne l’article 3 constitue assurément la plus importante.
Instauration du pluralisme intégral
L’article 3 concerne les partis politiques.
Dans sa rédaction originelle, celle de 1963, qui est restée en vigueur jusqu’en 1976, aucune limitation n’était posée quant au nombre des partis politiques. Ceux-ci étaient seulement tenus de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Les conditions dans lesquelles ils se formaient et exerçaient leur activité étaient renvoyées à la loi, qui était intervenue le 24 janvier 1964.
Cette liberté à peu près totale de création et de fonctionnement des partis politiques est restée, il est vrai, assez théorique puisque, de 1966 à 1974, date de création du Parti démocratique sénégalais (P.D.S.), le Sénégal a vécu en fait en régime de monopartisme
Après que le législateur eut précisé, par la loi n° 75-68 du 9 juillet 1975, les conditions de création et de fonctionnement des partis politiques, une seconde étape s’ouvrit, avec la révision constitutionnelle du 19 mars 1976, qui inaugurait l’ère du pluralisme limité. L’exposé des motifs de cette loi, après avoir mentionné que le « pluralisme des partis politiques est une garantie du libre exercice de la démocratie par les citoyens dans la diversité de leurs opinions », soulignait les dangers d’une prolifération des partis politiques » qui peut « constituer un péril mortel pour le bon fonctionnement de la démocratie ». Le nombre des partis politiques autorisé était, pour ces raisons, fixé à trois. Ces trois partis devaient, selon l’article 3, représenter des courants de pensées différents. Ces courants n’étaient pas définis dans la Constitution, mais ils le furent dans la loi n° 76-26 du 6 avril 1976 abrogeant et remplaçant l’article 2 de la loi n°75-68 du 9 juillet 1975, relative aux partis politiques. Il s’agissait des courants libéral et démocratique, socialiste et démocratique, marxiste-léniniste ou communiste.
Une nouvelle étape a été franchie avec la révision constitutionnelle du 28 décembre 1978 [2].
Le nombre maximum autorisé des partis politiques est porté de trois à quatre. Chacun de ces quatre partis doit représenter un courant de pensée. Ces quatre courants de pensée sont, cette fois ci, définis dans la Constitution elle-même. Il s’agit du courant libéral, du courant socialiste, dont l’appellation est légèrement modifiée, du courant marxiste léniniste et du courant conservateur, qui est donc ajouté à la liste des trois courants autorisés par la loi du 6 avril 1976 [3].
En outre, il est ajouté à l’article 3 une disposition qui interdit aux partis politiques de s’identifier à une race, une ethnie, un sexe, une religion, une secte, une langue ou une région.
Telle est donc l’évolution, de 1963 jusqu’au début de l’année 1981. Cette évolution est caractérisée, on le voit, depuis 1976, par l’instauration d’un pluralisme limité ou, si l’on préfère, organisé, et par l’élargissement progressif de l’éventail des partis autorisés.
La loi de révision constitutionnelle du 6 mai 1981 constitue une étape décisive, puisque la nouvelle rédaction de l’article 3 abroge toute limitation, tant en ce qui concerne le nombre des partis que la définition des courants de pensée. Il n’est plus fait allusion dans le texte à la notion de « courants politiques représentatifs », utilisée par le Premier Ministre dans son discours du 30 janvier 1981 devant l’Assemblée nationale.
Le Gouvernement, prenant en compte l’évolution politique récente, et conformément aux options tracées par le nouveau Chef de l’Etat, M. Abdou Diouf, dans son message à la Nation du 1er janvier 1981, estime donc le moment venu de passer du pluralisme limité à un régime de pluralisme absolu. Ce régime permettra de reconnaître officiellement les formations politiques qui s’étaient créées et développées depuis plusieurs années, mais qui n’avaient pu trouver place dans le cadre tracé par les constituants en 1976 et en 1978.
Ce retour au multipartisme absolu ne doit pas cependant être interprété comme l’absence de toute contrainte juridique sur les partis politiques. Aux obligations déjà contenues dans la rédaction précédente, qui concernent le respect des principes de la souveraineté nationale et de la démocratie, le texte en ajoute une nouvelle, celle de respecter la Constitution. On peut d’ailleurs penser que cette obligation s’imposait déjà aux partis, même dans le silence des textes. Mais il a paru préférable aux auteurs du projet de l’inscrire en toutes lettres dans la Constitution. Cette obligation, d’ailleurs, n’implique pas que les partis politiques doivent s’interdire de demander une révision de la Constitution, mais seulement qu’ils doivent, dans cette hypothèse, suivre les règles prescrites par la Constitution pour permettre sa modification.
En revanche, la nouvelle rédaction de l’article 3 supprime l’obligation pour les partis politiques de se conformer aux principes dont ils se réclament dans leurs statuts. Le maintien de cette disposition n’a pas paru nécessaire, en effet, dès lors qu’est supprimée l’obligation pour les partis de représenter un courant de pensée déterminé.
Le nouveau texte, en revanche, réaffirme l’interdiction pour les partis de s’identifier à une race, à une ethnie, à un sexe, à une religion, à une langue, ou une région.
Il maintient enfin la disposition selon laquelle il revient au législateur d’indiquer les conditions dans lesquelles les partis sont formés, exercent et cessent leurs activités.
Et c’est en application de cette disposition que l’Assemblée nationale, a, le jour même où elle adoptait le nouvel article 3, voté un projet de loi qui abroge et remplace la loi n° 75-68 du 9 juillet 1975, relative aux partis politiques [4].
Telle est l’économie de cette modification de l’article 3, modification dont il n’est pas nécessaire de souligner l’importance, même s’il est difficile d’en prévoir toutes les conséquences sur la vie politique sénégalaise.
L’élection du Président de la République
Le deuxième article de la Constitution modifié par la loi du 6 mai 1981, est l’article 28. L’objet de cette modification est d’allonger le délai entre les deux tours de scrutin pour l’élection du Président de la République, dans l’hypothèse évidemment où un deuxième tour s’avère nécessaire.
Le texte précédent de l’article 28 disposait que le second tour de l’élection avait lieu dix jours après le premier.
Mais en pratique, le scrutin pour l’élection présidentielle se déroule en même temps que les élections législatives. Celles-ci, en vertu de l’article L. 39 du Code électoral, ont obligatoirement lieu le dimanche. Il en résulte que le délai entre le premier et le second tour éventuel de scrutin se trouvait ramené à une semaine. Un tel délai est insuffisant pour organiser matériellement la campagne du second tour, dans l’hypothèse où les opérations électorales du premier tour ont donné lieu à une réclamation contentieuse. Or l’objet du nouvel article 29 est précisément, nous allons le voir, de permettre aux candidats d’introduire devant la Cour suprême une réclamation contre les opérations du premier tour de scrutin.
La nouvelle rédaction de l’article 28 précise donc que l’élection du Président de la République a lieu le dimanche, et porte le délai qui sépare les deux tours de dix jours à deux semaines.
A vrai dire, ce délai de deux semaines est à la fois un minimum et un maximum. C’est un minimum si l’on veut permettre aux candidats de contester les opérations du premier tour, à la Cour suprême de juger cette contestation, et à l’Administration d’organiser matériellement les opérations du second tour. Mais c’est un maximum afin de ne pas prolonger à l’excès la période d’incertitude électorale et de ne pas lasser l’attention des électeurs.
Les autres dispositions de l’article 28 sont identiques à celles actuellement en vigueur, qu’il s’agisse de définir les conditions pour être élu au premier tour, ou celles qui conditionnent le droit d’être candidat au deuxième tour.
Le contrôle de la régularité de l’élection
La troisième modification concerne l’article 29.
La rédaction précédente de l’article 29 résultait pour partie du texte originel de 1963 et pour une autre partie de la révision du 28 décembre 1978.
En vertu du premier alinéa de l’article 29, issu de la loi n° 78-60 du 28 décembre 1978, et qui reste en vigueur : « la Cour suprême est chargée de veiller à la régularité du scrutin dans les conditions déterminées par la loi organique. Elle en centralise les résultats ».
Le deuxième alinéa, issu de la loi du 7 mars 1963, indiquait que « l’élection du Président de la République fait l’objet d’une proclamation provisoire ».
Le 3e alinéa, issu également du texte de 1963, prévoyait la possibilité d’une contestation des opérations électorales devant la Cour suprême par l’un des candidats, dans les cinq jours de la proclamation provisoire.
En vertu du quatrième alinéa issu de la loi du 28 décembre 1978, la Cour suprême, en cas de contestation, était tenue de statuer dans les dix jours du dépôt de celle-ci. Son arrêt emportait proclamation ou annulation de l’élection. En cas d’annulation, le dernier alinéa, qui reste en vigueur dans le nouveau texte, précisait qu’il est procédé à un nouveau tour de scrutin dans les vingt et un jours qui suivent.
La rédaction de ces dispositions, qui était issue de deux lois différentes, n’était pas exempte d’ambiguïté. Il semble bien que les constituants de 1963, en donnant aux candidats la possibilité de contester les opérations électorales, aient voulu uniquement viser le recours dirigé contre les résultats entraînant proclamation du candidat déclaré élu. Aucune possibilité de recours ne paraissait ouverte à ceux qui auraient voulu contester les opérations ayant abouti à un ballottage, qu’il s’agisse d’obtenir l’annulation pure et simple du premier tour ou de remettre en cause l’ordre d’arrivée des candidats à l’issue du premier tour, qui conditionne, depuis la révision du 28 décembre 1978, la possibilité pour eux de se présenter au deuxième tour de scrutin.
Le délai assigné par le texte de l’article 29 aux candidats pour déposer un recours (cinq jours) et celui assigné à la Cour suprême pour se prononcer (dix jours) soit au total seize jours, étaient en effet incompatibles avec les dispositions de l’article 28 qui limitaient, on l’a vu, à dix jours, le délai entre les deux tours de scrutin.
La rédaction de l’article 29 ne permettait donc pas d’exercer un recours contre les opérations du premier tour de scrutin, dans l’hypothèse où un second tour s’avérait nécessaire.
Le Gouvernement, soucieux de donner un contenu concret à l’alinéa premier de l’article 29, qui confie à la Cour suprême le soin de veiller à la régularité du scrutin, a entendu permettre aux candidats de contester les opérations électorales du premier tour, tout comme celles du second tour. Cette disposition est d’autant plus nécessaire que l’hypothèse d’une élection à deux tours, qui n’était peut-être pas très présente dans l’esprit des précédents constituants, devient plus vraisemblable à la suite de la suppression de la limitation concernant le nombre des partis, qui pourrait se traduire par une augmentation du nombre de candidatures à la Présidence de la République.
Les modalités du nouvel article 29 ont donc pour objet de permettre explicitement aux candidats de contester les opérations électorales du premier tour, tout en garantissant que le deuxième tour du scrutin pourra avoir lieu dans le délai de deux semaines, prévu par le nouvel article 28.
Ces modalités sont les suivantes :
-les candidats (et seulement ceux-ci) disposent d’un délai de 48 heures après la clôture du scrutin pour introduire, devant la Cour suprême, une réclamation contre les opérations électorales :
-si aucune contestation n’est déposée dans ce délai de 48 heures au Greffe de la Cour suprême, la Cour suprême proclame les résultats du scrutin dans les cinq jours qui suivent sa clôture.
En cas de contestation, la Cour statue sur la réclamation dans les cinq jours du dépôt de celle-ci. Son arrêt emporte proclamation des résultats du scrutin ou annulation de l’élection.
La Cour, saisie d’une (ou de plusieurs) réclamation (s), peut donc, en pratique, en même temps qu’elle proclame les résultats :
-ou bien rejeter purement et simplement la (ou les) réclamation (s) ;
-ou bien modifier l’ordre d’arrivée des candidats, tel qu’il apparaissait au vu du dépouillement effectué, avant l’examen de la réclamation ;
-ou bien annuler l’ensemble des opérations électorales. Dans ce dernier cas, il est procédé à un nouveau tour de scrutin dans les vingt et un jours qui suivent l’annulation.
La formalité de la proclamation provisoire des résultats par la Cour suprême, qui était inscrite dans le texte actuel, a été supprimée. Cette formalité avait en effet pour seul but d’ouvrir aux candidats le délai de réclamation. La nouvelle procédure proposée la rend sans objet.
Il convient de remarquer que les délais laissés à l’Administration pour préparer matériellement les opérations du second tour sont très courts, dans l’hypothèse d’un recours contre le premier tour de scrutin.
Dans ce cas en effet, si l’on additionne le délai de réclamation et le délai imparti à la Cour suprême pour statuer, il en résulte que la proclamation des résultats du premier tour peut n’intervenir qu’au bout d’une semaine. Cela signifie en pratique que l’Administration dispose, dans cette hypothèse, de cinq jours pour procéder à l’organisation du second tour. Mais ce délai paraît pouvoir être respecté, si l’Administration prend la précaution d’anticiper l’organisation du second tour en effectuant certaines opérations matérielles, valables quel que soit le résultat du premier tour.
Le calcul des différents délais répond donc au souci de concilier la possibilité d’un recours contre les opérations électorales du premier tour et de fixer à deux semaines le délai qui sépare les deux tours du scrutin.
La prestation de serment du Président de la République
La quatrième modification concerne l’article 31, alinéa premier, de la Constitution.
L’ancienne rédaction prévoyait que le Président de la République était installé dans ses fonctions après avoir prêté serment devant la Cour suprême. En pratique, les prestations de serment ont eu lieu en séance publique.
Mais l’ordonnance n° 60-17 du 3 septembre 1960, portant loi organique sur la Cour suprême, précisait, en son article 36, que les séances de la Cour suprême statuant en matière constitutionnelle, parmi lesquelles il faut placer la séance de prestation de serment du Président de la République, n’étaient pas publiques. Il s’est donc agi de mettre en accord le droit avec la pratique, en prévoyant que la prestation de serment du Chef de l’Etat, qui concerne la Nation tout entière, a lieu en séance publique.
Le même résultat aurait pu être obtenu en modifiant uniquement l’article 36 de la loi organique sur la Cour suprême. Mais il a paru préférable aux auteurs du projet, compte tenu de l’importance et de la solennité de cette formalité, de l’inscrire dans la Constitution.
Les députés, tirant la conséquence de cette nouvelle rédaction de l’article 31 de la Constitution ont, le même jour, modifié l’article 36 de la loi organique sur la Cour suprême. Celui-ci précise donc, désormais, que les séances de la Cour suprême ne sont pas publiques, sauf en ce qui concerne la séance de prestation de serment du Président de la République.
Le contrôle des élections à l’Assemblée Nationale
La cinquième modification concerne l’article 49 de la Constitution.
Les articles 27 et 29 de la Constitution, relatifs à l’élection du Président de la République, dans leur rédaction issue de la révision du 28 décembre 1978, confient à la Cour suprême le contrôle de la régularité de la campagne électorale, de l’égalité entre les candidats et de la régularité du scrutin. La Cour suprême reçoit en outre la mission de centraliser les résultats et de proclamer l’élection du Président de la République.
En ce qui concerne l’élection des députés à l’Assemblée nationale, l’article 122 du Code électoral, dans sa rédaction actuelle, confie à une commission nationale, composée de magistrats de la Cour suprême et de la Cour d’appel, placée sous la présidence du Premier Président de la Cour suprême, le soin de recenser les votes. C’est le président de la commission qui proclame les résultats du scrutin.
La modification de l’article 49 consiste à adopter pour les élections législatives les mêmes principes que ceux actuellement en vigueur pour l’élection présidentielle.
En vertu de l’alinéa 2, qui constitue la seule innovation dans cet article, la Cour suprême reçoit donc la mission de veiller à la régularité de la campagne électorale et du scrutin dans les conditions déterminées par une loi organique. En outre, elle centralise et proclame les résultats du scrutin.
Ces dispositions, qui étendent donc sensiblement les pouvoirs de la Cour suprême pour le contrôle de la régularité de l’élection des députés à l’Assemblée nationale, susciteront peut-être de la réticence chez ceux qui estiment que les élus du suffrage universel sont les meilleurs juges de la validité de l’élection de leurs pairs. Mais il a paru aux auteurs du texte que l’extension des pouvoirs de la Cour suprême dans ce domaine, outre qu’elle harmonise le système de contrôle avec celui en vigueur pour l’élection du Président de la République, présente des garanties supérieures en ce qui concerne l’objectivité du contrôle, dans la mesure où l’on confie à une assemblée de magistrats, non directement impliqués dans le scrutin, le contrôle de l’ensemble des opérations électorales et de leurs résultats. Cette modification a, comme les autres, été votée par l’Assemblée nationale à l’unanimité.
Il convient maintenant qu’une loi organique, prise en application de ces dispositions, vienne préciser (ainsi d’ailleurs que pour l’application de l’article 29 relatif à l’élection du Président de la République) les modalités d’exercice de ce contrôle. En outre, les dispositions du Code électoral (notamment celles de l’article 122) devront, par voie de conséquence, être modifiées.
Recours en inconstitutionnalité et délai de promulgation
Les sixième et septième modifications, enfin, concernent les articles 61 et 63 de la Constitution.
Ces modifications font suite à la révision constitutionnelle du 28 décembre 1978, qui a introduit à l’article 63 la possibilité, pour quinze députés, de saisir la Cour suprême d’un recours visant à faire déclarer une loi inconstitutionnelle. Avant cette date, ce pouvoir appartenait au seul Président de la République.
Le premier recours d’origine parlementaire dont la Cour suprême a été saisie, au mois d’août 1980, et qui concernait la loi portant dissolution de l’ONCAD [5], a fait apparaître des lacunes et des ambiguïtés importantes en la matière, tant dans la Constitution que dans l’ordonnance n° 60-17 du 3 septembre 1960 portant loi organique sur la Cour suprême.
Ces lacunes et ces ambiguïtés résultaient essentiellement de la superposition entre le délai de promulgation et le délai dans lequel le Président de la République et les députés pouvaient saisir la Cour suprême pour inconstitutionnalité (quinze jours).
C’est ainsi, notamment, que la promulgation précitée d’une loi par le Président de la République aurait pu avoir pour effet de réduire à néant le délai dont disposent les députés pour contester la constitutionnalité de cette loi.
De même, la rédaction de 1978 n’apportait pas de réponse claire à la question de savoir si une loi promulguée pourrait être contestée par les députés, dans l’hypothèse où le délai de promulgation de quinze jours ne serait pas expiré.
Ces raisons ont conduit à modifier la rédaction des articles 61 et 63, ainsi d’ailleurs que la loi organique sur la Cour suprême en ce qui concerne la procédure à suivre en matière de recours pour inconstitutionnalité.
La nouvelle rédaction des articles 61 et 63, pour mettre un terme aux difficultés rencontrées, dissocie le délai de recours pour inconstitutionnalité et le délai de promulgation de la loi.
Désormais, le délai de saisine de la Cour suprême d’un recours en inconstitutionnalité d’une loi est de six jours francs, aussi bien en ce qui concerne la saisine de la Cour par le Président de la République que par les députés.
Toutefois, pour des raisons pratiques, le point de départ de ce délai n’est pas le même dans les deux cas :
-s’il s’agit d’une saisine par le Président de la République, le point de départ du délai est la date de réception de la loi par le Président de la République ;
-s’il s’agit d’une saisine par les députés, la computation du délai s’effectue à compter de l’adoption définitive de la loi par l’Assemblée nationale.
Les lois ne peuvent être promulguées qu’ensuite, c’est-à-dire après l’expiration du délai de recours pour inconstitutionnalité. Aucune confusion entre les deux procédures n’est, dans ces conditions, possible.
Le délai de promulgation est de huit jours, inférieur à l’ancien délai, prévu par l’article 61 de la Constitution, de sorte que l’addition des deux délais francs, celui de recours et celui de promulgation, donne un délai total de seize jours comparable à celui de quinze jours auparavant en vigueur.
L’article 63 est modifié sur un second point : il s’agit du nombre de députés nécessaire pour saisir la Cour suprême d’un recours visant à faire déclarer une loi inconstitutionnelle.
Lors de la révision du 28 décembre 1978, ce nombre, qui tenait compte notamment de l’effectif du groupe d’opposition à l’Assemblée [6], avait été fixé à quinze.
Depuis lors, le nombre des députés d’opposition à l’Assemblée nationale étant tombé, au début de l’année 1981, au-dessous de quinze, l’opposition parlementaire n’avait plus la possibilité de saisir la Cour suprême d’un recours en inconstitutionnalité d’une loi.
En vertu de la nouvelle règle adoptée à l’article 63, ce chiffre est ramené au dixième (au moins) des membres de l’Assemblée nationale, soit à un niveau assez bas et fixé désormais en pourcentage. L’effectif de l’Assemblée nationale étant de cent, cela signifie donc que dix députés suffisent désormais pour contester devant la Cour suprême la constitutionnalité d’une loi.
L’opposition retrouve ainsi, en pratique, le droit qu’elle avait perdu.
Il convient, enfin, de noter que l’Assemblée nationale, en même temps qu’elle modifiait les conditions exigées par la Constitution pour introduire un recours en inconstitutionnalité d’une loi, a, le même jour, comblé les lacunes apparues à l’expérience, en ce qui concerne la procédure d’instruction et de jugement de ce recours devant la Cour suprême : tel est l’objet principal de la modification de la loi organique sur la Cour suprême, adoptée également le 24 avril 1981.
Les amendements apportés à la Constitution par la loi constitutionnelle du 6 mai 1981 sont on le voit, d’importance très inégale et de nature très diverse : les uns modifient en profondeur les règles de la vie politique (article 3), alors que les autres constituent des aménagements techniques ou rédactionnels de procédures déjà en vigueur (articles 31, 61 et 63).
Mais, par delà cette diversité, l’ensemble de ces dispositions, qu’il s’agisse de supprimer les limitations apportées à l’existence des partis politiques, de permettre l’exercice du droit de recours contre les opérations du premier et du deuxième tour de l’élection à la Présidence de la République, de renforcer le contrôle de la Cour suprême sur les conditions de l’élection du Président de la République et des députés, de faciliter et de clarifier la procédure de recours en inconstitutionnalité des lois, vont dans le même sens : celui de l’élargissement et du renforcement de l’exercice de la démocratie politique.
[1] Loi n° 81-16 du 6 mai 1981 portant révision constitutionnelle.
[2] Sur cette révision, voir l’article de M. Bruno Chéramy dans la Revue Ethiopiques n° 18 d’avril 1979, p. 61.
[3] Les quatre partis politiques légalement constitués, en vertu de ces dispositions, sont : le Parti démocratique sénégalais (PDS – courant libéral), le Parti socialiste (P.S. – courant socialiste), le Parti africain de l’Indépendance (PAI – courant marxiste-léniniste), le Mouvement républicain sénégalais (M.R.S. – courant conservateur).
[4] Loi n° 81-17 du 6 mai 1981 relative aux partis politiques.
[5] Office National pour la Coopération et l’Assistance au Développement.
[6] Voir sur ce point l’article op. cité de M. B. Chéramy.
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-DE LA THEORIE A LA PRATIQUE DU SOCIALISME AFRICAIN