Poésie

LA POUPEE ASSASSINEE

Ethiopiques numéro 21

revue socialiste

de culture négro-africaine

janvier 1980

Une main broyée

Une jambe en équerre

Le cou tranché

(mais la tête est demeurée étonnamment intacte

et serein le sourire des lèvres délicatement peintes)

L’asphalte désabusée oublie de rougir

Du meurtre de la poupée disloquée.

Qui dira jamais les songes

d’une chaise vide

léchée par le flux de la mer ?

Qui dira jamais les pensées

d’une jarre éventrée

Aux flancs des collines ?

Qui dira jamais la cendre

Du cèdre foudroyé

Dans le jardin d’éclairs ?

Pourtant cette terre entaillée fut

Limon fertile aux convergences

plant accueillant aux greffes insoupçonnées

ventre fécond aux germinations inattendues

Sous le Mont Hermon

La Sulamite entonnait son Cantique

Et Salomon ensemençait la Reine sabéenne

Pour que lève la descendance éthiopique

(que ces échos sont lourds aux oreilles assourdies par

le fracas des armes et les cris de discorde !)

 

Des rives phéniciennes, s’embarqua Didon

Pour, sur une peau de taureau, inventer Carthage, ma patrie

Et, avec un Ange ailé préfiguré par le chant du Poète bucolique,

Etablir ma mémoire et fonder mon lignage.

C’est pourquoi me font saigner

Comme blessures personnelles

L’assassinat de la poupée souriante

Sur ton asphalte défoncée

L’interrogation de la chaise abandonnée

Sur tes rives oublieuses

La blessure de la jarre vidée

Aux flancs rougis de tes collines

Et, à l’ombre du cèdre foudroyé, le clair sourire de tes enfants

Rageusement effacé

Par l’insondable biffure.