Littérature

LA POESIE ORALE DANS L’OUEST AFRICAIN

Ethiopiques n°56.

revue semestrielle de culture négro-africaine

2ème semestre 1992

La poésie africaine est surabondante dans toutes les cultures du continent. Et partout elle est intimement associée au chant ou au support musical. Le mot poème en wolof est le même que le mot chant woi.

La poésie africaine est en cela assez comparable à celle du moyen âge français dont Gustave Cohen [1] rappelait la caractéristique : « Union absolu et indissoluble de la poésie et de la musique que le troubadour compose le plus souvent aussi bien que les paroles, et qui sera la loi impérative de notre poésie pour deux siècles et demi ».

A ceci près qu’en Afrique, le chant étant un exercice populaire, le poème est à la portée du peuple lui aussi, et quiconque se sent capable peut en faire, en l’improvisant ou en répétant ceux qui existent. La poésie est en Afrique un mode d’expression donné à tous, et non lié à une vocation particulière.

A ne pas confondre avec la fonction du griot qui se réserve les genres historiques et épiques lesquels s’apprenaient auprès de professionnels.

Méthodologie idéale

Aussi bien pour étudier correctement cette poésie-chant, faudrait-il récolter et écouter la musique avec les textes, afin d’identifier précisément la distribution du texte sur la chaîne mélodique, et de mesurer l’écart entre le rythme naturel de ces langues et celui qu’introduit la musique.

Cela n’est possible réellement que pour un locuteur de la langue, doublé d’un musicologue et peut-être que les études les plus pertinentes à ce niveau ont été initiées par des chercheurs musiciens comme Eno Belinga [2].

De plus lorsque ce travail serait accompli pour chaque genre poétique dans une même langue, il devrait être repris pour chaque langue, avec des locuteurs différents.

Ensuite on devrait répertorier dans chaque corpus poétique les figures et structures qui le caractérisent afin de le comparer avec les figures et les structures des autres corpus. Ou encore utiliser pour chaque corpus et langue, la grille des six règles stylistiques du niveau des phénomènes à celui des symboles en passant par les morphèmes, la syntaxe, le lexique et la prosodie.

Ce n’est qu’après ces études particulières que l’on pourrait tenter, sur la poésie africaine de 1’Ouest, qui compte entre vingt et vingt cinq langues, une synthèse qui soit digne de ce nom.

Disons la vérité, cette exploration systématique n’est qu’entamée et très loin d’être achevée.

Aussi c’est sous toutes réserves que nous avancerons quelques propositions pour appréhender l’esthétique de la poésie orale africaine.

Prosodie

Et puisque presque partout le chant est la forme privilégiée du poème, parlons d’abord de cette association et de sa conséquence immédiate : le rythme. Il est devenu banal depuis Senghor d’affirmer que le rythme est le sceau de la négritude. C’est en tout cas le sceau de la poésie.

Mais qu’entendons ici par rythme ? -« La prosodie est la face sonore d’une syntaxe » écrit MESCHONNIC [3]. Quand la syntaxe s’articule ou se désarticule – sur le martèlement de l’instrument musical il faut les étudier ensemble. Car le rythme musical ne recouvre pas celui de la phrase. Et il serait artificiel d’étudier le vers selon ses syllabes et son mètre, hors de la mesure que lui impose la musique.

Or si « L’hétérométrie n’est pas une gène pour le musicien » dit H. BONNARD [4], cela contredit ce qui, pour le vers écrit est cependant évident, à savoir que « la syllabe est le métronome du rythme ».

Dans le vers oral africain on est constamment confronté à ce problème. C’est la musique et le débit plus ou moins rapide qui rythme un chant comme celui-ci :

Yaay tandarma ku mos dolli

Soloy yalla nu ko joxoon wërsêgu nepp a

Yaay kepaaru ngoon gi noo ngi la tooge ba daldi fanann

Mane caam nag caama nga ca ngor ga

Gerte laa tudde

Ndaxte lax gejëmbu

Le vers une fois transcrit, sa mesure n’est plus perceptible qu’au niveau des accents. Comment donc aborder l’étude du rythme sur des textes chantés dont la musique est absente puisque celle-ci l’emporte sur le rythme syllabique ?

Tout d’abord les chants populaires comportent un grand nombre de textes comprenant un ou deux vers répétés à l’infini et cette répétition fonde le rythme, indépendamment, même si les vers sont inégaux.

Ogon a jaaxda jaaxdeer

Ya a koor a rimeel

le mort s’inquiète mais peu

puisqu’il renaît [5]

Par vers du poème oral nous entendons « le retour d’une même unité de mesure donnée et encadrée par la mélodie » ; « on ne peut pas ne pas apercevoir avec netteté la forme du vers, car certains éléments morphosyntaxiques reviennent et scandent le débit du vers » écrit aussi Binam Bikoï (colloque de Yaoundé 1985).

Et il donne comme exemple ce chant bassa (Cameroun) :

Hondo a mbo a yeng kumul i mbaa lipan

Ndi a teh ben yo

0 a yeng mingkok i mbaa lipan

A ten ben nwo.

 

Lorsque le chant-poème est plus élaboré que la mélopée de base, il est formé de phrases ou fragments de phrases souvent brefs dont les répétitions alternées selon diverses figures « forment un noyau fixe qu’accompagnent des éléments variables, le noyau fixe constituant le temps fort du rythme » [6]

Dans ce chant Akye [7] en Basse Cote d’Ivoire la traduction rend compte d’un procédé analogue :

Ho ! ho ! ho ! nous courons au trépas à Guénian (2 bis) m

Oh ! oui nous courons au trépas

Ho ! ho ! ho ! nous courons au trépas à Guénian m

Oh ! oui Afou Nazaire, nous courons au trépas

Ho ! oh ! ho ! nous courons au trépas à Guénian m

Oh oui Ngya Vincent nous courons au trépas

Et ainsi de suite 27 personnages seront nommés.

Ces formes répétitives, avec toutes les variantes possibles, existent dans les autres cultures de l’Ouest. La répétition du noyau fixe peut jouer sur deux vers, ou seulement sur une partie d’un vers ; elle peut être interrompue par les éléments variables sur 1, 2, 3 vers ou plus, et doublée de répétitions nouvelles à l’intéricur de ces éléments.

Ainsi : Elle a mangé le dégé

L’Assemblée des filles a mangé le dégé

Et Yiri oiseau des présages

Eh père Yiriba

Elle s’est adressée à Karemu

Nyejé debout s’est adressée à Karemu.

Karemu ne me fait pas honte

Eh Yiri oiseau des présages

Eh père Yiriba [8]

Zumthor [9] utilise pour décrire ces phénomènes rythmiques les termes de litanie, échos régularisés, ou refrain… Sans doute. Mais disons que Jean Gauvin rend compte du procédé de manière plus synthétique, et qu’il faudrait par ailleurs, pour en étudier les 1.000 applications, c’est-à-dire analyser les chants-poèmes de chaque langue.

Hors des répétitions qui marquent le rythme à l’évidence, il existe encore le temps, et l’accent tonique, l’un dépendant de l’autre.

Notre collègue Bakoum nous a fait remarquer et percevoir que le rythme des poèmes de Senghor se calquait sur le rythme des chants sérères traditionnels en utilisant le tempo binaire, avec en plus, par ci par là, un troisième temps qui donnait un effet de syncope.

 

Ainsi :

Baay fa xesta Daxaar Mbay

Baay fa xesta Daxaar Mbay

Yaam ce baay fa xesta Daxaar Mbay [10]

On peut retrouver ce rythme dans les chants épithalames (ceet) des Lébous proches des Sérères.

Gor siin bee/yaare lamaan be

Gor siin bee/yaare lamaan be

Gor siin bee/ndima kala Njaay/lamaan be [11]

Cependant ces formes ne s’avèrent pas plus fréquentes que celles du type suivant, si bien qu’on ne peut en faire le norme du rythme sérère.

Yaa yaay Lombeena/xaalis o lombel

Tew a paax a Sombel/pay paal ke lombel

Tew o paax a lombel boo puj ke ndurel

Mam’ndum fu yaay/boo taawke loolaa ee.

Par ailleurs, si une grande partie de ces poèmes oraux sont construits sur les répétitions et les refrains, il en existe d’autres qui échappent et parfois totalement à la loi de la récurrence. Tel chant sérère [12] ou le vers d’ouverture est à peine en évidence, et domine par des strophes presque « classiques ».

Mais là aussi la répétition n’est plus un élément déterminant de la prosodie.

En réalité la récurrence, ou réitération, ne domine que le chant collectif. Dès que le chant s’individualise , il s’affranchit du procédé répétitif pour s’ouvrir à l’improvisation.

C’est aussi dans le chant-poème individuel que l’on rencontre une plus grande recherche au niveau des phonèmes. Le poète oral africain affectionne l’allitération, et aussi les « thèmes sonores » qui sont, pour MESCHONNIC, essentiels dans l’organisation de l’espace poétique :

Na riiro riir te randax

te tar tari ne kurandoli

na ne dukk dukk juk jamax ji [13]

Cette propension à accumuler les homophones va jusqu’à la jonglerie verbale. Et la recherche de 1’assonance, à l’initiale ou en finale, est fréquente chez les poètes peuls oraux.

Biradam yaraa

Kaaddam wuruse

Binngal ramae

Baradaa nadudae

Jabbodj gulli gawooji genaale [14]

Pourtant cette danse de sons coïncide très souvent ou même cède le pas à une danse de mots, à des jeux de mots qui sont autant sinon plus recherchés par les « maîtres de langage ». Hampaté Bâ y excelle :

Le pouvoir n’aime point qu’on rit de lui

mais il aime qu’on rit avec lui

le ciel n’aime pas le brouillard [15].

N’est ce pas là un parallélisme antithétique complète par une fort belle métaphore ?

Nous ne voulons point nous engager dans les figures qui sont légions, mais celles-ci interviennent sur le rythme avec persistance.

« N’épie pas la femme que tu aimes

tu y trouverais ce que tu n’aimes pas »

De plus nombre de proverbes se délectent de cette figure du parallélisme qui contribue à la mémorisation.

« Saamaan jaan, jaan fanjool »

« Cobra serpent, serpent esprit »

ou encore :

« Jekk tank, naaw doxin »

« belles jambes, laide démarche » [16]

Cependant si le poète africain aime faire sonner les mots en choquant les significations, un peu comme des cymbales, nous n’avons pas releée dans l’ouest la propension aux « textes absurdes constitués de syntagmes juxtaposés sans relations grammaticale ni sémantique » encore moins de « série phonique ayant perdu tout rapport avec le code » (Zumthor oc.p. 141).

Il arrive par contre souvent que l’ellipse contracte la phrase au maximum, supprime articles, pronoms, verbes et propositions et accumule les nominaux juxtaposés ; la relation sémantique y est, mais implicite et c’est ce qui rend quasi impénétrable pour un étranger le texte suivant :

Ngoor je n’ai pas hérité la paresse

Va voir les arbres abattus, entassés et brûlés

Maam Sarr- o kor Mbisiin

Nohor Semu se trouvait encore

Dans l’administration anglaise

Arbres abattus, force d’argent

Mes biens en ville

En hivernage avance

Yangoor Gini [17]

Il faudra près d’une page à Raphaël Ndiaye pour expliquer les allusions et les noms propres évidents pour les villageois qui cohabitent avec le chanteur.

Le chant suivant, laconique à l’extrême, évoque toute une sombre histoire connue des seuls habitants de Fatick :

Bure Daman a emporté les circoncis de Pultook

jusqu’à ce jour ils ne sont pas revenus (in Amad Faye oc.)

Ailleurs dans une prière songhaï, implicites sont les événements qui autorisent ces épithètes ambiguës de l’ancêtre divinisé :

Ourfana le grand voyageur

Traînard, grand brave

Un seul morceau de bois qui chasse le froid [18]

Et souvent l’ellipse se complique d’ésotérisme, pour former l’incantation rituelle ; un des exemples les plus convaincants dans cette voie est ce chant des Fang (Cameroun) recueilli par le Père Trilles [19]

Ekima retentit

Appel de l’éléphant

Effroi de la fuite

Fuite de l’effroi

Merci à l’éléphant

Ekima retentit

L’éléphant vient

Arrivée des mânes

Mânes protecteurs

Merci à l’éléphant

Ekima retentit

L’éléphant vient

Festin des hommes

Réapparition de l’aube

Merci à l’éléphant [20].

Que conclure de ce bref parcours dans la prosodie du poème oral ? Qu’il n’est pas aisé de séparer l’étude des phonèmes, des rythmes et de la syntaxe qui tous interviennent sur le tissu sonore du chant. Car en Afrique, dans ces langues à tons « la mélodie du langage a aussi d’infinis secrets »

Symbolique

« Le formalisme de toute taxinomie est à éliminer de la poétique et les études imagistes ne sont que trop usées » écrit encore Meschonnic. A la bonne heure, car cette entreprise nous semblerait en ce lieu proprement délirante !

Tout au plus évoquons quelques problèmes. Par exemple peut-on aborder les métaphores qui pullulent dans les chants-poèmes d’Afrique avec les concepts actuels de l’anti-rhétorique ? Les surréalistes qui décapèrent la métaphore de sa « fonction de substitution décorative à un terme littéral » [21] pour en faire le « stupéfiant-image » affirmaient que « seul le déclic analogique nous passionne. C’est seulement par lui que nous pouvons agir sur le moteur du monde » (Breton).

Nous sommes là bien près du fonctionnement de certaines métaphores africaines qui surgissent dans les chants rituels, images-prières qui mettent en contact avec le devin : « espace de la rencontre, savane verte, calao sourd- muet » [22] sont autant d’appels, évocations-invocations au Dieu génie initiateur du Koré bambara.

Aussi ce n’est pas pour rien que Senghor avait tenté d’identifier la démarche poétique africaine vers le surnaturel (le « surréel » disait-il) à la démarche du surréalisme.

Pourtant l’on ne peut suivre ce chemin sans réticence lorsqu’on sait que Breton lui-même avait mis en garde de ne point confondre l’analogie poétique et l’analogie mystique car la première « ne présuppose nullement à travers la drame du monde visible un univers invisible qui tend à se manifester. Elle est toute empirique sans sa démarche… » [23].

Et le surréalisme a propulsé au maximum la métaphore créatrice la métaphore-découverte qui engendre la liberté du poète, seul contre tous, s’il faut, dans une totale autarcie du verbe.

On constate, à l’inverse que la métaphore du poème traditionnel est plus souvent une formule fixe, reconnue et acceptée par tout un groupe et qu’elle peut être utilisée par tous les membres de ce groupe.

Ainsi lorsque le tambourinaire de l’Attoungblan (Abouré, Côte d’Ivoire) annonce l’aube, tous les initiés au langage tambourine peuvent reconnaître les métaphores par lesquelles il interpelle dieux, génies et éléments de la nature :

« Je vous appelle tous terre qui fait pousser les bosses [24] fait pousser le sang [25] fait pousser le bois ferme [26]

« Je vous appelle tous vieillard très très vieux vieillard aussi vieux que le jour original [27],

Je te salue atié le noble atié le mâle [28]

esprits de la terre qui le pouvez venez

eau qui commet l’adultère et paie [29]

éléphant d’eau qui cherche les combats [30]

poison puissant [31]

touraco oiseau vivace qui appelle l’eau de dieu

Va – voir et viens [32]

parle pour ceux de la là-haut [33]

Etoile polaire le jour va croître » [34]

Et si quelqu’un se charge d’interpréter les sons du tambour pour le reste des locuteurs abourés, chacun à son tour comprendra les métaphores de la lune, de l’hippo, de l’eau adultère, de la mer, etc.

Ce sont à la limite des métaphores soit intégrées à la langue, soit aussi banales qu’en français le roi de l’univers, ou les voiles de la nuit.

L’ »effet poétique » c’est l’étranger qui le ressent car l’image le surprend. Mais c’est un effet d’exotisme. Le problème est de savoir si dans la langue, ces images sont ressenties comme poétiques avec ce décalage du quotidien qui suppose l’image poétiquel

Pour reprendre le cas de l’Attoungblan, il s’agit davantage de procédés d’évitement car certains animaux, certaines forces, ne doivent pas être désignées nommément, on utilise alors des formules détournées. Ainsi le serpent se dit « gros noir » dans l’épopée bambara, ou encore « corde enroulée » ou « bâton » dans les récits peuls, mais aussi dans leur vie courante. De même on ne dit pas que quelqu’un est mort, mais parti, ou qu’il a fini… Aussi pour décider de l’effet poétique d’une métaphore, il faudrait enquêter sur le langage usuel du groupe concerné.

Ceci dit la plupart des chants, ne se préoccupent absolument pas dudit décalage au niveau du lexique ou des images.

Innombrables, les chants religieux qui demandent tout à fait prosaïquement telle ou telle protection ou faveur. Si certaines formules d’invocations au divin sont percutantes, elles sont entourées par d’autres textes tout à fait simples, sans autre littérarité que le rythme litanique.

Me voici, moi, mon enfant

Je suis venu maintenant

Voici le cabri que je t’ai donné

Ne me laisse pas mourir

Ne me laisse pas tomber malade

Oiseau qui passe dans la nuit

Et parle la langue des hommes

Nous t’invoquons.

Animaux sauvages qui passez dans la nuit

Et parlez la langue des hommes

Nous vous invoquons [35].

Peut-être aussi cette simplicité du lexique et de l’image est-elle liée au chant populaire, composé pour des circonstances spécifiques où l’on ne songe pas à faire de la littérature. Ainsi la douleur s’exprime sans fards :

« Oh mère que vas-tu faire de nous ?

Oh mère qu’allons-nous devenir,

Oh mère aux mains de qui resterons-nous ? [36]

 

Cependant mêlée aux complaintes, la métaphore filée peut prendre forme même dans des bouches inexpertes :

« Toi reine, que vont manger les chevaux

Faye, alors qu’ils n’ont pas de foin » [37]

ou « un buisson perclus s’effondre et les moineaux piaillent » [38]

Mais là encore ce sont des formules classiques en ces cérémonies, et que tout le monde connaît déjà. Et cela renvoie au premier cas évoqué, celui du tambourinaire abouré.

Peut-être justement que ces formules utilisées chaque fois, en des circonstances analogues, sont la caractéristique de certains genres dans cette poésie populaire qui n’est d’improvisation qu’en apparence.

Ainsi les épithètes qui auréolent les héros des récits épiques sont des formules toutes faites et transmises telles quelles de griots en griots.

Le roi de Ségou est régulièrement qualifié de « Maître des eaux et des hommes » et Bakari Dian, son champion, de « Véridique », « Sidiki l’éléphant », »grand homme et grand nom » [39]

Tout autre devient le statut de l’image dans les poèmes plus individualisés soit dans leur utilisation soit dans leur production.

De beaux exemples se trouvent dans les poèmes-devises des Songay-Zerma. Diouldé Laya y a traduit des comparaisons ravissantes que nous extrayons de textes d’une dizaine de vers :

Salamata belle comme le beurre fondu

Tawassa pilier central de la grande case

Nyale beau mil aux tiges courtes :

la forme de la calebasse et le corps du serpent

Ramaatu la belle

l’or est pour celui qui connaît l’or

Zibbo le brave

une panthère dans une île

Koda ne voyage pas

c’est son ami qui voyage » [40]

Ceci donne une idée de la variété des métaphores dès qu’elles sont laissées au libre cours de l’inspiration du poète. Mais cette inspiration ne prend son vol vraiment que lorsque le poète est seul.

« Elles n’ont pas de sandales

mais délimitent les pistes

elles n’ont pas de bracelets

mais partout où elles passent

de jour comme de nuit

se crée un spectacle

femmes qui ont épousé leur soeurs

tourterelles du paradis

ô bienheureuses

ne se posent qu’en lieux bénis » [41]

De quoi parle-t-il le poète ? de femmes ?, d’oiseaux ? non point, de ses vaches. C’est un berger peul.

Typologie des genres

Les études monographiques sont sur ce sujet, rares, partielles, ou le plus souvent inexactes, inexistantes.

On peut constater une quantité de genres poétiques chez les Peuls par exemple, à partir d’enregistrements, d’articles, d’introduction aux éditions de textes, si bien qu’on repère grosso-modo Le Lele (poésie lyrique, amoureuse ou personnelle), le Fantang (poèmes pastoraux) Le Keroone (poèmes des chasseurs) le Goumbala (poèmes héroïques tièddo) les Lenngi, le Wango (poème accompagnant la danse) le Charaw, le Boygal, etc.

Cependant qu’à l’intérieur des cultures wolof, bambara, malinké, diola, soninké, soussou, mossi, zerma, fon éwé, baoulé, bété, senoufo, baga, twi, ibo… les études sur la poésie orale sont très en retard sur les travaux consacrés aux contes et autres genres narratifs.

Peut-être parce que sa forme n’est plus insaisissable, et se confond totalement (ou presque) avec le chant de circonstances.

Et certes, confrontés au terrain on est tout d’abord contraint d’adopter une typologie qui correspond aux circonstances principales de la vie africaine : c’est ainsi qu’on rencontre les berceuses et les chants de baptême, les chants de circoncision ou de tatouage, les chants de mariage (chez les wolofs il y en a 3 espèces : ceet, xaxaar, taxuraan), les chants de lutte, les chants de guerre, les chants de travail (avec noms différents pour chaque caste ou activité) les chants de funérailles, etc.

A cela il faut ajouter cependant tous les chants rituels [42] liés à des cultes ou des cérémonies religieuses (chants vaudous, oriki yoruba, ou chants de ndeup) et toute la poésie d’éloge et de compliments.

Mais il serait erroné de restreindre le poème-chant à cette ponctuation de la vie sociale, à sa fonctionnalité.

Nous avons rencontré des chants d’amour tout à fait « désocialisés » chez les Bambara, les Malinkés, les Peuls, les Douala, les Haoussa ; des chants satiriques sur n’importe quel sujet (mari, amant, personnage politique, conflits villageois) chez les Wolofs (taasu) comme chez les Akye (nu) ; des complaintes lyriques qui se chantent dans la solitude sur l’amour lointain ou perdu, sur la mort d’un être aimé, sur la dureté de la vie, l’abandon, l’ingratitude, et ceci dans les savanes comme sur la côte forestière.

Si donc le côté fonctionnel de la poésie orale africaine est incontestable, il n’a pas étouffé pour autant l’expression personnelle, si bien que certains poètes traditionnels oraux dont les oeuvres ne sont toujours pas écrites, sont célèbres dans leur milieu pour la richesse et la qualité de leur production poétique. C’est le cas pour Dibero en Côte d’lvoire, pour feu Gélaye Fall au Sénégal, Demba Diallo au Fouta.

En somme s’il s’agit de proposer une typologie des genres recouvrant toute l’Afrique de l’Ouest, on peut reprendre celle de Ruth Finnegan qui comme première tentative de synthèse sur ce sujet, est tout à fait acceptable, à l’exception bien entendu de ces remarques sur l’épopée dont elle n’a pas distingué l’existence ! [43]

Mais comme nous avons écrit ailleurs ce que nous pensions de cette lacune, nous pouvons dire ici combien son approche de la poésie orale africaine nous apparaît estimable.

On peut donc parfaitement reprendre ses catégories : poésie, panégyrique, poésie religieuse, poésie lyrique, poésie élégiaque (où l’on retrouve les chants funèbres), poésie politique, chants d’enfants et ritournelles. Elle y a ajouté, et avec raison la « drum poetry » ou poèmes tambourinés, phénomènes pour nous surprenants et si bien mis à jour par les études de Niangoran, S. Ehive, Nketia, Rattray, Camngton, R.G Armstrong et T. Ste.

Nous mettrons une réserve au titre : « poésie à sujet spécial : guerre, chasse et travail » qui nous semble vraiment flou et proposerons plutôt à la place chants de circonstances et chants professionnels, ces derniers prenant une importance majeure dans les sociétés à caste (forgerons, tisserands, griots, bûcherons, menuisiers, potières, etc.) dont chaque groupe entretient tout un répertoire spécifique. On peut en dire autant pour les chants des pasteurs, de pêcheurs, de chasseurs.

De toute façon dès qu’on se réfère à une culture précise, cette typologie s’augmente d’autres volets : chants des classes d’âges chez les Bambara [44], chants mâles et chants philosophiques (caax) chez les Sereer [45], les « nu » chez les Akyes [46], le wango ou le raas chez les Peuls [47].

La seule façon de dépasser ces essais de typologie toujours inadéquate est de sortir des généralités et de s’appliquer à repérer les genres dans chaque ethnie et avec leurs dénominations locales [48].

Dernière remarque sur ces insuffisances de la critique en matière de poésie orale. Il semble que les domaines Bantu et Est Africain aient été mieux étudiés que le domaine soudanais. Ainsi il existe des livres sur la poésie somalienne, les poèmes héroïques zulu, les poèmes boswans, la poésie de cour Rwandaise [49], la poésie swahili [50], les poèmes luba [51] ; entre autres, et pour plus d’informations nous renvoyons l’amateur à la bibliographie de Gorog Karady [52].

La poésie ouest africaine est encore un terrain immense et mal défriché mais depuis quelques années les originaires du continent s’y attellent et produiront sans doute sur ce sujet les études définitives.

BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE POESIE OUEST AFRICAINE

S.A BABALOLA : The content and form of Yoruba Ijala – 1966.

Ben AMOS : « Catégories analytiques et genres ethniques » – in Folklores genres 1976

Mamadou DIAWARA : La graine de parole – F. Sleiner Ver !ag. Stuttgart – 1990.

  1. CALAME GRIAULE : Ethnologie et langage – 1965. Langage el cultures africaines 1977.
  2. Seydou : Berger des mots – Classiques africains – A. COLIN – 1990.

 

J.F. CARRINGTON :

Talking drums in Africa- 1949.

  1. ENO BELINGA : Littérature et musique populaire en Afrique noire – 1965.
  2. FINNEGAN : Oral poetry 1977.
  3. FROBENIUS : Voksmarchen und volksdichlungen Afrikas – 12 vol. – 1921.
  4. H.GREENBERY : A survay of African prosodia system’s – 1960.
  5. HARRIS : Swehili poetry – 1962 (Afrique de 1’Est).

P.F. LACROIX : Poesie peul de l’Adamawa (1965).

  1. NDIAYE :

– « La littérature orale en pays Sereer » in Ethiopiques, 1985.

– La parole chez les Sereer. Theèe – Paris 5.

J.H. NKETIA : Folk songs of Ghana – 1963.

NIANGORAN BOUAH : « La drumologie, qu’est-ce ? » – 1982 in Revue ivoirienne d’anthropologie.

  1. PRIETZE : Hausse Sänger – 1916.
  2. SEYDOU : Panorama de la littérature peule – 1973. art. IFAN

ALPHA I. SOW : « Notes sur les procédés poétiques de la littérature des peuls du Fouta Djallon »-in Cahier d’Etudes africaines, 1965.

  1. ZEMP : Musique et musiciens chez les Dan – 1960 – 2 vol

[1] Gustave Cohen – Tableau de la littérature française médiévale – éd. Richard – Masse – Paris 1950.

[2] Belinga – Chantifables du Cameroun – éd. Klinsieck – Paris – Communication au colloque de Yaoundé – janvier 1985.

[3] Meschonnic – Pour la poétique- p. 78, éd. Gallimard – 19

[4] H. Bonnard – Procédés annexes d’expression – éd. Magnard – Paris 1981.

[5] Amad Faye – Poésie funèbre du Sine – Mémoire inédit, IFAN

[6] J. . Gauvin – La parole traditionnelle – éd. St Paul – Paris

[7] Recueilli par Agnès Monet – Thèse 3é cycle – Université d’Abidjan 1985 – Inédit.

[8] Pascal B. COULOUBALY – Chants de femmes du Mali, 1990. IFAN

[9] Zumthor – Essais sur la poésie orale – Seuil – Paris. Collection poétique.

[10] Amad FAYE, o.c.

[11] Les chants de ceet de Bargny par Ch. Ah. Tidiane Ndione – inédit, IFAN.

[12] In Revue Demb ak Tey n° 3 – C.E.C – Dakar

[13] Cherif Thiam – Le Taasu woolof – Mémoire inédit – Dakar, IFAN.

[14] Le Fantang – o.c.

[15] A.H. BA – L’éclat de la Grande étoile, p. 139 – éd. Armand Colin

[16] Voir Souleymane FAYE – La Spécificité sérère – in Revue Notre Lib. Paris 1986.

[17] R. Ndiaye – Revue Dem ak Tey – C.E.C. Dakar – n°3

[18] Jean Rouch – Textes rituels songhay in Dieterlen : Textes sacrés d’Afrique noire – éd. Gallimard, 1965

[19] In Dieterlen oc.

[20] Ekima : sifflet magique employé par le chef pour la guerre, la chasse, et situations dangereuses, et qui appelle les mânes à la rescousse.

[21] Meschonnic, o.c.

[22] Texte bambara de l’initiation du koré-rec par D. Zahan.

[23] A. Breton – La Clé des champs – Paris.

[24] Montagues

[25] Eaux

[26] Forêts

[27] Dieu créateur

[28] La lune

[29] Métaphore de la nage de la femme et du puisage

[30] Hippopotame

[31] Crocodile

[32] La mer

[33] Le chat-huant

[34] In thèse de Simone Elive – Langage tambouriné chez les Abourés – inédit., IFAN

[35] B. De Maupoil – Prière en l’honneur du Fa (Dahomey – in Dieterlen, o.c.

[36] Amad Faye o.c.

[37] Idem – on s’adresse à la mère morte dont les enfants sont abandonnés.

[38] Idem – la mère meurt et les enfants pleurent

[39] L. Kesteloot, J.B. Traoré, A.H.BA – Da Monzon de Ségou épopée Bambara éd. L’Harmattan.

[40] Diouldé Laya – Les Zamu ou poèmes sur les noms, éd. CELTHO – 1972 – Niamey.

[41] Sire Ndongo – Le Fantang – o.c.

[42] Siré Ndongo – Le fantang – o.c.

[43] R. Finnegaa – Oral literature in Africa – Oxford University – London.

[44] Pascal Couloubaly

[45] Raphaël Ndiaye, Salif Dione

[46] Agnès Ayé-Monnet

[47] Sire M. Ndongo

[48] Kagamé, Coupez et Kamanzi

[49] Kagamé, Coupez et Kamanzi

[50] J. Knappeert, L. Harris

[51] C. Faik-Nzuji qui a tenté une typologie des genres, elle aussi.

[52] Gorog Karady : Bibliographique analytique de la littérature orale africaine éd.Maisonneuve et Larose.