Djibril Tamsir NIANE
Notes

LA PENSEE D’AMADOU BAMBA, FERNAND DUMONT, LES NOUVELLES EDITIONS AFRICAINES, 371 PAGES

Ethiopiques numéro 7

Revue socialiste

De culture négro-africaine 1976

Il est quasiment impossible, dans le cadre de cette brève note de lecture, de rendre compte de l’ouvrage de Monsieur Fernand Dumont sur la Pensée religieuse d’Amadou Bamba, fondateur du Mouridisme sénégalais.

Dumont n’en est pas à son premier ouvrage sur les grands penseurs africains ; on sait qu’il est l’auteur de El Hadj Omar ou l’Anti-Sultan. Islamologue et fin connaisseur du monde musulman négro-africain, F. Dumont réside au Sénégal depuis 1963.

L’un des mérites de l’éminent islamologue est de s’être attaché à faire connaître nos grands penseurs à travers leurs propres écrits ; écrits souvent ignorés du grand public et même de prétendus connaisseurs de l’Afrique Noire.

L’exhumation de documents inédits, un commentaire scientifique, voilà qui fait de l’ouvrage de F. Dumont sur Amadou Bamba un précieux auxiliaire pour pénétrer et comprendre les idées maîtresses qui guident la plus originale confrérie musulmane du Sénégal.

Amadou Bamba, celui que nous appelons plus familièrement Serigne Bamba (1850-1927) a suscité beaucoup d’écrits, de son vivant et après sa mort. Nous n’entrerons pas ici dans le détail de ses démêlées avec l’administration coloniale, détails biographiques connus de tous.

Nous voulons ici attirer l’attention sur le fait capital que Serigne Bamba arrive à l’âge d’homme vers 1880 au moment où la conquête coloniale bat son plein ; le Sénégal, en dépit des actions énergiques d’Albouri et de Lat-Dior, était pratiquement conquis. Notons que Serigne Bamba a connu Lat-Dior, héros national du Sénégal, mais délibérément Serigne Bamba a choisi de faire son chemin en marge du temporel.

C’est son originalité. Ce fut aussi sa force car les arguties de l’administration coloniale n’avaient pas prise sur un homme que tout le monde qualifiait de saint.

Pour en venir à l’ouvrage de F. Dumont, disons d’emblée que l’ouvrage est solidement construit. Il comprend quatre parties.

1°) La Bibliographie générale des œuvres du Saint ; la bibliographie des œuvres consacrées au Saint. Cette étude bibliographique est assortie d’une étude critique portant sur l’œuvre, sur la littérature d’Amadou Bamba. F. Dumont passe au crible de la critique toutes les publications concernant le Saint ou son œuvre.

2°) La deuxième partie, que l’auteur intitule Amadou Bamba par lui-même, nous révèle le destin humain de celui qui, par la voie pacifique en cette période troublée, a su créer un fort courant religieux et philosophique et surtout fonder une puissante secte que le colon jamais ne cessa de regarder d’un mauvais œil.

3°) La troisième partie, brillamment enlevée, situe Amadou dans le courant de pensée islamique, toute la stature du Saint nous apparaît avec l’originalité de sa pensée qui ne s’écarte à aucun moment de la Tradition du Prophète Muhammad.

4°) Le mysticisme chez Amadou Bamba. C’est dans cet important chapitre que l’islamologue nous montre toute l’étendue de sa connaissance de l’Islam et sa compréhension du monde noir. Il fait l’exégèse des meilleurs poèmes mystiques du grand Patron des mourides.

Enfin, dans une conclusion dense, l’auteur nous invite à réfléchir sur l’œuvre, la vie et la pensée de celui que des centaines de milliers de Sénégalais ont considéré comme un véritable Sauveur dans la débâcle du monde africain face à un colonisateur cent fois plus fort militairement. Aujourd’hui, les Mourides comptent au moins 500.000 adeptes. Force spirituelle, puissance économique avec laquelle il faut compter.

Rien de tel que d’aller aux sources, de lire l’œuvre même du Fondateur du Mouridisme ; sa vie était une constante imitation de la vie du Prophète. Muhammad reste pour lui le modèle et ses quasida ou bien chantent les vertus de Muhammad ou bien explicitent la pensée du Fondateur de l’Islam.

Le cachet négro-africain, l’empreinte nègre est manifeste dans l’œuvre du grand penseur qui a su créer une école de militants au service de la Foi (Mouride veut dire, aspirant, militant convaincu).

Il y a à signaler l’aspect ou le côté populaire de la pensée du Saint. Rapidement les adeptes firent de Amadou Bamba un prophète dont l’intercession efficace sauve l’« aspirant ». D’où le dévouement inconditionnel, voire fanatique des croyants. Page 40, on lit sous la plume du Saint : « Quant à moi, je ne brigue pas le pouvoir des émirs (le pouvoir temporel) je ne veux d’autre estime que celle de Dieu ». Par ricochet, l’aspirant ne désire d’autre estime que celle de son guide. On le voit, il faut distinguer deux niveaux :

1°) Le haut niveau de méditation où se place le Saint.

2°) La dévotion inconditionnelle du Mouride à son Saint.

Cette dévotion se traduit à la manière négro-africaine qui consiste à considérer le guide comme l’expression authentique de Dieu ; le guide à vocation charismatique. Ici, nous sommes à la croisée de la religion populaire et du mysticisme des penseurs ; nous sommes au point de convergence entre le temporel et le spirituel, l’homme du commun chez nous assimilant volontiers le guide religieux au guide politique. N’ont-ils pas au fond même vocation : conduire l’homme vers le mieux-être, le salut.

Mais F. Dumont ne s’est pas aventuré sur ce terrain, c’est pourquoi, s’en tenant à l’étude de la pensée du Serigne, il ne nous a pas longuement entretenu des « Bay Fall », militants inconditionnels, troupe de choc du Mouridisme.

Il reste que ce livre, fortement charpenté, fera la délectation du commun et des spécialistes car F. Dumont nous livre plus de 30.000 vers inédits. Avant lui, on ne connaissait de l’œuvre d’Amadou Bamba que quelques fragments, à peine 6.000 vers. Tout laisse croire que la moisson n’est pas terminée. On sait combien les familles et les lettrés gardent précieusement les manuscrits des grands maîtres.