Poèmes

LA MER

Ethiopiques numéro 11

revue socialiste

de culture négro-africaine

juillet 1977

 

La mer frappe aux portes de nos rives,

la mer envahit l’eau de douce mémoire,

la mort, la mer frappe aux cloisons

de qui contient la vague de souffrance

et jusqu’à l’envers de nos plages

s’entendent les chants de désespoir des hommes de notre temps.

Comme l’incendie qui mûrit à nos talons,

les guerres et les révolutions,

les guérillas et les tortures,

idéologies et dictatures.

La mer racle le fond de nos silences

jusqu’à nous arracher le cri des torturés.

Nous nous réveillons un matin

Sur les ruines des négriers,

nouveaux esclaves des grands établissements,

enchaînés aux galères de l’inexpugnable,

complices de la mort.

La mer nous comble de ses épaves

et nous enchaîne à nos rives,

à l’ancre de nos yeux éblouis,

et des peuples entiers se précipitent têtes baissées,

comme devant le semeur de nickel une foule de mendiants.

La mer pousse son souffle d’asthme,

entrouvre nos fissures

et s’éclairent les combes de notre solitude.

Mais la mer nous lave,

comme le rocher

de toute matière crayeuse,

pour nous laisser la vérole du temps,

comme est toute marque d’endurance,

comme est toute chose qui survit,

comme toute masse digne d’équilibre.

Et c’est pour moi,

ce fut toujours la mer,

l’eau des matrices,

qui nous dépouille des masques et travestis,

comme au temps où j’entendais en moi son clapotis ;

oui, tout était si petit et si grand à la fois.

Ainsi s’engrange en ma mémoire

le jeu des éléments liquides.

Et si je porte témoignage du lieu initial,

c’est qu’en l’espace de sa vérité

est contenu le mensonge du temps,

et que tu m’as porté, mer,

as fait que soit douce ma chute

et m’as donné pour toute gloire

ce regard clair

que j’emporte avec moi

dans ma lente immersion dans la terre.

Ah ! Qui n’a pas écouté les chants venus des gorges de la mer ?

non pas seulement sur le versant de sa colère,

mais sa voix sereine

ne connaît point la mer

en elle se résume toute voix, tout appel,

ne connait point les rives de la mort,

ne connait point les plages de la vie.