LA LYRE PAIENNE
Ethiopiques n° 54
La lyre païenne
Ivres de nos pas sont les sentiers
Qui de mysticisme grandissent
Où mènent à la demeure des génies
Lorsque la vie s’adosse aux divinités
A l’homme rendu à sa native paganité
Mais quels bosquets déroulent nos dogmes ?
Monts que nous franchissons
Accordés d’instinct au merveilleux païen
Une nouvelle demeure dans le langage s’édifie
Au plus près de nouvelles mythologies
Voici que maintenant se fait jour
L’altérité des dieux multiformes
Qui seuls savent que les monts
Donnent plénitude et assurance à l’être
Appelé à enjamber ses contradictions
Païenne est la lyre du poète
Dont le verbe dans la durée s’incante
Comme à l’aube prédite de saintes vigueurs
Lorsque des grottes conventuelles le dieu
Tire fierté en prenant refuge dans l’exorcisme
Nos pas ne sont vraiment ivres de sentiers
Que lorsque nous parle bas la nuit
Qui s’unit à l’extase des fétichistes
Quand le village s’arque aux mystères
Car tout est mystère quand lève l’ancre la Nuit.
A la recherche des cavernes
La nuit ronronne de solitude :
Elle a trop voyagé dans les siècles
Dans l’équivoque de l’existence
Qui nous relie aux éléments
Afin que l’arbre s’incline du côté de l’être
Il n’y a pas que nous à courir _Le monde à la recherche des cavernes
Car à la source commune nous retournons
Dérobant à la nuit son pouvoir d’affabulation
Et aux morts leurs métamorphoses
Nous n’avons interrogé la vie
Que parce qu’elle nous escorte vers le jour
Afin que soumis à l’orage des événements
Nous avancions sur les routes fangeuses
Où l’homme s’attarde sur la généalogie
Nous savons trop bien que de vivre
Pour le monde nous ravit à l’agonie de soi
Mais qu’est-ce qui fait que nous
Ne savons que paraphraser nos ancêtres
Raconter à la mer les derniers ragots du fleuve ?
Parle fort Nuit affiliée aux névroses
Car lorsque de nouvelles légendes s’inventent
A mi-chemin des sources vives
Nous prenons le pouls des faubourgs
Désormais complices de nos récriminations
Nous devons nous maintenir du côté
De ceux qui respirent l’air de la montagne
Où s’accordent à l’alchimie des cauris
La nuit s’énigme ; une enfance s’échappe de l’oubli
Et nous rêvons rendus au désir d’Absolu !
L’ouragan des désirs
Le village avait pour mission
D’être aux prises avec les souvenirs
D’aller toujours le plus loin possible
Dans l’ouragan des désirs
De trouver refuge dans les palabres
Le village disait : « Que ne puis-je retrouver
Sous l’écorce de la nuit l’inaltérable Source ? »
Le village sais-tu n’a de vérité
Que dans la louange et l’offrande
Qui gouvernent ses entrailles lyriques
Nous sommes seuls égarés sur les falaises
Que lentement gravissent les âges
Lorsque la passion de dire brûle dans mon dos
Où s’engorge le village déroule la natte
Des exploits que nous n’avons pas toujours réalisés.
Au plus secret des sources
Nous disons que le village n’exile personne
Mais nous savons que les fétiches
Nous rassemblent pour nous viriliser
Au plus secret des sources promises
Au fol enracinement des bardes
Quelle parole du poème immole notre raison ?
Natifs du jour et peut-être de la nuit
Nous allons consulter les Sages
Qui ne fondent leur existence
Que dans le mystère de l’amour gémellaire
La rivière que profanent les distraits
Ne peut s’embraser que si la foudre
Dénoue d’anciennes alliances
Ou décompose d’anciens noeuds coulants
0 contrées éprises de science infuse !
L’écho funèbre du village ne s’entend que d’ici
Ou s’autonomise le langage en son assise païenne
Mais quel fleuve nous guérit des frayeurs ?
Quel sang célèbre notre naissance ?
La Beauté croit où la Raison s’abîme !
L’ORACLE
L’ORACLE n’a pas menti :
« L’exil est terre de l’équivoque »
Au gîte de l’extase
Au glabre des chemins
L’exil est résidence de l’impondérable
Mais donnant plénitude au nomade
Au gré de l’insomniaque vent
La terre retourné à l’épar
Oppressée de doute le long des ans
Et l’espoir scellé glapit où j’arrive
Moi qui suis de la nuit et du jour
Je te reviens terre consacrée
Au reflet de tes aurores je te reviens
A bout de souffle par les pistes vipérines
Où ma race s’enfièvre de magies
Pourquoi gravir les ans aux orgues
Des chemins qu’embrasse la mémoire
Terre transie d’infini terre cérémonielle
J’arpente tes flancs inondes de sang
Mais à quoi bon l’emphase de l’ailleurs
Voraces sont les jours qui s’effilochent
Aux grandes laisses de l’enfance
Par la bouche des fleuves je parle
0 terre gardienne des présages
Inaudible est le bruit de l’abîme
Quand s’illimite l’ordre divin
Aux soirs totémiques brûlant d’encens
Quand la terre oeuvre à l’énigme du divers
J’augure d’un lieu ou l’être s’émeut
Donnant puissance de parole à la pierre
Mais que prédit l’Oracle au secret éclaté
Des matins matelassés de désirs
Quand à l’orchestre des mondes se mêle
La voix de ma terre campant dans le rituel ?
L’ORACLE prédit mais au secret des cauris !
Douala, cité de Bonamoussadi
8 Avril 89
Le dialecte des grottes
Tu avances dans l’anse du jour
Comme pour hâter les souvenirs
Ici toute terre natale exprime
L’espoir récurrent et tu n’en finis
Pas de parler le dialecte des grottes
Où es-tu maintenant que
les jours rampent vers l’oubli
Au nectar des falaises
A bout de bras je porte la vie
Qui fait voile vers la mort
Quand séjourne dans l’arrogance le peuple
J’exulte et creuse mon lit dans le langage
Nous sommes là accordés au parler
Des sources qui se renouvellent
A chaque jour occis.
L’orgueil des dieux
Les soirs sont muets
Sur les rives atlantiques
Tandis que je gravis
Tout chargé d’épreuves
La marche des jours
Quand les soirs reprennent
Leurs sortilèges et que toute chose
Désormais s’éprend de vertige
Je vais où se confirment les doutes
Au lieu de nul enclos
Je suis dehors scellant à jamais
Mon coeur au coeur irradiant du monde
Par l’esprit j’incarne enfin
L’orgueil des dieux riverains
Maintenant alourdis de remords
Enigmatiques matins qui vieillissez
De nostalgie quand s’alarme la vie
Nous n’avons couru à grandes enjambées
Que pour atteindre le Primordial
Qui est voie vers l’ascèse d’être.
La houle voyageuse
Lorsque s’en vont les mouettes
En route vers les cantons perdus
Je comprends que nous sommes
En transhumance et que la terre
Court dans nos veines comme le sang
Mais pour quelle durée agissons-nous
A l’orée des bois velus ?
Nous sommes devant la mer qui tousse
Et le temps languit et nous crions
Aux vagues pour qu’elles nous ravissent
A la solitude désespérante d’être
Hautaine par-delà la nuit est l’aube
Qui pose sa main rêveuse sur mon front
Afin que balourd le jour rampe vers l’être
Nous n’allons pas fuir sous les sarcasmes du Temps
Qui ne sait de quelle falaise
Retentit la gloire qui donne l’ankylose
Après la très longue houle voyageuse
Apres l’ivresse du retour au pays clos
Nous voici désormais au large du quotidien
Triomphant des querelles de façade
Au croisement de nouvelles vigueurs de vivre.
A la syntaxe de l’espérance
à Robert JOUANNY
Quelle sagesse ésormais s’ébauche
Quand s’embrase la distance
Voici que s’exalte le migraznt
Qui ’savance vers quelle rue ouverte
A la syntaxe de l’espérance
Aujourd’hui sublime est la joie
D’être où le Temps scelle la patience
Le rêve est équation intime
Lorsque s’épanouit l’homme
Allant son chemin d’ombres et de lumière
Laisse-moi avouer qu’en ce lieu
Où j’avance sevré de lignage
Errante est la demeure du dieu
Mais au faite du jour où s’évanouit l’automne
L’errance est quête fondamentale du Savoir.
Aubervilliers, II Nov. 89
(23 h 40 mn)
Les archétypes de l’hiver
pour Huguette et Annick d’ALMEIDA
L’hiver déjà et l’exil
En sa mortification qui fige
Un beau geste dans le lointain
L’hiver et la terre soustraite au totem
La marche que monotonise le jour
Ici nous nous consumons dans
La solitude mais lorsque l’angoisse
Déploie ses ramages où bat le rappel
La mémoire s’attise et nous délivre
De l’exil qui traîne au loin ses contradictions
Tu sais lorsque le village s’éloigne
On prend contour dans l’évocation
Les gongs gémellaires lâchent leurs sortilèges
Afin que ne se délitent nos croyances païennes
Que ne se fragilise la terre intimisée
Qui donne tout son sens à l’aubain et voici
Qu’à présent nous avons goût des archétypes
Mythiques malgré les longitudes traversées
Pour souscrire à la Connaissance infuse
Qui est tension de soi aux cymbales des Temps.
Paris, 13 Novembre 1989
(en longeant le Boulevard des Capucines)
D’autres névroses
à Jacques CHEVRIER
Ne plus entendre la gutturale voix
D’avant-hier car rendus à nous-mêmes
Nous ouvrons la voie à d’autres névroses
Qu’exsudent les choses qui nous submergent
Où assemblent l’Un et le Multiple
Puisqu’au pas traînant des choses s’éloigne
Le calme regard de l’ascète qui s’en va
A la rencontre troublante des dieux
Dressant leurs exigences sur l’agora
Afin que chaque ethnie s’unisse à l’obscur
Ne crois pas qu’après l’orage d’hier
Le Temps n’est plus propice à d’autres mirages
Car désormais s’est éteinte quelle braise
Et nous rêvons d’une Afrique ordonnée au vertige
Des jours et des nuits qui nous tenaillent
Réduits aux paradoxes du vieux monde
Que nous parcourons à pied quand les poètes
Accentuent leurs visions désenchantées
De l’Afrique qui se sédentarise dans l’autocratie
Fascinée par l’envers sanglant du réel
Créteil, 14 novembre 1989