Fernando d’Almeida
Poésie

JE – TOUJOURS JE ou dédicace pour un pronom pluriel

Ethiopiques numéro 18

Revue socialiste

de culture négro-africaine

avril 1979

 

ici, en ce lieu où s’image la parole de l’aubain, l’écriture est citadelle du poème

ici où s’animent les mots, la parole est demeure de l’étrange

 

Les siècles passent qui m’honorent

Tandis que je construis ma vie

Dans la générosité des pierres

Qui m’orientent vers l’universel

Banni de l’immense

Je marche dans le soir vitalisant

Pour à l’exil rendre toute sa plénitude

Et je retrouve au pied des autels

Mon peuple qui me parle à travers

Les lourds barreaux du désenchantement

 

Je parle avec les mots du jour

Afin que s’enlise le désespoir

De mon peuple englué dans le mutisme

Car les mots sont devenus attentifs

Aux gestes inavoués de la multitude

J’ai pris rendez-vous avec les hommes d’action

Afin que dans les rues et les geôles

S’éveille une nouvelle race d’hommes

Appelés à s’affirmer dans le feu de l’insurrection

J’ai pris rendez-vous avec l’Espérance du grand matin

 

J’arrive

D’une ville hantée de grèves syndicales

Ayant déserté l’enclos du passé

Tout occupé à parler aux hommes d’ici

J’affronte la nuit

 

Quand perdure la certitude de vivre

Et voici que remis à l’opacité du silence

J’en suis venu à vivre selon le quotidien

J’ai juré d’atteindre les hautes demeures

Où l’Homme s’habille de mots fraternels

J’ai juré d’être à la traîne du merveilleux

 

Car je suis dehors pour m’accorder à l’exil

Qui alimente la solitude

Dans ce pays de transit

Où j’écris pour rattraper le temps posthume

Afin que se réalise l’alliage de l’art et de la pensée

Afin que ceux qui dans l’exaltation

Parlent d’abîme et rêvent de hauteur

Réinventent leur vie à la pointe de l’aube

Dans la proximité du langage

Car je suis la lumière secrète du jour

Qui illumine la sombre demeure des mots

J’ai repris la route qui mène vers le soleil

Pour atteindre la pleine lumière

Maintenant que j’emprunte les sentiers de la vérité

Qui s’inaugure dans la dialectique du vécu

Je suis comme l’ignorant qui accède à l’émerveillement

Je suis comme l’absent qui assume sa répudiation

Je suis en ce lieu de vérité lapidaire

Pour saisir la trame de l’utile

Au carrefour des mots lestés de simplicité

Mon langage renouvelle l’insolite

Aux dimensions du poème que j’écris

Plongé dans l’intrigue de l’existence

 

J’ai toujours manifesté le désir de partir

A l’aube

Quand le poème s’avoue corps

Ou se ressource dans l’ellipse

J’ai longtemps écrit sur l’écorce du monde

L’histoire toujours recommencée de l’exil

J’ai longtemps parlé de ce qui nous émeut

Au plus fort de l’incompréhensible

Quand les mots traquent l’anecdote

Pour exorciser la réalité à mouvance sociale

 

A présent que mon geste impose le silence

La réalité m’abandonne

Sur sa vertigineuse pente

 

Et sur le noir tableau de nos préoccupations majeures

J’écris pour entrer en pourparlers avec la vie

Pour faire l’apologie du possible

Il me faut refaire connaissance avec le réel

Aux charniers du présent où l’homme de piste

Marche guidé par l’appel du large

Il me faut accéder à la morale de l’étrange

Il me faut accéder à la morale de l’étrange

Pour te rencontrer

Dans l’écriture aliénée à sa propre merveille

 

C’est le matin et je chemine

Avec ma parole délinquante

Sans cesse rameutant les mots fécondants

Toujours à l’abri des dogmes clinquants

J’écris pour établir des liens d’amitié

Avec l’algue et la pierre le vent et le soleil

 

J’avance à l’orée d’une terre d’élégie

Ayant ouvert les yeux sur les choses

Qui prennent vigueur au creux de la nuit

Je retourne à la terre ferme

Boîtant sur les pavés où s’anime mon peuple

Je retourne à l’empire de l’enfance

Pour en sa candeur apprivoiser la vie

Je suis la brèche ouverte dans le langage

Epris de choses accordées

Je vais vers les arbres et toujours poursuivi

Par le cri lancinant du terroir

Je chemine vers la lumière

Qui prolonge ma nocturne raison d’écrire

Je veux atteindre la cité de l’homme de mesure

Prendre part à la farandole des hommes de taille

J’ai la carrure d’un homme de montagne

Et je te parle de loin en cette terre d’hivernage

Où rivés à la mémoire radieuse de leur peuple

Les poètes – humbles serviteurs du réel

S’accomplissent dans la parole qui préside à la Vie

J’ai besoin des mots pour lutter contre le pire

Pour au loin porter le rêve déliriel de l’homme

J’ai besoin d’une torche de salut

Pour éclairer les routes grenues du vieux monde

Je suis l’aubain qui traverse les rues à sperme

Je suis le migrant qui foule aux pieds l’interdit

 

J’habite maintenant aux bornes du jour

Entre la difficulté d’être et l’arrogance de vivre

Guidé par l’appel guttural du lointain

J’arrive de la mer et je quête l’essentiel

Dans l’oasis des mots conquis par l’exil

J’ai souvent franchi les murailles du doute

Pour te rencontrer dans l’étonnement

Nourri de l’histoire

Qui m’apprend le sens du péril

J’augure d’un lieu où soudain

Vacille l’inquiétude

 

Je veux revenir vers ma source

Car maintenant que j’assume

L’orgueilleuse connaissance du matin

Il m’est besoin d’aller vers les rives mémorielles

Car maintenant et surtout

J’envisage de fonder ma demeure

Dans le langage où s’alitent

Les mots du poème et de la vie

Que m’importe à présent de me regarder observer

Quand la source du matin m’emplit d’orgueil

Je désire revenir à l’éloge des choses simples

 

C’est promis :

Je laisse le pass à sa triste compassion

Pour saluer l’Aurore qui carcaille

Quand je fais usage de la syntaxe de l’occident

J’ai promis de sceller mon cœur

Dans l’écorce de la sincérité

Ayant repris place dans la parole culbutée

Qui préfigure les choses dites avec parcimonie

Je veux vivre

Pour recommencer le cycle des images séminales

Je veux accorder ma terre

A la genèse des pierres

 

Voilà j’ai fait escale au havre du soir

Pour apprendre à tutoyer les hommes de mer

Anonyme passant je chemine vers l’ailleurs

Je suis le feu qui virilise je suis l’eau

La terre l’arbre la pierre

J’ai choisi de vivre dans la connivence du matin

Solitaire migrant que pourchasse l’anxiété

J’arpente les rues où gît l’angoisse du paralytique

Je crie au jour j’invective je vitupère

 

Voilà que maintenant on me laisse partir

A la rencontre des hommes de haute mémoire

Pour reconstruire la cathédrale de l’immense

J’en ai assez de vivre environné par la peur

Car à tort ou à droit je dois marcher

Sur les trottoirs où prend sens la Révolution

Il est temps

Que je dialogue avec les femmes enceintes

Qui portent à califourchon

La misère et l’analphabétisme

Il est temps

Que je traverse le siècle en vociférant

 

Disciple de la nuit

Qui m’absout du doute

Je cherche asile

Dans la dynastie des éléments

Je veux être l’amant des choses humbles

Qui participent au cérémonial de la parole

En route pour l’inconnu

Je transite vers la mer

Et voici que soudain

Rendu à la conscience de l’absurde

J’interroge ma naissance

Au sortir d’un rêve éveillé

A la recherche d’une patrie réelle

J’ai fondé mon clan dans l’exil

Et je t’écris de loin pour retrouver l’indispensable

 

J’ai fondé mon poème

Dans l’austère rigueur du langage

Tandis que dans l’ample résidence des mots

Qui saisissent la pensée discrète des choses

Je salue ma race conviée aux noces de la parole

Je salue ma terre qui vaque à son animisme

Ayant fait pèlerinage aux grottes conventuelles

Pour forcer l’arcane de la difficile Vérité

Il me plaît d’extraire du poème le Fondemental

 

Pierres hargneuses du matin

Me voici dans votre illustre demeure

Conquérant d’un empire phallique

Je demande aux Dieux qui s’humanisent

De m’accepter parmi les précepteurs de l’Obscur

Afin que soumis à leur austère enseignement

J’apprenne à me situer par rapport à la probité

 

Car j’ai fait halte

Dans l’amère connaissance

Pour renaître à l’Espérance fille aînée du Désir

 

Déjà renaît l’aube qui m’apostrophe

A mesure que je me penche sur les mots

Pour accorder le rêve

A la torrentielle réalité

Déjà dans l’ardeur du présent

Un poète cherche retraite

Dans la parole signifiante

Dans la souffrante beauté de l’écriture

Je ne porterai plus la croix du désespoir

Toujours rendu à mon identité

Je reprendrai force dans la parole hybride

Ayant su approcher la résidence du langage

 

A force de plaider

Dans l’équivoque des mots

Je t’ai souvent rencontré

A l’angle de la rue – imagination

Pour te parler de l’acariâtre terre

Qui bientôt aura besoin de moi

Quand je cesserai d’être

L’artisan de mon destin

Je veux atteindre la citadelle de l’espoir

Pour apprendre à vaincre le doute

Qui m’assaille où que j’aille d’être

Dévoué à mon lignage

 

Hors de moi comment me reconnaître

J’oublie d’être seul

Pour parler le dialecte de l’immense

Ma force est dans la vision

Ma force est dans l’insolence

J’ai longtemps cherché à te rencontrer

Dans la vérité qui blanchit au soleil

Et voilà que confié

Au poème de la Renaissance.

J’adhère à la félicité de mon peuple

Dans l’expectative du lointain

Et voilà qu’ulcéré de chagrin

Je rentre dans l’auge du silence

Tandis que s’émeut la conscience de l’homme triomphal

 

Douloureux matin de l’écriture

Me voici de retour

Dans la maison natale

Tout imprégné

Du silence de l’angoisse

Je reviens de loin

Porteur de la simplicité du jour

Pour faire amitié

Avec la Révolution

Qui m’appelle

Dans la nuit à trame de conspiration

Ici sont fascinés pour toujours

Les yeux qui s’ouvrent à la révolte

D’un peuple

Longtemps abandonné au doute

 

Ici

Dans la rigueur qui ordonne

Un peuple marche

Dans l’honneur

Et je retrouve mon antique orgueil

En ce matin où s’absurde le Monde

Ici et maintenant

J’apprends à parler le dialecte de l’opprimé

Dans le tumulte

De cette foule hostile au passé

Dissuadant l’aujourd’hui

 

Homme de mer citoyen de nul territoire

J’écris sur la grève les mots qui disent l’inaccompli

Qui ne savent plus nommer la terre

Car la terre est restée pensive

Sous le poids des siècles

Mais demeure la mémoire qui rappel1e

Les faits saillants de l’enfance

Qui jette l’ancre dans la violence

Pour retrouver le sens de l’engagement

J’écris sur l’herbe velue du matin

M’inclinant vers le siècle finissant

Vieille Afrique me voici tourné résolument

Vers l’Avenir

La tête penchée du côté de l’horizon

Les yeux fixés sur l’homme en développement

J’imagine un monde enclos de formes nouvelles

Où l’homme de l’homme s’éprend

Assis parmi les pierres ponces du savoir

 

Je ne parle plus

Dans l’opulence du silence

Ayant cessé

De gravir les pics du langage

Pour vivant te retrouver

Au cœur vivant de récriture

Je dois m’efforcer de retourner à la mer

Pour rencontrer l’homme de vigie

Car je suis de la mer et je compose

Avec les hommes de haut parage

O mer et l’ultime vision du lointain

Voici que de nouveau

Je m’allonge sur la nappe glauque du Temps

Porteur de la rancune des éléments

Voici qu’il m’est donné de te parler

Dans la nécessaire répétition des mots

Je voudrais m’en aller d’ici

Je voudrais n’être plus que ce migrant

Qui dans l’insolence et le cri traverse

La mémoire mutilée du monde

Qu’on me laisse partir

A la rencontre du désir et de l’épanouissement

Car là-bas au carrefour où se renouvellent

L’allégresse et l’angoisse de vivre

J’ai scellé ma pensée à l’écorce de l’espérance

Tandis qu’à pas de vent j’avance

Dans la réalité soumise à l’ambiguïté

Acharné à clarifier la mémoire de ma terre

J’aborde les rives où s’organisent l’amour et la vie

Je sais il m’en coûte

D’indéfiniment écrire à la première personne

D’être là au voisinage de l’écriture

Pour tenter d’apprivoiser les mots de l’intime

Je sais mais qu’est-ce qu’il y a

Qu’est-ce qu’on n’arrête point de m’en vouloir

Moi cet homme qui s’accuse d’être ici

A faire naufrage dans l’absurdité

D’un monde placé sous la houlette du mépris et de l’égoïsme

Je ne gravirai pas les cimes où s’affole l’Absolu

Car je veux me mêler à mon peuple claudicant

Je ne suis pas de ceux qui s’enferment

Dans les couvents pour officier la liturgie du Verbe

Je ne suis pas de ceux qui se pavanent

Dans le langage au mépris des sous-alimentés de l’esprit

Je veux atteindre le seuil fraternel de l’écrit

Gouverné par l’effusion et l’emphase

 

Je réclame à la poésie le droit à la contradiction

Je demande à la poésie l’assise sociale

Je ne céderai pas à l’emprise de l’inutile

Parvenu en ce lieu précis où s’alimentent le rêve et le réel

Je m’éveille à la multitude tandis que s’aphone le Ciel

Tandis qu’allant de l’emphase au dénuement

Je donne forme au réel dépaysé

 

J’ai découvert le secret

Des sources maternelles

Lors je puis te parler

Dans la violence sereine des mots

Ayant reconnu ma voix

Dans la haute citadelle de l’affirmation

Je m’appuie à la métaphore

En cette capitale où s’illumine le destin

D’un poète à jamais maître de son ignorance

J’ai reconnu ma source

A l’orée du chant

A cette heure où la nuit s’arme

Pour l’éveil

 

Maintenant

Je prends congé de l’écriture

Plus rien désormais

N’inscrira mon pas

Sur la haute falaise du langage

Je laisse à la mer le soin de me guider

Dans l’enfance intemporelle

Je me hâte d’atteindre les rives du silence

Où s’amorce le signifiant

Une langue nouvelle m’enfante

Dans l’enclos des mots promis à la totalité

Une langue séditieuse m’émeut où je parle

 

Ainsi parlait le poète dans la générosité

Des mots dédiés à l’éternel passant