JE – TOUJOURS JE ou dédicace pour un pronom pluriel
Ethiopiques numéro 18
Revue socialiste
de culture négro-africaine
avril 1979
ici, en ce lieu où s’image la parole de l’aubain, l’écriture est citadelle du poème
ici où s’animent les mots, la parole est demeure de l’étrange
Les siècles passent qui m’honorent
Tandis que je construis ma vie
Dans la générosité des pierres
Qui m’orientent vers l’universel
Banni de l’immense
Je marche dans le soir vitalisant
Pour à l’exil rendre toute sa plénitude
Et je retrouve au pied des autels
Mon peuple qui me parle à travers
Les lourds barreaux du désenchantement
Je parle avec les mots du jour
Afin que s’enlise le désespoir
De mon peuple englué dans le mutisme
Car les mots sont devenus attentifs
Aux gestes inavoués de la multitude
J’ai pris rendez-vous avec les hommes d’action
Afin que dans les rues et les geôles
S’éveille une nouvelle race d’hommes
Appelés à s’affirmer dans le feu de l’insurrection
J’ai pris rendez-vous avec l’Espérance du grand matin
J’arrive
D’une ville hantée de grèves syndicales
Ayant déserté l’enclos du passé
Tout occupé à parler aux hommes d’ici
J’affronte la nuit
Quand perdure la certitude de vivre
Et voici que remis à l’opacité du silence
J’en suis venu à vivre selon le quotidien
J’ai juré d’atteindre les hautes demeures
Où l’Homme s’habille de mots fraternels
J’ai juré d’être à la traîne du merveilleux
Car je suis dehors pour m’accorder à l’exil
Qui alimente la solitude
Dans ce pays de transit
Où j’écris pour rattraper le temps posthume
Afin que se réalise l’alliage de l’art et de la pensée
Afin que ceux qui dans l’exaltation
Parlent d’abîme et rêvent de hauteur
Réinventent leur vie à la pointe de l’aube
Dans la proximité du langage
Car je suis la lumière secrète du jour
Qui illumine la sombre demeure des mots
J’ai repris la route qui mène vers le soleil
Pour atteindre la pleine lumière
Maintenant que j’emprunte les sentiers de la vérité
Qui s’inaugure dans la dialectique du vécu
Je suis comme l’ignorant qui accède à l’émerveillement
Je suis comme l’absent qui assume sa répudiation
Je suis en ce lieu de vérité lapidaire
Pour saisir la trame de l’utile
Au carrefour des mots lestés de simplicité
Mon langage renouvelle l’insolite
Aux dimensions du poème que j’écris
Plongé dans l’intrigue de l’existence
J’ai toujours manifesté le désir de partir
A l’aube
Quand le poème s’avoue corps
Ou se ressource dans l’ellipse
J’ai longtemps écrit sur l’écorce du monde
L’histoire toujours recommencée de l’exil
J’ai longtemps parlé de ce qui nous émeut
Au plus fort de l’incompréhensible
Quand les mots traquent l’anecdote
Pour exorciser la réalité à mouvance sociale
A présent que mon geste impose le silence
La réalité m’abandonne
Sur sa vertigineuse pente
Et sur le noir tableau de nos préoccupations majeures
J’écris pour entrer en pourparlers avec la vie
Pour faire l’apologie du possible
Il me faut refaire connaissance avec le réel
Aux charniers du présent où l’homme de piste
Marche guidé par l’appel du large
Il me faut accéder à la morale de l’étrange
Il me faut accéder à la morale de l’étrange
Pour te rencontrer
Dans l’écriture aliénée à sa propre merveille
C’est le matin et je chemine
Avec ma parole délinquante
Sans cesse rameutant les mots fécondants
Toujours à l’abri des dogmes clinquants
J’écris pour établir des liens d’amitié
Avec l’algue et la pierre le vent et le soleil
J’avance à l’orée d’une terre d’élégie
Ayant ouvert les yeux sur les choses
Qui prennent vigueur au creux de la nuit
Je retourne à la terre ferme
Boîtant sur les pavés où s’anime mon peuple
Je retourne à l’empire de l’enfance
Pour en sa candeur apprivoiser la vie
Je suis la brèche ouverte dans le langage
Epris de choses accordées
Je vais vers les arbres et toujours poursuivi
Par le cri lancinant du terroir
Je chemine vers la lumière
Qui prolonge ma nocturne raison d’écrire
Je veux atteindre la cité de l’homme de mesure
Prendre part à la farandole des hommes de taille
J’ai la carrure d’un homme de montagne
Et je te parle de loin en cette terre d’hivernage
Où rivés à la mémoire radieuse de leur peuple
Les poètes – humbles serviteurs du réel
S’accomplissent dans la parole qui préside à la Vie
J’ai besoin des mots pour lutter contre le pire
Pour au loin porter le rêve déliriel de l’homme
J’ai besoin d’une torche de salut
Pour éclairer les routes grenues du vieux monde
Je suis l’aubain qui traverse les rues à sperme
Je suis le migrant qui foule aux pieds l’interdit
J’habite maintenant aux bornes du jour
Entre la difficulté d’être et l’arrogance de vivre
Guidé par l’appel guttural du lointain
J’arrive de la mer et je quête l’essentiel
Dans l’oasis des mots conquis par l’exil
J’ai souvent franchi les murailles du doute
Pour te rencontrer dans l’étonnement
Nourri de l’histoire
Qui m’apprend le sens du péril
J’augure d’un lieu où soudain
Vacille l’inquiétude
Je veux revenir vers ma source
Car maintenant que j’assume
L’orgueilleuse connaissance du matin
Il m’est besoin d’aller vers les rives mémorielles
Car maintenant et surtout
J’envisage de fonder ma demeure
Dans le langage où s’alitent
Les mots du poème et de la vie
Que m’importe à présent de me regarder observer
Quand la source du matin m’emplit d’orgueil
Je désire revenir à l’éloge des choses simples
C’est promis :
Je laisse le pass à sa triste compassion
Pour saluer l’Aurore qui carcaille
Quand je fais usage de la syntaxe de l’occident
J’ai promis de sceller mon cœur
Dans l’écorce de la sincérité
Ayant repris place dans la parole culbutée
Qui préfigure les choses dites avec parcimonie
Je veux vivre
Pour recommencer le cycle des images séminales
Je veux accorder ma terre
A la genèse des pierres
Voilà j’ai fait escale au havre du soir
Pour apprendre à tutoyer les hommes de mer
Anonyme passant je chemine vers l’ailleurs
Je suis le feu qui virilise je suis l’eau
La terre l’arbre la pierre
J’ai choisi de vivre dans la connivence du matin
Solitaire migrant que pourchasse l’anxiété
J’arpente les rues où gît l’angoisse du paralytique
Je crie au jour j’invective je vitupère
Voilà que maintenant on me laisse partir
A la rencontre des hommes de haute mémoire
Pour reconstruire la cathédrale de l’immense
J’en ai assez de vivre environné par la peur
Car à tort ou à droit je dois marcher
Sur les trottoirs où prend sens la Révolution
Il est temps
Que je dialogue avec les femmes enceintes
Qui portent à califourchon
La misère et l’analphabétisme
Il est temps
Que je traverse le siècle en vociférant
Disciple de la nuit
Qui m’absout du doute
Je cherche asile
Dans la dynastie des éléments
Je veux être l’amant des choses humbles
Qui participent au cérémonial de la parole
En route pour l’inconnu
Je transite vers la mer
Et voici que soudain
Rendu à la conscience de l’absurde
J’interroge ma naissance
Au sortir d’un rêve éveillé
A la recherche d’une patrie réelle
J’ai fondé mon clan dans l’exil
Et je t’écris de loin pour retrouver l’indispensable
J’ai fondé mon poème
Dans l’austère rigueur du langage
Tandis que dans l’ample résidence des mots
Qui saisissent la pensée discrète des choses
Je salue ma race conviée aux noces de la parole
Je salue ma terre qui vaque à son animisme
Ayant fait pèlerinage aux grottes conventuelles
Pour forcer l’arcane de la difficile Vérité
Il me plaît d’extraire du poème le Fondemental
Pierres hargneuses du matin
Me voici dans votre illustre demeure
Conquérant d’un empire phallique
Je demande aux Dieux qui s’humanisent
De m’accepter parmi les précepteurs de l’Obscur
Afin que soumis à leur austère enseignement
J’apprenne à me situer par rapport à la probité
Car j’ai fait halte
Dans l’amère connaissance
Pour renaître à l’Espérance fille aînée du Désir
Déjà renaît l’aube qui m’apostrophe
A mesure que je me penche sur les mots
Pour accorder le rêve
A la torrentielle réalité
Déjà dans l’ardeur du présent
Un poète cherche retraite
Dans la parole signifiante
Dans la souffrante beauté de l’écriture
Je ne porterai plus la croix du désespoir
Toujours rendu à mon identité
Je reprendrai force dans la parole hybride
Ayant su approcher la résidence du langage
A force de plaider
Dans l’équivoque des mots
Je t’ai souvent rencontré
A l’angle de la rue – imagination
Pour te parler de l’acariâtre terre
Qui bientôt aura besoin de moi
Quand je cesserai d’être
L’artisan de mon destin
Je veux atteindre la citadelle de l’espoir
Pour apprendre à vaincre le doute
Qui m’assaille où que j’aille d’être
Dévoué à mon lignage
Hors de moi comment me reconnaître
J’oublie d’être seul
Pour parler le dialecte de l’immense
Ma force est dans la vision
Ma force est dans l’insolence
J’ai longtemps cherché à te rencontrer
Dans la vérité qui blanchit au soleil
Et voilà que confié
Au poème de la Renaissance.
J’adhère à la félicité de mon peuple
Dans l’expectative du lointain
Et voilà qu’ulcéré de chagrin
Je rentre dans l’auge du silence
Tandis que s’émeut la conscience de l’homme triomphal
Douloureux matin de l’écriture
Me voici de retour
Dans la maison natale
Tout imprégné
Du silence de l’angoisse
Je reviens de loin
Porteur de la simplicité du jour
Pour faire amitié
Avec la Révolution
Qui m’appelle
Dans la nuit à trame de conspiration
Ici sont fascinés pour toujours
Les yeux qui s’ouvrent à la révolte
D’un peuple
Longtemps abandonné au doute
Ici
Dans la rigueur qui ordonne
Un peuple marche
Dans l’honneur
Et je retrouve mon antique orgueil
En ce matin où s’absurde le Monde
Ici et maintenant
J’apprends à parler le dialecte de l’opprimé
Dans le tumulte
De cette foule hostile au passé
Dissuadant l’aujourd’hui
Homme de mer citoyen de nul territoire
J’écris sur la grève les mots qui disent l’inaccompli
Qui ne savent plus nommer la terre
Car la terre est restée pensive
Sous le poids des siècles
Mais demeure la mémoire qui rappel1e
Les faits saillants de l’enfance
Qui jette l’ancre dans la violence
Pour retrouver le sens de l’engagement
J’écris sur l’herbe velue du matin
M’inclinant vers le siècle finissant
Vieille Afrique me voici tourné résolument
Vers l’Avenir
La tête penchée du côté de l’horizon
Les yeux fixés sur l’homme en développement
J’imagine un monde enclos de formes nouvelles
Où l’homme de l’homme s’éprend
Assis parmi les pierres ponces du savoir
Je ne parle plus
Dans l’opulence du silence
Ayant cessé
De gravir les pics du langage
Pour vivant te retrouver
Au cœur vivant de récriture
Je dois m’efforcer de retourner à la mer
Pour rencontrer l’homme de vigie
Car je suis de la mer et je compose
Avec les hommes de haut parage
O mer et l’ultime vision du lointain
Voici que de nouveau
Je m’allonge sur la nappe glauque du Temps
Porteur de la rancune des éléments
Voici qu’il m’est donné de te parler
Dans la nécessaire répétition des mots
Je voudrais m’en aller d’ici
Je voudrais n’être plus que ce migrant
Qui dans l’insolence et le cri traverse
La mémoire mutilée du monde
Qu’on me laisse partir
A la rencontre du désir et de l’épanouissement
Car là-bas au carrefour où se renouvellent
L’allégresse et l’angoisse de vivre
J’ai scellé ma pensée à l’écorce de l’espérance
Tandis qu’à pas de vent j’avance
Dans la réalité soumise à l’ambiguïté
Acharné à clarifier la mémoire de ma terre
J’aborde les rives où s’organisent l’amour et la vie
Je sais il m’en coûte
D’indéfiniment écrire à la première personne
D’être là au voisinage de l’écriture
Pour tenter d’apprivoiser les mots de l’intime
Je sais mais qu’est-ce qu’il y a
Qu’est-ce qu’on n’arrête point de m’en vouloir
Moi cet homme qui s’accuse d’être ici
A faire naufrage dans l’absurdité
D’un monde placé sous la houlette du mépris et de l’égoïsme
Je ne gravirai pas les cimes où s’affole l’Absolu
Car je veux me mêler à mon peuple claudicant
Je ne suis pas de ceux qui s’enferment
Dans les couvents pour officier la liturgie du Verbe
Je ne suis pas de ceux qui se pavanent
Dans le langage au mépris des sous-alimentés de l’esprit
Je veux atteindre le seuil fraternel de l’écrit
Gouverné par l’effusion et l’emphase
Je réclame à la poésie le droit à la contradiction
Je demande à la poésie l’assise sociale
Je ne céderai pas à l’emprise de l’inutile
Parvenu en ce lieu précis où s’alimentent le rêve et le réel
Je m’éveille à la multitude tandis que s’aphone le Ciel
Tandis qu’allant de l’emphase au dénuement
Je donne forme au réel dépaysé
J’ai découvert le secret
Des sources maternelles
Lors je puis te parler
Dans la violence sereine des mots
Ayant reconnu ma voix
Dans la haute citadelle de l’affirmation
Je m’appuie à la métaphore
En cette capitale où s’illumine le destin
D’un poète à jamais maître de son ignorance
J’ai reconnu ma source
A l’orée du chant
A cette heure où la nuit s’arme
Pour l’éveil
Maintenant
Je prends congé de l’écriture
Plus rien désormais
N’inscrira mon pas
Sur la haute falaise du langage
Je laisse à la mer le soin de me guider
Dans l’enfance intemporelle
Je me hâte d’atteindre les rives du silence
Où s’amorce le signifiant
Une langue nouvelle m’enfante
Dans l’enclos des mots promis à la totalité
Une langue séditieuse m’émeut où je parle
Ainsi parlait le poète dans la générosité
Des mots dédiés à l’éternel passant