Poésie

ILE DE BOULAY

Ethiopiques n°52

revue trimestrielle

de culture négro-africaine

1e semestre 1989- vol. 6 n° 1

Ile de Boulay (Extrait) à Honoré de Sumo et Binda Nganzolo

Maintenant de l’écorce terrestre

Les jours se détachent qui s’en vont

Où s’embarquent les contradictions

Qui s’engrangent au petit jour

Au ressac de l’impondérable

O femme auprès de qui j’habite

Pour ne plus soliloquer au large du jour

Où s’illimite l’exil du poète

Je vais à la rencontre d’une forêt sacrée

Pour rouler mon angoisse aux pieds des divinités

Qui m’attendent pour l’ancien baptême païen

A la porte de la langue où j’attends

Que tangue mon cœur

Une embarcation abrège l’attente et nous allons

Portant à califourchon

L’imprévu et l’ivresse d’être

Des migrants à la rescousse du lumineux

Confrontés à la dure loi d’exister

Voici que maintenant assise à la droite

Du scribe une femme dérive dans l’amitié

Les cheveux en crinière la main au menton

Elle est là perdue dans sa déchirante beauté

Tandis que j’observe Abidjan s’ourlant de prodiges

A l’amont du matin et voici que dans la forêt sacrée

Où rôde la peur j’accède aux mythes d’origine

Mais quel myste vers moi s’avance

En ce lieu où l’orgueil ne prend pas

Où l’ordre païen s’agrippe à l’excessif

S’établit dans la mémoire des pierres

Nous avons fureté dans les bosquets

Où dans la solitude rament les dieux

Nous avons marché sans regarder par-dessus l’épaule

Pour ne pas croiser le double de quel ancêtre

Nous voici enfin obligés de parler

Dans la langue elliptique des fétichistes

Qui s’en vont porteurs de légendes et de maximes

A quelles divinités rendre obédience

Maintenant que m’interpelle l’ailleurs

Le jour balisé d’interdits

Proche et lointaine est la terre du poète

Vaquant aux cosmogonies insulaires

J’ai pris langue avec l’Officiant

Car dans la demeure du génie aquatique

Ne s’offre le dieu que lorsque s’éloigne l’impur

O lune reine des marécages et des marées

Laisse-moi cheminer avec le maître de terre

Car voici que l’île vit et sécrète ses énergies

Pour que l’homme maintenant parle

Un langage d’arrière-pays en s’armant de mystères

Aux pieds des divinités où l’Officiant

S’active dans la liturgie de l’en-deça

La foudre n’a pas suspendu sa hache

Sur nos têtes lourdes de projets

Mais le Mystère nous environne où les sentier

Conduisent à la profonde connaissance du Cosmos

Qui est matrice ouverte à la Participation

Ici la vie n’accède qu’à l’infuse science

Au fond profond des rites aquatiques

A mesure que l’île s’éprend de ses cosmologies

J’accède maintenant au pouvoir des ténèbres

Aux sollicitations des totems fondateurs

O maître des lieux accoudé à l’étrange

Où se mue le totémique python

Mes pieds dans l’espace sacralisé s’enlisent

Mais non je suis loin des sables mouvants

Porteurs de la mort spasmodique

Ile adossée à la langue tu es cette terre

Qui épouse la mobilité aérienne

Désormais captive de la vastitude

Mais qui parle de la toupie créatrice du monde

En ce lieu où le Temps bat le rappel du lignage

Dérive dans la mer agitée des concepts

J’habite de l’autre côté des cosmogonies

Où l’île œuvre à l’alliance des contraires

Disant l’Unité du Multiple dans la langue

De ceux qui dans l’énigme s’expatrient

Quand à ses déités retourne le village

Au parloir souterrain s’égare la voix

Du néophyte qui prend du repos

Tandis que la cantate des arbres aux joints

Des choses cesse d’être l’apanage de ceux

Qui vers la Connaissance de soi s’acheminent

De choses dites sans cesse se repaissent

Les sentiers où l’homme engage ses pas

Aux lieux d’épouvante mais d’ardeur

A l’allongée d’une langue qui dresse sa contradiction

Entre la hâte de partir et le désir de rester

Au faîte du jour l’île s’entête à exister

Prise aux filets des rites sacrificiels

Vers quels augures s’avance maintenant

L’île arquée sur l’immanence du divin

Compatissant à la vanité de dieux courroucés

Boulay où sont passés les Ebrié

Recluse de sagesse est l’île qu’enclave

La fureur de vivre au large du matin

Ailleurs mais sans doute ici un homme s’en va

Qui n’a plus peur du double de son double

Boulay où sont passés les Ebrié

J’ignore où se pavane le dieu-tonnerre

Dont l’oraculaire voix terrifie le novice

Les sentiers sont accomplissement de l’être

Lorsque l’arrière-pays sur ses larges épaules

Porte le divin au lieu de toute transhumance

Boulay où sont donc passés les Ebrié

Voici soudain que s’inaugure la vraie vie

Que je dialogue avec les hommes de mesure

Qui campent dans le Mystère afin que l’être

Longe les remparts du Temps à la recherche

Des divinités gardiennes des hautes demeures