Culture et civilisations

HOMERE A BYZANCE

Ethiopiques numéro 53

revue semestrielle

de culture négro-africaine

1er semestre 1991

Hommage à Senghor

Forum d’Asilah (Maroc)

Byzance qui s’est toujours considérée comme une nouvelle Rome s’est pourtant montrée l’héritière de la culture grecque. On sait que le grec était la langue nationale de l’Empire et l’engouement pour les textes de la Grèce antique se retrouve chez tous les lettrés byzantins.

Ce qui frappe cependant, c’est la place de choix qu’occupe Homère dans les cercles intellectuels byzantins où ses poèmes sont tenus non seulement pour une oeuvre littéraire mais encore pour un manuel d’éthique. Il n’est donc pas étonnant que toute l’émotion homérique nous soit venue de l’Empire byzantin.

Toutefois, force est de signaler le rôle important que les romans de Dictys et de Darès ont joué dans l’introduction de la geste troyenne à Byzance. Immense fut le succès que ces récits ont connu dans l’Antiquité et le Moyen Age grec. Aussi bon nombre d’écrivains byzantins en ont-ils subi l’influence.

  1. Avant le XIIe Siècle

L’illustration la plus éclatante de cette influence est fournie par l’ouvrage de Jean Malalas intitulé Chronique Universelle. Cet écrivain du VIe siècle, originaire d’Antioche, a rédigé une oeuvre dont l’unique manuscrit conservé reste incomplet. Elle commence par la Création et s’achève sur la fin du règne de Justinien I. [1].

Le livre V de cette fresque monumentale est consacré à la légende de Troie qui est située au temps de David, 4755 ans après Adam. L’histoire est ainsi racontée.

A la naissance de Paris, un oracle avait prédit que l’enfant causerait la mine de sa patrie. Pour éviter l’accomplissement de la prophétie, le père le fit élever à la campagne. Devenu adulte, Paris revint à Troie mais bientôt se rendit à Sparte, au palais de Ménélas. Celui-ci l’accueillit avec beaucoup d’hospitalité avant de partir pour la Crête. Profitant de son absence, Paris enleva son épouse Hélène et ses trésors. Mis au courant du forfait commis par l’étranger, les Atrides envoyèrent à Troie une ambassade pour réclamer la jeune femme. Devant le refus de Priam et de ses enfants, la guerre fut décidée. Le rassemblement des troupes recrutées a travers toute la Grèce eut lieu à Aulis. Au moment du départ vers Ilion, le mauvais temps se déclara. Alors le devin Calchas annonça qu’Agamemnon devait sacrifier sa fille Iphigénie. Aussitôt, Ulysse, par ruse, fit venir la jeune fille qui allait être immolé quand elle fut remplacée sur l’autel par une biche. Ensuite, les Grecs firent voile en direction de Troie. Des que les Troyens les aperçurent, ils tentèrent de les repousser. Des deux côtés tombèrent de nombreux guerriers. Puis les Grecs allèrent piller les villes d’alentour. Achille, en compagnie d’Argiens et de Myrmidons, attaqua les cités environnantes d’où il rapporta, entre autres captives, Astynome, dite Chryséis et Hippodamie, appelée Briséis. Quant à Ajax, il enleva Tecmesse après avoir tué au combat son père, le roi Teuthras.

A ce point du récit, Malalas présente deux séries de portraits de héros homériques. D’abord il décrit les Grecs Mérion, Idoménée, Philoctète, Ajax le Locrien, Pyrrhos ou Néoptolème. Hector, Deiphobe, Hélénos, Troîlos, Pâris ou Alexandre, Enée, Glaucos, Anténor, Hécube, Andromaque, Cassandre, Polyxène.

Vient alors le catalogue des vaisseaux grecs que l’auteur évalue à 1250 et la première partie du livre V s’achève sur la prise de Troie avec son cortège de massacres et de pillages.

La seconde partie s’ouvre sur les préparatifs pour le retour des Grecs après la guerre. Une dispute éclata au sujet du Palladium entre Ajax, fils de Télamon Ulysse et Diomède. Chacun fit valoir ses hauts faits en vue de l’obtention de cette statue en bois ayant pour vertu de rendre inexpugnable la ville qui la possédait. Finalement, le talisman fut confié à Diomède jusqu’à ce que fût désigné celui qui le méritait. Ajax, se sentant lésé, se donna la mort.

L’Odyssée commence alors avec les aventures d’Ulysse qui ponctuèrent ses errances à travers les mers : les épisodes des Lotophages, du Cyclope, de Circé, de Calypso, des Sirènes.

Malalas évoque ensuite les retours de Diomède et d’Agamemnon dans leurs patries et décrit les honneurs funèbres rendus par Néoptolème à Ajax.

Alors apparaît Teucros, frère d’Ajax, qui remercie Néoptolème pour es funérailles du héros. Puis l’historien, usant d’un procédé littéraire fort expressif, cède la parole à l’arrivant qu’interroge le fils d’Achille.

Ainsi Teucros relate longuement le meurtre d’Hector par Achille et le rachat du corps par Priam avant d’en arriver à l’histoire du Penthésilée, reine des Amazones et de Memnon, roi des Ethiopiens, venus au secours de Troie et mis à mort par Achille. Il clôt son récit par les circonstances de l’assassinat d’Achille perpétré par Pâris et Deiphobe.

Malalas aborde alors la légende des Atrides avec le complot mortel ourdi contre Agamemnon par sa femme Clytemnestre qui avait comme complice son amant Egisthe, la vengeance de son fils Oreste qui tua sa mère et le jugement du matricide qui a été à la fin acquitté par l’Aréopage. On voit ensuite Oreste se rendant en Scythie accompagne de son ami Pylade. Là, ils trouvent Iphigénie devenue prêtresse de Diane. Les habitants du pays pratiquent un culte barbare qui exige le sacrifice des étrangers. Les deux amis sont sur le point d’être immolés lorsque se produit une scène de reconnaissance entre le frère et la soeur. Ensemble, ils s’enfuient de la région pour se diriger vers la Palestine, puis vers la Syrie. Le roi de Scythie Thoas envoie des hommes pour les poursuivre. Apres de nombreuses péripéties, les trois compagnons reviennent en Grèce.

Comme on le constate, Malalas a suivi fidèlement ses sources qu’il cite nommément.

Le poète tragique Euripide lui a fourni les éléments de la légende contenus dans le Cyclope, Iphigénie à Aulis et Iphigénie en Tauride.

Quant aux informations relatives aux affaires troyennes, il les a puisées chez Dictys de Crête dont le nom revient à plusieurs reprises sous sa plume. Lui-même nous révèle l’identité de son modèle, lorsqu’il écrit :

« Comme le très savant Dictys de Crête a transmis avec véracité à la postérité des faits qui ont été évoqués et tout le reste relatif aux Grecs qui ont fait campagne à Ilion. Dictys se trouvait avec Idoménée qui combattait en première ligne pour les Danaens et qui était venu dans cette guerre avec les autres Achéens. Ce Dictys était le secrétaire d’laoménée. Il a vu exactement les péripéties de la guerre et les a consignées en tant que témoin présent à cette époque parmi les Grecs. Il a mentionné tous ceux qui ont été mandés par les rois Agamemnon et Ménélas, tous ceux qui se sont armés et sont venus avec l’expédition, chacun avec ses troupes et ses navires » [2].

Plus loin, Malalas ajoute :

« Le savant Dictys, informe de ces événements par Ulysse, les a racontés ». [3]

et

« Ces faits, Dictys les a exposés dans son sixième chant » [4].

L’historien a également mis à contribution l’oeuvre de Sisyphe de Cos, ainsi qu’il en fait l’aveu :

« Les très savants Sisyphe de Cos et Dictys de Crête ont transmis ces informations à la postérité » [5]

Qui était cet auteur ? Malalas le précise :

« Sisyphe de Cos qui, avec Teucros, participa à la guerre a livré ces renseignements par ses écrits. Le poète Homère, ayant trouvé ce texte, composa l’Iliade et Virgile, la suite. Tout cela est aussi rapporté dans les ouvrages de Dictys, lesquels, plusieurs siècles après Homère et Virgile, ont été retrouvés dans un coffret, sous le règne de I’empereur Claude Néron » [6].

En réalité, de même que Dictys et Darès, Sisyphe de Cos ne serait que le pseudonyme d’un écrivain.

Toutefois, l’absence du nom de Darès de la Chronique universelle a aiguisé la curiosité de bon nombre de critiques. C’est en effet chez celui-ci que se rencontrent les portraits de héros que Malalas [7]attribué à Dictys. Ils ne figurent nulle part dans la version latine du récit de Dictys qui nous est parvenue. Peut être existaient-ils dans le texte grec.

Ces représentations, qui prétendaient tirer le caractère de l’apparence physique, obéissent à la méthode anatomique de la science physiognomonique. Particulièrement en vogue à Byzance, elles ont contribué non seulement à modeler les stéréotypes de visages destinés à fixer définitivement les personnages de la légende ou de l’histoire, mais encore à orienter l’art byzantin dans la tradition iconographique.

A côté de l’oeuvre de Malalas, force est de signaler le commentaire allégorique d’une grammairienne du VIe siècle nommée Démo. Il semble qu’Eustathe, dans la composition de ses commentaires, ait utilisé ce traité qui s’inspire de l’oeuvre du stoïcien Cratès de Mallos. Démo aurait propose une interprétation physique des allégories d’Homère en explicitant les rapports entre les éléments de l’univers.

Au cours du VIIe siècle, Théophile d’Edesson traduisit en syriaque l’lliade et l’Odyssée, tandis que le grammairien Kométas composa des épigrammes d’inspiration homérique.

Byzance s’est également illustrée par les études philologiques sur les textes d’Homère et nous a transmis les éditions savantes les plus importantes. Parmi les manuscrits de l’Iliade, certains se distinguent par l’abondance de leurs scholies. Il s’agit de Venetus 453 (B), de Towleyanus 86 (T) datant du XIe siècle et du Venetus 454 (A) qui remonte au Xe siècle [8]. Ce dernier manuscrit, découvert par d’Ansse de Villoison en 1779, est un parchemin de 327 pages écrites d’une main unique et comportant de riches scholies. Dans la marge gauche du texte sont employés les signes critiques tels que l’obel l’astérisqué, la diplé la diplé pointée et l’antisigma [9]

Mais le plus grand représentant de l’exégèse homérique du XIe siècle est Michel Psellos [10]. Cet écrivain double d’un homme d’Etat s’est proposé d’expliquer allégoriquement l’oeuvre d’Homère dans des écrits destinés à compléter sa paraphrase de l’Iliade. Psellos était convaincu que le salut de l’Empire byzantin était lié au développement de la connaissance de l’Antiquité. De plus, selon lui, l’hellénisme avait voilé sous les mythes la révélation chrétienne. Fortement nourri de néoplatonisme, il a puisé ses interprétations, en particulier, chez Porphyre, Jamblique et Proclos.

C’est ainsi qu’il a consacré un opuscule entier à la glose de la chaîne d’or évoquée au 8e chant de l’Illiade [11]. Se fondant sur une opinion néoplatonicienne, il montre que la chaîne d’or présente le lien divin qui unit chaque homme à un dieu particulier.

« La chaîne, écrit-il, est le symbole de l’entrelacement et de la liaison des éléments entre eux. Ainsi donc, les seconds tiennent aux premiers, les troisièmes aux seconds, et ainsi de suite par contiguïté, et tous s’appuient sur le premier principe, qui est le Zeus des Grecs… Le corps s’élève vers l’âme, l’âme vers l’esprit, l’esprit vers Dieu » [12]

Telles sont en effet les hypostases dont parient les néoplatoniciens.

Mais de cette interprétation, Psellos passe rapidement à la transposition chrétienne en remplaçant Zeus par Dieu le Père.

Enfin, pour le XIe siècle, l’on ne peut passer sous silence George Cédrenus, auteur d’un abrégé d’Histoire [13] qui commence à la Création pour s’achever sur l’avenement de l’empereur Isaac Comnène en 1057.

Cédrenus, comme ses devanciers, intègre la légende troyenne à l’histoire de l’humanité. Les premiers chapitres de la relation montrent la naissance et l’enfance de Pâris, le rapt d’Hélène, l’expédition des Grecs contre Troie, la mort d’Hector, le rachat de son corps, les meurtres de Penthésilée et de Memnon, l’assassinat d’Achille et la prise de Troie. Ensuite, Cédrenus évoque la querelle du Palladium, les errances d’Ulysse, le retour tragique d’Agamemnon, le matricide d’Oreste et ses aventures en Scythie.

Les mêmes informations que fournissent ses prédécesseurs se retrouvent chez lui. La question qui se pose alors est de savoir si Cédrenus a suivi unesource commune ou s’il a subi l’influence d’écrivains comme Malalas.

Ainsi, à travers les siècles, la légende de Troie est restée un sujet de prédilection pour les lettres. Celle-ci, reprise ou transformée au gré des époques, n’a cesse de vivifier la littérature gréco-romaine. Toutefois, cette profonde admiration que Byzance nourrissait pour Homère n’a trouve son apogée qu’au XIIe siècle, véritable âge d’or des études homériques.

  1. Au XIIe Siècle

Homère devient alors le poète à la mode. Son oeuvre apparaît comme le chef-d’oeuvre du génie humain. Même les membres de la famille impériale s’adonnent à l’étude de l’Iliade et de l’Odyssée. Irène, l’épouse de l’Empereur Manuel, charge Jean Tzetzès [14] de lui expliquer Homère. Le grammairien lui dédie trois ouvrages destinés à lui faciliter la compréhension de l’oeuvre du poète :la Théogonie [15], le Commentaire à l’Iliade [16], les Allégories d’Homère [17].

La Théogonie débute par un prologue où Tzetzès loue les qualités intellectuelles et morales de l’impératrice. Puis il étudie la généalogie des dieux, des demi-dieux et des monstres. Apres quoi, il dresse le catalogue des guerriers troyens et grecs.

Les différentes parties de l’oeuvre sont reliées d’une manière très lâche. A la suite de la dédicace, Tzetzès introduit la liste des dieux par ce vers :

« Voici quelques-uns des premiers dieux et leur généalogie » [18].

De même, l’énumération des guerriers est annoncée brusquement par ces mots :

« Après t’avoir dit ces propos sur les dieux, venons-en brièvement aux héros les plus braves parmi les chefs grecs et troyens et parlons des effectifs des deux armées » [19].

Cette oeuvre plus érudite que littéraire constitue une imitation du poème éponyme d’Hésiode qu’il cite nommément [20]

Quant au second livre intitulé commentaire à l’Iliade, il s’agit d’un recueil de cours professé par Tzetzès où celui-ci critique ses devanciers. Publié en 1143, il a été ensuite complété par des annotations.

Les Allégories sont constituées de deux poèmes écrits en vers politiques dont dix mille nous sont parvenus. Tzetzès y consacre un long prologue à la naissance et à la vie d’Homère, retrace les événements de la guerre de Troie depuis le songe d’Hécube et la naissance de Pâris et accompagne le récit duplications allégoriques touchant à la physique, la morale et l’histoire.

Par ailleurs, pour compléter le récit d’Homère, Tzetzès a composé une oeuvre particulière intitulée les chants iliaques [21]. Le livre, divise en trois parties (Antehomerica – Homerica -Posthomerica) relate respectivement les faits antérieurs à l’Iliade, les scènes de ce poème et les épisodes ultérieurs. Ces écrits s’inspirent de Malalas, Quintus de Smyrne et Triphiodore.

Un autre membre de la famille impériale, Isaac le Porphyrogénète [22], frère d’Anne Comnène, a transmis son nom à la postérité à travers ses trois traites homériques.

Le premier, dont le titre est faits laissés par Homère [23], passe en revue les évènements liés à la guerre de Troie mais omis par le poète (premières guerres de Troie contre les Amazones et contre Héraclès, fondation d’Ilion, mort de Priam, métamorphose d’Hécube).

Les traits et caractères particuliers des Troyens et des Grecs à Troie [24] représentent des portraits physiques et moraux. Ces descriptions qui se fondent sur la science de la physiognomonie proviennent sans doute de Malalas qui lui-même les a extraites de Dictys de Crête.

Enfin, l’introduction à l’Etude d’Homère [25] inspirée de la Vita Homeri du Pseudo-Plutarque, comporte deux parties. L’une renferme des éléments biographiques sur Homère et une analyse de la composition des poèmes homériques. L’autre est consacrée à la langue et au style du poète.

Ces textes ont une valeur littéraire insignifiante mais leur intérêt réside dans les innombrables informations qu’ils nous livrent sur l’érudition byzantine.

De cette science, le plus grand maître demeure à cette époque Eustathe de Thessalonique [26]. Originaire de Constantinople, il devint archevêque après avoir été professeur de rhétorique. Dans la littérature et la civilisation byzantines, il occupe une grande place tant par ses travaux philologiques que par le rôle politique et religieux qu’il a joué.

Outre des écrits d’actualité comme les traités, les discours et les lettres ayant trait aux affaires religieuses, il a compose des commentaires sur les poètes anciens et particulièrement sur Homère.

Le traité homérique est intitulé :

Choix de commentaires sur l’Odyssée et l’Iliade d’Homère [27]

Les commentaires sur l’Iliade sont de loin plus importants que ceux de l’Odyssée. Eustathe traite également des différences poétiques entre les deux poèmes et de leur influence sur les écrivains postérieurs.

A une grande finesse d’interprétation, il allie des connaissances encyclopédiques. Son exégèse est particulièrement minutieuse. Ainsi, pour le commentaire du premier vers de l’Iliade, il ne consacre pas moins de douze pages in quarto [28]. Ses sources sont variées : scholies sur Homère, Athénée, Strabon, Etienne de Byzance, Héraclite de Milet, Aelius Denys, Pausanias, la Souda, l’Etymologicum Magnum.

Homère a donc connu une telle popularité au siècle des Comnènes que son oeuvre déteint sur toute la production littéraire. Même les historiens introduisent la légende de Troie dans leurs récits.

Constantin Manassès [29], auteur d’un précis d’histoire en vers, du commencement du monde jusqu’a Nicéphore Botaniate [30], relate longuement les affaires de Troie.

A la suite de l’histoire biblique, Menassès aborde le sujet de la guerre de Troie qu’il place sous le règne de David. Le fils de Priam et d’Hécube, Alexandre, s’étant rendu à Sparte, enlève Hélène, l’épouse du roi Ménélas et se dirige vers Troie. Mais des vents contraires les jettent sur les rives du Nil. Le roi du pays Protée retient la jeune femme et renvoie Alexandre avec des menaces. Mis au courant de ce rapt, les Grecs rassemblent une armée, en vue d’une expédition contre Troie, dans l’intention de reprendre Hélène. Manassès décrit les combats qui se déroulent devant les remparts de Troie entre Grecs et Troyens. Il raconte le complot funeste ourdi par ; Ulysse contre Palamède, ce qui déclenche la colère d’Achille plutôt que l’affaire de Briséis. Puis il aborde le récit de la mort de Patrocle et de celle d’Hector. Viennent alors au secours de Troie les Amazones, David et les Indiens qui sont défaits et tues par les Grecs. Achille, devenu amoureux de Polyxène, demande la main de la jeune fille. Au moment où le mariage va être célèbre, Deiphobe et Pâris le tuent par ruse. On fait venir à Troie son fils Pyrrhus. Les Grecs, instruit par un oracle, construisent un cheval de bois qui leur permet de s’emparer d’Ilion. De nouveau, Ménélas fait voile vers l’Egypte où se trouve sa femme. Protée la lui remet. Puis, il revient dans sa patrie. Pendant ce temps, son frère Agamemnon, de retour de Troie, est assassiné par Clytemnestre aidé de son amant Egisthe. Bientôt Oreste tue sa mère Clytemnestre pour venger son père.

Tel est le récit que Manassès nous a livré sur les affaires de Troie. Il est à constater que cette relation suit de très près celles de Stésichore, d’Hérodote et d’Euripide qui y intègrent des éléments égyptiens.

Par contre, Nicétas Choniate [31] reconnaît dans son Histoire qu’Hélène est allée en Egypte mais seulement à son retour de Troie. L’historien, à la fin de son ouvrage, s’interroge ainsi :

« Pourquoi Hélène aux bras blancs, aux beaux pieds et au long cou, celle qui a rassemblé tout le peuple Hélène à Troie, qui a abattu Troie, a-t-elle fait voile en direction du Nil et est-elle revenue de là aux mœurs des Lacédémoniens ? »  [32].

Ces écrivains ont subi l’influence de la littérature posthomérique. Et, à quelques variantes près, ils reproduisent la même version de la légende de Troie.

Conclusion

Tout cela atteste, outre la vogue que connut Homère au XIIe siècle, la pérennité de son oeuvre qui, au cours des âges, n’est jamais tombée en désuétude.

Si la prise de Constantinople par les Latins en 1204 et la partition de l’Empire ont engendré un certain déclin de la civilisation byzantine, les études homériques n’en ont pas moins continué dans le royaume grec de Nicée [33].

Au XIIIe siècle, Michel Senacherim, professeur de rhétorique et secrétaire impérial, compose un commentaire allégorique d’Homère tandis que Manuel Moschopoulos commente les deux premiers chants de l’Iliade. A la même époque, Jean Pédiasimos rédige un guide allégorisant des quatre premiers chants de l’lliade et Mathieu d’Ephèse public ses travaux sur le poète.

Au siècle suivant, un disciple de Planude, Georges Lecapène écrit des traites de grammaire et de rhétorique où sont abondamment cités les vers d’Homère. Il faut également mentionner, pour le XIVe siècle, la version grecque du roman de Troie de Benoît de Saint-Maur, L’Achilleide [34], la Métaphrase de l’Iliade de Constantin Hermoniakos [35], et un poème en grec vulgaire d’un auteur anonyme sur la guerre de Troie.

De plus, il existe deux précieux manuscrits de cette époque, riches en scholies, le Genevensis (44) (G), datant du XIIIe siècle et le Lipsiensis 32 (L), remontant au XIVe ou XVe siècle.

En définitive, une des gloires de cette culture est d’avoir sauvegarde la tradition homérique. C’est en effet par la richesse de la littérature byzantine, surtout au XIIe siècle, que le poète de l’Iliade et de l’Odyssée conserve cette fraîcheur et cette jeunesse si admirables.

Byzance avait en effet porté les études homériques à un si haut degré qu’elles survécurent avec bonheur à sa chute. A l’époque moderne, des 1488, Homère fut imprimé pour la première fois. En France, durant le XVIIe siècle, fut agitée la question homérique avec la parution des Conjectures Académiques de l’abbé d’Aubignac, sur l’unité des deux poèmes. Ces discussions furent ravivées au XVIIIe siecle par la publication des Prolegomena ad Homerum de Wolf.

Même au XXe siecle, le sujet n’a pas cessé de passionner les homérisants. Mieux, Homère continue encore à inspirer et à féconder la littérature contemporaine. En fait foi une pièce comme La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean GIRAUDOUX, représentée en 1935.

Ainsi, trois millénaires après son jaillissement, la source homérique ne s’est pas tarie. Elle coule intarissablement comme pour corroborer ces mots qui servaient de modèle à la première leçon d’écriture des écoliers grecs :

« Homère n’est pas un homme, C’est un Dieu ».

[1] Justinien 1er : 527-565

[2] Malalas Chronique Universelle V.107. Edition Luovicus Dindorfus. Bonn, 1831

[3] Ibid .122

[4] Ibid. 135

[5] Ibid. 119

[6] Ibid. 132

[7] Ibid. 107

[8] Mazon (Paul), Introduction à l’Iliade, Paris Les Belles lettres 1942, pages 9-10

[9] Ces signes ont des fonctions différentes.

L’obel marque une condamnation, une antithèse..

L’astérisque indique un vers jugé authentique et bien à sa place mais répété abusivement dans un autre passage du poème.

L’obel astérisqué signale une répétition abusive.

Le diplé renvoie le lecture à une note historique ou grammaticale ou à une variante. (>)

La diplé pointée révèle un désaccord entre les éditions d’Aristarque et celle de Zénodote.

L’antisigma souligne une réduplication ou une interversion de vers. (.)

C.f Mazon P. ibid. p.76

[10] Michel Psellos, né en 1018, a joué un grand rôle dans l’histoire de Byzance, en sa qualité de conseiller à la cour impériale. Il a publié ses mémoires dans sa Chronographie

[11] La chaîne d’or est évoquée aux vers 17 à 27 du chant VIII de l’Iliade.

« Alors vous comprendrez combien je l’emporte sur tous les dieux. Tenez, dieux, faites l’épreuve, et vous saurez tous. Suspendez donc du ciel un câble d’or : puis accrochez-vous-y, tous, dieux et déesses : vous n’amènerez pas du ciel à la terre Zeus, le maître suprême, quelque peine que vous preniez. Mais si je voulais, moi, franchement tirer, c’est la terre et la mer à la fois que je tirerais avec vous. Après quoi, j’attacherais le câble à un pic de l’Olympe, et le tout, pour votre peine, flotterait au gré des airs. Tant il est vrai que je l’emporte sur les dieux comme sur les hommes ! ».

Deux sortes d’exégèse ont été proposées. L’une physique, de tendance stoïcienne, symbolise les liens qui enchaînent les divers éléments de l’Univers en une indestructible unité. L’autre métaphysique, de tendance néoplatonicienne, souligne la relation qui existe entre l’homme et les puissances supérieures. (Cf. Levêque (P) Aurea Catena Homeri. Une étude sur l’allégorie grecque. Paris, Les Belles Lettres, 1959)

[12] Ibid. pages 79-80.

[13] Cédrenus (George), Historiarum Compendium in Corpus scriptorum Historiae Byzantinae, Tome I, Bonn, 1838.

[14] Jean Tzetzès (1110-1185). Sur la vie de cet écrivain, Cf. C. Wendel « Tzetzès » RE7 A (1948), 1960-1965.

[15] ed. I. Bekker. Abhdign. Berl. A Wiss 1840, 147-169. P. Matranga, Anecdota graeca II (1850) 577-598. J. Moravcsik, Byz. neugriech. Jahrbucher 7 (1929) 352-365. H. Hunger, Byz. Ztschr. 46 (1953) 302-307.

[16] ed. L. Bachmann. Scholia in Homeri Iliadem I (1835) 746-845 G.L. Calabro Bolletino Comit. prepar. ediz. naz. dei classici n.s. 12(1964-67-71).

[17] ed. P. Matranga 43-295 et J.F. Boissonade Tzetzae Allegoriae Iliadis (Paris 1857).

Les Allégories de la seconde moitié de L’Odyssée ont été publiées par H. Hunger, Byzantinische Zeitschrift 49 (1956)249-310 et par Franca Finocchiaro. Bool. Corn. per la preparazione dell edizione nationale dei classici gr. et lat. n.s. 5 (1957) 4561.

[18] Tzetzès Thégonie. V. 48.

[19] Ibid. vv.378-382.

[20] Ibid. v.29.

 

[21] ed. G.B. Schirach, Tzetzae Carmina Iliaca (Halle 1770).

[22] Isaac Le Porphyrogennète est le fils d’Alexis 1er Comnène et de l’Impératrice Irène Doukas.

[23] Ces 2 textes sont édités dans Polemonis declamationes. Leipzig, 1873 Hugo Hinck. pages 59-88.

[24] Ces 2 textes sont édités dans Polemonis declamationes. Leipzig, 1873 Hugo Hinck. pages 59-88.

[25] La première partie de ce traité a été éditée par J.F. KINDSTRAND, UPPSALA, ALMQVIST, WIKSELL, 1979.

[26] Eustathe de Thessalonique (1155-1195). Sur la vie d’Eustathe, cf. Karl KRUMBACHER. Geschichte der byzantinischen litteratur. New York 1897 U.S.A. (Traduit en français. Aix-en-Provence, 1969).

[27] G. Stalbaum, Eustathii… Commentarii, ad Homeri Odysseam I.II. (1825-1826 ; Nd 1960). Ders., Commentarii ad Homeri Iliadem. I-IV (1827-1830) Nd. 1960). M. Vender Valk, Eustathii archiepiscopi Thessalonicensis Commentarii ad Homeri Iliadem pertinentes ad fidem cod. Laurentiani editi. I(A-D)(1971).II(E-I), 1976..

[28] Ibid. pages 13-14.

[29] Constantin Menassès. Précis d’histoire en vers. ed. Emmanuel Bekker. Bonn. 1837.

[30] Nicéphore III Botaniate (1078-1081).

[31] Nicétas Choniate (XIIe siècle) est l’auteur d’une Histoire en 21 livres qui embrasse la période de 1180 à 1206. Il a également rédigé un petit traité sur les statues et les oeuvres de rhétorique

[32] Nicétas Choniate, Chronique. ex. rec. I. Bekkeri. Bonn. 1835. 863,3.

[33] Browning (R.) Homer in Byzantin, Viator, 6, 1975, 15,33.

[34] L’Achilléide est un poème épique en grec byzantin qui rappelle certaines scènes de l’Iliade.

[35] Constantin Hermoniakos était un poète attaché à Jean II Comnème Angelodoukas, despote d’Epire.

Son poème est rédigé à partir des matériaux de l’épopée homérique et des écrits des chroniqueurs byzantins. En 1526, Nicolas Loukanis en composa une version révisée qu’il publia à Venise.