Notes de lecture

FERDINAND, JE SUIS A PARIS DE JEAN-CLAUDE CHARLES, (BERNARD BARRAULT, PARIS, 1987)

Ethiopiques numéro 53

revue semestrielle

de culture négro-africaine

1er semestre 1991

Hommage à Senghor

Forum d’Asilah (Maroc)

Depuis la parution de son premier livre, Jean-Claude Charles est apparu comme un journaliste et un entomologiste ingénieux et indéfectible. Dans Ferdinand je suis à Paris, il décrypte des événements et des signes ambivalents et discontinus. Il construit un univers – dans lequel il entrepose ce qu’il collectionne volontairement ou involontairement : des souvenirs réels ou imaginaires, des signifiants lisibles ou illisibles, des extraits de conversations, des passages de livres, des airs de musique et des portraits de corps aimés et perdus. Le lexique auquel il a recours rend compte des délires et des délices mondains et humains. Les jeux de mots et divers autres procédés lui permettent d’explorer et d’exploiter les possibilités littéraires fondées par l’existence des circuits et jeux spatiaux prévalant dans le monde actuel. L’Amérique, Paris et Haïti deviennent des poules qui se font, se défont et se reconstruisent continuellement dans le roman. L’actualité haïtienne la plus récente apparaît omniprésente.

« Il y a quelque chose d’absolument terrifiant dans la manière dont une information se métamorphose en bruits, courants d’air, n’importe quoi », dit l’ecrivain-narrateur de Ferdinand je suis à Paris. Une telle information peut finalement devenir opaque. Elle peut, en se métamorphosant, devenir révélatrice d’une perte de sens. Elle peut également se muer en une donnée indéchiffrable. Tandis que Ferdinand passe le plus clair de son temps à Paris, Jenny vit à New York, du côté de Greenwich Village. Elle laisse, un jour, un message sur le répondeur de Ferdinand (un message sibyllin et énigmatique dans lequel elle précise néanmoins qu’elle se trouve à Paris). Ferdinand ne parviendra pas à la rencontrer immédiatement. Ce sont les pérégrinations et les ruminations (ou encore les récriminations, les peurs, les angoisses insensées, les quiproquos et les joies) précédant les retrouvailles de Jenny et de Ferdinand qui constituent le point de départ de la fiction.

Jenny est la « prison » de Ferdinand : « Jenny est la seule femme dont je vois le corps entier et tout le temps. Tous les autres corps me renvoient autre chose. A des fragments. A des membres. A des détails. Rarement à des ensembles coherents et beaux. Dans le meilleur des cas, à une fonction : tentative permanente d’oubli du corps de Jenny. Non, je ne l’aime pas. Non, je ne veux pas de toi. Jenny. Et l’apostrophe même me rappelle à elle. A toi », constate Ferdinand. Même ses libres amours le ramènent toujours vers elle, alors qu’il sait bien que son unique et ultime amour le « perdra » à force de le hanter : il s’emparera de lui, il le possédera et lui fera subir les conséquences désastreuses d’une incroyable mythification. Car, même durant son séjour parisien, Jenny fera preuve d’une « absence persistante » : Jenny sera, jusqu’au bout, un corps manquant. « La chimère fusionnelle » finira par se défaire : Ferdinand et Jenny se sépareront. L’amour se muera en une intense errance.

Entrelaçant des phrases lapidaires ou lacunaires, Jean-Claude Charles les laisse proliférer ou se disperser avant de les articuler autour de moments, d’objets ou d’individus emblématiques. Le travail de l’écrivain consiste, selon lui, à agencer et à confronter diverses propositions sur les phrases qu’il écrit, relève ou s’apprête à produire (cf. p. 91, 137, 155, 215). Son esthétique dépend, intimement, d’une éthique de l’écriture.