Mohamed Khaïr - Eddine
Poésie

ET LORSQU’ILS SE TAIRONT

Ethiopiques numéro 13, 1978

Revue socialiste

De culture négro-africaine

 

(A Léopold Sédar SENGHOR)

 

Et lorsqu’ils se tairont, je dirai : « Va-t’en, vieux diable !

Mais non ! oh non ! reviens embellir l’épi fort

Et le chant ridicule noué sur nos dos en hécatombes… »

 

Avec une musique que les cordes aigrissent,

Ils nous emboîtent et nous ceinturent ;

Avec leurs larmes où tu deviens tétard…

 

Haches et mots durs ! Machettes

Rouillant au râtelier primaire…

Mais qu’est-ce leur rabiot ? Dis-moi qu’est-ce ?

 

Nous même errant lambeau du seul

Éclat qui fit de vous cette histoire, cet univers,

Nous même avec nos raisons à mes trousses…

 

Serrant la virgule de très près et le nuage,

Scindant ce sol, remuant le songe aveugle

Et boitant, tout doucement boitant sur mon visage !

 

Où se tient donc ce Sud atroce

Courant en éclairs sur vos langues et vos rétines ?

Ah ! dites où se tient le Sud précaire !

 

Dans vos genoux peut-être ? Prothèse énorme

Du poète giclant vers l’être fui,

Du poète mort sans prothèse !…

 

Et chaque fois que l’homme, mon Dieu, chaque fois que l’homme

Effleure la lumière, il lui tombe des pommes

Ou des grenades dans le cœur…

 

Mon Dieu, chaque fois que l’homme essaye d’être soi seul,

De lui-même surgissent des serpents antécédents,

Des terres oubliées et des confidences âcres !

 

Homme ni vu ni connu, tarsier ruant,

S’enturbannant de nuits fastes et très sanglantes ;

Ni la mer ni le ciel ni l’épouvantable rire ;

 

Ni le sanglot ni l’or ni la neige ni mon doigt

Portant le cuivre des nuits rebelles

Sur une terrasse berbère ;

 

Et ni l’océan que brise mon geste,

Ni ton corps simplement étourdi par mon sourire,

Assis, grignotant des criquets et des délires…

 

Homme poreux que la mémoire recèle,

… « Tu-le Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin… »,

Homme exaltant l’herbe, le ciel et les couleurs…