Notes

ET LE LIVRE VINT…(RÉCITS POPULAIRES DIOLAS) PAR LOUIS-VINCENT THOMAS NEA, 1982 – 266 PAGES

Ethiopiques numéro 32

Revue socialiste

de culture négro-africaine

nouvelle série

1er trimestre 1983

En ce 20e siècle finissant, où l’Afrique est confrontée à des problèmes aussi graves que les séquelles du colonialisme, le néo­colonialisme, le racisme, le capitalisme monopoliste, l’impérialisme politico-économique des multinationales et des organismes internationaux à fin prétendument humanitaire, le tribalisme… n’est-il pas ridicule – se demande l’auteur – de passer son temps à recueillir des récits traditionnels, fussent-ils très populaires ?

Répondre par l’affirmative, c’est, d’une part, ignorer que l’aliénation culturelle est l’une des plus dangereuses et des plus annihilantes qui soit et surtout la meilleure médiation des autres formes de domination / exploitation. C’est, d’autre part, contribuer à compromettre l’œuvre de développement dans les moyens qu’il se donne et dans sa visée ultime, car ta désaliénation culturelle en est l’une des conditions de possibilité autant que l’un des buts essentiels.

Il faut se rendre compte par ailleurs qu’en s’attachant aux récits d’une région ou d’une ethnie dans un pays donné, bien loin de saper l’unité de ce pays en faisant du régionalisme ou du tribalisme, on concourt au contraire à son édification par les ressemblances culturelles qu’on met en évidence.

Une dernière raison avancée par l’auteur et largement partagée par ses informateurs consiste en l’utilisation qu’il est possible et souhaitable de faire des récits présentés, dans le cadre d’une école moderne non seulement désaliénée mais enracinée dans le patrimoine culturel et plus spécifiquement littéraire légué par les ancêtres.

Voilà donc les raisons qui, aux yeux de l’auteur, fondent sa démarche et justifient la sélection de quelque 156 récits à partir d’un fonds de 325 textes originaux. En réalité, la sélection présentée consacre les meilleurs textes issus d’une collecte menée une vingtaine d’années durant sur la même aire géographique – la Casamance – et qui a permis à l’auteur de rassembler quelque 2.000 récits.

C’est à dessein que Louis-Vincent THOMAS nous parle de récits là où une rapide lecture permet d’identifier de nombreux contes et fables. Mais ayant rappelé les définitions de ces deux genres, il a tenu à souligner la complexité de la structure formelle des textes qu’il nous livre ; complexité que le terme récit permet mieux de respecter par sa généralité et sa neutralité.

Les 156 textes du corpus sont distribués entre cinq chapitres à partir d’une analyse du contenu. On a de la sorte et dans l’ordre :

– Intelligence et efficacité (29 textes) ;

– Les sages leçons de l’expérience (36 textes) ;

– Réprobation des vices et exaltation des vertus (48 textes) ;

– L’amour et les relations familiales (27 textes) ;

– De l’explication au mythe (16 textes).

Ces cinq chapitres constituent l’ossature de l’ouvrage. Ils sont introduits par une large présentation des Diola de Basse-Casamance où l’auteur, d’une part, nous livre les données de base nécessaires à l’inteLligibilité des textes et d’autre part nous présente les difficultés inhérentes à son entreprise. Quant à l’importante conclusion de l’ouvrage, elle s’attache à l’analyse des récits du double point de vue du fond et de la forme.

Nous apprenons ainsi que la société diola, forte d’environ 200.000 individus, est morcelée en de nombreux sous-groupes (plus d’une douzaine). Elle est sans pouvoir politico-administratif centralisé, malgré la présence d’une chefferie animiste, cantonnée cependant au plan religieux. Société égalitaire à cohésion horizontale, elle a tant cultivé le sens de la liberté et de l’indépendance qu’elle en arrive à être « anarchique », en faisant une large place aux villages, aux lignages et aux classes d’âge. Sa cosmologie dynamique ordonnance les êtres-forces en une pyramide au sommet de laquelle trône Ata Emit, l’Etre suprême, suivi des ancêtres récents ou mythiques (forces supérieures), des boekiin ou forces de liaison et de l’homme. Le verbe y occupe une place importante.

Mais la société diola se distingue surtout en ce qu’elle a développé une véritable civilisation du riz, tant par les techniques culturales d’une rare élaboration, que par le nombre des variétés connues et adaptées aux conditions du milieu (plus de 850), et la place qu’occupe cette denrée dans l’alimentation, la religion, la considération sociale…

L’écueil le plus sérieux à l’entreprise de l’auteur a été le morcellement de cette société en de nombreux sous-groupes dont l’intercompréhension linguistique est parfois très difficile. Ce manque d’unité de la langue rend malaisée la traduction déjà compliquée par l’écart entre les systèmes culturels diola et français. Après quelques données sur le phonétisme et la morphologie du Diola l’auteur nous livre, à titre d’illustration l’un de ses récits avec transcription, traduction juxtalinéaire et littéraire.

Cependant, son option clairement affirmée est de faire connaître au grand public la richesse de la littérature orale diola traditionnelle, sans avoir à verser dans les analyses ethnolinguistiques, sémiologiques ou structuralistes savantes. De la sorte, et bien que 60% du corpus collecté ait été enregistré, il n’y a pas dans ce recueil les textes diola, mais uni­quement leur traduction littéraire. Sans remettre en cause l’option de l’auteur, on peut regretter cette absence de textes qui sont autant de matériaux de travail pour une langue qui n’a pas encore eu la faveur des linguistes, et qui est, sans conteste, la plus morcelée des six langues nationales du Sénégal. Cette absence à moins de devoir être réparée par une publication prochaine, se comprend d’autant moins que pour l’auteur l’avènement d’une école africaine francophone moderne et désaliénée est nécessairement liée à l’utilisation, par celle-ci, des langues maternelles.

Au contraire des problèmes ethnolinguistiques, sémiologiques…, les questions théoriques liées aux récits diola ont largement retenu l’attention de l’auteur. C’est ainsi qu’il procède tour à tour à l’analyse des textes d’abord du point de vue externe avec leur nécessaire mise en situation dans la société dont ils émanent ; et surtout du point de vue interne.

Dans cette seconde perspective, l’auteur passe en revue les différents niveaux de compréhension du message (trois paliers d’après lui), l’organisation du récit est plus une unité narrative que thématique ; les thèmes topiques à ses yeux : action coordonnée née, échanges, besoin d’enfants, métamorphose…

Louis-Vincent Thomas aborde aussi la question de la nature et de la signification des personnages et leur ventilation globale, en indiquant que 2/3 des récits sont animaliers, avec 850 animaux répertoriés dans l’ensemble de son corpus. Puisque nous sommes en plein cycle du Lièvre, l’on ne saurait s’étonner de la fréquence d’intervention de cet animal (155) et de celle de sa partenaire inséparable, l’hyène (145 fois)… Si ce n’était là un simple reflet de la réalité, la primauté des récits animaliers pourrait s’expliquer par le jeune âge de la majeure partie des informateurs consultés.

Par ailleurs, aux yeux de ces derniers, la finalité ludique des récits (47 %) l’emporte par apport aux finalités régulatrice (43%) et pédagogique (10%). Et Louis-Vincent Thomas de constater, en terminant son ouvrage. « …l’homme n’a-t-il pas besoin, chaque jour, de sa provision de fête ?… Le Lièvre vint. Alors, les visages s’éclairent, resplendissants de joie. Les plus vieux se prirent à espérer… ». Un livre instructif et agréable à lire.