Alioune Sène
Notes

ECHELLE SANS FIN par Mathieu V. Ekra, France-Impression-NEA.

Ethiopiques numéro 21

revue socialiste

de culture négro-africaine

janvier 1980

Nous connaissons Mathieu EKRA comme un militant du R.D.A. (Rassemblement Démocratique Africain) et fidèle compagnon du Président Félix Houphouët-Boigny dans la lutte pour la libération de l’Afrique.

Après l’indépendance de la Côte d’Ivoire, Mathieu EKRA a beaucoup réfléchi sur les problèmes du développement à travers ses finalités humaines et spirituelles.

« Dieu est au début et à la fin du développement », pourrait-on dire, paraphrasant la formule célèbre d’un chef d’Etat africain, pour résumer l’ouvrage de Mathieu EKRA : « L’Echelle sans fin ».

Si le programme de développement qu’ils envisagent l’un et l’autre est celui de l’homme, si l’un et l’autre travaillent avant tout à promouvoir un « humanisme » africain, l’entreprise de Monsieur EKRA envisage l’homme dans la singularité de son destin individuel, à travers l’itinéraire biologique d’une vie, de la naissance à la mort, dont il s’attache à découvrir les lois et l’ordonnance, en référence à un texte unique : la Bible.

Cette référence, en nos temps actuels, où « les demi-dieux meurent aussi » en vaut bien une autre. Si l’on encourage une solution africaine de Marx et du socialisme, cette relecture du « Best-Seller » de tous les temps que sont les Ecritures saintes, ne peut manquer d’intérêt.

D’autant plus qu’une telle démarche repose, et c’est là que réside la grande valeur de l’ouvrage, sur une expérience vécue, qui présente les deux caractéristiques fondamentales d’une authenticité spirituelle, nourrie d’une longue pratique des Ecritures saintes, s’inscrivant essentiellement dans la voie africaine de la connaissance : l’apprentissage auprès d’un « maître », au sens traditionnel du terme.

Ce maître, Mathieu EKRA lui rend hommage dans sa préface : « dénué des mystères » qui bloquent et stérilisent les catéchismes traditionnels cet enseignement m’a été donné dans une langue maternelle africaine par un maître qui, ô dérision, n’a ni diplôme… ni formation théologique à faire valoir. Expérience soumise aux règles propres à toute initiation : « … mon maître ne m’a communiqué qu’une partie de ses expériences personnelles et il n’est pas sûr qu’avant longtemps, il m’autorise à livrer les péripéties de la prodigieuse aventure de son amitié avec Dieu ».

Ainsi rejoint-il cette grande tradition initiatique africaine que nous connaissons et dont la littérature nous révèle quelques exemples à travers des témoignages d’Hampathé BA, ou les récits de « l’Aventure ambigüe » de Cheikh Hamidou KANE.

Ainsi sommes-nous avertis, dès les premières pages, que cette approche de la Bible est marquée dans son essence par la spécificité africaine. Elle est conçue comme un maillon de cette longue chaîne d’échanges qu’est la Parole, la vertu du dialogue en Afrique.

En effet, le propos explicite de l’auteur est d’encourager un débat vivant mis en pratique dans les communautés chrétiennes d’Afrique et particulièrement celles auxquelles il participe en Côte d’Ivoire. Car Mathieu EKRA ne s’en cache pas, il est un militant, sinon un prosélyte de la parole chrétienne. Militant sans triomphalisme, se voulant avant tout témoin.

C’est cet esprit de témoignage qui l’a amené, à soixante ans, à se faire « écrivain » pour la première fois, faisant preuve de qualités d’expression remarquables, par la clarté de l’exposé, la justesse de ton et la pureté d’une langue, pourtant simple et toujours exacte.

Cette clarté de l’exposé apparaît dans le plan de l’ouvrage, en trois parties :

1) « L’homme », « pile et face », dans lequel M. EKRA, sous cette formule lapidaire, résume les deux composantes de l’existence : « l’homme et son environnement », « L’homme et son Dieu ».

2) « La puissance de l’Esprit » où l’auteur énonce, sans ambiguïté, une philosophie spiritualiste, insoucieuse des modes ou une argumentation « scientifique » n’est pas toujours la plus convaincante. Il est indéniable en cette matière, que l’analogie ne peut rendre qu’imparfaitement l’écho des réalités plus sublimes. Du moins, saura-t-on gré à l’auteur, d’une grande logique dans cette description de l’existence, partagée entre les deux pôles d’un Bien et d’un Mal absolus.

Vision parfois proche du Manichéisme, qui peut l’entraîner à simplifier à l’extrême les exemples, qu’à la manière de la parabole évangélique, il emprunte à l’expérience.

C’est ainsi que, pour définir l’état de grâce qu’est la foi, M. EKRA se sert de la belle image de l’état d’apesanteur que découvrent hors de l’atmosphère les cosmonautes. Et il conclut un peu vite que cet état était scientifiquement inconcevable, tant que l’homme n’était pas sorti de son univers terrestre et atmosphérique.

3) La IIIe partie, la plus substantielle, envisage « l’homme en face de son destin ». Le chapitre le plus intéressant de cette 3e partie est, sans doute le 11e chapitre intitulé « langage humain et langage spirituel » où l’auteur, renouant là encore avec la tradition africaine du langage, démontre que toute parole a valeur symbolique et qu’elle peut être reçue, perçue à différents niveaux d’entendement.

Cette notion de polysémanticité de la parole, qui est sans doute la clef de toute interprétation « en profondeur » des textes de la tradition africaine, aussi bien que de ceux de la tradition biblique, est ici opportunément rappelée. Elle est illustrée d’exemples simples, tendant à prouver qu’une telle interprétation n’est pas réservée aux « docteurs » et aux « doctes », mais qu’elle doit nourrir une pratique populaire d’autant plus « évidente » qu’elle est la pratique traditionnelle en Afrique.

En conclusion, ce livre de Mathieu EKRA, qui est un beau livre, par l’évidence et la simplicité de son propos, s’adresse d’abord aux croyants, à ceux qui sont déjà en « état d’apesanteur »…

Mais il peut aussi toucher les autres, ne serait-ce que par la démonstration qu’il y fait que l’Afrique peut recevoir et assimiler jusqu’à faire siennes, sans y perdre son âme, les traditions et les valeurs religieuses des autres parties du monde.

Mais s’il en est ainsi, c’est que les fondements de ces messages sont universels parce qu’ils traduisent l’approche des grandes certitudes et des lumières de la vérité.