Olof Palme
Développement et sociétés

CONTRE LE CHÔMAGE

Ethiopiques numéro 20

Revue socialiste

de culture négro-africaine

octobre 1979

L’histoire des mouvements ouvriers européens offre beaucoup de traits communs. Elle contient des sacrifices et des souffrances, mais aussi du courage et une infatigable volonté de lutte.

A la fin du siècle dernier, la Suède était un des pays les plus pauvres d’Europe. Sont encore en vie des compagnons suédois qui avaient été vendus à la criée publique. Plus d’un million de personnes durent émigrer pendant la deuxième partie du dix-neuvième siècle. La Suède était organisée en une société de classes, où régnaient la pauvreté et l’injustice, mais cette situation même devait déboucher sur des résultats positifs ; ce fut le terrain idéal pour la naissance du mouvement ouvrier suédois. Il était naturel que les ouvriers s’organisent. Les premiers rouages du Parti furent créés en 1882. Sept ans plus tard, en 1889, se fonda le parti ouvrier social-démocrate, création des syndicats pour être l’instrument politique de la classe ouvrière.

Le premier programme du parti adopté en 1897 était basé sur le programme d’Erfurt des sociaux-démocrates allemands, avec toutefois certaines différences. Le programme suédois donnait un rôle considérable aux syndicats. L’emphase mise sur les relations entre le syndicalisme et la lutte politique continue d’être un trait distinctif du mouvement ouvrier suédois.

Le fondateur de notre parti, notre Pablo Iglesias à nous, Hjalmar Branting, caractérisait de la manière suivante le rôle du mouvement ouvrier.

« La L.O. (notre confédération générale du Travail) du côté syndical et la social-démocratie, pour l’aspect politique, ne sont rien d’autre que les deux faces du même grand mouvement ouvrier : En appliquant une ferme discipline intérieure, ce mouvement est appelé à créer un type de pouvoir qui assurera à chacun plus de liberté que n’en concède la société capitaliste, confirmant les citoyens dans leur droit de vivre une vie plus digne ».

Depuis cette époque s’est maintenue une étroite coopération entre les branches syndicale et politique du mouvement ouvrier, cette coopération expliquant pour une grande part les succès obtenus.

Peu à peu s’est formée la tradition des « mouvements populaires ». Sur tous les points du territoire on retrouvait un syndicat et une section du parti social-démocrate. Durant leurs heures libres, les ouvriers pouvaient se livrer à certaines activités des organisations comme « La Jeunesse social-démocrate », le « Mouvement des femmes » les « Maisons du Peuple », les « Parcs du Peuple ». Au sein des mouvements populaires se retrouvaient aussi les pionniers, les associations de retraités, le mouvement coopératif, le mouvement anti-alcool, les clubs sportifs. L’existence conjointe de toutes ces associations devait acquérir le caractère d’un vrai mouvement de rébellion contre la société, créant de nouvelles structures sociales. Ce fut une entreprise gigantesque d’éducation populaire qui enseigna au peuple à s’organiser pour exiger ses droits.

C’était une entreprise révolutionnaire, parce que en ces temps-là les ouvriers n’avaient pas le droit de vote. Ils étaient séparés de la société et c’est ce qui les conduisit à construire leurs propres lieux de réunion. Ce furent les « Maisons du peuple » qui se convertiraient en lieux d’asile de la « pensée persécutée ».

Et, ce qui est le plus important, ce qui vraiment nous identifie, c’est que dès le commencement, la démocratie interne a été mise en pratique à l’intérieur des mouvements populaires, longtemps avant d’avoir conquis au niveau national les droits civiques et les libertés fondamentales. C’est ainsi que l’idéal démocratique s’est enraciné dans la grande masse.

Le problème de la violence comme arme politique de la classe ouvrière a été discuté très tôt au sein du mouvement ouvrier suédois. Déjà en son second congrès, en 1891, le Parti social-démocrate suédois se prononçait contre la violence. Il n’y a pas à se disculper sur les raisons qui ont fait de nous des non-violents ; il suffit d’expliquer que nous, les socialistes, nous sommes un obstacle pour le terrorisme.

Je désire ajouter que nous nous sommes strictement tenus à cette ligne.

Dès les premières manifestations du mouvement il y avait deux consignes concrètes : le suffrage universel et la journée de huit heures. Cela signifiait que les travailleurs désiraient avoir accès au pouvoir politique et utiliser cette influence pour changer les conditions de vie, modifier les rapports de force économiques et sociaux. La patience des ouvriers fut énorme. Vingt années s’écoulèrent entre la constitution de la Confédération Générale des Travailleurs en 1898 et l’obtention du suffrage universel et de la journée de huit heures. Sur cette époque Hjalmar Branting pouvait dire

« Nous avons lutté pour la démocratie pendant une génération, on ne nous fera pas croire que nous avons lutté pour une vaine illusion. Quelqu’un désirerait-il être au point où nous étions quand nous avons commencé à lutter pour le droit de vote ? Nous comprenons tous que c’est une absurdité. Et la majorité doit comprendre par la même qu’un peuple ne peut vivre sans démocratie. Il serait dangereux d’affaiblir cette conviction chez les travailleurs ; cela signifierait que les autres classes pourraient nous arracher à nouveau ce que nous avons conquis. Les classes qui s’opposent à la classe ouvrière n’ont pas de meilleurs alliés que ceux qui tentent de présenter la démocratie comme futile et sans valeur ».

Au cours des années 20, pendant lesquelles s’accomplirent les premières réformes sociales, la pauvreté et le chômage accablaient une classe ouvrière mal organisée et mal représentée par quelques syndicats trop faibles. La Suède à cette époque tentait de mettre au point les procédures parlementaires et la tâche la plus urgente était la conquête des droits de l’homme, c’est-à-dire la démocratie politique.

Organiser le plein emploi

En 1932, pas moins de 31 % de l’ensemble des membres des organisations syndicales se trouvaient sans emploi. Les élections générales de cette année-là enregistrèrent une victoire écrasante des sociaux-démocrates qui obtenaient plus d’un million de votes. Ainsi commença l’ère du gouvernement socialiste ouvrier qui devait durer sans interruption plus de quarante ans. Ce ne fut pas une période de pouvoir absolu. Le parti n’obtint une majorité bien à lui que pendant six ans, mais la transformation de la société suédoise put être commencée.

Les humiliations, les illusions perdues, et les calamités du chômage faisaient souffrir les travailleurs dans leur chair et dans leur esprit. Nous socialistes, nous étions prêts quand la social-démocratie entra au gouvernement en 1932.

Le premier point qui au long des années, a continué d’être la tâche primordiale du Parti, a été de déterminer comment dominer les forces économiques pour organiser le plein emploi.

Per Albin Hansson qui assuma la direction du Parti et la charge de Premier ministre d’Etat en 1925 après Branting, formula la stratégie du Parti de la manière suivante :

« Nous avons commencé par la démocratie politique, après nous avons instauré la démocratie économique ».

Au commencement des années 30, il s’agissait de lutter contre la misère massive, du désir d’assurer la sécurité et le bien-être des vieillards et des enfants, de la politique sociale et de celle de l’habitat dans une Suède où se posait de manière aiguë le problème du logement. Les bases de la démocratie sociale furent jetées. Depuis la période de réforme des années 40 et 50, la Suède n’est jamais revenue sur ses pas. Tout s’est amélioré.

Vers la fin des années 50, la situation restait en principe inchangée. Nous voulions fermer les portes à la crise. En même temps nous ne pouvions accepter que de larges groupes de travailleurs, d’employés et de fonctionnaires fussent privés de pensions de retraite.

Nous devions aussi trouver les moyens de satisfaire les besoins d’éducation, d’habitation adéquate, de soins médicaux, en un mot tous les besoins auxquels l’individu, même dans la société du bien-être, ne peut faire face tout seul, moyens qui ne peuvent se résoudre que de manière solidaire moyennant le développement du secteur public.

Nous avons entrepris la lutte et l’avons gagnée. La Suède n’est plus jamais retournée en arrière. Elle a progressé.

Au commencement de la décade 70, nous nous sommes trouvés en face d’exigences similaires de réforme et de rénovation. Nous ne pouvions accepter une vie ouvrière où l’homme se tuerait au travail, pour être livré dans sa vieillesse à l’insécurité et à la pauvreté, où chacun vivrait dans l’inquiétude, dans la peur des accidents ou de l’empoisonnement dans les lieux de travail, où les travailleurs et les petits employés pourraient à peine exprimer leurs opinions sur leur travail.

Nous devions fermer les portes à la crise, mais en même temps réaliser l’œuvre de réforme dans le domaine de la vie économique. Quand cette réforme sera réalisée, la Suède jamais plus ne retournera en arrière ; elle continuera à progresser.

Nous avons eu à livrer un dur combat pour atteindre aux droits et aux libertés démocratiques, à la justice sociale et économique. Graduellement, et toujours en respectant la volonté du peuple, nous avons converti la Suède en une nation industrielle moderne. L’expérience nous a enseigné que les fondations d’un progrès durable sont au prix de la constance et de l’obstination dans la mise en place jour après jour des réformes sociales. Notre expérience nous a aussi enseigné qu’il existe un rapport direct entre le progrès social d’une communauté et le progrès économique. Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui postulent que les réformes sociales sont contraires à la croissance. A nos yeux, c’est tout le contraire ; une société qui distribue l’emploi, la sécurité sociale et le bien-être, prépare les fondements de la force économique et en même temps en stimule la naissance. Les réformes sociales constituent un investissement dans le progrès économique.

Le droit au travail et l’humanisation de la vie ouvrière ont été pendant des décades l’obsession des socialistes suédois. Pourquoi ? Permettez que je fasse la citation d’un extrait du programme de notre parti :

« Les conditions du travail gouvernent les relations entre les hommes et caractérisent la société toute entière. C’est pour cela que la production joue un rôle essentiel pour la libération des hommes. C’est pour cela que nous voulons faire de la démocratie économique une réalité, incluant le peuple entier dans les transformations sociales et obtenant que le développement technologique et économique se subordonne aux nécessités humaines. Nous désirons placer le droit à la décision concernant la production et la distribution des biens aux mains de tout le peuple, libérant les citoyens de toute espèce de dépendance vis-à-vis des groupes de pression situés hors de son contrôle. Des hommes conscients, critiques et actifs sont la condition préalable à des décisions qui soient dans l’intérêt de la majorité du peuple. C’est par le moyen de la participation croissante dans le développement social que s’élargissent les perspectives de l’individu, que s’accroissent ses connaissances et que s’étend le sens des responsabilités de la sphère privée à la responsabilité sociale vis-à-vis des autres qui forment une même société.

De cette manière, chacun assume la responsabilité de son avenir, s’adonne à modifier les conditions matérielles et à construire une société d’hommes libres et indépendants ».

Permettez-moi d’exprimer dans un autre langage ces mots du programme de notre Parti :

Dans son article intitulé : « L’ouvrier commence à se poser des questions », l’écrivain suédois Sven Lindqvist présente un homme qui, se dirigeant vers l’usine où il travaille, passe devant des résidences privées, quelques édifices collectifs, un hôpital et des salles de fête. Il se rend compte que ces édifices sont chaque jour plus beaux, plus joyeux, plus humains. Arrivant à un carrefour, il voit comment une ancienne usine de tannage se reconstruit en école secondaire. Des travailleurs sont occupés à démolir des murailles, à peindre des cloisons, à aménager des espaces verts et il se dit : « Tout cela est très bien mais pourquoi mon usine n’a-t-elle pas été construite de cette manière ? Pourquoi suis-je condamné à vivre dans un environnement gris, plein de poussière ? »

Consultez un dictionnaire, les logements, hôpitaux, théâtres et magasins y sont définis comme des installations destinées à satisfaire des besoins. Par contre, l’usine est une unité de production qui, mobilisant les forces de travail et les matières premières, produit des biens utiles ou d’autres moyens de production.

Les biens se fabriquent en un lieu, sont vendus en un autre, et consommés encore ailleurs. Les marchandises ne se trouvent pas dans les lieux de travail qui, dès lors, peuvent être négligés, le consommateur n’y mettant pas les pieds. Il n’y a aucune raison dans une société de classes de construire des usines plus humaines. C’est la raison, se dit l’ouvrier de Lindqvist, pour laquelle l’usine continue et va continuer à être semblable à elle-même, mes camarades et moi ne participant pas aux décisions, n’étant pas admis à donner notre opinion sur la manière dont l’édifice devrait être aménagé.

Le travail est l’élément déterminant

Quelques sociologues des années cinquante proclamèrent trop facilement que le travail était le mal et qu’il était nécessaire de créer une société uniquement fondée sur le loisir. Nous ne sommes absolument pas d’accord avec ce point de vue : le loisir est indispensable, mais le travail continue à être l’élément déterminant de la condition humaine. Il faut partir du postulat que le travail fait partie du bien-être.

Et voici que nous nous sommes retournés à la vieille formule que le travail est, en définitive, « la source de toute richesse et de toute culture ».

Ce choix a donné naissance pendant notre gouvernement à plusieurs lois qui, en même temps qu’elles améliorent les conditions de travail de l’ouvrier, garantissent ses droits.

La loi sur la sécurité stipule qu’un délégué du personnel peut arrêter la production d’une usine s’il considère ses camarades exposés, de quelque manière, à des risques d’accidents.

La loi sur la garantie de l’emploi protège les travailleurs contre les renvois abusifs et bénéficie avant tout aux travailleurs âgés qui approchent l’âge de la retraite.

La loi qui traite des représentants syndicaux autorise les délégués à se déplacer librement entre les lieux de travail afin de mieux accomplir leur mission.

La loi sur la représentation dans les conseils d’administration ouvre les portes des bureaux de direction aux ouvriers et employés qui, désormais, peuvent savoir, entre autres choses, comment progresse la courbe de production.

Parallèlement, nous avons introduit une loi qui rend négociables toutes les décisions prises par la direction ; cette loi augmente encore le pouvoir des salariés.

Quand le général Otelo de Carvalho et l’amiral Rosa Coutinho, tous deux membres du nouveau gouvernement portugais, étaient en Suède en 1975, ils visitèrent une école de syndicats. Après avoir entendu l’exposé de nos différents projets et de nos plans de réformes, ils demandèrent dans combien de temps nous pensions pouvoir les réaliser. « Quelques dizaines d’années », répondit un syndicaliste.

Ils en furent surpris, parce qu’un délai d’une semaine leur paraissait déjà long. Quant à nous socialistes qui visons à changer les choses en profondeur, vingt ans nous paraissent terriblement court.

Dans l’instant, il nous semble spécialement important d’insister sur notre vieille exigence de plein emploi.

Nous sommes en train de vivre, entre les nations les plus industrialisées d’Europe, la crise économique la plus profonde qui ait affecté ces nations depuis 1930.

Pays après pays nous présentent des statistiques de chômage invraisemblables et paralysantes. En même temps, l’Europe se trouve isolée par l’inflation la plus rapide enregistrée depuis la crise de la guerre de Corée.

Il y a aujourd’hui dans les pays industrialisés presque 17 millions de personnes affectées directement par le chômage. Rien que dans la zone de la Communauté Economique Européenne, près de deux millions de jeunes de moins de vingt cinq ans n’ont pas encore pu s’assurer leur premier travail. Dans certains pays, les chiffres du chômage des jeunes sont atterrants. 300.000, 400.000, parfois 500.000 jeunes sans travail. La distance entre la sécurité que donne le travail et l’insécurité du chômage s’amenuise. Un sentiment d’impuissance et d’inquiétude ronge le bien-être dans les pays industrialisés et les fondements de la société.

Les conséquences pourraient en être dévastatrices du point de vue idéologique. Je considère le plein emploi comme une des conquêtes économiques et sociales les plus grandes de l’après-guerre. Mais dans la situation difficile que nous vivons commence à se répandre « l’idée », d’intensité croissante, qu’un chômage d’une ampleur considérable est inévitable, et que le chômage n’est pas aussi dangereux qu’on le croit, qu’il comporte même des avantages, que l’individu, de toutes façons, reçoit l’aide de l’Etat, etc. C’est le reflet d’une apathie idéologique qui pourrait être catastrophique tant pour la vitalité des nations que pour l’espérance d’un avenir brillant pour les individus. Ce qui paraît le plus inquiétant, ce sont les mécanismes apparemment inexorables de rejet de la société capitaliste et de la société industrielle moderne. Année après année restent sans emploi entre 15 et 20 millions de personnes dans les pays industrialisés. Nous voyons les signes menaçants de la croissance continue d’une sous-classe spécialement menacée par le chômage : les femmes, les sous éduqués, les immigrants, les semi invalides et handicapés de tous genres. Ils n’ont ni la force ni l’organisation pour protéger leurs intérêts dans un marché du travail difficile qui tend encore à se réduire.

C’est en vérité un cauchemar. Des hommes traités comme des déchets du système industriel, sans force pour se faire entreprendre, exclus de la communauté.

Ceci contrevient aux principes fondamentaux. Nous considérons qu’à chacun doit être donné le droit et l’opportunité de participer à la production, à l’effort commun pour un meilleur présent et un meilleur avenir.

Nous pouvons aussi peu accepter que des personnes soient condamnées à être considérées comme des marginaux sociaux. Il ne doit pas exister « Nous » d’un côté et « ces gens-là, » de l’autre ; il ne doit y avoir qu’un « Nous » global. Dès lors que nous devions de ce principe, le socialisme se désintègre en tant que concept humaniste et force motrice pour finir dans la société de classes.

Il s’agit finalement de libérer les ressources propres de chaque personne humaine en sorte que chacun puisse compter sur une communauté et une fraternité vivaces. C’est une grande responsabilité pour le mouvement ouvrier et les autres mouvements populaires. C’est notre devoir d’assumer cette responsabilité. Sachant qu’avant tout ce sont les membres de la classe ouvrière et ceux affectés par la misère et la marginalisation qui sont dans la position la plus désavantageuse, c’est notre tâche de créer une communauté et la chaleur humaine qui soient le reflet de la société à laquelle nous aspirons.

Les idées du Printemps de Prague

C’est notre tâche d’organiser les désavantagés pour entreprendre la lutte politique susceptible de transformer la société qui autrement les condamne à être relégués au rang de spectateurs.

Un autre signe de mauvais augure est l’intense discussion qui se poursuit sur les faiblesses de la démocratie et les dangers divers qui la menacent, discussion au cours de laquelle personne ne semble intéressé à chercher les causes sociales des difficultés, mais plutôt à susciter quelque argument servant de prétexte.

Ce n’est pas nouveau. Nous n’avons pas à remonter à des époques historiques lointaines pour déchiffrer comment l’insécurité a préparé le chemin à ceux qui exigeaient l’autoritarisme avec ses solutions simplistes.

La crise économique amène aussi avec elle l’aggravation du climat politique, précipitant la manifestation des antagonismes entre les groupes, les classes sociales, les idéologies. C’est une menace pour la fraternité et la solidarité à l’intérieur des nations et entre pays et régions. Dans un climat social de mesquineries et d’avarice il ne peut y avoir place pour le rêve d’un nouvel ordre économique mondial qui puisse apporter la justice aux pauvres de la terre.

En Europe Orientale aussi, il y a des problèmes économiques considérables. Mais pour des raisons compréhensibles nous en savons davantage sur les problèmes politiques de ces régions. L’exigence des droits et libertés de l’homme, de la démocratisation grandissent avec force.

Le printemps de Prague a été écrasé, mais ses idées demeurent, plus fortes peut-être que jamais en Tchécoslovaquie et en Europe en général. Nous pouvons l’entrevoir dans les messages que nous recevons constamment des pays communistes témoignant que le désir des libertés quotidiennes simples ne peut être étouffé un temps que pour constamment refleurir.

A nos yeux, ces courants qui se manifestent en Europe Orientale sont l’expression de la force et du pouvoir d’attraction du socialisme. Dans cette situation, comme nous constituons la principale force démocratique de nos pays et de l’Europe, nous socialistes nous avons une responsabilité sociale.

La crise ne doit pas conduire à la passivité et à la résignation. Il n’est pas possible que les faibles et ceux qui courent le plus de risques paient pour la crise. Nous devons travailler tous à en sortir. La crise du capitalisme doit être combattue avec des moyens puissants dans un esprit de solidarité et de responsabilité communes. C’est pour cela que les mesures concernant l’emploi et la justice sociale occupent une place si centrale dans les programmes de nos partis respectifs et dans nos discussions au sein de l’Internationale Socialiste.

Aucun pays ne peut arriver à la solution en agissant seul. Il faut unir les forces de tous les travailleurs pour transcender les frontières nationales, lutter contre la pauvreté, obtenir une répartition plus raisonnable et plus équitable de l’ensemble des richesses de la terre et combattre l’immense gaspillage que constitue la course aux armements.

Au fond notre devoir est de conserver vivace l’idée de solidarité et lui donner un sentiment concret : la solidarité internationale suppose que nous devions attaquer avec détermination les injustices économiques et sociales de notre pays. Les succès que nous obtiendrons à l’échelle nationale seront la base d’une politique internationale active devenue avec le temps une politique de paix et de solidarité.

Garantir aux citoyens la sécurité économique et sociale ainsi qu’une influence chaque jour plus grande sur ses propres conditions d’existence, sur ses lieux de travail et sur la vie politique, ne doit pas servir seulement à consolider la cohésion sociale au sein de chacune des nations. Cette espèce de politique doit contribuer à une évolution internationale jusqu’à obtenir une plus grande tranquillité dans tous les peuples, et plus avant, la sécurité et la paix mondiale !

Désormais nos sociétés seront jugées tant par les jeunes générations de nos propres pays que par les jeunes nations du monde, selon le critère de la qualité culturelle et sociale de la vie que nous essaierons d’obtenir pour nos concitoyens.

[1] Allocution pour la célébration du centenaire du Parti Socialiste Ouvrier espagnol (Madrid, le 3 février 1979)