AFRIQUE
Ethiopiques numéro 34 et 35
revue socialiste
de culture négro-africaine
nouvelle série
3ème et 4ème trimestre 1983
volume I n°3 et 4
Afrique
Je te somme de ta mémoire blessée
de tes enfants à la lie-sière de la vie
nous avons mal à nos flancs étiques
nous sommes toujours la périphérie insipide
de l’histoire et bétail à volonté pour une
bouchée de fusils
où débarquer nos bribes et nos racines sur
une terre à la sollicitude exsangue
et me voici égaré dans ce pays où je ne sais
plus comment on y aime
terre où l’on vous compte des graines de haricot
a l’huile mesurée à part
non ce n’est plus cela l’afrique
et la générosité elle-même hors d’atteinte
non ce n’est vraiment plus cela l’afrique
terre où l’étranger loin de son toit peut crever
de faim au bord du chemin à l’indifférence
totale des passants
non ce n’est plus cela l’afrique
terre où l’hospitalité mot chargé de noblesse
a perdu toute sa sonorité sacrée
non ce n’est plus vraiment cela l’afrique
et la solidarité elle-même à un prix prohibitif
non ce n’est plus cela l’afrique
terre où le mensonge lucide a acquis le droit
de cité comme la plus sublime des vertus
non ce n’est plus vraiment cela l’afrique
terre où des discours rodés comme des psaumes à
vêpres se suivent et atterrissent bien empaquetés
sur des gueules lymphatiques
non ce n’est plus cela l’afrique
et trop de plans sans suite et trop de promesses
non tenues élargissant le cimetière des intérêts dus
non ce n’est plus vraiment cela l’afrique
terre où le brigand est accueilli à bras ouvert
et l’honnête homme chassé à coups de bâton
non ce n’est plus cela l’afrique
mais les ténors nous ont assuré main sur le cœur
que c’est par compassion humanitaire
non ce n’est vraiment plus cela l’afrique
ainsi donc la charité chrétienne ne serait-elle
répondable qu’aux vandales
non ce n’est plus cela l’afrique
terre où l’enfance n’est plus bénie comme richesse
divine mais douloureusement saccagée en sa tendre chair
non ce n’est vraiment plus cela l’afrique
terre où le respect dû au sage a émigré vers le
fourbe et l’escroc mouche attirée par la
grosseur de leur portefeuille
non ce n’est plus cela l’afrique
terre où les hommes n’affichent plus aucune dignité
dans leur envahissante pauvreté
non ce n’est vraiment plus cela l’afrique
et l’âme elle-même est affligée de cette horrible
gangrène syphilitique
non ce n’est plus cela l’afrique
terre où la palabre a été extirpée à l’avantage de
la matraque et du fusil manié par des flicailles
sans contrôle
non ce n’est vraiment plus cela l’afrique
je te somme ô vieux continent de ta mémoire
outragée par des villes étrangères comme une
affreuse excroissance à un organisme dégénéreux
je te somme de tes enfants à la périphérie
de la vie
ils sont toujours la lie-sière efflanquée de
l’existence et l’anus de la terre.