Poèmes

2.CEREMONIAL DE LA PAROLE (extraits inédits)

Ethiopiques numéro 16

Revue socialiste

de culture négro-africaine

Octobre 1978

Il ne faudra plus que cela :

Ecrire pour aller vers l’autre pour lui parler

Du poème qui s’attarde dans la conscience du merveilleux

Il ne faudra plus que fouler le territoire de la sincérité

Car au rivage où s’inquiète la pensée l’écriture

Est pour toi devenue ce lieu où prend source la mémoire

Il ne faudra plus que cela : cette solitude qui déprime

L’homme en quête d’un lopin de terre qui soit sa concession

Il y a ici non loin de toi la pensée qui toujours

S’accroche au jour pour tirer au clair l’énigme du poème

Car le poème est énigme qui s’élabore dans le silence

O pensée ouverte à l’abstraction qui parle d’égarement

Je suis pierre je suis arbre je suis terre et mer

Je ne sors plus je fais face à la solitude à l’absence

Je ne sors plus : au cœur de toute parole éclatée

J’accède à une strophe natale et ma pensée vient de la mer

Autant qu’une chatière, les noms portés

se dissolvent avec l’infini des mémoires…

mais les corps errants, tués, les corps absents ?

Et nous-mêmes pardi ! nous-mêmes,

équarisseurs de terres, preneurs de ciels puants ?

Car les murs se souviennent, car ma tête répand

cet involucre en astre écrasé dans nos cœurs.

Je m’exhale des peurs et des fleurs, debout et mort,

schiste amer d’où mon œil retire, au lieu d’amours

 

voulues, l’aiguille qu’imprime aux roches un vieux délire

Mais nous-mêmes debout, prisonniers de villes tueuses ?

Et de l’Ordre ! Ah ! brise cet ordre, enfant !

Errant parmi vos âmes ainsi qu’un fleuve en crue,

Damas depuis longtemps et depuis toujours présent

dans nos yeux, dans nos murs…

Je vais à toi plein d’orge non pareille.

Et mort

de la mort du polyptère qui n’est autre que mon chant.

Et nous tous, jouxtant les haines

quand l’Afrique redresse ses cils,

bousculant les assassins…

Si dans nos corps la rue éclate de rire,

lus ensemble sur le pavé

en nerfs contus, en sangs

que relance et reprend telle une balle un chien !..

Il n’y a que cela : la parole qui s’accorde à la clarté

A chaque carrefour où s’éveille le don de dire

Les mots qui emplissent la mémoire du plus grand nombre

Il n’y a que toi : homme rendu à l’ascèse de la solitude

Pour m’accomplir il me faut refaire fête avec le langage

Afin que de liesse je grandisse parmi les hommes de mesure

Il me faut ta connivence pour rendre plus vigilante ma raison d’écrire

A présent que je te parle dans l’orage de mon âge d’homme

Je vivrai je parlerai dans l’averse des images

Maintenant que je fais bon poids dans la passion débridée

Je vivrai aspirant à la liberté à la fureur de mourir

Puisque déjà je sais sur quels chemins de latérite s’angoisse ma vie

Il n’y a vraiment que cela : cette envie de dire

De marteler les mots sur l’enclume du clair-obscur

Il n’y a que cela : les mots qui expirent dans l’insomnie

Quand la pensée bivouaque à l’alpage de la nuit

Il m’est toujours triste de penser que je ne suis

Sur terre que pour errer et cracher sang

Que chaque jour qui s’éveille au vertige du néant

Je récris d’un territoire où la mémoire s’avive collective

Je voudrais te rencontrer dans le vivier d’en face

Sous les décombres des mots qui sont exsangues devenus

Je voudrais te rencontrer ici : dans la chambre de quart

Où soudain m’est venu comme une fulguration le don de voyance

Libre de marcher sur les chaussées du grand monde

Libre de penser à rebours quand descend l’or du soir

J’érige une demeure où la parole rapatriante

Réinvente la vie au bief constellé de l’espoir

Car l’espoir demeure lors même que je plaide coupable

Au milieu de tant de visages ravinés par la difficulté d’être

Je ne désire rien si ce n’est ma part de subversion

Je ne désire que partir à la rencontre de l’homme marginal

Peut-être cesseras-t-il de te plaindre chaque jour

Quand aura brûlé le poème qui s’édifie à ras de terre

Je sais que demain est un autre jour et qu’

Entre la vie et la mort il y a l’espérance qui bat de l’aile

Je sais que je ne mourrai pas sans avoir posé

Les jalons du poème qui traque l’essentiel

Je marche d’un pas ferme et je suis toujours à l’écoute

Du monde pour interroger les hommes de haute mémoire

Il ne faut pas me tenir rigueur : depuis un si long temps

Je n’ai de phrase qu’en ce lieu où s’exerce l’écriture

Il ne faut pas me tenir grief : je brûle à l’intérieur

De chaque page et je suis en ce rivage pour désarticuler le réel

C’est ainsi : celte envie de dire qui vous soulève la gorge

Quand les mots à peine articulés cherchent leur contour

Je vais parlant aux hommes de mémoire et j’attends

En ce carrefour où toujours s’alarme la pensée émue

Je ne dirai que cela : cette assurance de mourir

Qui s’arque sur nous quand pépie l’oiseau parole

Je ne parlerai que des pierres qui migrent

En ce matin sacrificiel où je fais surface à l’emphase nécessaire

Et toi que te faut-il pour narguer le désert de ta vie

Il me semble que parler est une cathédrale que tu adores

Il me semble que maintenant que mon poème s’amplifie

Je t’écris de loin assis entre des pierres veinées-bleu

Je ne pense à rien sinon à « cela » qui s’appelle poésie

O Récitant sur les marches des hautes demeures parvenu

Je frémis aux appels des siècles qui de nous s’absentent

Et je reste étonné d’être seul au monde venu

Il me semble qu’en cette jetée où s’angoisse l’Idée

Je n’ai cessé de tendre l’oreille au clapotis de mon sang

Tandis que l’enfance qui de la mémoire de ma terre s’exhale

Me somme d’être un homme parlant le dialecte de la générosité

Chaque jour la solitude m’écrase et je renonce

A l’antique drame des hommes privés de mémoire

Demain ceint de pensées fertiles je serai présent

Au carnaval des déshérités de l’esprit

Et je dirai au dynaste ce qu’on m’a dit de lui dire

Que mon peuple me comprenne bien : je ne suis pas parti

Pour faire l’éloge de ceux qui scandent des slogans

Quand nos pas s’illuminent dans les geôles du matin

Je n’ai jamais pu céder à l’hypocrisie de ce temps

Ayant fondé mon poème sur les mots qui s’édifient dans la sincérité

Je n’ai jamais rompu mon pain sans l’intime présence

De cet homme qui traverse la nuit en flairant son ombre

 

Je voudrais que la rigueur des symboles s’érige ici

Poésie sœur siamoise de l’espérance je voudrais

Procédant de l’alliance secrète des mots être un poète

De ce temps qui parle rendu à la dialectique des pierres

O seul m’engager sur les pavés délirants du monde

Livré à moi-même au seuil de mon âge d’homme

O seul à nuitamment cultiver le langage de l’homme mutilé

Sur cette terre austère où l’homme est un loup-garou pour l’homme

O seul à porter le fardeau des paralytiques du monde

En ce matin d’ordalie où je reste étonné de n’être

Que cet homme discret qui s’ausculte à chaque nuit occise

Quand la brise du soir s’accorde à l’envergure de l’ennui

Je n’ai jamais cédé à la complicité des hommes de main

Jamais je n’ai plaidé pour les roitelets en chaise longue

Il me faut désormais aller au bout de ma révolte quotidienne

Il me faut maintenant renoncer à la dialectique de la résignation

Laissez-moi -mais laissez-moi avoir raison de l’exsangue Raison

Toujours à l’affût des mots en instance de divorce

Je tends mon poing aux urnes nocturnes de l’angoisse

Tandis que mon sang gronde comme une salve d’images

D’où vient que mon sang clapote dans les jarres vides

D’ou vient que je crie au jour cancéreux du désenchantement

J’entreprends ici de passer ma vie au crible du poème

J’entreprends de faire le point sur ma vie d’aubain

Car si jamais je dois te rencontrer à l’oratoire du matin

Où souvent je viens joindre mes mains pour conjurer l’étrange

Il appert qu’en ce matin choral où je glisse

Dans la parole écrite la poésie me donne des ailes d’espérer

Je ne veux point être l’aède à la parole muselée

Qui marche dans les chantiers apeurés du jour

Qui s’attarde dans les rues quand au loin passe hautain

L’homme battant témoin des révoltes syndicales

O parole recluse dans l’intime je parle pour sécréter l’espérance

Je parle dans la confidence nécessaire pour mourir à la difficile vérité

Toujours rendu au sol j’adresse à mon peuple le poème

Qui s’établit dans l’insurrection pour échapper aux dogmes du matin

Que maintenant toute terre au lyrisme ouverte

M’accorde la grâce de renaître à l’incantation

A la célébration du jour afin qu’en me livrant au feu

Qui aimante l’esprit je demeure cet homme ruisselant de vie

Qui s’explique emporté dans la rumeur de son peuple

De cette foule anonyme qui l’appelle par son nom

Que maintenant à mesure que je parle cette parole

La mer encore une fois me rende à la conscience radieuse de l’espérance

Car en cette nuit où je m’interroge à la lisière de la nuit

J’ai besoin de mourir à la connivence de l’immense

D’être un poète de cette foule poreuse à la rébellion

J’ai besoin d’habiter la mer pour transiter vers mon lignage

Car sur cette crête où l’exil a longtemps habité son paradoxe

J’ai tenu à affronter le doute aux jours captifs de l’anxiété

Otage de la nuit qui s’embue de passions orageuses

Je crois à la Nuit et mon poème dit l’insolence de vivre